COMPTE-RENDU DU DÎNER-DEBAT DU 15 NOVEMBRE 2016

En présence de Monsieur JACQUES SAPIR

LA FRANCE ET L'EUROPE, QUELLE CONSTRUCTION EUROPEENNE ?

Par Christine Alfarge

« Construire l’Europe, c’est-à-dire l’unir, est pour nous un but essentiel. »

Pour cela il convient de procéder « non pas d’après des rêves, mais suivant des réalités. Or, quelles sont les réalités de l’Europe… ? En vérité ce sont les Etats… »  Telle fut la vision du Général de Gaulle sur l’Europe qu’il écrivait dans ses Mémoires d’espoir.

Le projet politique européen.

La notion de projet politique concernant l’Europe existe depuis que l’Europe existe, il désigne la paix dans le concert des nations prêtes à coopérer en vue de réalisations communes. Cependant, deux visions différentes continuent de diviser les européens, d’un côté la tendance des fédéralistes pour une Europe supranationale, de l’autre la tendance des souverainistes voulant que les Etats gardent le maximum d’autonomie, de compétence, de pouvoir et au niveau européen, coopèrent en gardant leur liberté d’actions.

Au regard des hommes politiques qui se sont succédés, l’idée européenne ne revêt pas forcément la même vision. Le Général de Gaulle a empêché tout mécanisme supranational prônant la nécessité de rétablir une réconciliation avec l’Allemagne. Jacques Sapir souligne : « Le Général de Gaulle se heurtera à l’élite allemande faisant preuve de raidissement comme les Etats-Unis. » 

La signature le 22 janvier 1963 du Traité de l’Elysée portant sur une coopération politique, économique, sociale et militaire entre la France et l’Allemagne, marquera la réconciliation définitive de ces deux pays. Pour autant ce Traité sera mal perçu par les autres pays occidentaux qui parlaient même de « nationalisme franco-allemand ».Le Général de Gaulle ne tardera pas à le savoir au moment où Adenauer démissionnera en septembre 1963 car son successeur Erhard s’était positionné dès mai 1958 contre lui, avait pris ses distances avec l’Union franco-allemande, ce qui amena le Général, abandonné par la RFA, ayant de mauvaises relations avec les pays anglo-saxons, à repenser à son idée « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». Son regard vers le bloc oriental était en quelque sorte le contrepoids à l’hégémonie anglo-saxonne, le moyen d’empêcher toute construction supranationale en Europe.

Ce traité franco-allemand était un substitut au projet d’Europe politique qui pouvait comme le pensait le Général de Gaulle rassembler les autres pays européens. Mais ce substitut du projet d’Europe politique est mis en échec par un préambule additif allemand, évoquant notamment « une étroite coopération entre les Etats-Unis et l’Europe, la défense commune dans le cadre de l’OTAN, l’Union de l’Europe y compris la Grande-Bretagne ». Selon Jacques Sapir : « La Grande-Bretagne et l’Allemagne sont pourtant différentes. La Grande-Bretagne n’oublie jamais qu’elle était une nation contrairement à l’Allemagne qui veut l’oublier et se refuse d’être une nation, il ajoute : « Avec François Mitterrand, la question s’est posée, est-ce qu’il doit reprendre l’habit du Général de Gaulle car il y a des choses inacceptables et la France défendra ses intérêts nationaux ou le seul espoir pour qu’une Europe subsiste, c’est de la fondre dans une Europe supranationale ? Le Général de Gaulle a toujours refusé l’affaissement de la France, il a apporté la légitimité et assumé une France responsable de ses actes. Avec François Mitterrand, l’effondrement français reste indépassable. » Jacques Sapir ajoute : « Il n’y a rien, en économie ni en politique, que l’on puisse dire inéluctable. Souvenons-nous que dans l’action humaine, comme à la guerre, un désastre refusé est à moitié effacé. C’est l’acceptation de la catastrophe, la résignation au malheur, qui conduit à l’abîme. Sans volonté, il n’y a pas d’action. Sans volonté il ne saurait y avoir de politique, et la politique économique c’est aussi de la politique. »

Que va alors devenir la France ?

S’interrogeant sur la France, François Mitterrand va fondre progressivement le pays dans des cadres supranationaux poussant en faveur du Traité de Maastricht pour une union économique et monétaire soutenue par Jacques Delors, avec le maintien toute fois de la force nucléaire. Selon Jacques Sapir : « En engageant la France dans ce processus, il n’a pas vu l’ampleur du renoncement ». Il poursuit son propos : « Jacques Chirac n’a pas souhaité revenir en arrière alors qu’il en avait l’occasion, refusant d’appeler à l’union européenne, il pensait ruser avec l’autonomie de la défense. Quant à Nicolas Sarkosy et François Hollande, ils ont considéré qu’il n’y avait plus rien à négocier. »

Vers plus de coopération. 

De 1992 à 2007, il existe plus de supranationalité. Le rapport à la Russie a joué dans l’échec américain, les spécificités chinoise et indienne montrent le début d’un monde multipolaire vers un retour des nations alors que l’Union européenne est en porte-à-faux en continuant de penser qu’il n’y a qu’une seule puissance, les Etats-Unis. Brutalement, on revient vers les nations alors que l’Union européenne connaît une crise migratoire d’une ampleur inouïe et que l’élection de Donald Trump est vécue comme le vecteur d’une colère du peuple américain. Nous sommes devant un moment important où il faut penser la coopération entre les pays. Poser un moment donné la relation avec la Russie culturellement européenne. Or le problème de l’Union européenne est d’être tétanisée par cette crise, les Etats-Unis vont apporter la réponse à cette question, modifier la géopolitique mondiale en trois jours.

Cependant, Jacques Sapir nous livre son inquiétude car François Hollande reste bloqué sur une idéologie, son successeur sera confronté au même problème. Il dit : « Nous constatons aujourd’hui, comme de Gaulle l’écrivit à propos de 1940, qu’il manque deux choses à François Hollande, comme elles ont manqué à Paul Reynaud, pour qu’il soit un chef d’Etat : un Etat, et d’être un chef. Et il est vrai qu’ayant accepté les différentes usurpations de l’UE, les petites comme les grandes, il ne reste pas grand-chose de la souveraineté de l’Etat. Le constat de reniements et des abandons a été fait depuis des années. Aujourd’hui, nul ne l’ignore. Quant à être un chef, c’est-à-dire avoir tout ensemble cette volonté d’agir, cette foi dans l’action, et cette capacité à entraîner autour de cette action ceux qui vous entourent, cela implique une discipline de tous les instants. Il ajoute : « La tactique l’emporte sur la stratégie, il faut une vision générale qui fait défaut. Ce qui est dramatique, c’est un consensus et pas une stratégie. Nous sommes devant les prémisses d’une crise grave. Qui sera capable d’accoucher de cette situation ? ».

La vision la plus articulée.

A la question qui lui est posée « Que pensez-vous de François Fillon ? », Jacques Sapir répond : « Incontestablement, François Fillon a la vision la plus articulée concernant la politique étrangère de la France. Il propose une purge massive. » A l’instar du Général de Gaulle, il faut remettre les affaires en ordre si la France veut occuper et jouer son rôle à l’international. François Fillon écrit « C’est en se réformant que la France retrouvera voix au chapitre en Europe et dans le monde. Pour cela, la France doit s’appuyer sur l’Europe, qui est un atout dont elle n’a pas toujours bénéficié au cours de son histoire. Elle doit impulser une nouvelle phase de construction d’une Europe véritablement indépendante et elle doit se donner pour objectif d’en devenir la première puissance ».

« Là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

 

© 02.12.2016

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