par
Marc DUGOIS
Ce diagnostic se
divise en trois parties. D’abord une approche fondamentale de ce qu’est
l’économie en anthropologie, puis les déviations qui ont abouti à l’impasse
actuelle et enfin les pistes de solutions.
I.
– L’économie en anthropologie
Tout groupe
d’êtres humains a au départ une raison d’être et organise dans ce but les
apports de chacun et rend complémentaires les différentes énergies
individuelles. Cette organisation a été improprement appelée troc en supposant
une simultanéité du don et du contre-don qui n’a jamais été systématique. Le
don et le contre-don existent dès la création du groupe (couple, association ou
tribu) mais ils ne sont que très rarement simultanés. L’anthropologue et
professeur au Collège de France Marcel Mauss a parfaitement expliqué que le don
entraînait le contre-don et que le « donner-recevoir-rendre » était au service
du lien social et qu’il le nourrissait.
Mauss a développé que le don et le contre-don était ce qu’il a appelé un
« fait social total » à dimensions culturelle, économique, religieuse,
symbolique et juridique et qu’il ne pouvait être réduit à l’une ou à l’autre de
ses dimensions. Mais quand la taille du groupe devient importante, la détection
des profiteurs et des tire-au-flanc devient difficile et rend obligatoire la
simultanéité du contre-don. L’origine de la monnaie est cette invention du
contre-don simultané. La monnaie est donc culturelle, économique, religieuse,
symbolique et juridique. Par sa facilité d’usage la monnaie est devenue le
regard que le groupe utilise pour isoler les richesses échangées contre de la
monnaie dans le fatras des productions. C’est parce qu’une production trouve
acheteur qu’elle est reconnue comme richesse et non comme embarras ou déchet.
Toutes les fonctions de la monnaie décrites depuis l’antiquité, réserve de
valeur, unité de compte et intermédiaire des échanges, découlent toutes de ce
que la monnaie est l’étalon culturel de la richesse. C’est l’énergie du groupe,
l’énergie sociale, quand le travail est l’énergie individuelle. La monnaie est
reconnaissance par le groupe du travail individuel. Toutes les querelles autour
de la monnaie viennent de la difficulté à marier la notion de richesse qui est
un regard dynamique essentiel au lien social avec la notion d’étalonnage qui
est arithmétique et avec la notion de culture qui est sociologique. Toutes les
incompréhensions viennent de simplifications excessives et contradictoires.
II.
- Les déviations
Le XXe siècle, sous impulsion
anglo-saxonne commerçante, a fait croire par une fabrication de contre-dons que
l’augmentation de la production était une augmentation de richesse, et par une
très belle illusion qu’une dépense était une richesse et que l’augmentation des
échanges commerciaux était aussi une augmentation de richesse. Tout a été fait
pour que l’on croie à ces deux erreurs, à commencer par la diffusion de l’idée
que ces augmentations de richesses permettaient de moins travailler, ce qui a
beaucoup plu aux peuples latins. La richesse n’étant qu’un regard, la
propagande a remplacé une démonstration inexistante.
Pour faire croire que la croissance du
commerce était augmentation de richesse on a additionné tous les échanges dans
une zone donnée en appelant finement cette addition d’échanges « gross domestic product » servilement traduit en français par « produit
intérieur brut ». En se servant à tout propos de pourcentages du PIB comme
d’une ressource ou de son augmentation comme d’une victoire, on a instillé dans
les esprits que le commerce était en soi une richesse et que son développement
était « la » croissance, alors que le commerce n’est que l’intermédiaire qui se
fait payer pour mettre en relation producteurs et consommateurs. À la méthode
Coué, d’une dépense on a fait une richesse, d’un emploi on a fait une
ressource. Comme cela ne marche évidemment pas on a nommé ce ratage, la crise,
et on a fait de la fuite en avant en cherchant de nouveaux marchés, en
inventant la concurrence, l’austérité et le nouvel esclavage dans l’espace
qu’est la mondialisation.
Pour faire croire que l’augmentation de
la production était augmentation de richesse on a simplement fabriqué du
contre-don utilisable à tout moment. Plus on fabriquait de la monnaie plus on
faisait croire que les productions étaient des richesses sans que personne ne
s’appauvrisse pour le reconnaitre. Depuis le début du XXe siècle, par cette
inflation dans son vrai sens, on a sans arrêt dévalué toutes les monnaies par
rapport à l’or. Dans les années 70 on a même cassé le thermomètre en
déconnectant les monnaies de l’or et l’erreur est devenue encore moins
facilement perceptible. N’étant dorénavant liées ni à l’or ni au travail humain
utile qu’étaient le don et le contre-don, les monnaies ne sont plus limitées
dans leur fabrication et elles se sont donc toutes totalement dévaluées.
Aujourd’hui les monnaies ne valent plus rien. Il n’y a que les peuples qui ne
le savent pas. On a oublié que la monnaie n’était une énergie que parce qu’elle
était contre-don d’un travail utile. Elle était et n’est plus stockage de
travail humain. Pour retarder cette prise de conscience on a remplacé la
coopération par la concurrence et seul le désir de ne pas mourir le premier
empêche une flambée générale des prix. Pour que la fausse monnaie soit utilisée
et pour que les productions continuent à être reconnues comme richesses, elle
est prêtée à tout va en créant un nouvel esclavage, l’esclavage dans le temps qu’est
la dette.
Les
acteurs des déviations
Pour arriver à un tel imbroglio il a
fallu que plusieurs corps s’agrègent pour que la propagande soit
malheureusement convaincante.
Les banques créent la monnaie. Elles ont
d’abord détourné le pouvoir régalien de battre monnaie puis l’ont confisqué aux
États-Unis en 1913 par la création de la FED et en Europe par le traité de
Maastricht et le passage à l’euro. Cœur du système, les banques l’ont créé et
l’entraîneront dans leur chute. C’est la bête de la mer de l’Apocalypse « Et
toute la terre était dans l’admiration derrière la bête » Ap
13,3.
Les medias et
leur propriétaire, la publicité, prennent au peuple la monnaie nécessaire à lui
faire croire par le plaisir qu’il est possible d’être heureux sans vision.
C’est la bête de la terre de l’Apocalypse, celle qui « faisait que la terre et ses
habitants adoraient la première bête » Ap 13,12. « Elle séduisait les habitants de la terre
par les prodiges qu’il lui était donné d’opérer» Ap
13,14.
Les multinationales et la science
économique donnent au peuple de quoi survivre et payer la publicité. On a
inventé la science économique qui a remplacé le bon sens par une logorrhée
déguisée en mathématique et qui a délivré des diplômes sanctionnant les
étudiants qui avaient répété sans comprendre tout ce qu’on leur avait embecqué.
La science économique cherche sans succès à démontrer qu’il y a des solutions
hors bon sens. Elle est la référence officielle nobélisée des deux erreurs sur
l’augmentation de la richesse par l’augmentation de la production et par
l’augmentation des échanges.
La science économique a envahi les
multinationales qui, déconnectées de la réalité, ont besoin des banques pour
cacher leurs pertes. Les multinationales font de la cavalerie entre elles pour
dégager des bénéfices fictifs. Grâce au principe irréaliste de pérennité de la
comptabilité, elles peuvent présenter en toute légalité, des passifs
sous-évalués et des actifs surévalués.
La recherche et l’innovation. La recherche récupère de belles
intelligences déboussolées et les met au service de qui la paye sans se
préoccuper d’où vient l’argent, du vrai but recherché et des deuils que les
innovations généreront. La recherche vit dans le cercle fermé « demain paiera
et demain sera mieux grâce à l’innovation ».
Les politiques, pour ne pas faire trop travailler au présent les
électeurs-consommateurs, veulent faire travailler le passé par l’augmentation
de la ponction fiscale, faire travailler le futur par l’augmentation de la
dette et faire travailler les autres par la balance commerciale excédentaire.
Si la balance commerciale est déficitaire on fera travailler davantage le passé
et le futur, c’est-à-dire les électeurs-consommateurs et leurs enfants. Les
politiques nous ont construit un pays de Cocagne illusoire fondé sur
l’esclavage dans l’espace qu’est le mondialisme et sur l’esclavage dans le
temps qu’est la dette, un eldorado où l’homme n’aurait plus à travailler mais
la partie des peuples encore au travail vit de plus en plus mal de recevoir
systématiquement sur la tête le marteau que leurs dirigeants ont envoyé en
l’air pour que leurs électeurs ne se fatiguent pas.
Les
spectateurs des déviations
Les peuples changent leurs dirigeants chaque
fois qu’ils le peuvent et constatent que tout empire. Mais ils ont été formatés
à croire à l’esclavage dans l’espace pour payer moins cher et à l’esclavage
dans le temps pour ne même plus se poser la question du « Qui paye ? ». On les
a même formatés à limiter dans leurs têtes l’esclavage au vilain esclavage des
gentils noirs par les méchants blancs.
Les intellectuels sont en voie de disparition. Les derniers spécimens
comme Michel Onfray disent « Le bateau coule,
mourez debout ». D’autres comme Jacques Attali se réfugient dans la
logorrhée en fondant tout sur le marché, la démocratie et l’initiative
personnelle. Mais le marché dit que l’homme ne vaut plus rien depuis que
l’humanité est passée en deux siècles de 1 à 6 milliards d’individus alors que
la démocratie dit rigoureusement l’inverse en faisant semblant de sacraliser
l’individu. Le message intellectuel d’Attali traduit en français n’est que «
Débrouille-toi entre moins l’infini et plus l’infini ». Les religions par une absence d’analyse
incroyable, se sont autos réduites au monde des Bisounours
sans vision, sauf une partie de l’Islam qui, sur une lecture littérale du Coran
soigneusement éludée, enflamme encore.
III
- Les axes de solutions
Non par calcul mais par simple
sédimentation des médiocrités dans une société sans vision, nous avons
construit une société monstrueuse et totalement instable. Nous assistons même à
la querelle désolante bien que sans doute de bonne foi entre ceux qui comme
l’Union Européenne veulent plus de mondialisation pour avoir moins de dettes,
et ceux qui comme Mélenchon & Co, veulent plus de dettes et moins de
mondialisation. Il nous faut pourtant répondre à la question dramatique à
laquelle nous sommes chaque jour davantage confrontés et qui est de savoir s’il
y a un autre moyen que la guerre pour nous remettre les yeux en face des trous.
Y répondre positivement est le devoir des générations actuelles.
La direction pourrait être celle-ci
:
1° Expliquer ce qui se passe à un peuple
perdu, anesthésié et étourdi pour lui redonner une vision, le réveiller et le
dégourdir. Redonner en premier lieu sa place à la coopération face à la
concurrence et ensuite leurs places aux devoirs face aux droits, au travail face
à la dette, à la fraternité face à la solidarité, à la rigueur face au laxisme,
au réalisme face au rêve.
2° Retrouver notre souveraineté pour
pouvoir agir.
3° Ne pas importer plus que ce que nous
exportons et fabriquer en France, même plus cher, ce que nous importons sans
être capable de le payer. C’est l’esprit de la charte de La Havane et de
l’Organisation Internationale du commerce, mère de la parricide Organisation
Mondiale du Commerce. Donner par ces décisions conformes à l’O.I.C. mais
opposées à l’U.E. et à l’O.M.C., du travail à tous les nationaux qui en
demandent, par la création d’entreprises de production à capital mixte
public-privé.
4° Une fois les Français au travail,
rééquilibrer petit à petit pour faire payer par le présent ce qui est consommé
au présent en renonçant à faire payer le passé par l’impôt et le futur par la
dette. Là est évidemment le plus gros problème mais qui ne pourra être abordé
que lorsque les trois premiers points auront été réalisés.