par
Paul KLOBOUKOFF
1 - Du Brexit à la fin de l’Euro : en
France, la tête ailleurs
Le vote des
électeurs du Royaume-Uni (RU) du 23 juin 2016 majoritairement en faveur du Leave (Quitter l'Union européenne) a provoqué la
stupéfaction, semé le désarroi et les craintes, amplifiées avec délectation par
nos médias qui ont aussitôt placé à la une ce choix extraordinaire,
extravagant, terrible pour les Britanniques, pour nous et pour l'avenir de
l'Europe. Les critiques contre les promoteurs du référendum et les tenants du «
Quitter » ont plu (aux deux sens du mot). « Ils ont osé ! ». Des injonctions
ainsi que des menaces de sanctions, de représailles contre ce « mauvais coup »,
ses auteurs et le RU entier ont été proférées par la technocratie intégriste de
l'UE menée par MM. Donald Tusk (président du Conseil
européen), Jean-Claude Junker (président de la Commission de Bruxelles), Martin
Schultz (président du Parlement européen), ainsi que par MM. Hollande et Valls,
entre autres. Tous, pris à contrepied, dépassés, dépités, vexés, offensés par ces
lèse-majestés. Placés, aussi, devant une nouvelle expression forte de
mécontentement à l'encontre de l'UE qui fait tache dans le monde et pourrait
faire tache d'huile au sein de l'Union.
En France, la fièvre du Brexit a été fugace. D'autres priorités, autrement
importantes, se sont imposées. L'Euro de foot a envahi les scènes médiatiques
et éclipsé le Brexit. Sur fond de danger terroriste,
de violences de supporters et de voyous, de manifestations contre la loi
Travail et de « macronnades » à la sauce hollandaise,
l'Union sacrée du peuple devait être mobilisée. Un devoir pour tous : soutenir
activement l'Equipe de France, qui brandissait les couleurs de la Nation et
portait haut les Valeurs de la République aux sons de la Marseillaise, de
pétards et de feux d'artifices. Le président Hollande a donné de sa personne.
Il a assisté à tous ses matchs, jusqu'à sa défaite contre le Portugal en
finale. Il a même invité les joueurs à déjeuner à l'Élysée le lendemain, 11
juillet. C'est dire les prouesses de l'équipe de France et le niveau des enjeux
de l'Euro... pour la popularité de F Hollande, notamment.
Entretemps, les départs en vacances et
le Tour de France avaient débuté. La roue tourne vite chez nous, surtout chez
les médias. Aussi, des événements dignes d'intérêt intervenus au RU ont-ils été
inégalement rapportés. Une certaine publicité a été faite au début du mois de
juillet à la « débandade », aux « démissions » de deux « meneurs menteurs »
emblématiques du Brexit, qui ont été présentées comme
des dérobades de leurs responsabilités par leurs opposants ainsi que de ce côté
de la Manche. Boris Johnson, ex maire de Londres, a renoncé à briguer le poste
de leader du parti conservateur. Nigel Faradge a
démissionné de la tête de Ukip, parti « europhobe et
anti immigration ». Il a estimé qu'il pouvait se retirer, son objectif étant
atteint.
Une autre surprise est venue du départ «
anticipé » de David Cameron du poste de Premier ministre, qui avait été
initialement prévu pour début septembre. En fait, le choix d'un remplaçant n'a
pas rencontré la masse de difficultés redoutée. Après le retrait des autres
candidats potentiels, une seule postulante agréée par le parti est restée en
lice et a immédiatement été choisie. Le 11 juillet, pendant que Hollande
recevait l'équipe de France, David Cameron annonçait sa démission et
l'intronisation de Theresa May pour le surlendemain, jour où la reine Élisabeth
a effectivement demandé à celle-ci de former un nouveau Gouvernement.
Theresa May (TM), 59 ans, croyante
pratiquante, fille d'un pasteur anglican, est une eurosceptique. Cependant,
fidèle à David Cameron pour avoir été ministre de l'Intérieur pendant six ans,
elle a fait campagne contre le Brexit. Elle a la
réputation d'être déterminée, « à poigne ». Une nouvelle Thatcher ? Elle s'est
engagée à respecter le choix des électeurs et à faire du Brexit
un succès. Malgré les pressions venant de l'UE, et de la France, en
particulier, elle a décidé de prendre le temps nécessaire pour définir sa
stratégie en bonne intelligence avec les diverses parties prenantes du RU, et
en particulier avec les Écossais. Une affaire complexe ! Aussi, le recours à
l'article 50 de la Constitution européenne pour ouvrir les négociations
attendra un peu... ou davantage. Son Gouvernement a été rapidement constitué...
en réservant encore des surprises de ce côté de la Manche, d'où la logique
politique britannique est difficile à appréhender. Elle a nommé Boris Johnson
aux Affaires étrangères et un autre « eurosceptique », très concerné par les
questions d'immigration, le diplomate David Davis, à la tête d'un ministère ad
hoc qui aura la charge de négocier la sortie de l'UE avec les vingt-sept États.
M. Liam Fox a été nommé au département du Commerce international. Elle a
également remplacé l'austère ministre des Finances George Osborne par l'ancien
ministre de la Défense et des Affaires étrangères, Philip Hammond, qui a aussi
l'expérience du secteur privé. Ces quatre ministres « de choc » sont appelés à
jouer des rôles majeurs. Leurs interlocuteurs « européens » s'en accommoderont.
Car, au fond, les intérêts d'un côté et de l'autre de la Manche incitent à
préserver une certaine continuité dans les relations entre le RU et les pays de
l'UE, notamment en matière d'échanges économiques, de politique internationale
et surtout de défense et de sécurité.
Anticipant les négociations officielles et
désirant pouvoir prendre son temps pour engager celles-ci, Theresa May a rendu
visite au couple germano-français. Respectueuse de la hiérarchie, elle est
allée à Berlin le 20 juillet, puis à Paris le 21. Gagné ! « François
Hollande s'est aligné sur la "bienveillance" d'Angela Merkel »,
a-t-on pu lire.
2
- Brexit : de multiples bonnes et/ou mauvaises
raisons
Dans la panique des
premiers jours, que d'exagérations et d'erreurs d'appréciation !
La « perfide Albion » sera-t-elle encore
plus mal aimée maintenant ? En tout cas, on ne peut pas dire que nos «
intellectuels » et nos médias aient recherché objectivement les motivations des
Britanniques qui ont voté Leave. Des raisons qui ne
se résument pas à l'europhobie et au rejet infondé de l'immigration. De même,
analysés avec rigueur, les résultats ne montrent pas un vote massif des jeunes
pour le Remain (Rester dans l'UE) auxquels les vieux
auraient « brisé l'avenir ». La présentation de l'opposition entre les « diplômés
», « l'élite », les aisés, partisans du « Rester » (l'intelligence, la
clairvoyance...), minoritaires face aux classes modestes et peu éduquées qui se
sont tirés une balle dans le pied en votant bêtement « Quitter », frise la
caricature. Des nuances sont également à apporter sur les « votes massifs »
hostiles à l'Angleterre des électeurs de l'Écosse, de l'Irlande du Nord, de la
City... qui voudraient quitter le Royaume-Uni pour voler de leurs propres ailes
et venir se nicher dans le verger de l'UE. Quelques infos récentes et des
chiffres sur les cours des monnaies et des indices boursiers permettent aussi
de modérer a postériori les anticipations
cataclysmiques et de les ramener à de plus honnêtes proportions. Bref, les
rectifications, les précisions et les compléments d'informations qui suivent
pourraient aider à mieux comprendre et interpréter un Brexit
aux multiples et complexes motivations, ses suites immédiates, ainsi que les
très longues négociations à venir.
Des facteurs-clés vus de
France : la crise du « néolibéralisme »,
l'austérité et l'immigration
« La xénophobie n'explique pas tout. »
Dans un article du Monde diplomatique d'août, « Brexit,
les raisons de la colère (1) », l'auteur (Paul Mason)
déplore que « rien n'a été dit des déterminants sociaux du résultat :
austérité, chômage de masse [5 %, contre 10 % en France !], augmentation du
nombre de travailleurs pauvres, etc. Autant de fléaux qui poussent les plus
démunis à s'opposer entre eux ». Pour lui, « Comprendre le Brexit,
c'est mesurer l'irruption de cette xénophobie longtemps sous-jacente dans des
régions travaillistes appauvries, et constater sa fusion avec le nationalisme
conservateur dans les banlieues et les zones rurales. Il suffit de regarder la
carte des résultats... »
Il met en accusation le « néolibéralisme
» qui sévit au RU depuis le début des années 1980, installé par Margaret
Thatcher et entretenu par ses successeurs, le travailliste Anthony Blair et le
conservateur David Cameron, ainsi que la politique d'austérité conduite depuis
lors. Il admet, cependant, que « la crise du néolibéralisme » n'a pas été « le
facteur déterminant de la révolte », et oriente le tir sur la politique
d'immigration. Le Gouvernement n'a rien fait pour tenir les promesses de D.
Cameron de réduire drastiquement l'immigration. Le solde migratoire a été de +
330.000 personnes en 2015. Mais, surtout, l'Office statistique a révélé deux
semaines avant le référendum que 2,4 millions d'immigrés s'étaient installés au
RU de 2011 à 2015 et, scandale, le Gouvernement avait soutenu qu'il n'y en
avait eu que 900.000 (2)... et, en février 2016, lors
des négociations avec l'UE, D Cameron n'avait pas exigé de changements des
règles de libre circulation. Impardonnable ! Même par certains de ses
partisans.
Il est admis maintenant que les votes des « laissés pour compte de la
mondialisation » ont été déterminants dans la victoire du Brexit. Mrs May ne l'oubliera certainement pas.
Sept arguments de vente importants au RU
pour quitter l'UE
Au RU, l'immigration est évidemment
considérée comme un motif majeur du Brexit. Pas
l'austérité, semble-t-il, et pas le « néolibéralisme ». Au contraire, chez les
Conservateurs, un libéralisme débarrassé des entraves de l'UE serait le
bienvenu. D'ailleurs, l'argumentation des proBrexit
est très critique à l'égard de l'UE. Logique !
« Brexit: the 7 most important arguments
for Britain to leave the EU
» est le titre d'un article de Vox du 25 juin (3) dont l'auteur a répertorié et
expliqué ces arguments déployés par les tenants du « Quitter ».
1° L'UE porte atteinte à la souveraineté
du RU. C'est l'argument le plus répandu parmi les « intellectuels » et les
conservateurs tels Boris Johnson. Au fil des traités beaucoup de pouvoirs ont
été retirés aux États membres par la bureaucratie de Bruxelles (budget, dette,
politique de compétitivité, agriculture...) et de nombreuses règles de l'UE
supplantent les lois nationales. En outre, l'Exécutif de l'UE n'a de comptes à
rendre à personne.
2° L'UE étrangle le RU avec de coûteuses
réglementations. Plusieurs règlements « ridicules » sont cités portant sur le
recyclage des sachets de thé, sur la puissance des aspirateurs, sur l'âge de
huit ans à partir duquel les enfants sont autorisés à gonfler des ballons, etc.
Avec ces reproches, c'est aussi le non-respect de la subsidiarité qui est
dénoncé.
3° L'UE nuit aux intérêts des
entreprises et empêche des réformes radicales. Cet avis a été émis par des
conservateurs et aussi par des syndicalistes, notamment.
4° L'Union était une bonne idée, mais
l'euro est un désastre. La récession globale commencée en 2008 a fait davantage
de dégâts dans les pays qui avaient adopté l'euro. La Grèce et l'Espagne en
souffrent encore.
5° Depuis la crise financière de 2008,
trop d'Européens de la zone euro et de l'Est sont venus chercher un emploi au
RU. Une concurrence pour les travailleurs nationaux, qui a aussi pu être perçue
comme déloyale.
6° Hors de l'UE, le RU pourrait avoir
une politique d'immigration plus rationnelle. La critique porte ici sur l'obligation
faite d'accueillir tous les citoyens de l'UE désirant s'installer au RU, qu'ils
aient ou non des perspectives d'emploi et la connaissance de l'anglais. Les
partisans du « Quitter » voudraient que des conditions d'immigration soient fixées, qui tiennent
compte de la langue, des compétences, de l'éducation et de l'âge. Du pays
d'origine aussi, semble-t-il.
7° Le RU pourra conserver les 13
milliards de £ (soit 15 Mds €) de la contribution versée à l'UE. Les 200 £ par
personne correspondants imprudemment promises à la population ont fait couler
beaucoup d'encre.
Il ne faut pas oublier que les
Britanniques ont toujours gardé une distance avec « l'Europe » continentale,
qu'ils ont eu tendance à regarder de l'extérieur. N'ayant pas adopté la monnaie
unique, ils avaient déjà un pied dehors.
Dans un article (4) sur le site
américain d'information financière Market Watch,
filiale du groupe Dow Jones, le journaliste vedette de la télévision, Coddy Willard, souligne l'attachement des Britanniques au
libre-échange révélé par le Brexit [ce n'est pas une
découverte pour nous], ainsi que leur déception à l'égard du Marché commun, une
zone de libre-échange qui est devenue une « nomenclature orwellienne
». Il cite un autre trader pour lequel « L'UE fonctionnait bien jusqu'à la
fin des années 1990... Puis, elle s'est progressivement muée en zone de
non-libre-échange parce que "libre" a été remplacé par huit mille
lois et règlements, combinés avec l'euro, ce qui a privé les pays les plus
faibles (Grèce, Italie, Espagne...) du principal outil permettant de gérer
leurs propres économies ».
Pour l'auteur, en quittant l'UE, le RU
pourra mieux valoriser ses potentialités pour plus de croissance et de
prospérité, contrairement à ce que propagent dans les médias « des poules
mouillées, politiciens, économistes...»
3
- Résultats : des décomptes fiables et des estimations polémiques
Les résultats du référendum en termes de
nombres d'électeurs inscrits, de participants et d'abstentions, de votes Remain et de votes Leave fournis
pour le Royaume-Uni, les quatre pays qui le constituent avec Gibraltar, les
régions, les villes et les autres localités (faisant partie des 382 districts
locaux (5) dont les votes ont été rapportés) proviennent de décomptes effectués
dans les bureaux de vote. Ils sont indiscutables.
Les autres « résultats » que l'on peut
trouver, par sexe, par classes d'âge, par catégories sociales, par niveau de
revenu, de formation... sous forme de pourcentages (ou taux) sont des
estimations issues d'enquêtes par sondages et d'études. Ils n'ont donc pas la
même fiabilité que les précédents et certains donnent lieu à de vives
controverses.
Les résultats pour les pays, les régions et
les grandes villes
Pour l'ensemble du Royaume-Uni, les
données sur le nombre total d'électeurs, sur la participation et les votes pour
ou contre la sortie de l'UE ont été largement diffusées. Par contre, aux
niveaux géographiques inférieurs, les nombres d'électeurs inscrits, les
participations et les abstentions n'apparaissent en général pas. Seuls sont
fournis les pourcentages des nombres d'électeurs qui ont voté pour ou contre
rapportés au nombre de votants. Or de grandes différences existent dans les
dimensions des électorats des pays, des régions et des localités. De plus, au
sein du RU, les abstentions ont été très inégales et ont joué des rôles
déterminants.
Les informations « sélectionnées » par
nos médias sont donc très « insuffisantes » pour décrire fidèlement les résultats.
Malheureusement cela devient habituel. Mes principales sources et références
ici sont donc britanniques.
Résultats par pays couramment présentés
(au RU) :
Quitter Rester
Royaume-Uni 51,9% 48,1%
Angleterre 53,4%
46,6%
Irlande-du-Nord 44,2% 55,8%
Écosse 38,0%
62,0%
Pays-de Galle 52,5%
47,5%
Certains ont ainsi pu « indiquer » que «
l'Écosse et l'Irlande-du-Nord avaient voté contre l'Angleterre et le
Pays-de-Galles ». En effet, le pourcentage des votes écossais pour « Rester
» a été très élevé, surtout à Edimbourg, dont le Gouvernement autonome, en la
personne de Nicola Sturgeon, s'est empressé de menacer de rompre avec Londres,
de déclarer qu'il allait organiser un référendum pour sortir du RU et rester
dans l'UE. Puis elle est allée plaider sa cause auprès des dirigeants de
l'Union. Après un bref élan de solidarité verbal envers les Écossais en colère
et les Irlandais du Nord, il s'est avéré que cette perspective de scissions ne
satisfaisait pas certains pays membres, dont l'Espagne et la France, où des
revendications séparatistes s'expriment.
Aussi la menace de voir ces deux pays
quitter rapidement le RU et abandonner à son triste sort une « petite
Angleterre », a suspendu son vol dans nos médias.
Le tableau ci-dessous, constitué à
l'aide de chiffres de la Commission électorale du Royaume-Uni donne des
indications sur les « forces électorales » des pays et leurs mobilisations lors
du référendum du 23 juin.
En termes de nombres d'électeurs,
l'Angleterre pèse 83,8 % du total du RU, le Pays-de-Galles, 0,5 %, l'Écosse, 8,6 % et l'Irlande-du-Nord, 2,7 %. Il se trouve
aussi que les Écossais et les Irlandais du Nord (hostiles au Brexit) se sont abstenus davantage que les Anglais et les
Gallois.
C'est pourquoi l'excédent total des
votes pour « Quitter » par rapport à ceux pour « Rester », + 1,280 million,
provient essentiellement d'un excédent de + 1,940 million (5 % de son électorat) en Angleterre
contre un « déficit » de - 0, 643 million (16,1% de son électorat) en
Écosse.
La participation au référendum a été
très inégale en Angleterre même. Elle s'est approchée de 79 % dans les deux
régions Sud. Elle a atteint 75,7 % dans la région Est et 74,1 % dans les
Midlands de l'Est, tandis qu'elle a été la plus faible dans les deux grandes
villes industrielles du Nord-Ouest, Liverpool (64,1 %) et Manchester (59,8 %).
À Londres, dont on tant parlé, la participation n'a
pas atteint les 70 %. Malgré cela, le pourcentage par rapport au nombre d'électeurs
des votes pour « Rester » y a été un des plus élevés, 41,7 %. J'oublierai vite
celui de la City qu'on a beaucoup monté en épingle. Ce district compte très peu
d'habitants et son nombre d'électeurs est très faible.