BREXIT : DE SURPRISES EN INATTENDU...

QUI MERITENT L'ATTENTION

par Paul KLOBOUKOFF

1 - Du Brexit à la fin de l’Euro : en France, la tête ailleurs

Le vote des électeurs du Royaume-Uni (RU) du 23 juin 2016 majoritairement en faveur du Leave (Quitter l'Union européenne) a provoqué la stupéfaction, semé le désarroi et les craintes, amplifiées avec délectation par nos médias qui ont aussitôt placé à la une ce choix extraordinaire, extravagant, terrible pour les Britanniques, pour nous et pour l'avenir de l'Europe. Les critiques contre les promoteurs du référendum et les tenants du « Quitter » ont plu (aux deux sens du mot). « Ils ont osé ! ». Des injonctions ainsi que des menaces de sanctions, de représailles contre ce « mauvais coup », ses auteurs et le RU entier ont été proférées par la technocratie intégriste de l'UE menée par MM. Donald Tusk (président du Conseil européen), Jean-Claude Junker (président de la Commission de Bruxelles), Martin Schultz (président du Parlement européen), ainsi que par MM. Hollande et Valls, entre autres. Tous, pris à contrepied, dépassés, dépités, vexés, offensés par ces lèse-majestés. Placés, aussi, devant une nouvelle expression forte de mécontentement à l'encontre de l'UE qui fait tache dans le monde et pourrait faire tache d'huile au sein de l'Union. 

En France, la fièvre du Brexit a été fugace. D'autres priorités, autrement importantes, se sont imposées. L'Euro de foot a envahi les scènes médiatiques et éclipsé le Brexit. Sur fond de danger terroriste, de violences de supporters et de voyous, de manifestations contre la loi Travail et de « macronnades » à la sauce hollandaise, l'Union sacrée du peuple devait être mobilisée. Un devoir pour tous : soutenir activement l'Equipe de France, qui brandissait les couleurs de la Nation et portait haut les Valeurs de la République aux sons de la Marseillaise, de pétards et de feux d'artifices. Le président Hollande a donné de sa personne. Il a assisté à tous ses matchs, jusqu'à sa défaite contre le Portugal en finale. Il a même invité les joueurs à déjeuner à l'Élysée le lendemain, 11 juillet. C'est dire les prouesses de l'équipe de France et le niveau des enjeux de l'Euro... pour la popularité de F Hollande, notamment. 

Entretemps, les départs en vacances et le Tour de France avaient débuté. La roue tourne vite chez nous, surtout chez les médias. Aussi, des événements dignes d'intérêt intervenus au RU ont-ils été inégalement rapportés. Une certaine publicité a été faite au début du mois de juillet à la « débandade », aux « démissions » de deux « meneurs menteurs » emblématiques du Brexit, qui ont été présentées comme des dérobades de leurs responsabilités par leurs opposants ainsi que de ce côté de la Manche. Boris Johnson, ex maire de Londres, a renoncé à briguer le poste de leader du parti conservateur. Nigel Faradge a démissionné de la tête de Ukip, parti « europhobe et anti immigration ». Il a estimé qu'il pouvait se retirer, son objectif étant atteint.

Une autre surprise est venue du départ « anticipé » de David Cameron du poste de Premier ministre, qui avait été initialement prévu pour début septembre. En fait, le choix d'un remplaçant n'a pas rencontré la masse de difficultés redoutée. Après le retrait des autres candidats potentiels, une seule postulante agréée par le parti est restée en lice et a immédiatement été choisie. Le 11 juillet, pendant que Hollande recevait l'équipe de France, David Cameron annonçait sa démission et l'intronisation de Theresa May pour le surlendemain, jour où la reine Élisabeth a effectivement demandé à celle-ci de former un nouveau Gouvernement.  

Theresa May (TM), 59 ans, croyante pratiquante, fille d'un pasteur anglican, est une eurosceptique. Cependant, fidèle à David Cameron pour avoir été ministre de l'Intérieur pendant six ans, elle a fait campagne contre le Brexit. Elle a la réputation d'être déterminée, « à poigne ». Une nouvelle Thatcher ? Elle s'est engagée à respecter le choix des électeurs et à faire du Brexit un succès. Malgré les pressions venant de l'UE, et de la France, en particulier, elle a décidé de prendre le temps nécessaire pour définir sa stratégie en bonne intelligence avec les diverses parties prenantes du RU, et en particulier avec les Écossais. Une affaire complexe ! Aussi, le recours à l'article 50 de la Constitution européenne pour ouvrir les négociations attendra un peu... ou davantage. Son Gouvernement a été rapidement constitué... en réservant encore des surprises de ce côté de la Manche, d'où la logique politique britannique est difficile à appréhender. Elle a nommé Boris Johnson aux Affaires étrangères et un autre « eurosceptique », très concerné par les questions d'immigration, le diplomate David Davis, à la tête d'un ministère ad hoc qui aura la charge de négocier la sortie de l'UE avec les vingt-sept États. M. Liam Fox a été nommé au département du Commerce international. Elle a également remplacé l'austère ministre des Finances George Osborne par l'ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères, Philip Hammond, qui a aussi l'expérience du secteur privé. Ces quatre ministres « de choc » sont appelés à jouer des rôles majeurs. Leurs interlocuteurs « européens » s'en accommoderont. Car, au fond, les intérêts d'un côté et de l'autre de la Manche incitent à préserver une certaine continuité dans les relations entre le RU et les pays de l'UE, notamment en matière d'échanges économiques, de politique internationale et surtout de défense et de sécurité. 

Anticipant les négociations officielles et désirant pouvoir prendre son temps pour engager celles-ci, Theresa May a rendu visite au couple germano-français. Respectueuse de la hiérarchie, elle est allée à Berlin le 20 juillet, puis à Paris le 21. Gagné ! « François Hollande s'est aligné sur la "bienveillance" d'Angela Merkel », a-t-on pu lire.

2 - Brexit : de multiples bonnes et/ou mauvaises raisons

Dans la panique des premiers jours, que d'exagérations et d'erreurs d'appréciation ! 

La « perfide Albion » sera-t-elle encore plus mal aimée maintenant ? En tout cas, on ne peut pas dire que nos « intellectuels » et nos médias aient recherché objectivement les motivations des Britanniques qui ont voté Leave. Des raisons qui ne se résument pas à l'europhobie et au rejet infondé de l'immigration. De même, analysés avec rigueur, les résultats ne montrent pas un vote massif des jeunes pour le Remain (Rester dans l'UE) auxquels les vieux auraient « brisé l'avenir ». La présentation de l'opposition entre les « diplômés », « l'élite », les aisés, partisans du « Rester » (l'intelligence, la clairvoyance...), minoritaires face aux classes modestes et peu éduquées qui se sont tirés une balle dans le pied en votant bêtement « Quitter », frise la caricature. Des nuances sont également à apporter sur les « votes massifs » hostiles à l'Angleterre des électeurs de l'Écosse, de l'Irlande du Nord, de la City... qui voudraient quitter le Royaume-Uni pour voler de leurs propres ailes et venir se nicher dans le verger de l'UE. Quelques infos récentes et des chiffres sur les cours des monnaies et des indices boursiers permettent aussi de modérer a postériori les anticipations cataclysmiques et de les ramener à de plus honnêtes proportions. Bref, les rectifications, les précisions et les compléments d'informations qui suivent pourraient aider à mieux comprendre et interpréter un Brexit aux multiples et complexes motivations, ses suites immédiates, ainsi que les très longues négociations à venir. 

Des facteurs-clés vus de France :  la crise du « néolibéralisme », l'austérité et l'immigration

« La xénophobie n'explique pas tout. » Dans un article du Monde diplomatique d'août, « Brexit, les raisons de la colère (1) », l'auteur (Paul Mason) déplore que « rien n'a été dit des déterminants sociaux du résultat : austérité, chômage de masse [5 %, contre 10 % en France !], augmentation du nombre de travailleurs pauvres, etc. Autant de fléaux qui poussent les plus démunis à s'opposer entre eux ». Pour lui, « Comprendre le Brexit, c'est mesurer l'irruption de cette xénophobie longtemps sous-jacente dans des régions travaillistes appauvries, et constater sa fusion avec le nationalisme conservateur dans les banlieues et les zones rurales. Il suffit de regarder la carte des résultats... » 

Il met en accusation le « néolibéralisme » qui sévit au RU depuis le début des années 1980, installé par Margaret Thatcher et entretenu par ses successeurs, le travailliste Anthony Blair et le conservateur David Cameron, ainsi que la politique d'austérité conduite depuis lors. Il admet, cependant, que « la crise du néolibéralisme » n'a pas été « le facteur déterminant de la révolte », et oriente le tir sur la politique d'immigration. Le Gouvernement n'a rien fait pour tenir les promesses de D. Cameron de réduire drastiquement l'immigration. Le solde migratoire a été de + 330.000 personnes en 2015. Mais, surtout, l'Office statistique a révélé deux semaines avant le référendum que 2,4 millions d'immigrés s'étaient installés au RU de 2011 à 2015 et, scandale, le Gouvernement avait soutenu qu'il n'y en avait eu que 900.000 (2)... et, en février 2016, lors des négociations avec l'UE, D Cameron n'avait pas exigé de changements des règles de libre circulation. Impardonnable ! Même par certains de ses partisans.

Il est admis maintenant que les votes des « laissés pour compte de la mondialisation » ont été déterminants dans la victoire du Brexit.  Mrs May ne l'oubliera certainement pas.  

Sept arguments de vente importants au RU pour quitter l'UE  

Au RU, l'immigration est évidemment considérée comme un motif majeur du Brexit. Pas l'austérité, semble-t-il, et pas le « néolibéralisme ». Au contraire, chez les Conservateurs, un libéralisme débarrassé des entraves de l'UE serait le bienvenu. D'ailleurs, l'argumentation des proBrexit est très critique à l'égard de l'UE. Logique ! 

« Brexit: the 7 most important arguments for Britain to leave the EU » est le titre  d'un article de Vox  du 25 juin (3) dont l'auteur a répertorié et expliqué ces arguments déployés par les tenants du « Quitter ». 

1° L'UE porte atteinte à la souveraineté du RU. C'est l'argument le plus répandu parmi les « intellectuels » et les conservateurs tels Boris Johnson. Au fil des traités beaucoup de pouvoirs ont été retirés aux États membres par la bureaucratie de Bruxelles (budget, dette, politique de compétitivité, agriculture...) et de nombreuses règles de l'UE supplantent les lois nationales. En outre, l'Exécutif de l'UE n'a de comptes à rendre à personne. 

2° L'UE étrangle le RU avec de coûteuses réglementations. Plusieurs règlements « ridicules » sont cités portant sur le recyclage des sachets de thé, sur la puissance des aspirateurs, sur l'âge de huit ans à partir duquel les enfants sont autorisés à gonfler des ballons, etc. Avec ces reproches, c'est aussi le non-respect de la subsidiarité qui est dénoncé. 

3° L'UE nuit aux intérêts des entreprises et empêche des réformes radicales. Cet avis a été émis par des conservateurs et aussi par des syndicalistes, notamment. 

4° L'Union était une bonne idée, mais l'euro est un désastre. La récession globale commencée en 2008 a fait davantage de dégâts dans les pays qui avaient adopté l'euro. La Grèce et l'Espagne en souffrent encore.  

5° Depuis la crise financière de 2008, trop d'Européens de la zone euro et de l'Est sont venus chercher un emploi au RU. Une concurrence pour les travailleurs nationaux, qui a aussi pu être perçue comme déloyale. 

6° Hors de l'UE, le RU pourrait avoir une politique d'immigration plus rationnelle. La critique porte ici sur l'obligation faite d'accueillir tous les citoyens de l'UE désirant s'installer au RU, qu'ils aient ou non des perspectives d'emploi et la connaissance de l'anglais. Les partisans du « Quitter » voudraient que des conditions d'immigration soient fixées,  qui tiennent compte de la langue, des compétences, de l'éducation et de l'âge. Du pays d'origine aussi, semble-t-il. 

7° Le RU pourra conserver les 13 milliards de £ (soit 15 Mds €) de la contribution versée à l'UE. Les 200 £ par personne correspondants imprudemment promises à la population ont fait couler beaucoup d'encre. 

Il ne faut pas oublier que les Britanniques ont toujours gardé une distance avec « l'Europe » continentale, qu'ils ont eu tendance à regarder de l'extérieur. N'ayant pas adopté la monnaie unique, ils avaient déjà un pied dehors. 

Dans un article (4) sur le site américain d'information financière Market Watch, filiale du groupe Dow Jones, le journaliste vedette de la télévision, Coddy Willard, souligne l'attachement des Britanniques au libre-échange révélé par le Brexit [ce n'est pas une découverte pour nous], ainsi que leur déception à l'égard du Marché commun, une zone de libre-échange qui est devenue une « nomenclature orwellienne ». Il cite un autre trader pour lequel « L'UE fonctionnait bien jusqu'à la fin des années 1990... Puis, elle s'est progressivement muée en zone de non-libre-échange parce que "libre" a été remplacé par huit mille lois et règlements, combinés avec l'euro, ce qui a privé les pays les plus faibles (Grèce, Italie, Espagne...) du principal outil permettant de gérer leurs propres économies ».

Pour l'auteur, en quittant l'UE, le RU pourra mieux valoriser ses potentialités pour plus de croissance et de prospérité, contrairement à ce que propagent dans les médias « des poules mouillées, politiciens, économistes...»

3 - Résultats : des décomptes fiables et des estimations polémiques

Les résultats du référendum en termes de nombres d'électeurs inscrits, de participants et d'abstentions, de votes Remain et de votes Leave fournis pour le Royaume-Uni, les quatre pays  qui le constituent avec Gibraltar, les régions, les villes et les autres localités (faisant partie des 382 districts locaux (5) dont les votes ont été rapportés) proviennent de décomptes effectués dans les bureaux de vote. Ils sont indiscutables. 

Les autres « résultats » que l'on peut trouver, par sexe, par classes d'âge, par catégories sociales, par niveau de revenu, de formation... sous forme de pourcentages (ou taux) sont des estimations issues d'enquêtes par sondages et d'études. Ils n'ont donc pas la même fiabilité que les précédents et certains donnent lieu à de vives controverses.  

Les résultats pour les pays,  les régions et les grandes villes 

Pour l'ensemble du Royaume-Uni, les données sur le nombre total d'électeurs, sur la participation et les votes pour ou contre la sortie de l'UE ont été largement diffusées. Par contre, aux niveaux géographiques inférieurs, les nombres d'électeurs inscrits, les participations et les abstentions n'apparaissent en général pas. Seuls sont fournis les pourcentages des nombres d'électeurs qui ont voté pour ou contre rapportés au nombre de votants. Or de grandes différences existent dans les dimensions des électorats des pays, des régions et des localités. De plus, au sein du RU, les abstentions ont été très inégales et ont joué des rôles déterminants. 

Les informations « sélectionnées » par nos médias sont donc très « insuffisantes » pour décrire fidèlement les résultats. Malheureusement cela devient habituel. Mes principales sources et références ici sont donc britanniques. 

Résultats par pays couramment présentés (au RU) : 

                                         Quitter                 Rester       

Royaume-Uni                 51,9%                  48,1%

Angleterre                      53,4%                  46,6%

Irlande-du-Nord            44,2%                  55,8%

Écosse                             38,0%                  62,0%

Pays-de Galle                 52,5%                 47,5%  

Certains ont ainsi pu « indiquer » que « l'Écosse et l'Irlande-du-Nord avaient voté contre l'Angleterre et le Pays-de-Galles ». En effet, le pourcentage des votes écossais pour « Rester » a été très élevé, surtout à Edimbourg, dont le Gouvernement autonome, en la personne de Nicola Sturgeon, s'est empressé de menacer de rompre avec Londres, de déclarer qu'il allait organiser un référendum pour sortir du RU et rester dans l'UE. Puis elle est allée plaider sa cause auprès des dirigeants de l'Union. Après un bref élan de solidarité verbal envers les Écossais en colère et les Irlandais du Nord, il s'est avéré que cette perspective de scissions ne satisfaisait pas certains pays membres, dont l'Espagne et la France, où des revendications séparatistes s'expriment.  

Aussi la menace de voir ces deux pays quitter rapidement le RU et abandonner à son triste sort une « petite Angleterre », a suspendu son vol dans nos médias.  

Le tableau ci-dessous, constitué à l'aide de chiffres de la Commission électorale du Royaume-Uni donne des indications sur les « forces électorales » des pays et leurs mobilisations lors du référendum du 23 juin.  

En termes de nombres d'électeurs, l'Angleterre pèse 83,8 % du total du RU, le Pays-de-Galles, 0,5 %, l'Écosse,  8,6 %  et l'Irlande-du-Nord, 2,7 %. Il se trouve aussi que les Écossais et les Irlandais du Nord (hostiles au Brexit) se sont abstenus davantage que les Anglais et les Gallois.  

C'est pourquoi l'excédent total des votes pour « Quitter » par rapport à ceux pour « Rester », + 1,280 million, provient essentiellement d'un excédent de + 1,940 million  (5 % de son électorat) en Angleterre contre un « déficit » de - 0, 643 million (16,1% de son électorat) en Écosse.  

La participation au référendum a été très inégale en Angleterre même. Elle s'est approchée de 79 % dans les deux régions Sud. Elle a atteint 75,7 % dans la région Est et 74,1 % dans les Midlands de l'Est, tandis qu'elle a été la plus faible dans les deux grandes villes industrielles du Nord-Ouest, Liverpool (64,1 %) et Manchester (59,8 %). À Londres, dont on tant parlé, la participation n'a pas atteint les 70 %. Malgré cela, le pourcentage par rapport au nombre d'électeurs des votes pour « Rester » y a été un des plus élevés, 41,7 %. J'oublierai vite celui de la City qu'on a beaucoup monté en épingle. Ce district compte très peu d'habitants et son nombre d'électeurs est très faible.

 

Quant au vote pour "Quitter", il a fait ses plus gros scores, autour de 43 %, dans les Midlands et dans une région de Est, où l'immigration est un gros problème, et qui sont « des bastions conservateurs et de l'Ukip ». En fait, il a frôlé ou dépassé plus ou moins largement les 40 % dans toutes les régions Est du RU. Proches du continent européen, elles ont des liens économiques plus étroits avec l'UE que ceux de l'Ouest. Paradoxal ou révélateur ?

La présentation des comportements des électeurs « viciée » par une arnaque 

La combine a consisté à ne présenter, confronter et commenter que des pourcentages de nombres de votants pour « Rester » et pour « Quitter » rapportés au nombre des seuls votants. Oubliées, inconnues, les participations et/ou les abstentions. Alors qu'elles ont joué des rôles primordiaux. Presque tous les médias que j'ai consultés et quasiment tous leurs analystes, assez systématiquement « hostiles » au Brexit, en ont usé, voire abusé. Une exception en France, le site Les crises, d'Olivier Berroyer (6), avec son article « Brexit : l'arnaque du vote du jeunes... ». 

Les « données » chiffrées les plus sûres m'ont paru celles du site, Views of the World (7) plus proche de la source de l'information de base, « Lord Ashton Poll » (enquête financée par Lord Ashton), une source qui semble faire foi au RU. Ce site présente la répartition des « comportements de vote » (pourcentages des votes « Rester », des votes « Quitter » et des abstentions) par classes d'âge. Il est aussi le seul (que j'aie visité) à ajouter de précieuses statistiques sur les effectifs de la population par groupes d'âges.

Fixation sur le vote... et l'abstention des jeunes 

Une des « informations » les plus répandues à la suite du référendum a été le « vote massif » des jeunes de 18 à 24 ans : plus de 70 % de votes pour « Rester » et moins de 30 % de votes pour « Quitter » ! Le hic est que dans cette tranche d'âge l'abstention, elle, a été vraiment massive : 64 %. Aussi, parmi les jeunes inscrits de 18 à 24 ans, seulement 26 % ont voté pour « Rester ».  

Dans la tranche d'âge des 25 à 34 ans, l'abstention a été forte aussi : 42 %. Aussi, le nombre de votes « Rester » n'a représenté que 36 % du nombre des inscrits.  

Le résultat du référendum s'est largement joué sur l'abstention des moins de 35 ans. D'autant que les populations de ces tranches d'âge sont plus nombreuses que celles des 55 ans et plus, qui ont le plus voté pour « Quitter ». 

Inutile de s'étendre ici sur lit des regrets et des pleurs des jeunes et des moins jeunes votants et abstentionnistes, sur lequel nos médias se sont longuement et voluptueusement allongés.  Mieux vaut regarder le tableau très parlant ci-dessous. Il montre nettement que :  1° les proportions des votants augmentent avec l'âge et sont très élevées (plus de 80 %) chez les plus de 55 ans ; 2° les proportions des abstentionnistes, très fortes chez les jeunes, diminuent avec l'âge ; 3° les pourcentages des votants pour le « Quitter » montent fortement avec l'âge, passant de 10 % chez les 18 à 24 ans à 50 % chez les plus de 65 ans ; 4° si le pourcentage des votes pour le « Rester » se distingue par sa faiblesse chez les plus jeunes (en raison de l'abstention), dans les autres classes d'âge il est relativement homogène, variant entre 33 % et 37 %, et représentant donc de l'ordre du tiers de l'électorat.

Le RU est entré dans la Communauté européenne en 1973. Seuls ses habitants de 50 ans et plus (au moins 7 ans en 1973) ont vraiment « connu » le Royaume-Uni « d'autrefois », lorsqu'il était indépendant et pleinement souverain. Il leur est possible de se référer à ce vécu. Même si la référence n'implique pas l'idée d'un retour au passé. Pour les générations suivantes, c'est un passé « non vécu » de plus en plus lointain... enfoui sous une couche d'une quarantaine d'années pour les jeunes électeurs, de 18 à 24 ans en 2016, qui n'ont connu que le RU pays membre de l'UE. « Quitter » et vivre hors de l'UE est, naturellement, pour eux plus difficile à imaginer. C'est perdre une partie de ses repères « européens » (encore que, selon les analystes, les Britanniques connaissent peu et comprennent mal l'UE). C'est peut-être aussi une explication de leurs inquiétudes et de leur doute lors du référendum, de leur crainte de l'isolement du RU.  

L'évaluation de la faible participation des jeunes a été contestée, notamment par deux professeurs « de science politique et des politiques Européennes » du London School of Economics après leur analyse des résultats d'une enquête conduite par Opinion entre le 24 et le 30 juin auprès d'un échantillon de 2.113 adultes britanniques. Parmi eux, 47 % des jeunes de 18 à 24 ans auraient pleuré ou presque. Tout comme 32 % de toutes les personnes interrogées. Après avoir connu des rectifications, leur pourcentage de la participation des jeunes se serait élevé à 64 %  (et non à 36 %). Dans les autres tranches d'âge, les participations auraient été plus élevées aussi. Les auteurs regrettent que les jeunes de 16 et 17 ans n'aient pas pu voter.  Leurs votes n'auraient pas inversé le résultat du référendum, mais auraient considérablement réduit l’écart, sans doute à moins de 500.000 votes. 

Les conditions de réalisation de l'enquête sont « particulières », la représentativité ne paraît pas absolument garantie et il ne semble pas que les médias du RU, pourtant souvent hostiles au Brexit,  s'en soient emparés (il est vrai qu'ils ont ignoré les participations) bien que The Guardian ait publié au moins deux articles sur le sujet (8).   

D'autres informations  sur les caractéristiques sociales des votants 

Le Financial Times a publié un intéressant article (9) concernant une étude portant sur les 382 lieux de décomptes des votes. Elle montre que 5 caractéristiques sociales des populations locales (parmi les cent examinées) ont été les plus fortement corrélées avec la proportion des votes pour « Quitter » lors du référendum : 1° la participation au vote, croissante avec l'âge ;  2° le niveau de formation (diplôme),  faible en moyenne chez les votants du « Quitter » ; 3° la profession, moins « qualifiée », en moyenne ; 4° le niveau plus faible du revenu médian, localement  ; 5° la non possession d'un passeport par de nombreuses personnes dans les localités.  

Des « observations » analogues ont été largement diffusées souvent avec moins de précautions et plus d'emphase, notamment pour souligner les « divisions », « l'affrontement » des jeunes et des instruits, l'avenir prometteur du RU, les élites, partisans du « Rester », contre les vieux « rétrogrades » et les « classes populaires », partisans du « Quitter ». 

Il semble, en effet, que le vote pour le Brexit ait aussi exprimé un sentiment de défiance et d'hostilité envers l'establishment, qui n'a pas échappé à Theresa May. 

Elle a aussi relevé que les pourcentages les plus élevés des votes pour « Quitter » tendaient à se trouver dans les régions ayant les relations économiques les plus étroites avec l'UE. Ainsi, bien que la région Est Yorkshire-Nord Lincolnshire vende la majeure partie de sa production à d'autres pays de l'UE, son électorat a voté pour « Quitter ». 

Les femmes aussi ont voté pour le Brexit 

Pas d'informations chez nous sur les votes des femmes et des hommes. Est-il honteux ou gênant d'observer que les femmes comme les hommes ont voté majoritairement pour « Quitter » ? Les femmes à 51 %, contre 49 % pour « Rester ».  Les hommes à  53  %  contre  47  %.  Ainsi, à l'excédent total de 1,28 million de votes en faveur du « Quitter », les femmes auraient apporté une contribution d'environ 320.000 votes. Cette info, semble-t-il inattendue, est apparue le 1er juillet sur le site YouGov (10), suite à une enquête par sondage ad hoc, La « division » au sein des foyers n'est sans doute pas aussi fréquente qu'il a été dit avant et juste après le référendum.  

Des divisions au RU sur l'UE  bien antérieures au 23 juin,  toujours pressantes en France 

« Le vote du Brexit a divisé gravement les britanniques ! » a-t-on lu et entendu. Non ! En fait, les divergences des opinions à propos de l'appartenance à l'UE étaient bien antérieures et se sont exprimées assez bruyamment pour que la décision du référendum soit prise. Une ligne de clivage importante traversait tous les partis politiques et

la « société civile ». Elle va s'estomper progressivement, s'effacer en partie lorsque l'irréversibilité du choix sera admise par le plus grand nombre, que les « négociations » entre les « parties » au RU auront conduit à un incontournable compromis et que l'Unité britannique reprendra des forces pendant les longues négociations du RU avec les instances de l'UE et ses pays membres. Le paysage politique pourra se « recomposer » avec plus de clarté, peut être principalement en fonction de critères plus traditionnels. 

En France, au contraire, les questions, de plus en plus pressantes de la réorientation et de la réorganisation de l'UE, de la « relation » de la France avec l'Union, ainsi que de la monnaie unique, devraient occuper une large place au cours des campagnes en vue des élections de 2017. Elles traversent presque tous les partis. Et le Brexit aura « secoué » l'opinion en surmontant la peur, qui n'est presque plus que le seul ciment de l'Union européenne.

4 - Catastrophisme exagéré et relative sérénité des Autorités

Les sept plaies d'Egypte  ne se sont pas encore abattues sur le RU 

Avant le référendum, des pythies ont menacé le RU des plus grands malheurs s'il quittait l'UE. Afin de prévenir les électeurs. Pour leur bien. Le Brexit étant acté, pourquoi avoir continué, se régaler des « mauvaises nouvelles » et n'en pas chercher de rassurantes ? Plus le RU ira mal, plus l'UE et la France en pâtiront !  Le risque d'une « déstabilisation » mondiale difficile à circonscrire a aussi été maintes fois évoqué. Pas de quoi se réjouir, donc ! 

De gros titres dans Les Echos du 6 juillet ont bien illustré l'alarmisme ambiant en France : « Le Brexit provoque la peur d'une crise de l'immobilier au Royaume-Uni » (11). « Trois fonds immobiliers suspendent leurs transactions... » + « Le statut des Européens qui résident outre-Manche va rester incertain » + « Certains risques commencent à se manifester » : « La Banque d'Angleterre allège les contraintes sur les banques britanniques pour stimuler le crédit »... et, discrètement : « l'annonce d'une baisse envisagée du taux de l'impôt sur les sociétés à 15 % [il dépasse 30 % en France] pourrait inciter les entreprises à rester dans la capitale, voire en attirer d'autres ».  

Dans la foulée, le 7 juillet, France Télé Info a abondé dans le même sens : « Immobilier, emploi, conso... : quels sont les secteurs qui flanchent le plus dans le Royaume-Uni post-Brexit ? » (12), avec des « précisions » sur : « L'immobilier tremble », « La consommation en berne », « L'emploi fragilisé », « La livre effondrée ». 

Deux semaines plus tard à C dans l'air, les experts étaient pessimistes et critiques envers le RU : « Alors que la cotisation nette du RU à l'Union européenne ne représente que 0,5 % de son PIB, le Brexit risque de lui en faire perdre 10 %... Le RU sera plus libéral, avec des inégalités plus fortes encore... Un futur paradis fiscal" » (13).  

Pourtant, dès  le début de juillet, des raisons apparaissaient de modérer le catastrophisme dominant. En fait, « l'effondrement » boursier a très peu duré. Le cours de l'indice Footsie 100 de Londres était à 6.338 points le 23 juin. Il a chuté un peu en dessous de 6.000 points. Il est remonté presqu'aussitôt. Le 15 juillet, il était à 6.750. Notre CAC 40 a connu une évolution analogue : 4.466 points le 23 juin, 3.985 le 27 juin... retour à 4.447 le 15 juillet.  

Dans un article de Figarovox/Tribune du 5 juillet intitulé « Game of Thrones plutôt qu'Apocalypse Now », Benjamin Masse-Stamberger avait déjà observé que « ce scénario noir ne s'est pas réalisé, laissant place à un froid jeu d'alliances, de rivalités et de calculs d'intérêts ». Pour lui, « Si crise il y a, elle est pour l'heure politique, et non financière. C'est d'ailleurs bien l'analyse que font les marchés, après deux premiers jours... » (14).

Des premières mesures financières au compte-gouttes : attendre et voir 

Consciente de l'hostilité de nombreux électeurs à l'égard de l'austérité, de la nécessité de donner de l'oxygène à l'économie et de rassurer les entreprises, Theresa May a décidé de repousser l'échéance, fixée à 2020, de l'atteinte de l'équilibre budgétaire. Cependant, « aucune mesure d'urgence ne sera prise, il n'y aura pas de collectif budgétaire », a annoncé Philip Hammond, le nouveau chancelier de l'Échiquier. Une « trajectoire » budgétaire sera présentée à l'automne, « une fois que les prévisions officielles auront pris en compte l'impact du Brexit » (15). 

Au lendemain du Brexit, il paraissait hasardeux d'avancer des prévisions économiques précises, même pour le FMI, circonspect (13). Une récession était attendue, provoquée par le ralentissement de la consommation et de l'investissement. La dépréciation de la livre (- 10 % face au dollar entre le 23 juin et le 15 juillet) (16) devait stimuler les exportations, mais après plusieurs mois seulement. Elle va aussi rendre plus attrayants aux yeux des investisseurs étrangers les actifs britanniques « dépréciés », suscitant de bienvenues entrées de capitaux. Combien et dans quels délais ? « Attendre et voir », pour réagir plus efficacement. 

La Banque d'Angleterre a conservé son flegme. Elle a d'abord maintenu son taux directeur fixé à 0,5 % (depuis 2009) et son programme de rachat d'actifs à 375 milliards de livres (Mds £), renvoyant à sa réunion du mois d'août la possible décision d'un assouplissement monétaire. Le 4 août, elle a annoncé une baisse « historique » du taux directeur à 0,25 % ainsi que l'augmentation de l'injection de monnaie dans l'économie par le rachat d'obligations d'État, dont le programme a été relevé à 435 Mds £, ainsi qu'un nouveau programme de rachat d'actions d'entreprises à concurrence de 60 Mds £ (17). 

Entretemps, l'annonce de l'abaissement prévu du taux de l'impôt sur les bénéfices des sociétés jusqu'à 15 % est intervenue, faisant trembler les milieux financiers et les gouvernants en Europe. Cette décision « défensive » destinée, notamment, à enrayer les velléités de « délocalisation » d'entreprises et d'activités a aussitôt suscité des réactions de méfiance dans l'UE et a inévitablement été considérée comme une manifestation de la volonté de renforcer la position de « paradis fiscal » du RU. 

Le 12 août, le ministre des Finances a annoncé une autre « bonne nouvelle » destinée à dissiper des craintes nées du Brexit. L'État compte verser aux agriculteurs, aux chercheurs et aux projets d'infrastructures des sommes égales aux subventions de l'UE. Le coût pourrait en être de 4,5 Mds £ par an (18). Les bénéficiaires ont apprécié.  

Deux mois après le référendum,  la situation est bien meilleure que prévu... par tous 

À la mi-août, les premières statistiques et autres observations post Brexit ont commencé à parler. Non, l'activité n'a pas fléchi en juillet. Le chômage, déjà bas (4,9 %), a un peu reculé : - 8.600 chômeurs. Les ventes au détail ont progressé de + 1,4 % après une baisse de - 0,9 % en juin (19), témoignant de la confiance des consommateurs... ou, comme le suggèrent certains auxquels cela donne des aigreurs, peut-être « parce qu'ils anticipent une hausse générale du coût de la vie »... notant aussi que « beaucoup de Britanniques cherchent à obtenir une double nationalité qui les mettrait à l'abri d'une... expulsion [hors de pays de l'UE] ! (20). C'est une véritable ruée sur les passeports irlandais... ».   Avec une livre plus faible, les touristes étrangers ont dépensé davantage (+ 4,5 %) et soutenu cette progression... qui pourrait se poursuivre en août, compte tenu de conditions climatiques favorables, notamment. 

Les commandes au secteur manufacturier ont atteint en août le niveau le plus élevé depuis deux ans, selon la Confédération britannique de l'industrie (21). L'indice mesurant les anticipations des niveaux de production s'améliore aussi (de + 6 en juillet à + 16 en août). Celui des prix moyens de vente augmente de + 5 à + 8. 

Les hausses des prix qui étaient attendues sont, d'ailleurs, restées modérées. Les loyers auraient diminué, reculant de – 6 % dans la City. 

Quant aux « investisseurs », ils n'auraient pas perdu confiance, et parmi les entreprises qui auraient envisagé de « délocaliser », la précipitation semble céder le pas à la patience. 

Aujourd'hui, 28 août, l'indice boursier Footsie 100  est à 6.838 points (contre 6.398 le 23 juin). Le CAC 40 est à 4.442 points (contre 4.466). Pour mémoire, notre CAC 40 était à 6.168 points le 1er juin 2007  et avait donc perdu presque 30 % depuis, bien avant l'initiative qui a conduit au Brexit. Les « catastrophistes » devraient donc relativiser. 

Quant à la livre, le 28 août, elle vaut 1,172 euro. Elle valait à peine plus de 1 € en juin 2008 (quasi parité £ / €)  et était montée à 1,40 € (en moyenne) en 2015, avant de revenir à environ 1,25 € avant le Brexit. Les Autorités de l'UE et la Banque centrale européenne avaient fait ce qu’elles pouvaient pour affaiblir l’euro, notamment  en  abaissant les taux directeurs et en injectant massivement des liquidités.  

Les fluctuations des cours des devises sont monnaie courante ; elles ne doivent pas nécessairement provoquer l'affolement. Tout n'est évidemment pas rose au RU et le Gouvernement reste aux aguets. Au début du mois d'août, la Banque d'Angleterre tablait sur une croissance de seulement + 0,8 % en 2016 et de + 2,3 % en 2017. Sur les deux années, c'est du même ordre de grandeur que pour la France.  

 

5 - Et maintenant ?

Brexit signifie Brexit...  mais la grande question est quand ? 

Le 16 août, The Telegraph avait déjà mobilisé l'attention avec un article exposant pourquoi « Un accord sur le Brexit ne sera jamais facile. Maintes choses pourraient mal tourner » (22). Selon son auteur, il est probable que l'article 50 du traité de Lisbonne ne sera pas activé avant la fin de 2017 et, qu'en conséquence, le RU ne sera pas sorti de l'UE avant la fin de 2019 (deux ans après)... alors que les prochaines élections européennes sont programmées pour juin 2019. Un problème et une contrariété de plus. 

Des élections qui doivent avoir lieu en France [en mai 2017 pour les présidentielles, en juin pour les législatives puis en septembre pour les sénatoriales] et en Allemagne [entre août et octobre 2017 pour les élections fédérales] dépendent les destins politiques de Mme Merkel et de M. Hollande. En Italie, M. Mattéo Renzi va mettre son titre (Premier ministre) en jeu à l'automne 2016 par un referendum confirmatif, non sans aléas, sur la modification de la Constitution. Or ces trois dirigeants ont commencé à s'occuper du « traitement » du Brexit. Gênant ! ? Même (ou surtout) si on peut parier que la technocratie de l'UE jouera [encore] un rôle déterminant dans l'orientation et la conduite « diplomatique » et « technique » complexe des négociations avec le RU... et les 27 pays membres. 

Un travail titanesque attend les gouvernants du RU avec, en particulier, « cinq séries de négociations commerciales interconnectées, sans compter, pour simplifier, celles sur les politiques étrangères, de défense et de sécurité ». 

Six jours plus tard, sur The Guardian (autre média défavorable au Brexit), un article intitulé « Brexit signifie Brexit... mais la grande question est quand ? » (23) faisait un point plus complet sur la « question ».

Il n'était pas le seul à pointer que « le Gouvernement ne sait pas ce qu'il veut et n'est pas encore équipé pour le demander ». La première partie de l'affirmation traduit, d'une part, que des points de vue différenciés s'expriment au sein du parti Conservateur et parmi des partisans du Brexit et, d'autre part, que le Gouvernement ne peut retenir des objectifs sans se soucier des positions de ses interlocuteurs de l'UE et des 27, pour le moins. La deuxième révèle une réalité cruelle vécue par les Autorités : l'Administration n'a pas les capacités d'expertise pour mener à bien le gigantesque travail juridique, institutionnel, de négociation... à réaliser (avec l'UE, les 27, l'OMC, les autres pays... et les interlocuteurs intérieurs). Sur les 250 à 300 personnes nécessaires, la moitié pourraient provenir de différents ministères. Pour le reste, il faut embaucher dans le privé et faire largement appel à des sociétés de conseil internationales telles KPMG, Price Waterhouse, McKinsey... dont les honoraires sont élevés. La facture sera donc salée. Ce handicap, ce manque de personnel public qualifié est attribué au fait que c'est l'UE qui négocie les accords commerciaux pour ses pays membres. 

Il semble exclu que le RU opte pour une entrée dans l'Espace économique européen et puisse ainsi accéder au marché unique (comme la Norvège) car cela impliquerait qu'il accepte l'immigration en provenance de l'UE, qu'il se soumette à des règles de l'Union et contribue au budget de celle-ci. La recherche d'un accord de libre-échange avec l'UE du modèle de celui entre le Canada et l'UE, avec un complément taillé sur mesure concernant les services (financiers, notamment) est nettement plus plausible. 

La démarche pourrait s'inscrire dans le cadre d'un soft Brexit, une « sortie douce », qui permettrait au Gouvernement de prendre le temps requis pour la préparer avant d'activer l'article 50, puis de négocier. À condition que les partisans  d'un  hard  Brexit,  ou  sortie dure », qui réclament un démarrage rapide et déterminé des négociations n'obtiennent gain de cause. Ils veulent voir une concrétisation rapide de l'indépendance et de la souveraineté du pays (24). Ils se méfient des allongements des délais et d'éventuels atermoiements qui ramèneraient le RU dans les mailles du filet de l'Union et conduiraient à un lite Brexit, ou « Brexit allégé ». Ces eurosceptiques, qui compteraient les ministres Davis et Fox, sont influents. Mrs May devra leur apporter de solides garanties pour les convaincre et les faire patienter. 

Dans ce cas de sortie douce, l'établissement d'un nouveau traité RU-UE pourrait être si compliqué qu'un « accord intérimaire » pourrait s'avérer nécessaire pour donner le temps de « boucler » le traité... et, parallèlement, des accords sur la Sécurité européenne, sur la Défense, sur l'Environnement, la Science et la Recherche. 

Le RU devra aussi « redevenir » un membre à part entière de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), car il l'est actuellement en tant que pays membre de l'UE. Cela signifie, notamment, établir une nouvelle série de tarifs nationaux et obtenir l'approbation de 164 états. Il aura à renégocier plus de 50 traités de libre-échange qui ont été négociés pour son compte par l'UE. Cela, sans compter tous les changements qui devront être apportés dans les lois et règlements au Royaume-Uni.  

Obstacle d'ordre juridique de plus : le Gouvernement ne serait pas habilité (selon certains) à déclencher l'article 50 sans l'approbation spécifique du Parlement. La Haute cour a été saisie et devrait se prononcer d'ici la fin de l'année.  

En France et dans l'UE ? 

Selon un sondage OpinionWay du 24 juin, 52 % des électeurs de France souhaiteraient un référendum sur la sortie de la France de l'Union européenne. Et une victoire du Frexit ne serait pas à exclure(25).   

À cet égard, le début d'expérience britannique est instructif. Pour ceux qui entrent dans l'UE, celle-ci n'a pas prévu (voulu) de marche arrière. Et, apparemment, les gentils membres ont perdu davantage d'autonomie, de souveraineté et de capacités d'action qu'ils n'en sont conscients. L'UE n'est pas encore fédérale. Ses membres ne sont pas encore en cellule. Mais les bracelets électroniques ressortent. Au rejet de la construction européenne ainsi que de la mondialisation par ceux qui en sont les victimes, des partis de gouvernement dominants de l'UE répondent en proposant davantage d'intégration européenne pro mondialisation. « C'est ubuesque. » 

Force est, en effet, de constater et de déplorer la ferveur en hauts lieux de l'UE, de l'Allemagne, de la France, de l'Italie... pour le « modèle intégriste européen », inefficace, impopulaire, rejeté. La sortie du Royaume-Uni, qui était, d'ailleurs, souhaitée par certains de nos politiciens, fournit une opportunité de rebattre vigoureusement les cartes. Un profond renouvellement est nécessaire, y compris (ou à commencer) dans la cohorte des apparatchiks qui ont fait main basse sur l'UE et la gouvernent à leur gré depuis trop longtemps, méprisant les nations et les peuples. Or c'est une nouvelle Europe solidaire des nations et des peuples libres et souverains qu'il faut réinventer et construire. Sinon, malgré les entraves et les difficultés, les sorties se multiplieront et l'Union ne survivra pas.

Sources et références

(1) Le Monde diplomatique, août 2016  « Brexit, les raisons de la colère ».

(2) Royaume-Uni. Oups... les immigrés sont plus nombreux que prévu   Courrier International.com,  le 13/05/2016.

(3) vox.com/2016/6/22/11992106/brexit-arguments.

(4) marketwatch.com/story/chicken-little-economists-are-wrong-about-brexit- ...,  juillet 2016. 

(5) blogs.ft.com/ftdata/2016/06/24/brexit-demographic-divide-eu-referendumresults/...

(6) les -crises.fr/brexit-l-arnaque-du-vote-des-jeunes/.

(7) EU, Referendum Statistics   viewsoftheworld.net/?p=4859, le 5 juillet 2016.

(8) Poll reveals young remain voters reduced to tears by Brexit result   theguardian.com/politics/2016/jul/02/brexit- referendum-survey  + EU referendum : youth turnout almost twice as high as first thought   theguardian.com/politics/2016/jul/09/young-people-referendum-turnout...

(9) blogs.ft.com/ftdata/2016/06/24/brexit-demographic-divide-eu-referendumresults/.

(10) yougov.co.uk/news/2016/07/01/eu-gender-disparity.

(11) Les Echos, mercredi 6 juillet 2016.

(12) francetvinfo/monde/europe/la-grande-bretagne-et-l-ue/immobilier-emploi..,.  le 07/07/2016.

(13) C dans l'air, le 21/07/2016.

(14) Brexit: Game of Thrones plutôt qu'Apocalypse Now    lefigaro.fr/vox/monde/2016/07/04/...

(15) Les Echos, vendredi 15, samedi 16 juillet.

(16) Bloomberg, source dans (e1).

(17) « Brexit : la Banque d'Angleterre passe à l'action »,   lefigaro.fr/conjoncture/2016/08/05...

(18) « Brexit : Londres veut verser les mêmes subventions que l'UE »,   lefigaro.fr/conjoncture/2016/08/13...

(19) « Deux mois après le Brexit tout va bien à Londres », lanouvellerepublique.fr,   le 21/08/2016 + « Brexit : l'économie britannique déjoue les pronostics »,   lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/decryptage/2016/08/26...

(20) « Deux mois après, les premiers effets du Brexit », 23/08/2016 , ladepeche.fr.

(21) « Grande Bretagne : les commandes à l'exportation gonflées par le Brexit »,  Les Echos.fr... Reuters, le 23/08/2016.

(22) telegraph.co.uk/business/2016/08/16/a-deal-on-brexit-was-never-going-tobe-easy...

(23) theguardian.com/politics/2016/aug/22/brexit-means-brexit-when-is bigquestion...

(24) Brexit: IDS urges EU exit talks "as soon as possible", bbc.com/news/uk-politics 37146736, le 21/08/2016.

(25) « En cas de référendum sur l'Union européenne, le Frexit pourrait l'emporter »,   lefigaro.fr/vox/politique/2016/08/18.

© 01.09.2016

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