par pierre CHASTANIER
Bon nombre d’hommes et de femmes de ma génération ont vu dans
la construction européenne l’opportunité donnée à la France et à sa vieille
ennemie l’Allemagne d’entrer dans une paix durable où, à l’ère des continents
organisés, ces deux vieux pays pourraient se développer ensemble tout en
s’affranchissant des tutelles russe ou américaine.
C’était l’Europe des 6, des Nations qui comptaient, qui
avaient presque été détruites par deux guerres mondiales, qui à la différence
de l’Allemagne de l’Est et des pays d’Europe centrale, avaient échappé au
communisme sans pour autant, comme les Anglais, rester soumis à la férule
américaine.
Pourtant dès 1954, l'échec de la Communauté Européenne de
Défense mettait fin à tout espoir
d'intégration politique rapide de l'Europe occidentale. L’avenir ne serait donc
qu’économique ! L’élargissement aux pays d’Europe du Nord (Royaume-Uni, Danemark
et Irlande) de 1973 allait déséquilibrer cette union qui dut attendre 1986 pour
être complétée par l’arrivée des pays d’Europe du Sud (Espagne et
Portugal).
Le choix fait par les Eurocrates de l’élargissement incessant
plutôt que de l’indispensable approfondissement allait provoquer au cours de
différentes étapes de la construction de l’Union (traité de Maëstricht, traité
de Lisbonne, zone Euro, espace Schengen) des dissensions telles qu’on en est
venu aujourd’hui chez beaucoup, à un euroscepticisme incurable allant pour
certains jusqu’à vouloir sortir de l’Union (les Anglais par exemple) même quand
à l’évidence ils en seront les premières victimes.
Le moins qu’on puisse dire c’est que peu d’Européens croient
encore à l’Europe.
60 ans après le traité de Rome :
*l’absence de convergence économique, fiscale et
environnementale qui seule permettrait que la libre circulation des personnes
et des biens réclamée si ardemment par des forces capitalistiques puissantes se
fasse dans le cadre d’une concurrence non faussée ;
* l’absence de politique européenne digne de ce nom pour les
questions de défense et de politique étrangère ;
* l’incapacité de résoudre un problème grave comme celui des
migrants juste après le psychodrame de la Grèce ;
* les promesses insensées faites aux Anglais pour essayer de
les retenir ;
*les mouvements centrifuges constatés dans plusieurs pays de
l’Union sous l’action de Nationalismes exacerbés ;
* la perte de vigueur du couple franco-allemand.
Tout cela n’incite guère à l’optimisme et le modèle européen
est si peu démocratique (Parlement élu sur scrutins de listes, Commission
omnipotente aux avantages indécents, éclatement des institutions entre
Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg, Frankfort et La Haye) que le sauvetage de
l’Europe au lendemain d’un rejet suicidaire des Britanniques en Juin
s’avèrerait bien difficile.
D’autant qu’Irlandais et Ecossais réagiraient sans doute
différemment. Quelle cacophonie !
En France, les glapissements du Front National, résonnent sur
des masses peu informées des conséquences d’un retour au franc (qui ferait
immédiatement flamber une dette colossale exprimée en euros alors que la dette
anglaise est exprimée en livres) et l’Europe a si peu su se faire aimer des
peuples européens en voulant se mêler de tout, à l’encontre du Principe de
subsidiarité pourtant formellement prévu dans les traités, que peu de gens
voudront la défendre, reprenant l’air connu de la souveraineté dans un monde
qui n’a pourtant jamais été aussi ouvert.
Faut-il sauver l’Europe ?
Oui, je le crois sincèrement.
Mais pour cela il faudra revenir au cadre plus étroit des
pays qui veulent véritablement coopérer à cette construction européenne :
*politique étrangère commune notamment vers la Russie, le
Moyen-Orient et l’Afrique nos plus proches voisins ;
*politique de défense intégrée (sur les conflits extérieurs
comme dans la lutte intérieure contre le terrorisme) ;
*principe de
subsidiarité inviolable délimitant très précisément le champ d’application des
pouvoirs respectifs nationaux et communautaires ;
*convergence économique sociale et fiscale fortement
accélérée ; gestion commune de
l’euro au service de l’économie et de l’emploi.
Il faudra cesser de faire l’Europe contre les peuples :
* élection d’un président européen-arbitre du Conseil des
chefs d’Etats et de Gouvernements ;
*Election d’un Parlement représentant les nations et d’un
Premier ministre issu de la majorité parlementaire ;
*démocratisation des instances communautaires ;
*politique éducative favorisant l’intégration (échange de professeurs,
enseignements bilingues, stages obligatoires européens intégrés à la scolarité,
service militaire européen brassant la jeunesse) ;
*intégration économique des grands secteurs d’indépendance
(agriculture, communications, numérique, industries stratégiques) ;
*emploi pour tous (salarié, formation ou emploi non marchand
d’intérêt général en échange du soutien social) ;
*bien-être social unifié (santé, aides sociales,
retraites).
Pour cela il faudra bien à l’heure de la débandade qui
approche que s’unissent ceux qui se veulent Européens et qui sont prêts à agir
fortement pour que naisse une confédération européenne qui à l’instar de la
confédération suisse voisine démontrera qu’on peut vivre ensemble et travailler
ensemble tout en restant maître chez soi pour les choses qui ne concernent pas
les autres.
Même s’il faut pour cela dire à regret à nos amis
britanniques, paraphrasant la bataille de Fontenoy :
« Messieurs les Anglais, tirez-vous les
premiers ! »