par Marc DUGOIS
Chacun attend la relance de l’économie et le redémarrage de la
croissance comme d’autres attendent le Messie. Peu de gens réfléchissent aux
deux blocages qui sont la confusion entre production et richesse et l’oubli du
fait que la monnaie est une créance-dette.
Le temps perdu en faux débats
Depuis les années 70, depuis la fin de ce que l’on nous a dit
être les Trente glorieuses, les politiques se déchirent pour savoir s’il faut
relancer l’économie par l’offre ou par la demande. Cette question est l’un des
faux débats dont l’Occident se repaît depuis qu’il a renoncé à regarder en face
son problème. Faut-il être de droite ou de gauche ? Libre-échangiste ou
protectionniste ? Libéral ou social ? Souverainiste ou mondialiste ? Dirigiste
ou démocrate ? À qui faut-il donner la priorité entre l’ordre et la justice ? À
chaque fois la bonne réponse est qu’il faut combiner les deux et que c’est
justement l’harmonisation des deux qui est la voie de la réussite par le moyen de
la difficulté vaincue. Mais la facilité ambiante qui sous-traite à la guerre le
soin de nous remettre les yeux en face des trous, nous impose scandaleusement
d’être unijambistes, borgnes et manchots.
C’est sans doute en économie que cette amputation est la plus
dramatique car elle nous a conduit à l’impasse dans laquelle nous sommes. La
monnaie est devenue impotente car on a décidé qu’elle était une marchandise
comme une autre et donc qu’elle n’avait qu’un pied alors qu’elle en a deux,
qu’elle était un stock alors qu’elle est un flux.
Une production n’est richesse que si elle
trouve acheteur
C’est par la comparaison avec l’électricité que l’on réalise
le mieux l’étendue du problème. Nous avons tendance à croire que l’électricité
est une énergie alors qu’elle ne fait que capter et transporter les énergies
renouvelables, fossiles ou atomiques. Sans l’origine de l’énergie, que ce soit
une énergie renouvelable, fossile, atomique ou simplement la gravitation, il
n’y a pas d’électricité, mais sans sa consommation, pas d’électricité non plus
puisque nous ne savons pas réellement la stocker. Nous sommes obligés pour ne pas
perdre l’électricité produite de la vendre en urgence même à perte à un pays
étranger qui en a l’usage ou de la consommer en en sauvant 70 % par la
technique du STEP, du pompage turbinage qui remonte l’eau dans les barrages.
L’électricité n’est pas une énergie mais une circulation entre une production
d’énergie et sa consommation. L’électricité est sur deux pieds et pas sur un
seul. La collectivité est maîtresse de cette circulation d’énergie et a le
pouvoir d’en choisir les bénéficiaires. Elle contrôle à la fois la captation de
l’énergie et ses utilisateurs, ce qui lui donne le pouvoir. Mais s’il est aisé
de comprendre que sans source d’énergie il n’y a pas d’électricité, il est moins connu mais
tout aussi vrai que sans consommateurs, il n’y a pas non plus d’électricité.
L’électricité est l’exemple probablement le plus clair qu’une production n’est
richesse que si elle trouve son utilisateur. Les dépenses faramineuses en
publicité et en commercial pour trouver des acheteurs arrivent de plus en plus
difficilement à convaincre que certaines productions sont encore des richesses
alors qu’elles ne sont que des embarras.
La monnaie est un vecteur d’énergie humaine
Il en est de même pour la monnaie qui marche aussi sur deux
pieds. Rappelons qu’au début n’a jamais été le troc, échange des avoirs, mais
le don et le contre-don, échange des êtres, comme l’a si bien montré
l’anthropologue et professeur au Collège de France Marcel Mauss. Il a même
souligné que le « donner-recevoir-rendre » nourrissait le lien social et était
un « fait social total » à dimensions culturelle, économique, religieuse,
symbolique et juridique. Lorsque la monnaie a remplacé le contre-don pour
vérifier sa réalité en le rendant simultané, elle a gardé les dimensions
culturelle, économique, religieuse, symbolique et juridique qu’avait le
contre-don mais nous l’avons complètement oublié. La monnaie est, comme
l’électricité, un transporteur d’énergie mais l’énergie qu’elle transporte est
de l’énergie humaine. La monnaie est, de ce fait, un fait social total. Elle
n’existe que parce qu’il y a à son origine une énergie humaine et à son
extrémité une décision humaine de consommation. Jean Rémy dans son interview
sur TV libertés parle même avec talent de « vecteur » pour bien montrer que la
monnaie marche sur deux pieds comme l’électricité avec une origine et une
destination.
La monnaie véhicule l’énergie humaine du donneur envers qui
elle a une dette, vers le lieu et le moment de son échange avec l’énergie du
contre-donneur sur lequel elle a une créance. Même les banques qui créent la
monnaie ont conscience qu’elle est une créance-dette puisqu’elles écrivent
simultanément le même montant à leur actif comme créance sur monsieur Dupont et
à leur passif comme dette vis-à-vis du même monsieur Dupont.
Donner tort à ceux qui disaient « il faut une
bonne guerre »
C’est parce que nous avons oublié ces vérités de base que
nous ne comprenons plus l’économie. D’un côté nous confondons production et
richesse et de l’autre nous rêvons à la monnaie hélicoptère ou au revenu
universel.
Comme aucune solution ne marche et ne peut marcher quand le
problème est mal posé, nous avons besoin de trouver des boucs émissaires
responsables de tous nos maux. Ces pelés, ces galeux, sont toujours ceux d’en
face dans les faux débats que nous affectionnons tant.
Faut-il vraiment se résigner au fait que seule la guerre est
assez puissante pour nous remettre les yeux en face des trous ?