par Christine ALFARGE
« L’Europe peut-elle se
faire sans la Russie face aux extrêmes et la crise régionale ? »
Lors de son voyage en Russie en juin 1966, le Général de
Gaulle a jeté les bases de la politique de détente qui marquera la fin de la
guerre froide. Ce sera le vrai départ des relations franco-russes. À cette
époque, le Kremlin freine la libéralisation initiée par Khrouchtchev mais tente
de s’ouvrir à l’extérieur. Il existe alors une volonté de rapprochement entre
la Russie et la France. Cinquante ans après la visite du Général de Gaulle en
Russie, son image et ses idées suscitent autant d’admiration comme son
excellence l’ambassadeur Alexandre Orlov le souligne, « les relations furent
notamment marquées par deux accords de coopérations fructueuses en science
aéronautique et spatiale ».
Le 26 juin 1966, le président français s’entretient en aparté
avec Leonid Brejnev secrétaire général du PC et Alexis Kossyguine, président du
Conseil des ministres, en présence de Maurice Couve de Murville,
ministre des Affaires étrangères, à l’ambassade de France à Moscou. En
observateur averti et fin connaisseur de la politique étrangère de la France,
S.E. l’ambassadeur Alexandre Orlov se souvient de l’instant où il a eu la
chance d’apercevoir le Général de Gaulle lors de sa visite en Russie.
Le 30 juin 1966, à Moscou, le président déposera une couronne
à la mémoire des pilotes français de l’escadron « Normandie-Niemen », symbole
de la coopération entre armées française et russe contre les nazis. Il faut se
rappeler que c’est en 1941 que le Général de Gaulle, au nom de la France libre,
propose à Staline l’envoi d’une formation combattante en Russie, le groupe
d’aviation de chasse GC-3 Normandie. Arrivés fin 1942 en Russie, les
quarante-trois premiers volontaires français combattent aux côtés du 18e
régiment de chasse de la garde russe.
Jusqu’à la fin de la guerre, le GC-3 Normandie devenu le «
Normandie-Niemen », participe à trois campagnes majeures contre les armées
allemandes. « Normandie-Niemen », une des grandes pages héroïques des Forces
Françaises Libres, permet au Général de renforcer sa crédibilité en des temps où
il en a un besoin urgent.
Au regard de l’histoire, S.E. l’ambassadeur Alexandre Orlov
pense que : « Grâce à l’action et aux idées du Général de Gaulle, la France
a joué un rôle primordial avec une politique indépendante faisant d’elle un
partenaire naturel. Quand on est indépendant, on est respecté et écouté. »
Il ajoute : « On dit, c’est la fin d’un monde bipolaire avec la fin de l’union
soviétique. En réalité, on se dirige vers un monde multipolaire qui prendra
beaucoup plus de temps que l’on pensait. Quand il y a des problèmes majeurs, ce
monde bipolaire revient de temps en temps ». Il regrette que « l’Europe ne
joue pas le rôle qu’elle devrait, néanmoins elle est un partenaire privilégié
culturellement ».
Avec une vision optimiste, son excellence Alexandre Orlov
prononce ces mots : « C’est notre avenir, il y a une continuité naturelle et
un espoir commun, le rêve russe. »
En janvier 2014, le président Vladimir Poutine a proposé à la
Troïka européenne de bâtir un pôle important économiquement, commercialement et
énergétiquement. Selon S.E. l’ambassadeur Alexandre Orlov : « les Américains
ont travaillé pour empêcher ce rapprochement entre la Russie et l’Europe mais
tôt ou tard, nous allons construire la grande Europe. »
Quelle évolution de l’embargo européen sur la Russie ?
Par les sanctions économiques qu’elle impose à la Russie,
l’Europe prend le risque d’une montée aux extrêmes, renforçant le nationalisme
russe. Pour son excellence Alexandre Orlov, « Aujourd’hui, on ne négocie
plus rien, si on n’est pas d’accord, on se tape sur la tête. La seule instance,
c’est les Nations unies qui veulent le droit. Nous espérons que les Européens
vont comprendre le jeu des Américains. Au regard des accords de Minsk,
l’Ukraine n’arrive pas à remplir ses engagements, aucun point n’est réalisé ».
Cependant, son excellence l’ambassadeur Alexandre Orlov reste
optimiste et dit : « Ce n’est pas pour tout de suite. » Selon lui «
la France a cédé la place à l’Allemagne, en même temps que les problèmes
éclatent en dehors de l’Europe, l’Allemagne est absente. La force de
l’Allemagne repose sur son industrialisation. Pendant qu’elle produit de la richesse, les autres pays ne
font que distribuer les produits ailleurs. Si l’Allemagne disparaît, l’Europe
disparaît. Quant à la France, elle a toujours eu ce rôle d’endosser la place de
puissance avec toute son histoire. Cependant, il faut la volonté politique ».
Selon S.E l’ambassadeur Alexandre Orlov : « Tôt ou tard,
nous serons menacés, est-ce que l’Europe va suivre le chemin vers la Russie
pour subsister mille ans ? Pour cela, il faudrait qu’un autre de Gaulle naisse.
La plupart des hommes politiques n’ont pas de vision stratégique, le président
Vladimir Poutine a une vision. Les Russes font référence au Général de Gaulle pour
cette même vision et le respect des intérêts communs. Nous ne voulons pas être
envahis, nous devons nous protéger. Un jour, les Européens devront créer une
organisation qui nous réunisse tous ».
Rien ne serait plus dangereux que de tourner le dos à la
Russie et l’isoler, le problème des minorités nationales à commencer par les
minorités nationales russes peut devenir une future source de tensions et de
conflits avec le risque majeur d’une nouvelle guerre mondiale. La Russie est un
pont entre l’Europe et l’Asie, une nation indispensable à la paix et
l’équilibre du monde, un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité et
la deuxième puissance nucléaire mondiale. La Russie et l’Europe ont des
intérêts convergents pour des raisons qui tiennent à ce qu’est la Russie, à la
qualité de son peuple, à sa culture. L’Europe a aussi besoin de la Russie pour
des raisons économiques et énergétiques.
La vision du Général de Gaulle était que la
Russie occupe une place centrale, nous nous souvenons tous de sa célèbre
expression : « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». Comme l’évoquait
précédemment son excellence Alexandre Orlov, le Général de Gaulle fut à
l’initiative de grandes coopérations entre la Russie et la France. Pour notre
avenir commun, notre souhait est de contribuer à son évolution économique et
son développement industriel en renforçant les liens culturels entre nos deux
pays. Cela implique aujourd’hui la fin de l’embargo contre la Russie, une
mesure contreproductive pour laquelle une résolution sur la levée des sanctions
vient notamment d’être proposée et votée majoritairement par l’assemblée
nationale française contre l’avis même du Gouvernement.
L’amitié franco-russe pour laquelle le Général
de Gaulle n’a cessé d’œuvrer, est historique. Sa continuité est naturelle dans
un espace commun européen et en particulier la France. À ce titre, l’ouverture
d’une école franco-russe prévue le 1er septembre 2017 à Paris, témoigne d’une
volonté de promouvoir un bon enseignement de la culture russe facilitant pour
l’avenir des échanges fructueux entre nos deux pays sur leurs intérêts communs
et la même vision de vivre dans une Europe en paix.