VERS LA FIN DU CAPITALISME AVEC L'ÉCONOMIE COLLABORATIVE ?

par  Jean-Louis GUIGNARD

Le coût marginal zéro

Le coût marginal est le prix de revient d’un article dès lors que l’amortissement de ce produit a été couvert par les ventes déjà effectuées. Ce coût ne concerne que les frais d’utilisation. Il est extrêmement faible dans le cas d’internet (coût de diffusion), des énergies renouvelables (hydraulique, photovoltaïque, éolienne) ou des imprimantes 3D. La faiblesse du coût d’utilisation de ces nouvelles technologies (Rifkin parle même de « coût marginal zéro ») et les nouvelles formes collaboratives ne permettront pas de répondre aux exigences de rentabilité des capitaux en secteur capitaliste.

La fin de la concentration capitaliste

Rifkin explique que le capitalisme s’est développé pour répondre aux besoins des révolutions industrielles de la seconde moitié du XIXe siècle. Il fallait de gros capitaux pour tirer les matières premières du sol, créer les structures matérielles nécessaires à leur acheminement (chemins de fer, routes) et édifier les réseaux indispensables de communication et de fourniture d’énergie. La gestion de ces chantiers ne pouvait être que centralisée. La concentration devenait d’autant plus importante qu’il fallait réaliser des économies d’échelle pour garantir un retour sur investissement. Avec Internet, les énergies renouvelables et les imprimantes 3D, cette centralisation n’a plus sa justification.

La relocalisation de l’économie est un facteur de résilience. Des recherches sur les écosystèmes natu rels ont établi que la nature n’optimise pas l’efficacité mais assure une balance optimale entre l’efficacité et la résilience. Le journal Science du 22 mai 2015 rapporte les enseignements d’une analyse du plancton océanique effectuée entre 2009 et 2013. Pour la plupart des organismes marins la collaboration est plus importante que la compétition. La conjonction de la collaboration et de la résilience dans l’économie pourrait être la source d’une supériorité de l’économie collaborative délocalisée sur l’économie capitaliste.

Une alternative incertaine

La substitution de l’économie collaborative à l’économie capitaliste n’est pas assurée. D’une part il lui faudra trouver ses propres modes de financement. D’autre part fondée souvent sur des rapports entre individus elle requiert la confiance. Enfin les entreprises fonctionnant sur une base capitaliste se rentabilisent également en fonctionnement collaboratif. C’est le cas de Uber et de Blablacar dans le partage de voitures, Airbnb dans le logement, Lending Club dans le financement et pour les dépôts-ventes dans les vêtements ou les biens. Elles trouvent facilement des capitaux financiers et font des bénéfices à l'instar des autres entreprises capitalistes. Blablacar a procédé à une levée de capital de 100 millions de dollars et a racheté successivement l'européen Car.pooling, le hongrois Auto-Hop et le mexicain Rides. Uber France transfère ses bénéfices à sa maison mère aux Pays-Bas. Des entreprises capitalistiques normalement non collaboratives intègrent également des comportements collaboratifs dans leurs activités habituelles. Leroy Merlin teste la vente de produits d’occasion. Decathlon ou M. Bricolage servent d’intermédiaires dans la vente, voire la location, de matériel d’occasion entre particuliers. Facebook utilise la production participative (crowdsourcing) pour améliorer les services qu’il fournit à ses utilisateurs. Ceux-ci peuvent développer de petits logiciels connexes et les greffer à son code informatique. Amazon accroît son audience en diffusant les avis, qu’ils soient bons ou mauvais, de ses clients sur ses produits et en servant d’intermédiaire dans la vente de produits d’occasion.

Il est aussi régulièrement fait référence à un mouvement qui conduirait à supprimer le salariat pour lui substituer une société reposant sur une multitude d'offreurs (tout à chacun pourrait le devenir afin de mobiliser au mieux les ressources). Cela pose la question des travailleurs indépendants et de l'explosion de leur nombre (ex : des livreurs, des chauffeurs, des jardiniers et...). Si cela n'est pas sans interroger le droit du travail la société a effectivement changé de visage puisque les travailleurs indépendants sont beaucoup plus nombreux qu'il y a une dizaine d'années et le salariat n'est plus l'unique modèle (même s'il demeure dominant). L'essentielle de cette question réside dans la protection sociale offerte aux travailleurs indépendants et de l'éventuelle adaptation des mécanismes existant.

Débat autour d'une régulation

En France, plusieurs acteurs de l'économie collaborative sont critiqués par les acteurs dits « traditionnels ». On peut citer le combat des taxis contre la société Uber, l'inquiétude des hôteliers face à AirBnb, ou encore la grogne des restaurateurs face aux cuisiniers amateurs. Face aux protestations des différentes filières, le gouvernement a commencé à étudier plusieurs pistes pour réguler les acteurs de l'économie collaborative. En septembre 2015, un rapport de la commission des Finances du Sénat propose d'instaurer une franchise de 5.000 € pour les revenus liés à cette économie. Les plateformes seraient chargées de transmettre les revenus des particuliers à un « central », une plateforme indépendante. Le central transmettrait alors les données au fisc.

Dans leur rapport, les sénateurs font le constat qu’ « en théorie, les revenus des particuliers sur les plateformes Internet sont en effet imposables dans les conditions de droit commun ». Mais dans la réalité, « les revenus sont rarement déclarés, rarement contrôlés, et rarement imposés ». Une autre mission parlementaire a été lancée en octobre 2015. Le député PS de l'Ardèche, Pascal Terrasse, est chargé de faire des propositions, notamment pour « limiter les comportements abusifs, protéger les travailleurs et les consommateurs ».

L’investissement

Le financement participatif fournit des fonds à l’économie collaborative. Ce n’est pas suffisant. Les investissements peuvent être importants (fablabs, énergies alternatives). Rifkin estime que l’État ou les collectivités territoriales sont à même de prendre la relève. Les retombées quantitatives et qualitatives dans les domaines économiques, écologiques ou sociaux justifient cette dotation.

La confiance

Les échanges, le partage, la coproduction, la mutualisation nécessitent, à des degrés divers, la confiance entre participants. L’éthique collaborative exige un haut niveau de confiance entre partenaires. Elle peut être obtenue par une notation des membres. Déjà la quasi-totalité des grands réseaux sociaux collaboratifs ont institué un classement fondé sur la réputation et la fiabilité des membres. Chaque membre est ainsi doté d’un « capital social ».

Enfin, si l’économie collaborative s'inscrit dans un contexte de défiance des acteurs institutionnels du système capitaliste traditionnel, de crise économique mais aussi d'éthique environnementale, il n’est pas impossible, non plus, que le capitalisme arrive à s’adapter...

 

© 02.12.2016

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