Par Luc BEYER de
RYKE
Sauvés par le
gong ! Ceux qui redoutaient de voir arriver un président d’extrême droite en
Autriche sont soulagés. Provisoirement.
S’il est vrai qu’on assiste à un
glissement et même à l’arrivée d’un pouvoir jusqu’ici partagé de
l’extrême-droite dans plusieurs pays, chaque situation mérite d’être analysée.
Lorsque je siégeais au Parlement européen dans les années quatre-vingts, ce qui
se passait en Autriche pouvait inquiéter. Simone Veil, qui présidait le groupe
Libéral, y dépêcha un de ses collaborateurs, un néerlandais. Il avait pour
mission de la renseigner – et par là-même le groupe tout entier – à propos des
dérives du « libéralisme » autrichien.
Jörg Haider entrait en scène. L’homme
séduisait. Il avait le physique d’un acteur de cinéma. Il assumait le passé,
louait les réussites sociales du National-socialisme et le sacrifice des
Autrichiens tombés au front de l’Est... et ailleurs. L’Anschluss n’était pas
loin. Contrairement à l’Allemagne qui s’était livrée à un examen de conscience,
l’Autriche s’y était refusée. En tout cas une partie d’entre elle. Revisitant
ma bibliothèque j’y ai retrouvé un livre publié chez Fayard il y a seize ans.
Il s’intitule Vienne, chemises bleues. Je l’ai relu. L’auteur s’appelle Milo
Dor. D’origine serbe, il est hanté par son passé. Résistant en Yougoslavie, il
est capturé en 1942 et déporté à Vienne. Ayant survécu, après la guerre il
acquiert la nationalité autrichienne. Il devient dans sa nouvelle patrie un
écrivain connu et reconnu. À l’arrivée de Jörg Haider il redoute et dénonce une
Autriche, selon lui, revenue à ses démons pangermanistes et dictatoriaux. Il
écrit alors son Vienne, chemises bleues. C’est un roman d’anticipation très
engagé politiquement. On y voit une Autriche tombée sous la coupe d’un « führer
» nommé Haselgruber. En lui, caricaturée et forçant
le trait, on pouvait reconnaître la figure charismatique de Jörg Haider. En
pleine ascension ce dernier était pourtant loin du pouvoir. Mais il convient de
nuancer. Loin du pouvoir central. Par contre la Carinthie, le Burgenland,
s’étaient donnés à lu et, après les divisions du FPÖ et sa mort accidentelle
lors du dérapage de sa voiture, à ses successeurs. N’oublions pas
qu’aujourd’hui Norbert Hafer a obtenu 58,1 % des voix
en Carinthie et, dans la circonscription de Brunau où
naquit Adolf Hitler, 59,6 % des suffrages.
Quels enseignements pouvons-nous en
tirer ?
Le FPÖ n’est pas le
FN
Ce serait une erreur d’y voir un «
copier-coller » d’une Autriche hitlérienne. Le pangermanisme ne figure pas au
programme du FPÖ. Le parti s’est rallié depuis longtemps à « l’Autriche ». Il
se réclame d’une « tradition chrétienne » compatible avec la laïcité. Il
s’oppose à la peine de mort et parle d’enrichissement pour le pays en désignant
des minorités dont même les Roms ne sont pas exclus. Sur le plan économique il
se dit en faveur d’une économie de marché tempérée et corrigée par une approche
sociale. Marine Le Pen pourrait s’y reconnaître. Elle le fait d’autant plus qu’il
s’agit de « compagnons de route » au Parlement européen. Elle salue cette
victoire annonciatrice de « succès futurs ailleurs dans le monde ». Suivez son
regard... Son optimisme paraît pourtant excessif.
L’afflux des migrants, aujourd’hui
freiné voire stoppé en Autriche, a contribué à nourrir et gonfler la lame de
fond de l’extrême-droite. Ce n’est pas, jusqu’ici, le cas en France. Même
Jean-Luc Mélenchon face à David Pujadas s’est montré
plus qu’évasif. Et surtout il existe entre le FPÖ et le Front National une
différence majeure. Personne, même parmi ses adversaires les plus résolus, ne
conteste la capacité de gouverner du FPÖ. Il fut d’ailleurs en coalition sur le
plan national avec les démocrates-chrétiens de l’ÖVP et il l’est actuellement
en Carinthie avec les socialistes du SPÖ.
Le nouveau chancelier (1) socialiste ne
sait pas comment s’y prendre avec ses « rebelles » carinthiens.
Et Alexander Van der Bellen, le président élu sur le
fil du rasoir, s’est bien gardé dans ses propos « victorieux » d’évoquer un
sujet aussi délicat. En un mot comme en cent, en Autriche, le FPÖ n’est pas
seul. En France le FN s’approche du pouvoir mais il n’y est pas. Il lui faut
briser le plafond de verre. Il lui faut pour investir les palais nationaux une
majorité. Et le ferait-il, ce dont on peut douter,
pour gouverner il faut des alliés. Il n’en n’a pas. En tout cas jusqu’ici.
Voilà en quoi, à partir d’avancées, de
succès, voire de triomphes, l’Autriche et la France sont fort différentes.
(1) C’est ainsi que se nomme le Premier
ministre.