Par Luc BEYER de RYKE
C’est fini ! Astérix s’est rendu. « Le village gaulois » a
capitulé. Il n’avait plus de potion magique. Ses portes sont ouvertes aux
Romains. Pardon, aux Canadiens.
Dans ce « village gaulois » on aura reconnu la petite et
vaillante Wallonie. Trois millions et demi d’habitants sur cinq cents millions
d’Européens.
Astérix c’est Paul Magnette,
ministre-président wallon depuis 2014. ce professeur de sciences politiques à
l’ULB (Université Libre de Bruxelles), bardé de diplômes, fils de parents
communistes, devenu un social-démocrate pragmatique, rigoureux et combatif,
vient d’acquérir pour sa région et lui-même une reconnaissance internationale.
Même si après avoir conduit une fronde emblématique au CETA il a fini par
signer.
Un CETA auquel, selon Charles Michel, le Premier ministre
belge (libéral) « on n’a pas changé une virgule ». Il n’empêche que
l’accord commercial avec le Canada a été « toiletté ». et que dès lors il doit
faire l’objet d’une nouvelle comparution devant les vingt-huit États européens
(Grande-Bretagne incluse) pour qu’ils donnent leur aval. Comment décrypter ce
qui s’est passé pour des électeurs français saisissant mal la complexité des
Institutions belges ?
La Commission en accusation
Avant d’y venir, le procès à intenter est celui de la
Commission européenne. Il est faux de faire croire que les parlementaires
wallons lui ont tendu un traquenard par surprise. Depuis plus d’un an ils
multiplient des objections fortes et détaillées. La Commission, paterne, les
snobe. Elle non plus ne semble pas comprendre le mécanisme institutionnel
belge. Le propos n’est pas de le louer ou de le dénigrer. Seulement de
l’expliquer.
Le Belgique est un État fédéral. Le terme confédéral serait
d’ailleurs plus approprié.
Elle se compose de six gouvernements. Le gouvernement
fédéral, ceux de la Flandre, de la Wallonie, de Bruxelles et de la Région
allemande. Ajoutez à cela celui de la Communauté Wallonie-Bruxelles. Tous dotés
d’une assemblée parlementaire.
Sous la pression de la
Flandre, le pouvoir des régions ne cesse de s’accroître. C’est elle qui a exigé
que les régions aient le droit impératif de signer et ratifier les traités
internationaux. Aussi dans l’affaire du CETA, la Flandre se présente-t-elle
sous le portrait toujours cocasse de l’arroseur arrosé. Favorable au CETA, en
vertu des pouvoirs qu’elle a revendiqué, le coq wallon s’est dressé sur ses
ergots.
Le jeu des partis
Aussi sincère et convaincu que soit Paul Magnette
son « insoumission » peut être inspirée par des raisons politiciennes sans
accorder au mot une connotation péjorative. Son parti, le PS se voir mordre aux
basques par le PTB (Parti du Travail de Belgique). Cette formation,
groupusculaire à l’origine, où l’on brandissait des portraits de Staline et de
Mao, où l’on soutenait « Le Sentier lumineux » péruvien, a fait sa mue depuis
des années. Raoul Hedebouw, parfait bilingue, figure
emblématique, a séduit les électeurs et les médias. Il s’est fait élire député
à Liège et les sondages vont jusqu’à prédire qu’aux prochaines législatives le
PTB occupera la place de troisième parti en Belgique romane, passant par-dessus
la tête des écolos et infligeant un affaiblissement sérieux au PS.
Dans l’affaire du CETA, la visibilité du PTB a pâli au profit
d’un Magnette dont la stature a grandi. Aussi, a-t-il à peine signé l’accord, que Raoul Hedebouw clame que Magnette a eu
beau faire, il n’a rien obtenu. Et voilà le PTB seul dans l’opposition au
parlement wallon.
Paul Magnette au pouvoir est
associé au CDH (démocrates-chrétiens). Eux aussi sont en déclin. Leur
président, Benoît Lutgen, en est bien conscient. Il
s’est vu voler une vedette qu’il n’a jusqu’ici pu acquérir. Alors, quelques
heures avant que tout le monde finisse par s’accorder, il a poussé un coup de gueule
contre la Commission. Parmi ses membres, a-t-il
clamé, il en est qui ont le comportement de « délinquants politiques ». Et il
s’attribue la palme d’avoir fait reporter le sommet Europe-Canada. Chacun tire
la couverture à lui.
Mais que cela plaise ou non, au-delà de l’affaire du CETA, le
seul qui puisse véritablement ceindre les lauriers c’est Paul Magnette. Tous les commentateurs qu’ils soient de droite ou
de gauche lui prédisent – sans risque – un avenir politique de premier plan. On
le voit déjà successeur d’Elio di Rupo à la tête du PS, futur Premier ministre.
Peu d’hommes politiques belges ont leur nom connu au-delà des frontières.
Désormais il en est.
Un avant et un après CETA
Il y aura un avant et un après CETA. En Belgique et peut-être
en Europe. L’exemple wallon peut faire jurisprudence. Benoît Lutgen (CDH) a eu beau jouer des coudes pour se hisser aux
côtés de Magnette et proclamer qu’il a fait reporter
le sommet, celui-ci a finalement bien eu lieu. Le dimanche au lieu du jeudi. Le
train du CETA avec trois jours de retard est entré en gare. À Bruxelles où
Charles Michel, Premier ministre et chef de gare, bourru et grognon, a répété que
« pas une virgule n’avait été changé ». Jean-Claude Junker, tout aussi irrité,
a dit la même chose.
Alors tout cela pour ça ?
Pas tout à fait. La résistance wallonne a permis des
avancées, des clarifications. En particulier au niveau des tribunaux d’arbitrages
qui seraient composés de magistrats professionnels. La possibilité aussi pour
la Wallonie de se retirer du CETA si ses intérêts lui semblent mis en jeu.
L’Allemagne avait déjà obtenu cette clause sans qu’aucune publicité n’ait été
faite à ce sujet. Pour devenir de pleine application le CETA devra, à cause de
la Wallonie, entreprendre à nouveau un parcours long, hérissé d’obstacles. En
principe la ratification finale devrait s’inscrire à terme. Mais qu’un pays, un
seul parmi les vingt-huit, enhardi par l’exemple de l’Astérix wallon se rebelle
et comme le proclame le vieil adage : « sans cesse sur le métier remet ton
ouvrage ».
Pas nécessairement de la belle ouvrage car la toile tissée
par l’ultralibéralisme n’est pas faite pour habiller chaudement la planète.