Plaidoyer, réquisitoire NICOLAS SARKOZY

« La France pour la vie »

par Luc BEYER de RYKE

     L orsque Nicolas Sarkozy a sorti son livre La France pour la vie*, il a fait le « buzz » pour emprunter le mot du monde médiatique. Qu’on l’aime ou non, il ne laisse pas indifférent. S’inscrit-il dans l’héritage gaulliste ? On peut en débattre. Pour ma part je le situerai bien plus dans une filiation chiraquienne et balladurienne. Il le dit lui-même avouant avoir partagé avec Chirac des relations « passionnelles et complexes ». Sarkozy avait vingt ans lorsqu’il l’a rencontré. « Il a donc fait partie de ma vie » et ajoute-t-il « je ne serais pas engagé en politique sans lui ». Aussi lorsqu’aux présidentielles il se range derrière Balladur il dit comprendre « la fureur » de son mentor. Il explique sa « trahison » parce qu’il reproche à Chirac sa propension à changer de discours et de convictions.  

Mais les orages n’ont pas éteint « l’affection et le respect » qu’il lui voue. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire Nicolas Sarkozy, n’exécute pas ses rivaux. En tout cas la plupart d’entre eux. Même s’il se glisse une épine en parlant  « d’un tempérament complexe et plus secret que je ne l’aurais imaginé » pour François Fillon, « si c’était à refaire, je choisirai le même Premier ministre... ». Avec Dominique de Villepin il s’est réconcilié après la ravageuse affaire Clearstream. « Il est de ceux dont nous avons besoin ». Se retournant sur son passé il évoque les affrontements destructeurs pour la droite française entre Chirac et Giscard, Chirac et Balladur. Jeune, il a été marqué par le départ difficile de Giscard. 

L’épisode de la chaise vide, les quolibets de la foule et les sifflets de la rue Saint-Honoré. Cela « malgré toute son intelligence ». Il dit avoir « beaucoup de respect » pour lui mais se remémorant ce moment pénible venue l’heure de son propre départ, « mon obsession était der la réussir ». Ce fut le cas... Rassemblant mes propres souvenirs je revis ses adieux à la Mutualité. Ils furent émouvants et d’une très grande dignité. Par contre la passation des pouvoirs à l’Élysée laisse un souvenir empli d’amertume. Du fait de François Hollande et, selon l’auteur, de son « art consommé de la dissimulation ». Amical en privé, glacial sur le perron de l’Élysée et à l’égard de Carla Bruni « d’une froideur à la limite de la mauvaise éducation ».  

Les débuts 

Si la « sortie » de Nicolas Sarkozy à la Mutualité fut réussie on ne peut en dire autant de son « entrée » une fois élu Président de la République. Il en a, tardivement, pris conscience et s’explique. il a commis deux erreurs de jugement qui l’on poursuivi jusqu’à maintenant. Il en avoue une, conteste l’autre. Le séjour sur le bateau de son ami Bolloré lui confère avant même de faire son premier pas à l’Élysée l’image d’un président « blingbling » qui ne le quitte pas. par contre l’épisode du Fouquet’s lui semble être un cas de « désinformation ». S’il avait choisi ce restaurant très branché c’est en raison de la proximité avec la place de la Concorde où l’attendait la foule de ses partisans. Sans doute.

Mais pour avoir aussi vécu l’événement je serai plus critique. Moins en songeant au Fouquet’s qu’à la très longue attente qu’il nous infligea. D’où l’image de l’homme qui une fois élu va se goberger avec ses amis en faisant attendre et piétiner celles et ceux qui l’ont élu. Lorsqu’il arriva enfin, lassés par l’attente, nous nous trouvâmes bien malgré nous spectateurs d’un drame familial. Je le revois encore, sur la tribune qui avait été dressée à la Concorde, Cécilia à ses côtés. Une Cécilia figée, rétive, rebelle. Ce livre nous apprend que le matin même elle lui avait annoncé qu’elle allait divorcer. Avec une émotion que l’on comprend, il dit garder « le souvenir d’un grand moment de solitude au milieu de tant de joie et d’espérance collectives ». Au chapitre des « confessions », Nicolas Sarkozy dit aussi « ne pas avoir pris la mesure immédiatement de la fonction présidentielle. Le « casse-toi pauv’ c... » a abaissé la fonction alors que les Présidents de la République « sont des acteurs du roman national ». Mais comme il l’écrit « je suis un combattant ». Et plus loin « j’aime les gens », « je ne serai jamais un monstre froid ». Ce qui le porte à réagir, parfois à contretemps.  

La fuite du temps 

Plus complexe qu’on l’imagine « l’hyperprésident » tel que certains se complaisent à le nommer ainsi confesse très humainement sa crainte de la maladie, de la mort, de l’amour inquiet porté à sa famille. N’était-ce pas Ronsard qui dans un de ses poèmes se désolait : « Ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous qui passons ». La fugacité du temps qui s’écoule semble hanter Nicolas Sarkozy. Lui qui fut longtemps parmi les plus jeunes, tour à tour comme maire de Neuilly-sur-Seine, comme ministre, comme Président de la République découvre être passé dans la catégorie des sexagénaires. « Cela a été si brutal, si rapide. Je ne me suis rendu compte de rien. » 

Cela m’a remis en mémoire une scène à laquelle j’ai assisté il y a longtemps, au début des années soixante. Je me trouvais dans une réunion aux côtés de l’amiral de Gaulle lorsque Nicolas Sarkozy venant de parler est descendu de la tribune pour saluer l’amiral. Et d’un ton un peu surexcité s’adressant à lui : « N’est-ce pas Amiral que je suis jeune ! » cherchant une approbation qui viendrait le rassurer.

Pro-domo et réquisitoire 

En parlant de l’écrit de Nicolas Sarkozy, les médias se sont étendus sur le « livre confession ». Il l’est jusqu’à un certain degré. On y trouve des pages de justification et des passages qui font œuvre de réquisitoire. Justification lorsqu’il dit ne pas comprendre la polémique lorsqu’il évoque  les « racines chrétiennes de la France ». Non sans raison il s’explique : « la France n’est pas chrétienne mais ses racines le sont ». Et de parler avec bonheur du «  long manteau de cathédrales et d’églises » qui la recouvre. Justification aussi à propos des affaires qui lui furent ou qui lui sont imputées. L’affaire Bettencourt qui, pour lui, s’est conclu par un non-lieu et le dossier Byygmalion dans lesquels il assure n’être pas compromis. La justification se meut en réquisitoire lorsqu’il relève le niveau historique » atteint par la dette de la France sous François Hollande. Réquisitoire encore contre les trente-cinq heures assorti du souhait « que la liberté devienne la règle ». Là aussi il y a matière à argumenter, à débattre. L’ancien président consacre quelques pages à la politique d’ouverture qu’il a pratiqué. Elle s’est traduite par l’entrée au Gouvernement de Rachida Dati, Rama Yade et de Fadila Amara pour la diversité, de Bernard Kouchner, Éric Besson, Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Jouyet sur le plan politique. Des choix qui se sont révélés parfois incertains... Est-ce dire que Nicolas Sarkozy est un « rassembleur » ? Pas exactement. 

Il le dit lui-même en exergue de son livre. Il s’en prend à ceux qui plaident pour réunir « les meilleurs de chaque camp ». Cette « politique de rassemblement se heurte au mur de la réalité ». Ce qui peut se discuter.  

Reste qu’on peut estimer aussi, à l’encontre de l’opinion exprimé par Nicolas Sarkozy, que jacques Chirac plébiscité face à Jean-Marie Le Pen, que François Hollande muet devant François Bayrou qui lui avait apporté son appui ont l’un et l’autre manqué l’occasion d’une union nationale, d’un consensus, d’un rassemblement. 

Tel qu’il est le livre de Nicolas Sarkozy mérite d’être lu. Au-delà du plaidoyer pro-domo il ouvre des pistes de réflexion, de contestation, de débat. C’est ce qu’on attend de la vie politique.    

*Éditions Plon, 260 pages, 18,90 €.

 
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