Par Marc DUGOIS
Le problème est difficile car nous vivons au-dessus de nos
moyens grâce à deux esclavages, l’un dans l’espace déguisé en libre échange et
l’autre dans le temps que nous appelons l’emprunt ou la dette. Nous avons une
journée contre l’esclavage qui nous rassure mais nous ne vivons dans une
opulence factice que grâce aux deux esclavages qui nous ont donné les avantages
acquis et la protection sociale auxquels nous tenons tant. Comme aucun des deux
esclavages n’est assumé, l’esclavage dans le temps fait monter la dette et
l’esclavage dans l’espace creuse le déficit du commerce extérieur. Au lieu
d’analyser les raisons profondes de la montée de la dette comme de celle du
déficit commercial, nous rêvons à l’inversion de leurs courbes par deux rêves
très médiatisés : la création future de richesses pour rembourser les dettes et
la compétitivité pour mieux vendre. Nous oublions que la richesse n’étant qu’un
regard, elle ne peut pas être créée et que par ailleurs, pour être heureux,
c’est sur l’axe de la coopération et non de la compétition qu’il faut avancer.
Bien sûr, comme on ne touche pas aux causes et comme un rêve n’a jamais changé
la réalité, les effets restent. La dette continue de monter et le déficit du
commerce extérieur continue de se creuser. La parenthèse actuelle de diminution
du déficit ne vient que de l’effondrement des prix du pétrole et n’est
malheureusement en aucun cas une inversion de tendance.
Comment s’étonner alors que pour payer deux fois ce que nous
consommons, une fois pour payer les esclavagistes dans le temps, les
milliardaires de la finance, et une fois pour payer les esclavagistes dans
l’espace, les milliardaires asiatiques, nous nous sommes vite aperçus qu’il
fallait investir dans des usines délocalisées ou dans des machines sur notre
territoire car les machines, elles, n’ont ni avantages acquis ni protection
sociale. Les deux, bien évidemment, font monter le chômage. Une baisse de la
consommation s’ensuit donc et les politiques peuvent enfin se croire utile en
s’écharpant pour savoir s’il faut relancer l’économie par la consommation ou
par l’investissement, par la demande ou par l’offre.
Et si on se réveillait ?
Le chômage montera avec la dette et le déficit tant que les
Français accepteront de vivre au-dessus de leurs moyens grâce aux deux
esclavages comme nous le faisons depuis 50 ans. Il y a plusieurs moyens
d’arrêter cette triple et sinistre ascension.
Le premier moyen est un leurre après lequel courent nos
dirigeants comme leur opposition. Il s’agit de faire semblant et de faire
croire comme le font admirablement les médias que la croissance arrive et
qu’elle apportera l’emploi tant attendu. Faut-il encore répéter que la
croissance n’est que l’augmentation des dépenses et non la manne divine à
laquelle ils font semblant de croire. Ce premier moyen a et aura l’inefficacité
que l’on connait puisque personne ne se demande jamais qui paye la croissance.
Certains voudraient même faire croire que ce serait elle qui se paierait
elle-même.
Le second moyen, efficace, radical et immédiat, c’est la
guerre qui arrête d’un coup les emprunts comme les transports. Elle met les
peuples en face d’eux-mêmes et les contraint à l’humilité, au courage et au
discernement. Elle s’installe d’elle-même sous n’importe quel prétexte quand
elle devient indispensable pour pallier la difficulté des peuples à se remettre
en question et le manque d’humilité, de courage et de discernement de leurs
dirigeants. La guerre a rempli sa tâche deux fois au XXe siècle et à chaque
fois, en mourant, la guerre a ouvert une fenêtre au bon sens que nous avons
unanimement saisie puis très vite lâchée pour nous complaire à nouveau dans nos
égoïsmes et nos querelles.
Le troisième moyen est évidemment le plus délicat mais le
seul à être efficace hors la violence. Il commence par se fonder sur le bon
sens que les lucarnes post guerrières de 1945 à 1948 nous avaient permis
d’entrevoir et qu’unanimement nous avions accueilli pour prôner la coopération
et non la concurrence et la compétition, le respect de l’autre et non sa simple
apparence en voulant lui imposer notre vision du beau, du bien et du vrai,
fondement d’une civilisation mais pas de l’humanité entière. « Vérité en deçà
des Pyrénées, erreur au-delà » et « Quel est cette vertu qu’un trajet de
rivière fait crime » disait déjà Montaigne.
Sur un plan extérieur c’est la Charte de La Havane qui refusait
l’esclavage dans l’espace et qui imposait d’un commun accord à tous l’équilibre
de la balance des paiements pour qu’aucun pays ne paye pour les autres.
L’application actuelle de son esprit, refusant d’importer plus que ce que nous
exportons, est la seule façon réaliste, hors la guerre, de redonner du travail
aux Français qui devront fabriquer les dizaines de milliards d’euros du déficit
commercial actuel. Mais ce n’est pas pour autant la panacée.
Son application navrera les milliardaires asiatiques mais les
milliardaires financiers, les tenants de l’esclavage dans le temps, chercheront
par tous moyens à nous y faire renoncer comme ils nous ont formatés à oublier
l’OIC pour ne penser qu’OMC qui prône la compétition. Ils nous diront que les
prix vont exploser et que nous vivrons collectivement et matériellement
beaucoup moins bien et ils auront raison puisque l’un des deux esclavages sera
clos et que nous devrons travailler nous-mêmes.
Se posera alors un problème beaucoup plus difficile à
résoudre. La dette ne payant plus la consommation et le travail l’ayant à
nouveau remplacée, les Français devront en tirer deux conséquences. Il nous
faudra d’abord être créatifs pour fabriquer à nouveau
tout ce que nous nous interdirons d’importer et que nous ne savons plus
produire; la créativité de notre peuple y pourvoira. Mais il nous faudra aussi
faire des choix pour savoir à quoi renoncer dans tout ce qui structure le faux
Eldorado dans lequel on nous a fait croire que nous pouvions vivre. Les
milliardaires de la finance avec leurs médias et leurs communicants, aidés par
certains politiques et certains intellectuels, feront tout pour que nous
continuions à rêver.
La question sera alors de savoir si nous préférerons
continuer à bien vivre en étant par lâcheté les complices objectifs de la
guerre qui s’installera sous le premier prétexte venu. Ne laissons pas la
guerre faucher nos enfants parce que nous aurions préféré regarder
ailleurs.
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