Par
Christine Alfarge
« Pour un Kurdistan libre,
la cause est juste » (Kendal Nezan)
Le Kurdistan est un peuple sans Etat, son ancrage solide dans le passé
remonte aux guerres médiques. Les Kurdes se veulent les descendants de l’ancien
peuple des Mèdes de l’Antiquité, ils ne sont ni arabes ni turcs. Ils sont entre
35 à 40 millions de personnes, une population très importante répartie sur un
espace couvrant plusieurs pays : la Turquie, l’Irak, la Syrie, l’Iran, les
marges de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Trente millions de Kurdes peuplent le
Proche-Orient. Plus de la moitié d’entre eux résident en Turquie où ils sont en
grande difficulté à faire valoir et reconnaître leurs droits linguistiques et
historiques. Sept à neuf millions de Kurdes vivent en Iran et deux million et
demi en Syrie. Les Kurdes d’Irak sont des musulmans sunnites. Ils représentent
20% de la population irakienne mais ils possèdent une identité ethnique en
propre. En Irak, deux gouvernements se font face : le gouvernement central
de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan (GRK), reconnu autonome et
basé à Erbil. Les deux principaux points de litiges
entre ces deux têtes du pouvoir politique résident dans l’exportation du
pétrole et du gaz ainsi que le montant des sommes allouées par le gouvernement
irakien de Bagdad au budget du GRK.
Les principautés autonomes.
Les Kurdes formèrent des petites principautés autonomes appelées
« émirats » dès le milieu du Xème siècle, ils se convertiront à l’islam à l’époque de
Saladin en 1258.
A partir du
XVIème siècle, les Ottomans réussirent à annexer l’une après l’autre, les
principautés kurdes constituées en petits fiefs dotés d’une grande autonomie.
A l’abri dans
leurs montagnes d’Anatolie et de Mésopotamie, les Kurdes devaient toutefois
protéger les frontières orientales de l’Empire contre la Perse.
Si la plupart
de ces principautés kurdes dépendaient de l’Empire ottoman, certaines d’entre
elles se retrouvèrent sous la juridiction de l’Empire perse (Jelati, Ardalan la plus puissante
au début du XIVème siècle, …)
De façon
générale, les fiefs kurdes vivaient en autarcie ou en rivalité les uns contre
les autres. De 1806 à 1880, tous les petits émirats kurdes furent démantelés
lors de la « deuxième conquête ottomane du Kurdistan ». La suite de
l’Histoire montrera le démembrement de l’Empire ottoman et le partage du
Kurdistan entre les Etats nouveaux au XXème siècle, la Turquie, la Syrie,
l’Irak et l’Iran.
Comment
la région va être partagée.
Le traité de
Sèvres, signé en 1920, promet un « territoire autonome des Kurdes »
dans le sud-est de l’Anatolie. Des promesses non tenues car ce texte est balayé
par le Traité de Lausanne, signé trois ans plus tard, le 24 juillet 1923, entre
la Turquie revenue sur sa promesse d’autonomie pour les Kurdes, d’une part, et
la France, l’Italie, le Royaume-Uni, le Japon, la Grèce, la Roumanie, le royaume
des Serbes, Croates et Slovènes, d’autre part.
Les Kurdes
seront répartis entre la Turquie, L’Iran, la Syrie sous mandat français et
l’Irak sous protectorat britannique. A Lausanne est née « la question
kurde ». Kendal Nezan s’exprime « La
Turquie avait déjà commis le génocide arménien d’où la volonté d’assimiler les
Kurdes ».
L’identité
kurde.
Bien que de
religions différentes (ils seraient à 80% sunnites, mais il y a aussi des yézidis, des alévis, des chiites et des chrétiens, …) le
sentiment d’appartenance à une nation demeure fort. Il est alimenté par une
langue commune, une culture, une histoire propre. Ce n’est pas la religion qui
fait l’identité kurde mais la langue, le ciment au-delà des frontières en plus
de l’histoire de résistance et de lutte nationale pour l’indépendance. Kendal Nezan espère « Je m’en remets à la sagesse de Dieu,
pourquoi les Kurdes n’ont pas leur état indépendant ? » Il veut
souligner « Les femmes ont joué un rôle très important dès 1855. »
La
question kurde est devenue une question européenne.
Les Kurdes sont
solidaires en Irak, en Turquie, en Syrie et ont toujours rêvé d’être réunis
autour d’un grand Kurdistan, ils se battent sur place et seuls à se battre
contre Daesch. Kendal Nezan
dit « Il faudrait une zone tampon pour faire droit au revendication
d’un peuple » précisant que « beaucoup d’Irakiens pensent à un
bon voisinage, la Turquie va très mal comme l’Iran, les Kurdes ne peuvent
survivre que comme état fédéralisé ».
Concernant
la Syrie ou l’Irak, quelle solution ?
Kendal Nezan évoque trois possibilités, à savoir :
1)
Un état
unitaire
2)
Redessiner les
frontières
3)
Conserver les
frontières mais transformer ces états en état confédéral.
Il se demande
« Existera-t-il un consensus pour trouver une
solution ? Pour cela il faut une grande conférence régionale entre la
Russie, les Etats-Unis, la Turquie, l’Iran et la France en particulier sinon
nous aurons l’instrumentalisation par la religion ».
Vers
des « Etats-Unis du Kurdistan » ?
Ainsi,
l’effondrement du régime de Bagdad en 2003 a permis aux Kurdes d’Irak de se
constituer une région autonome, la guerre en Syrie pourrait aboutir, même s’il
est encore trop tôt pour le dire à une autonomie des Kurdes.
Ceux de Turquie
sont encore partagés entre l’espoir d’une négociation avec le pouvoir turc et
l’usage de la force pour obtenir une plus grande autonomie au regard d’une Turquie
désireuse d’intégrer l’Union européenne adoucissant sa politique de répression
envers les Kurdes, expliquant en partie le lien entre les deux présidents Barzani
et Erdogan. Les Kurdes d’Iran de leur côté observent
les bouleversements, en attendant leur moment.
S’approche-t-on
aujourd’hui de la création des « Etats-Unis du Kurdistan » ou d’un
« Kurdistan fédéral » dont nous parle Kendal Nezan.
Pour lui, « Il y a une identité kurde fédératrice qui se manifeste
lorsque se produisent des évènements graves qui mettent en danger la population
kurde, comme l’attaque de la ville kurde syrienne de Kobané
ou des évènements plus anciens, comme l’attaque sur Halabja,
la ville kurde d’Irak, en 1988. L’identité kurde s’est créée autour de la
langue kurde et de ses deux dialectes, l’un septentrional, parlé par 65% des
Kurdes et celui du sud, qui est la langue d’enseignement et des médias dans le
Kurdistan iranien et irakien. Mais aussi autour de la culture et des
traditions. Je dirais qu’il y a plutôt des identités régionales kurdes ».
Cependant, il ne
croit pas dans un Kurdistan uni pour l’instant victime de la présence de la
Turquie et de l’Iran, il y a un problème pour faire l’unité à cause d’une lutte
de pouvoir interne kurde. La division des Kurdes, due à des rivalités anciennes
entre clans et aux ambitions personnelles de leurs chefs, a toujours entretenu
dans cette région une confusion propice aux interventions étrangères.
Il pense que « Peut-être
il y aura un jour des « Etats-Unis du Kurdistan » ou un
« Kurdistan fédéral », un peu comme le modèle allemand avec ses
identités régionales. Car les Kurdes ont évolué différemment selon les pays où
ils vivent : Irak, Syrie, Turquie ou Iran ».
Alors
qu’en 1930, la rébellion kurde en Irak était soutenue par les Britanniques,
soucieux de maintenir leur influence sur le gouvernement de Bagdad et de
surveiller les ressources pétrolières de la région, le Général de Gaulle qui
résidait au Levant avait soulevé la question kurde où il parlait des
« Droits des Kurdes ». En reconnaissance des élites kurdes engagées
pour la France libre, le Général de Gaulle créera la chaire des langues kurdes.
Avec
un vif intérêt pour la question de l’indépendance kurde, il consacrera une
brochure, intitulée « la question Kurde » publiée en 1930 par
l’imprimerie du Bureau topographique du Levant.