MÉMOIRE DE CUBA

par Luc BEYER de RYKE  

La mort de Fidel Castro a ravivé en moi bien des souvenirs. Ils me ramènent aux années où en Belgique je présentais le Journal télévisé. Chacun sait ici comme ailleurs l’aura qui en découle. Même si, idéologiquement, je ne mêlais pas ma voix à ceux qui appelaient « les lendemains qui chantent », je fus invité à Cuba au Congrès culturel de La Havane. Nous étions à la fin de 1967. Il y avait huit ans à peine que Fidel Castro était arrivé au pouvoir en renversant Batista. Huit années riches d’événements dramatiques : la baie des Cochons, la crise des fusées, la mort de Che Guevara en Bolivie. Castro défiant les Etats-Unis assurait son pouvoir. Le Congrès culturel entendait offrir du castrisme une irradiation intellectuelle et artistique.

 Arrivé à La Havane à l’époque n’était pas une mince affaire. De Belgique j’eus à gagner Prague pour m’embarquer à bord d’un avion cubain. Au cours du voyage interminable, pour meubler mes loisirs, je lisais un reportage de Pierre et Renée Gosset. J’arrivais à ce passage où les auteurs parlaient de la flotte aérienne intercontinentale de Cuba. Elle se composait de trois avions. Deux demeuraient au sol pour permettre au troisième de voler. C’est celui dans lequel je me trouvais. Au-dessus de l’océan Atlantique. Arrivé à La Havane, le régime avait bien fait les choses. Avec d’autres hôtes de marque nous nous trouvions à l’hôtel National dont Hemingway fut un familier. Tout frais émoulu, mon ancien condisciple à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) Étienne Adam avait été envoyé à La Havane pour y représenter la Belgique. Premier poste d’une belle carrière diplomatique. Comment aurions-nous pu prévoir que sa vie se terminerait tragiquement. En mars dernier il fut une des victimes des attentats à Bruxelles. Il allait prendre l’avion pour les États-Unis à Zaventem.

Revenons à décembre 67. Remontons le temps. Le Che, ai-je rappelé plus haut, venait d’être tué. Alors que je me trouvais avec Max-Pol Fouchet et Philippe de Saint-Robert, une enfant vint nous rendre visite et saluer quelques congressistes. Elle avait le visage rond et mat, des cheveux d’ébène. C’était la fille du Che. Le temps d’une apparition et nous ne la revîmes pas. parmi les noms célèbres ou connus que je fus amené à rencontrer ou à côtoyer, il y avait des peintres, des écrivains, des poètes. Pour autant que je me souvienne, je revois mon compatriote Hugo Clans, l’auteur du Chagrin des Belges. Il y avait Michel Leiris et Asger Jorn du groupe Cobra. Il me fit don d’un rectangle de papier où, hâtivement, il avait brossé un tableautin éclaboussé de couleurs. Parmi nous on vit passer Siqueiros, le muraliste mexicain compromis dans l’assassinat de Trotsky. Une poétesse française germanopratine, vint, lors d’une réception, lui botter l’arrière-train en clamant « De la part d’André Breton ! ». L’incident fit scandale mais aussi nos délices...

Enfin Fidel vint.

La liturgie castriste

Ce fut tout d’abord à ses grands-messes, c’est-à-dire à ses discours que nous fûmes conviés. Je garde en mémoire celui pour lequel on nous convia à une partie de campagne. Lorsque nous arrivâmes aux abords de La Havane une foule nombreuse attendait le « lider Maximo ». Beaucoup étaient des paysans. Tous se portaient volontaires pour la récolte de la zafra, les plantations sucrières. 

 Fidel arriva, monta à la tribune qui avait été dressée et harangua une multitude qui écoutait religieusement. À un moment donné il interrogea la foule. « Que devons-nous faire ? ». Interrogation toute théorique s’il en est. Mais de la foule une voix isolée se fit entendre. « Travailler plus ! ». C’était la réponse attendue. Et Fidel, jubilant, d’abonder en ce sens.

De Gaulle, un révolutionnaire !

Je revis mon hôte illustre plus intimement. Un petit groupe dont Philippe de Saint-Robert et moi faisions partie fut convié à le rencontrer. Nous nous groupâmes autour de lui. J’osai la question. « Est-il vrai que Les Mémoires du Général de Gaulle sont votre livre de chevet ? » Et Fidel de me répondre d’un verbe sonore : « Deverda, deverda ! C’est vrai, c’est vrai ! Le Général de Gaulle est un révolutionnaire ! ». Manifestement Castro n’en voulait pas trop au général de ne pas avoir été avec lui dans la crise des fusées. Malgré cela il voyait et applaudissait en de Gaulle l’homme qui tenait tête aux Etats-Unis.

Quelques semaines plus tard, rencontrant le Général à Colombey au sortir de l’église, j’eus l’occasion de lui rapporter les propos de Fidel Castro. Il en témoigna une vive satisfaction la ponctuant d’un « Très bien, très bien ! ». Le ton, encore plus que les mots, disait tout.

 L’épilogue, hélas, ne devait pas tarder. Mai 68 arriva.

 Mai 68

 Envoyé par le Journal télévisé belge j’y assistai. Des prémices jusqu’à la fin. Dans les rues, vociférant « Dix ans ça suffit !», je revis quelques-uns des germanopratins rencontrés à La Havane. Ceux-là, tout castristes qu’ils étaient, n’avaient guère apprécié les éloges que leur idole adressa devant moi au Général. Il est vrai qu’interrogeant, des années plus tard, Philippe de Gaulle sur cette période, il me répondit en souriant « Dix ans c’est assez. C’est ce que ma mère et moi-même disions à mon père ». Mais là c’était avec affection.

 Et Cuba ?

 Cuba, demain ? 

 J’ai retrouvé l’île en janvier 2016. Je n’y étais jamais retourné. Brève visite mais émaillée de rendez-vous politiques. Cette fois je ne vis pas Fidel Castro malade et retiré.. Moi-même, ma qualité ayant changé, je ne pouvais plus espérer une entrevue. Mais, des propos recueillis auprès d’officiels du régime, j’appris qu’il avait encore son mot à dire même s’il était moins ou pas écouté. C’est ainsi qu’il se montrait hostile à l’ouverture aux Etats-Unis. Il le fit savoir. Son frère, en accord avec l’armée et à l’écoute du pape François, passa outre.

Les Cubains sont pleins de contradictions parfaitement compréhensibles. Ils pleurent le passé et leur « commandante » mais aspirent à vivre mieux, à voyager, à s’ouvrir au monde. le monde, c’est d’abord les Etats-Unis. Le désir de liberté à leurs yeux doit s’accompagner du maintien des acquis sociaux : la santé et l’éducation. Tous appellent à la levée de l’embargo.

Fidel Castro est mort, Donald Trump en janvier sera président des Etats-Unis. Dans cette équation qui s’épelle en deux noms réside l’avenir de Cuba. Un avenir incertain.

 

© 02.12.2016

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