Par Marc DUGOIS
La campagne présidentielle nous entraîne dans des assauts
délirants de démagogie et de télé-évangélisme. Certains pour ne pas ouvrir les
yeux diront que cela a toujours été le cas. Ce n’est pas exact car il y a
toujours eu des freins au délire.
Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel grâce à la
gravitation qui les en empêche et qui par ailleurs permet aussi à la pluie de
retourner à la mer après avoir abreuvé les plantes, les animaux et les hommes.
L’homme a tenté d’apprivoiser la gravitation et y a souvent réussi par ses
barrages ou son aviation. Mais il a aussi souvent abandonné au sacré la
gravitation qu’il n’arrivait pas à maîtriser comme les avalanches, les
éboulements, les météorites ou les inondations.
Chez l’homme c’est la combinaison de l’expérience et de la
connaissance, du cycle de l’entraîneur et de celui du professeur qui a toujours
été le frein à son propre délire.
Le professeur explique comment la connaissance va générer la
décision et comment l’action va créer le besoin de recherche de nouvelles
connaissances et donc une écoute tolérante. Il fait la part belle à la
connaissance. Ce cycle se constate à l’université ou dans les séminaires
d’entreprise.
L’entraîneur cherche l’efficacité et c’est en exprimant
l’expérience qu’il augmente l’efficacité. Il fait la part belle à l’expérience.
Ce cycle se constate aujourd’hui dans le sport, le coaching, le service
national ou l’effectuation pour faire très neuf avec un très vieux mot.
Nous avons méprisé le cycle de l’entraîneur au profit de
celui du professeur en allant jusqu’à les opposer et considérer que le cycle de
l’entraîneur n’était utile qu’à la marge. Or cette opposition n’est
qu’apparente car les deux cycles se complètent et surtout se tempèrent. Ils
sont tous les deux le contrepouvoir de l’autre.
La difficulté actuelle est que nous avons perdu les
contrepouvoirs intellectuels. Chacun s’envole dans ses rêves sans automaticité
de réveil.
En éducation nous mettons les deux contrepouvoirs dans la
même Education Nationale, ce qui est impossible. Le primaire devient petit à
petit dominé par le cycle de l’entraîneur pour apprendre aux enfants à vivre en
société mais abandonne donc le cycle du professeur. Il donne des adolescents
très branchés copains mais très faibles en calcul, en lecture et en écriture
pour ne pas parler de l’orthographe. Le secondaire et le supérieur reprennent
le cycle du professeur mais comme les bases existent mal, les étages se montent
mal et l’on baisse sans arrêt le niveau de la prétendue réussite qui ne
débouche plus sur une reconnaissance sociale. En même temps le contrepouvoir du
cycle de l’entraîneur a disparu et l’expérience n’est bien souvent plus un
filtre des connaissances du professeur.
Le summum du ridicule est atteint en économie ou chaque
professeur diffuse une logorrhée que les étudiants sont priés de répéter pour
se croire savants. La rareté de la monnaie était le frein des envolées lyriques
des professeurs d’université. Mais depuis que l’on fait semblant de croire que
la monnaie a remplacé le troc et que l’échange est création objective de
richesses, tous les fantasmes sont autorisés et les médias diffusent à l’envi
les idées les plus farfelues, toutes « nobélisées ».
Nous avons oublié, même si Daesh
nous le rappelle avec violence, qu’un groupe n’existe que par une approche
commune du beau, du bien et du vrai avec une volonté chez certains d’imposer
leur vision à l’ensemble de l’humanité en la voulant universelle. Les religions
et les philosophies sont objectives et servent de références à l’intérieur de
leur groupe, mais ont souvent du mal à reconnaître qu’elles sont objectivement
subjectives et que d’autres civilisations peuvent avoir d’autres approches sans
avoir tort pour autant.
L’idée du voyage était
depuis des siècles d’aller découvrir d’autres harmonies sur d’autres notions du
beau, du bien et du vrai. Le capitalisme et le mondialisme du XXe siècle en ont
fait le plaisir de retrouver au loin le même chez soi sans les voisins ou,
comme nouveaux voisins, tous ceux qui ne supportent pas les leurs. Il est temps
de retrouver Montaigne dans le chapitre II, XII de ses Essais :
« Les lois de notre pays, cette mer flottante des opinions
d’un peuple », ( ) « Quelle bonté est-ce, que je voyais hier en crédit, et
demain ne l’être plus : et que le trajet d’une rivière fait crime ? », ( ) «
Quelle vérité est-ce que ces montagnes bornent, mensonge au monde qui se tient au delà ? », ( ) « Les mariages entre les proches sont capitalement
défendus entre nous, ils sont ailleurs en honneur », « ( ) Le meurtre des
enfants, meurtre des pères, communication de femmes, trafic de voleries,
licence à toutes sortes de voluptés : il n’est rien en somme si extrême, qui ne
se trouve reçu par l’usage de quelque nation ».
Montaigne souligne la précarité du beau, du bien et du vrai.
Il voit déjà dans la loi l’expression flottante du juste, symbiose du bien et
du vrai comme le pur est la symbiose du vrai et du beau, et le riche celle du
beau et du bien. Au féminin cela donne la justice, la pureté et la richesse,
trois entités morales essentielles à tout peuple qui cherche à les constater
chez lui. Malheureusement la justice, la richesse et la pureté se travaillent
mais ne se créent pas et elles se chiffrent évidemment encore moins. La monnaie
est aujourd’hui totalement incomprise. Elle est vécue comme un stock alors
qu’elle n’est qu’un flux qui devrait limiter par sa rareté son utilisation à la
quantité d’énergie humaine dépensée pour la créer. Elle devrait être, ce
qu’elle a toujours été, le frein de la construction permanente de la tour de
Babel, symbole de la folie humaine.
Elle ne l’est provisoirement plus car nous avons décidé que
la richesse se chiffrait, qu’elle se chiffrait par la dépense, le fameux PIB,
et qu’il suffisait de dépenser davantage (la croissance) pour s’enrichir, ce
qui pose quelques problèmes concrets que nous appelons la crise.
La monnaie n’étant plus un frein, les délires s’emballent, du
transhumanisme au revenu universel, du faux gratuit à
la fuite en avant dans l’innovation permanente.
Mais la nature ayant horreur du vide deux freins pointent
leurs nez pour contrecarrer la folie actuelle, la guerre et le populisme. La
guerre est admirablement fardée, le populisme ne sait pas très bien où il
habite. C’est pour moi l’enjeu en France de la campagne présidentielle
actuelle.