Dîner-débat du 7 février 2017

En présence de Monsieur Kendal Nezan, président de l'institut kurde de Paris

Quel avenir pour le Kurdistan ?

Par Christine Alfarge

 

« Pour un Kurdistan libre, la cause est juste » (Kendal Nezan)

Le Kurdistan est un peuple sans Etat, son ancrage solide dans le passé remonte aux guerres médiques. Les Kurdes se veulent les descendants de l’ancien peuple des Mèdes de l’Antiquité, ils ne sont ni arabes ni turcs. Ils sont entre 35 à 40 millions de personnes, une population très importante répartie sur un espace couvrant plusieurs pays : la Turquie, l’Irak, la Syrie, l’Iran, les marges de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Trente millions de Kurdes peuplent le Proche-Orient. Plus de la moitié d’entre eux résident en Turquie où ils sont en grande difficulté à faire valoir et reconnaître leurs droits linguistiques et historiques. Sept à neuf millions de Kurdes vivent en Iran et deux million et demi en Syrie. Les Kurdes d’Irak sont des musulmans sunnites. Ils représentent 20% de la population irakienne mais ils possèdent une identité ethnique en propre. En Irak, deux gouvernements se font face : le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan (GRK), reconnu autonome et basé à Erbil. Les deux principaux points de litiges entre ces deux têtes du pouvoir politique résident dans l’exportation du pétrole et du gaz ainsi que le montant des sommes allouées par le gouvernement irakien de Bagdad au budget du GRK.

Les principautés autonomes.

Les Kurdes formèrent des petites principautés autonomes appelées « émirats » dès le milieu du Xème siècle, ils se convertiront à l’islam à l’époque de Saladin en 1258.

A partir du XVIème siècle, les Ottomans réussirent à annexer l’une après l’autre, les principautés kurdes constituées en petits fiefs dotés d’une grande autonomie.

A l’abri dans leurs montagnes d’Anatolie et de Mésopotamie, les Kurdes devaient toutefois protéger les frontières orientales de l’Empire contre la Perse.

Si la plupart de ces principautés kurdes dépendaient de l’Empire ottoman, certaines d’entre elles se retrouvèrent sous la juridiction de l’Empire perse (Jelati, Ardalan la plus puissante au début du XIVème siècle, …)

De façon générale, les fiefs kurdes vivaient en autarcie ou en rivalité les uns contre les autres. De 1806 à 1880, tous les petits émirats kurdes furent démantelés lors de la « deuxième conquête ottomane du Kurdistan ». La suite de l’Histoire montrera le démembrement de l’Empire ottoman et le partage du Kurdistan entre les Etats nouveaux au XXème siècle, la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran.

Comment la région va être partagée.

Le traité de Sèvres, signé en 1920, promet un « territoire autonome des Kurdes » dans le sud-est de l’Anatolie. Des promesses non tenues car ce texte est balayé par le Traité de Lausanne, signé trois ans plus tard, le 24 juillet 1923, entre la Turquie revenue sur sa promesse d’autonomie pour les Kurdes, d’une part, et la France, l’Italie, le Royaume-Uni, le Japon, la Grèce, la Roumanie, le royaume des Serbes, Croates et Slovènes, d’autre part.

Les Kurdes seront répartis entre la Turquie, L’Iran, la Syrie sous mandat français et l’Irak sous protectorat britannique. A Lausanne est née « la question kurde ». Kendal Nezan s’exprime « La Turquie avait déjà commis le génocide arménien d’où la volonté d’assimiler les Kurdes ».

L’identité kurde.

Bien que de religions différentes (ils seraient à 80% sunnites, mais il y a aussi des yézidis, des alévis, des chiites et des chrétiens, …) le sentiment d’appartenance à une nation demeure fort. Il est alimenté par une langue commune, une culture, une histoire propre. Ce n’est pas la religion qui fait l’identité kurde mais la langue, le ciment au-delà des frontières en plus de l’histoire de résistance et de lutte nationale pour l’indépendance. Kendal Nezan espère « Je m’en remets à la sagesse de Dieu, pourquoi les Kurdes n’ont pas leur état indépendant ? » Il veut souligner « Les femmes ont joué un rôle très important dès 1855. »

La question kurde est devenue une question européenne.

Les Kurdes sont solidaires en Irak, en Turquie, en Syrie et ont toujours rêvé d’être réunis autour d’un grand Kurdistan, ils se battent sur place et seuls à se battre contre Daesch. Kendal Nezan dit « Il faudrait une zone tampon pour faire droit au revendication d’un peuple » précisant que « beaucoup d’Irakiens pensent à un bon voisinage, la Turquie va très mal comme l’Iran, les Kurdes ne peuvent survivre que comme état fédéralisé ».

Concernant la Syrie ou l’Irak, quelle solution ?

Kendal Nezan évoque trois possibilités, à savoir :

1)    Un état unitaire

2)    Redessiner les frontières

3)    Conserver les frontières mais transformer ces états en état confédéral.

Il se demande « Existera-t-il un consensus pour trouver une solution ? Pour cela il faut une grande conférence régionale entre la Russie, les Etats-Unis, la Turquie, l’Iran et la France en particulier sinon nous aurons l’instrumentalisation par la religion ».

Vers des « Etats-Unis du Kurdistan » ?

Ainsi, l’effondrement du régime de Bagdad en 2003 a permis aux Kurdes d’Irak de se constituer une région autonome, la guerre en Syrie pourrait aboutir, même s’il est encore trop tôt pour le dire à une autonomie des Kurdes.

Ceux de Turquie sont encore partagés entre l’espoir d’une négociation avec le pouvoir turc et l’usage de la force pour obtenir une plus grande autonomie au regard d’une Turquie désireuse d’intégrer l’Union européenne adoucissant sa politique de répression envers les Kurdes, expliquant en partie le lien entre les deux présidents Barzani et Erdogan. Les Kurdes d’Iran de leur côté observent les bouleversements, en attendant leur moment.

S’approche-t-on aujourd’hui de la création des « Etats-Unis du Kurdistan » ou d’un « Kurdistan fédéral » dont nous parle Kendal Nezan. Pour lui, « Il y a une identité kurde fédératrice qui se manifeste lorsque se produisent des évènements graves qui mettent en danger la population kurde, comme l’attaque de la ville kurde syrienne de Kobané ou des évènements plus anciens, comme l’attaque sur Halabja, la ville kurde d’Irak, en 1988. L’identité kurde s’est créée autour de la langue kurde et de ses deux dialectes, l’un septentrional, parlé par 65% des Kurdes et celui du sud, qui est la langue d’enseignement et des médias dans le Kurdistan iranien et irakien. Mais aussi autour de la culture et des traditions. Je dirais qu’il y a plutôt des identités régionales kurdes ».

Cependant, il ne croit pas dans un Kurdistan uni pour l’instant victime de la présence de la Turquie et de l’Iran, il y a un problème pour faire l’unité à cause d’une lutte de pouvoir interne kurde. La division des Kurdes, due à des rivalités anciennes entre clans et aux ambitions personnelles de leurs chefs, a toujours entretenu dans cette région une confusion propice aux interventions étrangères.

Il pense que « Peut-être il y aura un jour des « Etats-Unis du Kurdistan » ou un « Kurdistan fédéral », un peu comme le modèle allemand avec ses identités régionales. Car les Kurdes ont évolué différemment selon les pays où ils vivent : Irak, Syrie, Turquie ou Iran ».

Alors qu’en 1930, la rébellion kurde en Irak était soutenue par les Britanniques, soucieux de maintenir leur influence sur le gouvernement de Bagdad et de surveiller les ressources pétrolières de la région, le Général de Gaulle qui résidait au Levant avait soulevé la question kurde où il parlait des « Droits des Kurdes ». En reconnaissance des élites kurdes engagées pour la France libre, le Général de Gaulle créera la chaire des langues kurdes.

Avec un vif intérêt pour la question de l’indépendance kurde, il consacrera une brochure, intitulée « la question Kurde » publiée en 1930 par l’imprimerie du Bureau topographique du Levant.

 

 

© 04.03.2017