BAISSE DU NIVEAU DE VIE,

REDISTRIBUTION MONETAIRE EN BERNE ET

AGGRAVATION DE LA PAUVRETE

 

par Paul KLOBOUKOFF

Avant- propos

Encore un article portant sur la redistribution ! Ce ne sera sans doute pas le dernier, car ce terrain reste masqué par un épais brouillard. Et la volonté « d'y voir plus clair » manque cruellement. C'est pourtant une condition incontournable pour réformer le système de protection sociale - redistribution avec lucidité, définir des objectifs précis et explicites, et ne pas continuer à le « triturer » avec des décisions, trop souvent « politiciennes », prises au coup par coup, sans assez de cohérence, qui en ont fait un patchwork instable et envahissant dans lequel on ne sait même plus qui sont les payeurs, les bénéficiaires réels, de combien et pourquoi. Est-ce le but recherché ?

En voici trois illustrations, avant d'entrer dans le vif du sujet du présent article. 

Un candidat à la présidence réputé « libéral » envisage de financer l'indemnisation du chômage, non plus par les cotisations des travailleurs, bénéficiaires potentiels des indemnités, et les employeurs, mais par l'impôt, symbole de la solidarité nationale en France. Cela étendrait un peu plus le vaste champ de la redistribution en faisant d'une prestation « assurantielle » une prestation « redistributive ». Détails complémentaires, il y a deux taux de cotisations salariales : 2,40 %, taux « normal », et 4,80 % pour les intermittents du spectacle (IDS), et il y en sept pour la part patronale : à côté du taux « courant » de  4,00 %, trois pour les employeurs de salariés expatriés, allant de 4,50 % à 7,00 % en fonction des durées d'engagements en CDD de ces salariés, et quatre pour les employeurs d'IDS, allant de 9,00 % à 11,50 % suivant l'usage et les durées des CDD. À ces sept taux s'ajoute une contribution AGS de 0,25 %. Tout cela, sûrement, pour « simplifier la feuille de paie » ! Ne sommes-nous pas là aux confins de l'absurde ?

Surfant sur la vague de la mode importée de pays aux us, coutumes et systèmes de protection sociale différents du nôtre, des politiciens et des intellectuels caressent, chacun à sa façon, l'idée d'instituer un « revenu universel ». Avant d'en regarder la faisabilité financière, comme certains l'ont déjà fait, il ne serait pas inutile d'examiner les motivations « avant-gardistes », notamment en matière de disparition prévisible de nombreux emplois liée aux progrès technologiques. Il faut surtout réaliser que le principe de base de cette « avancée sociale » est en opposition frontale avec ceux qui organisent et régissent notre système de protection sociale et de redistribution. Il faudrait donc défaire ce dernier et en tricoter un nouveau. Avec quels objectifs et quelles lignes directrices ?

Taxer des cotisations (sociales) aux assurances ou mutuelles complémentaires santé est une hérésie spécifique à la France, doublée d'une injustice que je ne cesserai pas de dénoncer. Depuis janvier 2016, la Taxe spéciale sur les compagnies d'assurance (TSCA) et la Taxe de solidarité additionnelle (TSA) sont fusionnées en une TSA. Ce n'est pas une taxe sur l'activité des sociétés d'assurance santé comparable à la TVA. C'est un impôt sur les cotisations payées par les assurés. Deux taux de taxation coexistent : 13, 27 % si le contrat signé est « responsable », et répond à des obligations fixées par la loi, ou 20,3 % s'il ne s'y conforme pas. Cette taxe (à laquelle s'ajoutent les frais commerciaux et de gestion, ainsi que les « mises en réserve » et les marges des compagnies) majore le prix de la couverture santé et, ce faisant, les prix des médicaments, des dispositifs et des actes médicaux qui font l'objet de remboursements par les complémentaires. Et le comble est que ces impôts vont aussi nourrir la redistribution. 6,7 % des cotisations des assurés sont affectés au Fond CMU (Couverture maladie universelle) et le reste est réparti à parts égales entre la CNAM et la CNAF. On déshabille les assurés complémentaires, et en particulier les vieux, qui paient des cotisations exorbitantes, pour redistribuer à d'autres.  La complémentaire santé s'avérant très chère, on crée des prestations, telles la CMU-C et l'Allocation complémentaire santé (ACS), dispensées « sous conditions de ressources », pour « aider » des personnes « sous plafond » (CMU-C de 8 653 € par an et ACS de 11 632 €, pour une personne seule) à se « couvrir ». Tortueux, vicieux, malsain !

Résumé et fils directeurs  

De 2008 à 2014, non seulement le Produit intérieur brut (PIB) de la France a très peu augmenté, mais le pouvoir d'achat moyen de la population a stagné et le niveau de vie (NDV) moyen des ménages a reculé. Les « acteurs » politiques et les médias sont restés discrets sur ces derniers points.

Face à cette situation, la redistribution monétaire a rempli sa mission de nivellement, pilier central de notre « modèle social ». En 2014, elle a permis la division par deux du rapport entre le revenu moyen des 20 % des personnes les plus aisées et celui des 20 % des personnes aux niveaux de vie les plus faibles, ramenant ce rapport de 8 à 4. Par contre, elle n'a pas pu empêcher le nombre de pauvres (au seuil de pauvreté de 60 % du revenu médian) de s'accroître de + 0,924 million (Mi) de personnes pour atteindre 8,760 Mi en 2014, soit 14,1% de la population

Plus grave, elle a failli dans sa mission de réduction de la pauvreté des « plus pauvres ». Malgré la concentration des prestations sociales en faveur des 20 % des personnes aux revenus les plus modestes. Et en dépit des aides sociales à la fraction des 10 % de la population aux niveaux de vie (NDV) les plus bas qui ont majoré leur revenu moyen avant redistribution de + 164 % en 2014, pour le porter de 3.720 à 11.270 euros.   Le nombre des pauvres dont le revenu est inférieur au seuil de 40 % du revenu médian (674 € en 2014) a augmenté de 1,910 Mi en 2008 à 2,269 Mi en 2014, soit de + 18,8 %. Et celui des pauvres dont le revenu est compris entre le seuil de 40 % et le seuil de 50 % (840 €) est monté de 2,362 Mi à 2,743 Mi, soit de + 16,1 %.  Cette augmentation du nombre des plus « pauvres » a commencé bien avant 2008. Entre 2000 et 2014, le nombre de ces « plus pauvres », au revenu inférieur au seuil de 40 %, s’est accru de + 43,7 %, soit, de + 690.000 personnes.

La défaillance est sans doute due à un « ciblage » trop approximatif des aides sociales, lui-même lié à une appréhension trop « abstraite » [à mon avis] de la pauvreté, usant de niveaux de vie et des revenus « moyens » ou «médians» de larges catégories de population, et d'une « pauvreté monétaire relative » déterminée en fonction d'un seul critère, le revenu monétaire. La démarche conduit à dessiner un portait de la pauvreté forcément floue en raison de la grande diversité des « pauvres ». Elle ne distingue pas assez les différents « types » de pauvres qui constituent cette diversité, et en particulier les plus démunis. À cela s'ajoute, semble-t-il, une connaissance insuffisante des bénéficiaires réels des prestations sociales versées et des cumuls effectifs de prestations dont certains bénéficient. Sans parler des fraudes qui défrayent (mollement) la chronique.

La redistribution monétaire s'est montrée à bout de souffle. Davantage sollicitée en période de crise ou de disette, évidemment, mais aussi tonneau percé des Danaïdes pour des raisons démographiques et sociétales que j'avais déjà indiquées dans mon dernier article : vieillissement de la population, délitement des familles, inflation des nombres de personnes seules et de familles monoparentales... rythme élevé de l'immigration. Avec beaucoup de personnes très pauvres avant et après la redistribution monétaire. 

Avant redistribution monétaire, les taux de pauvreté (au seuil de 60 %) sont, en 2013, de 36 % chez les familles monoparentales avec 1 enfant, et de 62,9 chez celles avec 2 enfants ou plus, de 40,6 % chez les couples avec 3 enfants et plus, de 23,4 % chez les personnes seules. Après redistribution, les taux de pauvreté sont réduits, mais restent forts, respectivement de 21,8 %, 41,5%, 18 % et 15,4 %. En 2012, celui des immigrés était de 38,1 %.

Ces types de ménages sont dans des situations difficiles, et une part prépondérante des ressources leur est consacrée par la redistribution. Heureusement, les taux de pauvreté sont nettement plus faibles chez les couples avec moins de 3 enfants, qui ne bénéficient donc presque pas des bienfaits de la redistribution monétaire.

La redistribution monétaire consiste principalement, rappelons-le, à fournir des prestations sociales en espèces « non contributives » (prestations familiales, allocations logement, RSA, minima sociaux) suivant des critères tenant souvent compte des revenus des bénéficiaires, d'un côté, et à financer ces prestations par le prélèvement d'impôts « redistributifs » (impôts sur le revenu et taxe d'habitation), de l'autre côté. Elle conduit ainsi des revenus avant redistribution aux « revenus disponibles » après prestations sociales en espèces et impôts directs. 

Elle est la partie émergée (évaluée chaque année) de l'iceberg de la redistribution, qui prend en compte aussi un large éventail de prestations sociales fournies en nature (dans les domaines de la santé, de l'éducation, des services sociaux.), ainsi que le financement par des impôts indirects qui s'avèrent redistributifs (TVA, TIPP...)

Un « bilan élargi » de la redistribution intégrant ces éléments a été réalisé pour l'année 2007 (seulement, malheureusement). Il permet de voir que le revenu moyen avant distribution des 20 % des personnes aux NDV les plus faibles était majoré de + 112 % par la redistribution... et qu'en matière de nivellement, le rapport entre les revenus moyens des 20 % des personnes aux NDV les plus forts et ceux des 20 % des personnes aux revenus les plus faibles était ramené de 6,9 avant redistribution à 2,06, seulement, après redistribution.

Sans refaire un bilan élargi, l'INSEE a tout de même observé, non sans inquiétude, que «En 2015, la collectivité prend en charge un quart de la consommation des ménages». La dépense publique « socialisée» correspondante couvre largement la santé, l'éducation,

l'action sociale et le logement (cf.ci-dessus). Elle monte sans cesse, et atteint 384 milliards d'euros en 2015, soit 17,6 % du PIB... contre 9,6 % en 1960.

À ce montant, il faudrait ajouter une grande partie du montant des prestations en espèces de la redistribution monétaire (non chiffré) pour mesurer l'ampleur des dépenses publiques vouées à redistribution. 

Peut-on raisonnablement prétendre que notre « modèle » est social « libéral », continuer à cacher au citoyen, par  « fausse pudeur » ou hypocrisie, ce qu'est vraiment  « notre » redistribution, qui conditionne profondément notre système de protection sociale et à bannir le mot redistribution du vocabulaire politique ?

I. - Le niveau de vie des ménages a baissé depuis 2008

La France ne s'est pas encore complètement remise de la grande crise financière et économique provoquée par les « subprimes » en 2008, puis de sa rechute à partir de 2012. Notre Produit intérieur brut (PIB) est d'abord tombé de 1 995,8 milliards d'euros (Mds €) à 1 939 Mds € en valeur nominale (ou «en euros courants»). 

 Il est remonté assez vivement en 2010 et en 2011, puis s'est traîné à partir de 2012 pour se trouver à 2 181,1 Mds € en 2015, soit à 9,3 % au-dessus du niveau atteint en 2008. En volume, la progression de la « création de la richesse nationale » (PIB à prix constants) n'a été que de + 4 %, en 7 ans. La politique de redistribution et une certaine inertie des réactions à l'impact ont amorti le choc pour les ménages en 2009, et le Revenu disponible brut de l'ensemble des ménages n'a alors pas baissé. L'effet de la crise a été en partie différé. Et, de 2008 à 2015, ce Revenu n'a augmenté que de + 7,8 % en valeur nominale.

 Compte tenu de l'évolution de la population, le Revenu par habitant n'a crû que + 3,7 %. en sept ans. Ce n'est pas plus que l'augmentation des prix entre 2008 et 2015 (+ 3,4 %). Cela signifie qu'en 7 ans, le pouvoir d'achat des habitants n'a pas progressé. Pourquoi est-on si discret sur cette stagnation prolongée ? 

 Aussi triste, en France métropolitaine le niveau de vie moyen des ménages évalué « en euros 2014 constants », qui était de 36 970 € en 2008, a baissé à partir de 2012 pour se retrouver à 36 030 € en 2014 (1).

Avec des facteurs démographiques défavorables

 Stagnation du pouvoir d'achat par habitant et baisse du niveau de vie des ménages : pourquoi cette évolution plus négative pour les ménages ? Tout « simplement » parce que le nombre de ménages croît plus rapidement que celui des habitants. Il a augmenté de l'ordre de + 8 % entre 2008 et 2015 (cf ci-après). Nettement plus que la « création de richesse » du pays.  

En effet, le nombre des ménages est monté en France de 21,842 millions (Mi) en 1990 à 24,332 Mi en 1999 et à 28,517 Mi en 2013 (2). C'est + 30 % en 23 ans et + 17,2 % entre 1999 à 2013, soit + 1,2 % par an en moyenne.  

La forte montée du nombre de ménages provient de celles, plus fortes encore : - de l'effectif des femmes seules, monté de 3,708 Mi en 1990 à 5,679 en 2013, ainsi que de celui des hommes seuls, passé de 2,216 Mi à 4,203 Mi pendant cette période. Désir d'indépendance, désunions et veuvage expliquent en grande partie ces hausses ; - du nombre de couples sans enfants, monté de 5,134 Mi en 1990 à 7,427 Mi en 2013 ; - de l'effectif des familles monoparentales, 1,492 Mi en 1990 et 2,449 Mi en 2013. Seul le nombre de couples avec enfants diminue, de 7,987 Mi à 7,4427 Mi. Exprimé en pourcentage du nombre total des ménages, son recul est plus marqué : 36,4% en 1990 et 26% en 2013. 

La structure des ménages a donc considérablement changé. On y trouve en 2013 : 34,6 % de personnes seules, 18,1 % de couples sans enfant, seulement 26 % de couples avec enfants, et 8,6 % de familles monoparentales. 

Ces tendances vont se poursuivre, fragilisant la société, vieillissante et minée par un chômage persistant, laminant la solidarité liée à la vie en commun, en famille, et poussant toujours plus à son remplacement par le palliatif d'une solidarité fondée sur la fiscalité et la redistribution.

II. - De la redistribution monétaire et de ses limites

Depuis 2007, l'INSEE publie chaque année une évaluation de la « redistribution monétaire » (3) en indiquant les montants moyens des revenus avant et après la redistribution, ainsi que ceux des impôts « redistributifs » prélevés et des prestations sociales dispensées. Ces montants sont calculés par équivalent adulte (ou par unité de consommation (UC)), sachant que dans un ménage, le premier adulte est compté pour 1 UC, chaque autre personne de 14 ans et plus est comptée pour 0,5 UC et chaque enfant plus jeune, pour 0,3 UC. Toutes ces personnes d'un même ménage ont le même niveau de vie. 

Les revenus moyens sont fournis pour chacun des 5 quintiles des NDV (5 fractions d'effectifs égaux à 20 % de la population), allant des plus modestes (quintile Q1) aux plus élevés (quintile Q5). A partir de 2010, sont présentés aussi les revenus moyens des déciles (10 %  de la population) aux NDV les plus faibles (D1) et les plus forts (D10).

Il est intéressant de regarder comment notre système de redistribution a réagi pendant la période prolongée de crise, puis de quasi-stagnation, et quelles ont été les évolutions marquantes depuis 2007-2008. Ce faisant, il faut savoir que des « améliorations » ont été introduites dans les méthodes d'évaluation, particulièrement en 2010 et en 2012. Aussi, les données relatives à chaque année prise séparément sont «homogènes», mais, les chiffres décrivant les évolutions dans le temps (taux de baisses, de hausses...) doivent être interprétés comme des ordres de grandeur (assez «illustratifs, à mon avis) et non comme des données très précises. 

Avant redistribution, le fossé s'est creusé entre les revenus les plus faibles et ceux de la majeure partie de la population. Après avoir beaucoup progressé en 2007, le revenu moyen avant redistribution de la population n'a crû que de l'ordre de + 5 % en euros courants, entre 2008 et 2014 et se monte à 26.280 € cette dernière année. 

Pour les 80 % des personnes des quintiles de niveaux de vie allant de Q2 à Q5, les augmentations des revenus ont été assez voisines, allant de + 5 % à + 6 %. Par contre, le revenu moyen du premier « quintile » (Q1 : les 20 % des personnes aux NDV les plus faibles) était de 7.200 en 2008 et seulement de 7.080 € en 2014. Il a donc un peu régressé en euros courants, et davantage en valeur réelle (à prix constants). 

Aussi, le fossé s'est creusé entre les revenus moyens des plus « aisés », du Q5, et ceux des plus « modestes », du Q1. Et, en 2014, le revenu moyen de Q5 était 8 fois plus élevé que celui de Q1. Ce rapport entre les quintiles extrêmes, est souvent cité par les observateurs des inégalités.

De son côté, l'écart important et croissant entre les revenus moyens des deux quintiles du bas de l'échelle est moins (ou pas) observé. En 2008, le revenu moyen du deuxième quintile (Q2) était de 15.200 €, 2,1 fois supérieur à celui du premier quintile (Q1). En 2014, le NDV de Q1 était descendu à 7.080 €, tandis que celui de Q2 était monté à 15.940 €, lui devenant 2,3 fois supérieur.  Une paupérisation rampante a touché les 20 % de la population aux NDV les plus modestes et, parmi eux, surtout les 10 % aux NDV les plus bas. En effet, le revenu moyen de ces derniers, qui n'était que de 4.332 € en 2010 est tombé à 3.720 € en 2014. C'est 7 fois moins que le NDV moyen de l'ensemble de la population... et 21 fois moins que le NDV moyen des 10 % les plus « aisés ». Avant redistribution, depuis 2010, donc : davantage de personnes avec des revenus de misère ou pas de revenus du tout. Et il n'est pas certain que la recherche des causes de cette détérioration fasse l'objet d'une détermination farouche. Il est vrai que pointer les dégâts sociaux du chômage pendant que l'on se propose de rendre les indemnités plus « dégressives », l'éclatement des familles, la prolifération des personnes seules, et souvent vulnérables, ainsi que l'immigration avec son lot de personnes sans ressources, etc. n'est pas particulièrement « gratifiant » par les temps qui courent. Il faudra cependant s'en préoccuper si l'on ne désire pas « surcharger » et condamner notre système « d'aide sociale ». 

La redistribution monétaire, planche de salut  et cache misère des plus pauvres ?

Le principal « mérite » de la redistribution monétaire (RM) a été, précisément, de relever notablement les revenus moyens des personnes du premier quintile (Q1), et bien plus encore, ceux du premier décile (D1) des NDV, en les exonérant de charges fiscales, d'un côté, et surtout en leur réservant une part dominante et croissante des prestations sociales dites non contributives, de l'autre. Mais ce n'est plus suffisant.

 

Ainsi, en 2010, la RM avait apporté un « complément » de ressources de + 52,8 % de leur revenu moyen avant redistribution aux personnes du premier quintile, portant ce NDV à 11 293 € après redistribution. En 2014, cet apport net a été de + 59,2 % (4 540 €). Il a à peine permis de maintenir (en euros courants) le NDV moyen de Q1 après redistribution à 11 270 €.  Plus spectaculaire, en 2010, la redistribution avait multiplié par 2,33 le revenu moyen avant redistribution du premier décile D1 des NDV, le faisant monter à  10.073 €. En 2014, le multiplicateur a été de 2,64. Malgré cela, le revenu moyen après redistribution a un peu baissé, à 9.820 €. Un signal de l'essoufflement de la redistribution monétaire, qui semble avoir été peu entendu.

L'INSEE a aussi publié des chiffres de caractère « prévisionnel » pour 2015, résultant de la prolongation des tendances. Le revenu disponible moyen du premier décile D1 se maintiendrait si le revenu avant redistribution était multiplié par 2,92 ! A elles « seules », les personnes de ce décile mobiliseraient alors 43 % de la totalité des prestations, dont 27 % des prestations familiales, 56 % des aides au logement et 59 % des minima sociaux (RSA compris). Avec les autres personnes du premier quintile Q1, ces proportions montent à 63 % du total des prestations, à 46,5 % des aides aux familles, 80,5 % des aides au logement et 76 % des minima sociaux. C'est dire que les prestations dont bénéficient les autres 80 % de la population ont été réduites à peau de chagrin, en particulier par l'extension de la soumission des aides à des conditions de ressources plus restrictives.

Le système semblant à bout de souffle, on comprend que certains craignent pour les minima sociaux et voudraient les « sanctuariser », pendant que d'autres parlent de l'institution d'un « revenu universel ». Une conception en opposition avec la concentration actuelle des aides au bénéfice d'une minorité. Un moyen qui, sous des dehors généreux, donnerait l'occasion (recherchée ?) de rebattre les cartes de la protection sociale. 

Financement par la fiscalité progressive et nivellement par le bas

Ce sont les impôts sur les revenus et la taxe d'habitation payés par les personnes aux revenus du milieu et surtout du haut de l'échelle qui financent la redistribution monétaire en faveur des pauvres. En 2014, à hauteur de 11 % par les personnes du quintile « médian » des NDV Q3, de 23 % par celles du quintile Q4, de plus de 60 % par celles du quintile Q5... et de 45 % pour les seuls 10 % des personnes du décile D10. Aussi, compte tenu des relativement maigres prestations reçues, les revenus moyens avant redistribution des quintiles Q3, Q4 et Q5 sont-ils rabotés par la redistribution monétaire, respectivement de – 7 %, - 11,5 % et de – 20 %. Ceux du décile le plus élevé D10 sont amputés de presque – 23 %. À noter que les impôts ici décomptés ne comprennent pas la taxe foncière et l'impôt de solidarité sur la fortune.

D'après les statistiques du ministère des Finances, en 2014, sur un nombre total de 37,119 millions foyers fiscaux, 17,543 Mi seulement ont acquitté l'Impôt sur le revenu (de l'année 2013). 3,650 Mi d'entre eux, dont les revenus de référence dépassaient les 50.000 €, ont payé 67,6 % du montant total de l'Impôt recouvré. À eux seuls, les 674.000 foyers aux revenus de 100.000 € et plus en ont acquitté 36,90 %. L'objectif poursuivi de réduction des inégalités se traduit par les rapprochements des revenus, entre ceux des extrémités de l'échelle, en particulier. En 2014, le revenu moyen du quintile Q5 après redistribution, 45.500 €, est quatre fois supérieur à celui du quintile Q1, 11.270 €.  La redistribution a réduit de moitié le rapport entre les revenus moyens des quintiles Q1 et de Q5.  Mission accomplie ? Non, affirment les partisans d'un plus fort nivellement... par le bas. Mal, considèrent d'autres, qui, lassés d'être « détroussés », déplacent leurs pénates vers des pays au climat fiscal plus clément. 

Une expatriation  haut de gamme « coûteuse » pour la France

Selon un rapport récent du ministère des Finances (4), en 2014, 4.109 ménages dont le revenu fiscal de référence dépasse 100.000 € ont quitté la France en 2014. C’est 10 % de plus que l'année précédente et presque 4 fois plus qu'en 2007. À côté des raisons fiscales, plus ou moins avouées, la plupart des départs sont dus à des motifs professionnels et familiaux, et beaucoup moins pour les retraites ou la formation à l'étranger. Résultat d'une croissance continue de l'expatriation, au 31 décembre 2015, 1,711 million de personnes étaient inscrites au registre des Français de l'étranger... et les services consulaires estimaient que de l'ordre de 500.000 résidents hors de France ne l'étaient pas. Une enquête approfondie menée en 2013 avait montré que : -  80 % des expatriés avaient de 26 ans à 60 ans ; - 32 % d'entre eux avaient fait de 1 à 3 ans d'études supérieures, 41 % avaient le niveau du «master» et 12 % celui du doctorat ; - 79 % travaillaient ; 19 % seulement avaient des revenus nets annuels inférieurs à 15.000 €, 24 % gagnaient de  15.000 à 30.000 €, 29 % touchaient de 30.000 à 60.000 €, et 28 %, 60.000 € ou davantage (5). Du « haut de gamme », donc, très au-dessus des moyennes correspondantes en France. Un manque à gagner fiscal non négligeable. Et beaucoup de compétences exercées à l'étranger.   

Un tonneau des Danaïdes

La redistribution est, et restera un rocher de Sisyphe qu'il faudra toujours remonter au sommet de la montagne, ou un tonneau des Danaïdes qu'il ne faudra pas cesser de remplir, tant que le débit des robinets de l'appauvrissement ne sera pas ralenti.  Panne de croissance, d'emploi et chômage ! Echaudés, nos concitoyens sont en droit de se demander quels bienfaits la France et ses habitants peuvent attendre de la « mondialisation » sans protections, de l'appartenance à l'UE, vecteur d'ouverture incontrôlée et de concurrence à tout crin, à n'importe quel prix, ainsi que de la gestion de la « monnaie unique ». Nos pays « nantis » ne sont-ils pas inéluctablement condamnés à s'aligner sur les pays dits « émergents » et « en voie de développement », ainsi que sur des « moins-disants » européens en matière de  « coûts des facteurs » et, en particulier, de rémunération du travail, de fiscalité et de protection sociale ?  Dans l'UE, c'est un chemin que nous empruntons déjà. Et il est difficile d'imaginer qu'une « harmonisation sociale et fiscale », que certains réclament avec insistance, puisse être (avant des décennies) autre qu'une harmonisation par le bas. 

Certes, dans ce contexte, les piètres performances de notre économie « produisent » du chômage et de la pauvreté. La France est aussi un « importateur » de pauvreté (c'est son choix) et un exportateur de contribuables dynamiques, travailleurs et/ou fortunés. J'ai aussi voulu attirer l'attention ici (et dans mon article précédent) sur des sources démographiques et « sociétales » de problèmes et d'appauvrissement desquelles les gouvernants devraient se préoccuper davantage.

Baisser le « taux de pauvreté », une mission difficile de la redistribution monétaire

Le seuil le plus courant au-dessous duquel une personne (équivalent adulte) est « classée » comme pauvre est égal à 60 % du niveau de vie (ou revenu disponible) médian de la population. La redistribution monétaire a été chargée de procurer des ressources complémentaires aux personnes aux revenus les plus bas, à l'aide de prestations sociales en espèces, de façon  à ce que leur revenu disponible passe au-dessus de ce « seuil de pauvreté » très regardé en France et objet de comparaisons internationales. Cela explique, au moins en partie, la concentration des aides sur les personnes du quintile Q1 et, plus encore sur celles du décile D1. Mission accomplie ?

Des réponses à cette question sont données dans un rapport très « fouillé » sur les « minima sociaux et prestations sociales » de la DREES du ministère des Affaires sociales (6). Un tableau résume  l'impact de «la redistribution  sur le taux, l'intensité et le seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian en 2013, par « type de transfert ». Du tableau, on doit d'abord retenir que la redistribution monétaire fait baisser le niveau de vie médian de la population et, par conséquent, le seuil de pauvreté. De 1.085 € par mois avant redistribution, ce seuil est descendu à 1.000 € après redistribution. Cette baisse d'environ 8 % est due à ce que les impôts décomptés sont un peu supérieurs au montant total des prestations versées. Ce n'est pas spécifique à l'année 2013.

La redistribution réduit le pourcentage de « pauvres ». Le « taux de pauvreté », qui était de 21,9 % avant redistribution a été abaissé à 14 % après redistribution. Cette réduction de - 7,9 % est imputée pour - 1,2 % à la fiscalité et pour - 6,7 % aux prestations sociales versées. Parmi celles-ci, les contributions viennent pour - 2,3 % des prestations familiales, pour - 2,3 % des allocations logement (pourtant nettement plus faibles), pour - 1,6 % des minima sociaux et pour - 0,4 % du RSA activité.

Un autre tableau décrit l'impact de la redistribution selon le type de ménage en 2013. Il montre des taux de pauvreté « initiaux » particulièrement forts et des réductions conséquentes de la pauvreté chez : - les familles monoparentales : la redistribution abaisse le taux de pauvreté de 36 % à 21,8 % chez celles avec 1 enfant, et de 62,9 % à 41,5 % chez celles avec 2 enfants ou plus ; - l'abaissement du taux de pauvreté est de 40,6 % à 18 % chez les couples avec 3 enfants et plus ; - il est de 40,1 % à 23,5 % pour les « ménages complexes » avec enfants ; - il est de 23,4 %  à 15,4 % chez les personnes seules.

Ces chiffres mettent en relief les situations très difficiles auxquelles sont confrontés ces types de ménages et la part prépondérante des ressources qui leurs est consacrée par la redistribution monétaire Heureusement, les taux de pauvreté avant et après redistribution sont nettement plus faibles chez les couples avec moins de 3 enfants, qui ne bénéficient donc que peu ou presque pas des bienfaits de la redistribution. De son côté, l'Observatoire des inégalités souligne que les immigrés sont frappés par la pauvreté et les bas revenus (7). Il indique qu'en 2012 leur taux de pauvreté (après redistribution) était de 38,1 %, contre 13,9 % en moyenne en France. Il dépassait même 43 % dans les ménages dont la personne de référence était née hors d'Europe ou était apatride. Une des raisons, avec les moindres niveaux de qualifications des personnes actives, en était la privation d'emploi. En effet, cette même année 2012, le taux de chômage était de 15,9 % chez les immigrés contre 8,7 % chez les non immigrés. En 2015, ces taux sont montés respectivement à 18,1 % et à 9,1 % (8).

Depuis 2008, la redistribution monétaire piétine devant la pauvreté

Du fait, surtout, de la quasi-stagnation du revenu disponible des ménages, le montant du seuil de pauvreté (à 60 % du revenu disponible médian) n'a pas crû en valeur nominale de 2008 à 2014, et l'inflation (+ 3 %) l'a fait baisser un peu en valeur réelle. Exprimé en euros courants, le seuil de pauvreté mensuel en France métropolitaine a ainsi évolué dans une fourchette très étroite allant de 1.001 € à 1.022 € pour se situer à  1.008 € en 2014 (9). Malgré ce plafonnement du montant du seuil de pauvreté, le taux de pauvreté (pourcentage de personnes pauvres) a augmenté. Entre 2000 et 2007, il avait peu bougé, un peu supérieur à 13 % en moyenne. Depuis 2008, il a plusieurs fois passé les 14 %. En 2014, il a été de 14,1 % (10). Aussi, le nombre de pauvres, au seuil de pauvreté de 60 % du revenu médian, s'est accru de + 0,924 millions de personnes pour atteindre 8,760 Mi en 2014 (11). Force est de constater que la redistribution monétaire piétine devant la pauvreté, ne parvenant plus à réduire le taux de pauvreté et à enrayer l'augmentation du nombre de personnes « pauvres ».

« Neuf millions de pauvres, un chiffre exagéré »

C'est l'opinion très récemment exprimée par le directeur de l'Observatoire des inégalités (12), qui met en cause sans détours l'utilisation du seuil de pauvreté égal à 60 % du NDV médian comme critère de délimitation de la pauvreté, avec lequel la France métropolitaine compte 8,8 millions de pauvres en 2014. Il rappelle que jusqu'en 2008 le seuil le plus souvent utilisé en France était égal à 50 % du NDV médian et qu'alors l'INSEE avait adopté « la définition européenne de la pauvreté » avec son seuil à 60 % du NDV médian. En fait ce changement est intervenu avant. En 2006, l'INSEE s'était déjà mise « au goût du jour » en présentant une  «pauvreté» de l'année 2004 majorée «nouvelle formule». Je l'avais expliqué dans un article critique de La Lettre du 18 juin de janvier 2007 intitulé « Les ficelles européennes de la pauvreté ». L'UE voulait plus de « pauvres ». D'un coup de baguette statistique, elle les a obtenus. Et le supplément est conséquent. Avec un seuil de pauvreté à 50 %, on compterait 5 millions de pauvres en 2014. Le taux de pauvreté serait de 8,1 %, et non de 14,1 %. Ces chiffres seraient plus conformes à « la réalité sociale de la pauvreté ».

Le directeur de l'Observatoire rappelle aussi que le seuil de pauvreté à 60 % est de 1.008 € par mois pour une personne seule, de 1.512 € pour un couple sans enfant et de 2.116 € pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans. Il observe que ces montants se situent au double de celui du RSA, qui est de 535 € pour une personne seule, de 803 € pour un couple sans enfant et de 1.124 € s'il a deux enfants. Parmi les « pauvres », se trouvent donc des personnes de ce que l'on désignait auparavant par « le quart monde » aussi bien que des personnes de milieux sociaux modestes. Une grande diversité des personnes... et des besoins de différentes natures. Pour lui, « exagérer un phénomène, quels que soient les bons sentiments qui y conduisent, n'aide pas à le résoudre. Pire, cela peut entraîner l'effet inverse ». Inutile de dire que je souscris à cette déclaration, en apportant ci-après de l'eau à son moulin... et en critiquant notre système de redistribution monétaire. 

L'Observatoire a choisi le seuil de pauvreté de 50% du NDV médian pour « dresser un portrait de la pauvreté » et répondre à la question «Qui sont les pauvres en France? (13). Les grands traits suivants ressortent : - la moitié des pauvres ont moins de trente ans ; - les deux tiers des pauvres ont au maximum le brevet des collèges (BEP). Ils vivent souvent dans des familles dont la personne de référence est ouvrière, employée ou retraitée ; - plus d'un quart des pauvres vits au sein d'une famille monoparentale ; - 54% des pauvres sont des femmes (dont des veuves et des femmes de familles monoparentales) ; inactifs et chômeurs représentent, à eux seuls, 60% des personnes pauvres. 1/4 des chômeurs sont pauvres. C'est aussi le cas de travailleurs à temps partiel.

Malheureusement, cette image reste très imprécise, notamment parce que nombreux « pauvres » appartiennent en même temps à plusieurs de ces catégories de population. D'autre part, comme le rappelle l'auteur, « la pauvreté se vit en famille ». Dans une famille, (par convention) toutes les personnes ont le même niveau de vie. Cela signifie, en particulier, que parmi les enfants ou jeunes « pauvres », nombreux sont ceux qui vivent dans des familles pauvres... dans lesquelles le (s) parent (s)  est (sont) donc pauvres. Pas facile de faire le portrait-robot d'une pauvreté qui compte cinq millions de personnes et une très grande diversité de situations. Pour éviter de rester dans l'abstraction, mieux vaudrait dresser un nombre suffisant de portraits de cas « types » ou « représentatifs », chercher à photographier des pauvres plutôt que la pauvreté. On pourrait, en même temps, mieux appréhender les composantes de leurs revenus initiaux, les prestations qu'ils reçoivent et les impôts qu'ils paient réellement.

Echec impardonnable :  le nombre des plus «pauvres» a crû de près de + 19 % depuis 2008 et de + 44 % depuis l'an 2000

Avec un seuil à 50 % (soit, à 840 €/mois pour une personne seule en 2014, et non à 1.008 €), la vision de la pauvreté serait différente, et la politique de redistribution sans doute aussi. Se serait-elle évertuée à porter le revenu moyen des 20 % des personnes du 1er quintile Q1 jusqu'à 11.270 € (939 € par mois) ? Ne serait-elle pas plus regardante, plus lucide, quant à l'attribution, la modulation et les cumuls des aides ? Un reproche majeur (associé au choix du seuil à 60 % ?) que l'on peut adresser à la politique de redistribution monétaire est d'avoir laissé augmenter le nombre des « plus pauvres » bien davantage que celui des « moins pauvres ». Montant de 1,910 million (Mi) en 2008 à 2,269 Mi en 2014, le nombre des pauvres dont le revenu est inférieur au seuil de 40 % du revenu médian (674 € en 2014) a augmenté de + 18,8 %. Le nombre des pauvres dont le revenu est compris entre le seuil de 40 % et le seuil de 50 % (entre 674 € et 840 €) est monté de 2,362 Mi en 2008 à 2,743 Mi en 2014, soit de + 16,1 %. Le nombre de pauvres dont le revenu est compris entre le seuil de 50 % et celui de 60 %, lui n'a augmenté « que » de + 4,6 %, passant de 3,564 Mi en 2008 à 3,728 Mi en 2014 (14).

Cette augmentation du nombre des plus « pauvres » a commencé bien avant 2008. De 2000 à 2008, la croissance aidant, le nombre des personnes aux revenus compris entre 40 % et 60 % du revenu médian a un peu baissé, descendant de 6,254 Mi à 5,926 Mi. Au contraire, le nombre des plus « pauvres », au revenu inférieur à 40 % du revenu médian, a augmenté de 1,579 Mi à 1,910 million. Ainsi, entre 2000 et 2014, le nombre de ces « plus pauvres » s'est accru de + 43,7 %, soit, de + 690.000 personnes. Pourquoi un tel échec est-il ignoré et/ou passé sous silence, notamment par les partis politiques et les médias ? Ce constat me parait suffisant pour justifier un réexamen en profondeur de la redistribution monétaire, pour regarder s'il n'est pas opportun de revenir au seuil de 50 % comme limite de la pauvreté, et pour donner la  priorité à la réduction du nombre des « plus pauvres ». Ceci dit, il ne faut perdre de vue que la redistribution monétaire n'est qu'une partie visible du vaste iceberg de la redistribution dont on nous parle si peu.

III. - Une vaste et omniprésente redistribution aux limites indéfinies

Un bilan redistributif élargi...  pour l'année 2007 seulement

Dans le cadre d'un « bilan redistributif élargi » réalisé pour l'année 2007 (15), la présentation des revenus, des prélèvements et des prestations décrivant la redistribution monétaire a été complétée par celle de prestations en nature prises en charge par la collectivité dont bénéficient les ménages, qui sont importantes dans le domaine de la santé, dans l'éducation et en matière de logement social. L'ajout de ces prestations en nature au Revenu après redistribution monétaire (ou Revenu disponible) et la déduction des impôts indirects prélevés sur les dépenses de consommation et d'investissement (TVA, TIPP, Droits et autres taxes indirectes, etc.), donnent le « Revenu final ».  Un tableau décrit, par quintiles de niveaux de vie et pour l'ensemble de la population, les montants moyens des revenus précédents, des prestations en nature fournies et des différents impôts soustraits.  En 2007, ces prestations en nature sont évaluées, en moyenne, à + 5.710 € par équivalent adulte en France métropolitaine. Elles majorent le Revenu disponible moyen de + 27 %, portant le «Revenu ajusté «  à 26.840 €. De ces prestations, celles de santé représentent 51 %, celles d'éducation, 46 %, et celles de logement social, 3 %. À l'exception des prestations de santé, dont les montants moyens varient peu d'un quintile à l'autre, les prestations en nature décroissent avec les niveaux de vie, de 6.920 € dans le quintile Q1 à 4.900 € dans le quintile Q5. En proportions, elles majorent les revenus du bas de l'échelle bien plus de ceux du haut.

De leur côté, les impôts indirects sont constitués pour les 3/4 par la TVA et la TIPP. Leurs montants augmentent avec le Revenu disponible, mais un peu moins que celui-ci. Ils réduisent de – 2.290 € le Revenu moyen du quintile Q1, de – 5.270 € celui de Q5 et de – 3.540 € le Revenu moyen par équivalent adulte de l'ensemble des ménages.    Après ces « allégements », le Revenu final moyen du quintile Q1 est de 15.010 € (contre 7.080 avant redistribution), celui de Q2 est de 17.880 (contre 14.480 avant redistribution), celui de Q3, 20.530 €, n'a quasiment pas augmenté... et le Revenu moyen du quintile Q5 est descendu à 38.910 € (contre 48.540 avant redistribution). La premier quintile a mobilisé une part prépondérante des ressources (essentiellement des prestations sociales en espèces et en nature). Les contribuables des quintiles supérieurs Q4 et Q5 en ont assuré le financement au prix de réductions notables de leurs revenus. La « redistribution élargie » a considérablement nivelé les revenus. Elle a réduit de 6,9 à 2,6 le rapport entre les revenus moyens des quintiles extrêmes Q5 et Q1. Elle a également beaucoup rapproché le revenu moyen final de Q1 de celui de Q2, ne laissant entre eux qu'un écart de  19 %, contre plus de 100 % avant redistribution. Encore faut-il rappeler que les taxes foncières et l'ISF sont absents des impôts décomptés, ce qui réduit les contributions (présumées) des propriétaires et des plus fortunés, dont les revenus sont, en réalité, diminués d'autant.

Il faut surtout souligner le caractère « exceptionnel », « unique » de l'établissement d'un tel bilan élargi pour 2007. Je n'en ai pas trouvé d'équivalent pour d'autres années. C'est une grave lacune... qui ne doit pas trop déranger tous ceux pour lesquels la redistribution doit rester opaque et mystérieuse, inavouée, ignorée du peuple et des contribuables. Il faut redire, enfin, qu'un tel bilan élargi n'est pas (et ne peut pas être) complet, tant les « prestations sociales redistributives » sont nombreuses, variées et difficiles à quantifier. On en retrouvera l'illustration dans mon article de La Lettre du 18 juin d'octobre 2014 intitulé  « Insatiable, inchiffrable et indéchiffrable redistribution », portant sur la situation en 2011, qui donne aussi une idée de l'ampleur des coûts de la redistribution, très supérieurs à ceux de la seule redistribution monétaire. 

Des « dépenses socialisées » impressionnantes, envahissantes

Sans aborder les aspects redistributifs, une étude très récente de l'INSEE intitulée « En 2015, la collectivité prend en charge un quart de la consommation des ménages » (16) attire l'attention sur l'importance qu'ont prises les « dépenses socialisées ». Leur croissance incessante est une traduction de l'expansion de l'interventionnisme public dans la vie quotidienne des citoyens. En 2015, ces dépenses s'élèvent à 384 milliards d'euros. Elles comprennent les dépenses publiques permettant de « financer directement ou indirectement, la consommation par les ménages de biens ou de services précisément identifiés » telles les allocations logement, les remboursements de médicaments et la prise en charge des soins à l'hôpital, la scolarisation gratuite ou le financement partiel d'aides ménagères. Le spectre des dépenses socialisées est donc plus étendu que celui des « prestations en nature » comptées dans le bilan élargi de la redistribution en 2007 examiné ci-dessus. Mais il ne comprend pas « des prestations directement versées aux ménages qui ne sont pas conditionnées à la consommation d'un bien ou d’un service particulier, mais représentent un revenu supplémentaire ». En sont donc exclues la plupart des allocations familiales, le RSA, nombre de minima sociaux... qui sont comptées dans la redistribution monétaire. 

Les 384 Mds € ne constituent donc qu'une partie des dépenses publiques faisant l'objet de redistribution. C'est évidemment trop peu pour ne pas laisser délibérément et aussi « résolument » en dehors des débats publics ces problèmes qui menacent la survie de notre système de protection sociale dans son entier.

 

Sources et références :

(1) Insee, « Revenus, salaires, revenu disponible par ménage en 2014 » -

(2) Insee Références, édition 2016, fiches : « Population, ménages et familles » -

(3) Les dossiers de l'INSEE, « France, portrait social » portant successivement sur 2007, 2008... 2014 et 2015 et comportant un chapitre « Niveaux de vie et redistribution » -

(4) « Pourquoi les contribuables quittent de plus en plus la France », lefigaro.fr/impots/2016/11/24/05003-20161124ART... –

(5) diplomatie.gouv.fr/ services-aux-citoyens/inscription-consulaire... + « Enquête sur l'expatriation des Français », mai 2013, DFAE, ministère des Affaires étrangères –

(6) « Minima sociaux et prestations sociales », édition 2016 – DREES, « Effet des prestations sociales et du système fiscal sur la réduction de la pauvreté monétaire » -

(7) Observatoire des inégalités, « Les immigrés frappés par la pauvreté et les bas revenus », 23/03/2016 –

(8) Insee Références, édition 2016, fiches : « Marché du travail » -

(9) insee.fr/fr/statistiques/2499760 –

(10) insee.fr/fr/statistiques/2408282 –

(11) insee.fr/fr/statistiques/2408345 –

(12) Observatoire des inégalités Neuf millions de pauvres, un chiffre exagéré   24/10/2016 –

(13) Observatoire des inégalités, « Qui sont les pauvres en France ? », 18/12/2015 –

(14) Références Insee précédentes et calculs de Paul Kloboukoff

(15) Insee France, « Portrait social », édition 2008 –

(16) Insee Première,  n° 1.618, septembre 2016.

 

© 07.01.2017