Le coût marginal zéro
Le coût marginal
est le prix de revient d’un article dès lors que l’amortissement de ce produit
a été couvert par les ventes déjà effectuées. Ce coût ne concerne que les frais
d’utilisation. Il est extrêmement faible dans le cas d’internet (coût de
diffusion), des énergies renouvelables (hydraulique, photovoltaïque, éolienne)
ou des imprimantes 3D. La faiblesse du coût d’utilisation de ces nouvelles
technologies (Rifkin parle même de « coût marginal
zéro ») et les nouvelles formes collaboratives ne permettront pas de répondre
aux exigences de rentabilité des capitaux en secteur capitaliste.
La fin de la concentration
capitaliste
Rifkin explique que le
capitalisme s’est développé pour répondre aux besoins des révolutions
industrielles de la seconde moitié du XIXe siècle. Il fallait de gros capitaux
pour tirer les matières premières du sol, créer les structures matérielles
nécessaires à leur acheminement (chemins de fer, routes) et édifier les réseaux
indispensables de communication et de fourniture d’énergie. La gestion de ces
chantiers ne pouvait être que centralisée. La concentration devenait d’autant
plus importante qu’il fallait réaliser des économies d’échelle pour garantir un
retour sur investissement. Avec Internet, les énergies renouvelables et les
imprimantes 3D, cette centralisation n’a plus sa justification.
La relocalisation de l’économie est un
facteur de résilience. Des recherches sur les écosystèmes natu
rels ont établi que la nature n’optimise pas
l’efficacité mais assure une balance optimale entre l’efficacité et la
résilience. Le journal Science du 22 mai 2015 rapporte les enseignements d’une
analyse du plancton océanique effectuée entre 2009 et 2013. Pour la plupart des
organismes marins la collaboration est plus importante que la compétition. La
conjonction de la collaboration et de la résilience dans l’économie pourrait
être la source d’une supériorité de l’économie collaborative délocalisée sur
l’économie capitaliste.
Une alternative incertaine
La substitution de l’économie
collaborative à l’économie capitaliste n’est pas assurée. D’une part il lui
faudra trouver ses propres modes de financement. D’autre part fondée souvent
sur des rapports entre individus elle requiert la confiance. Enfin les
entreprises fonctionnant sur une base capitaliste se rentabilisent également en
fonctionnement collaboratif. C’est le cas de Uber et de Blablacar
dans le partage de voitures, Airbnb dans le logement,
Lending Club dans le financement et pour les
dépôts-ventes dans les vêtements ou les biens. Elles trouvent facilement des
capitaux financiers et font des bénéfices à l'instar des autres entreprises
capitalistes. Blablacar a procédé à une levée de
capital de 100 millions de dollars et a racheté successivement l'européen Car.pooling, le hongrois Auto-Hop et le mexicain Rides.
Uber France transfère ses bénéfices à sa maison mère aux Pays-Bas. Des entreprises
capitalistiques normalement non collaboratives intègrent également des
comportements collaboratifs dans leurs activités habituelles. Leroy Merlin
teste la vente de produits d’occasion. Decathlon ou
M. Bricolage servent d’intermédiaires dans la vente, voire la location, de
matériel d’occasion entre particuliers. Facebook utilise la production
participative (crowdsourcing) pour améliorer les
services qu’il fournit à ses utilisateurs. Ceux-ci peuvent développer de petits
logiciels connexes et les greffer à son code informatique. Amazon accroît son
audience en diffusant les avis, qu’ils soient bons ou mauvais, de ses clients
sur ses produits et en servant d’intermédiaire dans la vente de produits
d’occasion.
Il est aussi régulièrement fait
référence à un mouvement qui conduirait à supprimer le salariat pour lui
substituer une société reposant sur une multitude d'offreurs (tout à chacun
pourrait le devenir afin de mobiliser au mieux les ressources). Cela pose la
question des travailleurs indépendants et de l'explosion de leur nombre (ex :
des livreurs, des chauffeurs, des jardiniers et...). Si cela n'est pas sans
interroger le droit du travail la société a effectivement changé de visage
puisque les travailleurs indépendants sont beaucoup plus nombreux qu'il y a une
dizaine d'années et le salariat n'est plus l'unique modèle (même s'il demeure
dominant). L'essentielle de cette question réside dans la protection sociale
offerte aux travailleurs indépendants et de l'éventuelle adaptation des
mécanismes existant.
Débat autour d'une
régulation
En France, plusieurs acteurs de l'économie
collaborative sont critiqués par les acteurs dits « traditionnels ». On peut
citer le combat des taxis contre la société Uber, l'inquiétude des hôteliers
face à AirBnb, ou encore la grogne des restaurateurs
face aux cuisiniers amateurs. Face aux protestations des différentes filières,
le gouvernement a commencé à étudier plusieurs pistes pour réguler les acteurs
de l'économie collaborative. En septembre 2015, un rapport de la commission des
Finances du Sénat propose d'instaurer une franchise de 5.000 € pour les revenus
liés à cette économie. Les plateformes seraient chargées de transmettre les
revenus des particuliers à un « central », une plateforme indépendante. Le
central transmettrait alors les données au fisc.
Dans leur rapport, les sénateurs font le
constat qu’ « en théorie, les revenus des particuliers sur les plateformes
Internet sont en effet imposables dans les conditions de droit commun ». Mais
dans la réalité, « les revenus sont rarement déclarés, rarement contrôlés, et
rarement imposés ». Une autre mission parlementaire a été lancée en octobre
2015. Le député PS de l'Ardèche, Pascal Terrasse, est chargé de faire des
propositions, notamment pour « limiter les comportements abusifs, protéger les
travailleurs et les consommateurs ».
L’investissement
Le financement participatif fournit des
fonds à l’économie collaborative. Ce n’est pas suffisant. Les investissements
peuvent être importants (fablabs, énergies
alternatives). Rifkin estime que l’État ou les
collectivités territoriales sont à même de prendre la relève. Les retombées
quantitatives et qualitatives dans les domaines économiques, écologiques ou
sociaux justifient cette dotation.
La confiance
Les échanges, le partage, la
coproduction, la mutualisation nécessitent, à des degrés divers, la confiance
entre participants. L’éthique collaborative exige un haut niveau de confiance
entre partenaires. Elle peut être obtenue par une notation des membres. Déjà la
quasi-totalité des grands réseaux sociaux collaboratifs ont institué un
classement fondé sur la réputation et la fiabilité des membres. Chaque membre
est ainsi doté d’un « capital social ».
Enfin, si l’économie collaborative
s'inscrit dans un contexte de défiance des acteurs institutionnels du système
capitaliste traditionnel, de crise économique mais aussi d'éthique
environnementale, il n’est pas impossible, non plus, que le capitalisme arrive
à s’adapter...