par Paul KLOBOUKOFF
Panique après les 27 %
de voix du FN, « recomposition » sauve-qui-peut
Gaulliste, du moins, je le pense, je ne peux partager les
mêmes avis sur les élections des 6 et 13 décembre que la plupart des « analystes »
et commentateurs qui nous ont gavés de leurs impressions, de leurs
interprétations partisanes ou dictées par le « politiquement correct », plus souvent qu'ils ne les ont étayées par
des chiffres et des arguments précis et significatifs, et qui sont passés (sans
les voir ?) à côté de comportements et d'événements déterminants ou de
résultats marquants. Il n'est plus sourd que celui qui ne veut entendre. Il
n'est plus malvoyant que celui qui refuse d'ouvrir les yeux! Non sans
conséquences inattendues.
Le grand perdant des élections régionales est le Parti
socialiste avec ses alliés. Il présidait 21 des 22 régions. Il ne présidera
plus que 5 « grandes régions », sur les 12 de la France métropolitaine. Il a
perdu, notamment, l'Ile-deFrance,
Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui abritent Paris, Lyon et
Marseille.
Dès l'annonce des résultats du second tour, les représentants
du PS et les médias à leur service ont exprimé un soulagement mêlé de
satisfaction. La gauche avait « gagné » 5 régions. C'était inespéré. Les
sondages avaient fait craindre bien pire. Elle avait « bien résisté ». Une
demi-victoire, en somme ! Rectification : la défaite de la gauche a été sévère.
Elle a pu conserver 2 de ces 5 régions presque par miracle. En
Centre-Val-de-Loire et en Bourgogne-Franche-Comté, elle n'a obtenu que 35,43 %
et 34,68 % des suffrages, contre 34,58 % et 32,89 % à la droite. Elle n'a « gagné » que grâce aux scores élevés, 30 %
et 32,44 %, du FN... qui a puisé dans les réserves de la droite.
En nombres de votes, de présidences et de sièges,
incontestablement, le grand gagnant est l'Union formée par Les Républicains
(LR) et les centristes de l'UDI, qui ont « remporté » 7 régions... avec l'aide
de la Gauche, qui a retiré ses candidatures au second tour de trois régions où
le Front national était arrivé en tête au premier tour, et a commandé à ses
fidèles d'y voter pour les listes de droite.
Ces « Fronts républicains » régionaux ont réussi leur mission, priver le
FN de présidence régionale... et la gauche de représentation pour six ans dans
les Assemblées de deux régions.
Au soir du second tour, c'était « l'échec » du FN, le perdant
de ces élections parce qu'il n'avait « gagné»
aucune région. Il n'avait pas réussi à percer « le plafond de verre »
qui l'enferme dans un rôle d'opposant impuissant. Cela a transporté
d'allégresse les dirigeants des partis qui s'étaient ligués contre lui, ainsi
que les médias et les « personnalités » de tout genre qui avaient participé au
combat contre le diable pour sauver la République, ses Enfants et ses
Valeurs.
Dès le lendemain, et surtout les jours suivants, après le
dégrisement, les chiffres ont commencé à parler. Le ton a changé. Force a été
de reconnaître précipitamment, sinon de découvrir, la forte progression du FN,
qui a gagné 800.000 voix entre les deux tours et a compté 6,8 millions
d'électeurs. Il a joué un rôle déterminant dans ces élections... qui ont sonné
le glas du bipartisme, et le bouleversement, amorcé, de l'échiquier politique
français.
Nombre de pronostiqueurs ont alors vu Marine Le Pen présente
au second tour de l'élection présidentielle de 2017. En face de quel
adversaire? Pour le moment, à gauche, les partisans de primaires n'ont pas la
parole. Un seul candidat socialiste, presqu'officiel, François Hollande, figure
dans tous les sondages. Avec un gros problème. Un sondage TNS Sofres OnePoint réalisé les 14 et 15 décembre a prévu son
élimination au premier tour des présidentielles, que la droite soit représentée
par Sarkozy ou Juppé, et que Bayrou soit candidat ou non (1). Mais les
intentions de vote des électeurs changent du jour au lendemain, c'est bien
connu. Aussi, un autre sondage, réalisé entre le 15 et le 17 décembre par
Ipsos-Fiducial, a donné Le Pen en tête au premier
tour (27 %), loin devant Hollande (22 %), lui-même devant Sarkozy (21 %)...
dans une configuration hypothétique
où Bayrou, l'ami de NS, recueille 12 % des votes, il faut le
préciser. Fillon aussi est sorti au premier tour, avec 19,5 % des voix, contre
23 % pour Hollande. Par contre, si Juppé est candidat, il recueille 30 % des
votes, contre 26 % pour Le Pen et 20,5 % pour Hollande. Tout cela, si les Français
avaient voté dimanche 20 décembre 2015... et non en
avril 2017 (2).
À droite et au centre, des primaires sont prévues, et c'est
compliqué. Peut-il y avoir un candidat autre que Nicolas Sarkozy, François
Fillon ou Alain Juppé ? Pas évident. En tout cas, toujours selon des sondages,
au second tour, Marine Le Pen serait battue, plus ou moins sévèrement, par NS,
FF et AJ. On peut compter sur le « Front républicain» ,
pour cela, l'expérience vient de le rappeler. À cet égard, les régionales ont
été une répétition, un test « rassurant ».
Les régionales viennent aussi de montrer que les clans qui se
présenteront « divisés », avec des candidats concurrents, n'auront aucune
chance. Il n'est plus question de rassembler, de faire l'union ou la synthèse
au second tour. Trop tard ! En cela, l'ascension du FN change considérablement
la donne. Elle provoque de vives inquiétudes dans les « partis de gouvernement
» peu habitués à ce type de « triangulaire » au premier tour des
présidentielles. Elle les pousse à rechercher les possibilités d'élargissements
et, pourquoi pas, à œuvrer vite à une «
recomposition » qui ferait bouger les lignes entre les partis de gauche, du
centre et de droite.
« Hollande et Valls cherchent leur salut à droite. Le couple
exécutif veut croire à la possibilité d'une recomposition politique et
multiplie les appels du pied en direction du centre droit. » (3). Bayrou, qui
ne semble pas avoir disparu des radars, a déjà montré sa sympathie pour
Hollande au second tour en 2012. De nouvelles liaisons s'établissent.
Jean-Pierre Raffarin (ex Premier ministre de Jacques Chirac) a proposé de
travailler avec le Gouvernement de
Manuel Valls sur un « pacte républicain contre le chômage » (4). « OK »,
a aussitôt répondu Valls. Il ne s'agirait cependant pas pour Raffarin d'entrer
au Gouvernement en cas de remaniement au début de 2016, a-t-il
précisé. « Quand je dis travailler, c'est certainement
pas des compromissions, c'est certainement pas un Gouvernement d'union
nationale, c'est simplement de dire : ‘’on est d'accord, droite et gauche, pour
battre le Front national, alors soyons ensemble, d'accord, pour faire en sorte
que la cause du Front national, première, le chômage, soit réglée’’. »
« Régler » le problème
du chômage à l'aide
d'un pacte politique, entre une
droite et une gauche ont failli lorsque chacune d'elle a été au pouvoir...
n'est-ce pas un rêve de politiciens un peu éloignés des réalités ? Même
Hollande semble dubitatif, puisqu'il nourrirait
l'intention de réduire le nombre de chômeurs de catégorie A (ceux qui sont
officiellement décomptés) en augmentant massivement l'effectif des
bénéficiaires d'un nouveau plan d'urgence de formation des chômeurs. De 30.000
en 2014, et 100.000 en 2015, il a déjà été porté en octobre 2015 à 150.000 pour
2016. Il pourrait encore être relevé en janvier à 200.000, voire plus (5)
?
Xavier Bertrand, au nord, et Christian Estrosi, au sud,
redevables au PS et aux électeurs de gauche de leurs « victoires », prolongeraient volontiers cet état de grâce, ce
pacte providentiel, et cherchent quelles compensations leur accorder...
peut-être aussi avec la tentation de fidéliser cette manne de « nouveaux »
électeurs. Et Hollande tente d'approcher ces « protégés ». Au cours d'une
interview à la presse européenne, Jean-Christophe Cambadélis,
premier secrétaire du PS, lui, a appelé
le centre à se « détacher de la
droite » pour participer à un « bloc républicain » dont le PS sera le « centre
de gra- vité » (6). Bref,
d'ici avril 2017 ça va bouger,
grouiller, grenouiller, magouiller comme aux plus beaux jours, avec le FN
toujours dans la ligne de mire, pour les uns, en embuscade, pour d'autres.
De son côté, pour 2017, Marine Le Pen veut rassembler les «
patriotes » autour de son parti. Un front national contre un front républicain
: tout un symbole ! Des sujets ont été peu ou pas abordés au cours des
régionales, et parmi ceux-ci, la gouvernance économique de la France, son recul
dans l'UE et dans le monde, la compatibilité (?) de notre « modèle social
libéral » avec une mondialisation sauvage et la dé
protection des pays de l'Union, Schengen...
Des « biscuits » en réserve pour le FN. Nous verrons quelques
illustrations de ces faiblesses en fin d'article.
Une « recomposition » politique ? Oui ! Mais pas n'importe quoi, à la
sauvette
Pour beaucoup de politiciens et de commentateurs, le vote FN
reste un vote de protestation et de rejet. Si on additionne ce vote avec les
abstentions et les votes blancs et nuls (au premier tour des régionales), on
observe que 65,4 % des inscrits sur les
listes électorales, mécontents et/ou indifférents, ne souscrivent pas à «
l'offre » des « partis de gouvernement » et des autres partis dits «
républicains ». Cette offre ne répond pas à la demande.
Une recomposition politique est donc souhaitable, en effet,
si elle ne se limite pas à une « redistribution » de l'électorat entre des
recombinaisons de partis sur des territoires modifiés à loisir. Une révolution
des mentalités et des comportements,
véritables repoussoirs aux yeux des Français, est nécessaire, surtout
aux sommets de la classe politique. La « recomposition » doit être en résonnance avec ce qu'est et ce que
veut être la France. Avec le respect de l'égalité en matière de représentation
des citoyens dans les instances politiques nationales, régionales, locales. Une
révision des modes de scrutin est nécessaire et inévitable. Il n'est plus acceptable qu'un parti qui réunit
plus du quart des électeurs ne puisse être représenté que par deux élus à
l'Assemblée nationale, par exemple... et, comme le souligne François Bayrou,
que le PS et LR soient surreprésentés, ne laissant aucune place au centre, aux
Verts et aux extrêmes. Et à Debout la France, non plus ! Je l'ai entendu le 20
décembre sur BFMTV dire que Hollande « trahit ses engagements » en refusant
l'introduction de la proportionnelle dans certains scrutins, rappelant sa
tirade « Moi Président » de l'entre-deux-tours en 2012 face à Sarkozy. De tels
changements attendront une autre majorité.
La Constitution de 1958 a été ciselée sous le Général de
Gaulle, avec « lui Président », pendant la guerre d'Algérie. Mais, tout
président n'est pas de Gaulle, ses successeurs l'ont démontré. Depuis 1958, elle
a été gravement altérée, et son caractère « présidentiel » accentué avec
l'instauration du quinquennat et des dispositions qui l'ont accompagné. Il est
dommageable que notre système « quinquennal » donne les pleins pouvoirs à un
parti, à une « majorité présidentielle », pendant cinq ans, sans qu'aucune
remise en question ne soit possible. Même si, usé par plusieurs années d'échecs
et miné par les divisions « internes », il ne représente plus que le quart de
l'électorat. Cette observation critique vaut aujourd'hui. Elle le valait aussi
dans la deuxième partie du quinquennat précédent. Si on ne revient pas à un souhaitable
septennat... non renouvelable, l'institution d'élections législatives à
mi-mandat (comme aux ÉtatsUnis) inciterait l'Exécutif
à « rassembler », et le pousserait à rectifier le tir, à « changer de cap », à
être plus efficace, avant de devenir trop impopulaire et de précipiter une
alternance. Ce serait un « garde-fou » pour la France et les Français... contre
des gouvernances nuisibles prolongées.
Aux yeux de nombreux citoyens, l'État accapare trop de
pouvoirs et des ressources. Aux échelons
en dessous, dans le « mille-feuille » administratif,
c'est l'enchevêtrement, les superpositions, les juxtapositions, les
associations... Pour accroître la
confusion, l'instabilité a été érigée en règle de gouvernance « réformiste
». Qui s'y retrouve et pourquoi voter?
Pour réduire l'abstention, il importe donc de rationaliser, de tailler dans ce
« complexe touffu » et de montrer « simplement » quelles sont les principales
missions, les pouvoirs et les moyens à chaque niveau. Sur ces sujets, on peut se reporter à un ouvrage basique : «
Economie, Economies, Réductions des dépenses, réforme de la pratique politique
» de Georges Aimé et François-Gérard
Guyot, ainsi qu'aux articles de Georges Aimé dans La lettre du 18 juin.
Vu la focalisation de
l'attention sur le FN et son nouveau
rôle majeur, je lui ai accordé une
attention particulière en suivant le déroulement des élections régionales.
Le raz de Marine du premier tour des régionales de décembre
2015
Dans les partis et les médias, chacun a reconnu, à sa façon,
les performances « historiques » du FN le 6 décembre 2015, « Premier parti de
France » autoproclamé, après l'abstention, avec 6,020 millions (Mi) de votes,
soit 27,7 % des 21,708 exprimés. Ses scores ont dépassé un peu les 40 % en
Nord-Pas-de-Calais-Picardie (NPDCP) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), ont
atteint 36 % en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine (ACAL), et plus de 30 % en Bourgogne-Franche-Comté
(BFC), en Centre-Valde-Loire (CVDL), ainsi qu'en
Languedoc-Roussillon-MidiPyrénées (LRMP). Les
électeurs ont ainsi placé le FN en tête dans six régions couvrant largement le
nord, l'est, le centre et le sud de la métropole. Le FN balayé ailleurs, en
Ile-de-France (IDF), en Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) et à l'ouest ? Pas vraiment,
puisque ses scores vont de 21 % à 27 % dans quatre des autres régions et
s'établissent même au-dessus de 18 % en IDF et en Bretagne où le candidat
ministre de la Défense Le Drian a réalisé le
meilleurs score du PS avec 37,5 % des votes.
Pour mesurer l'ampleur de la progression du FN partout en
France métropolitaine, on peut comparer ces résultats du 7 décembre 2015 à des
chiffres comparables, ceux du premier tour des régionales de 2010. Le FN avait
alors recueilli 2,224 millions
de votes, soit
11,42 % des suffrages exprimés. Dans les « 22 anciennes régions », ses meilleurs scores
avaient été obtenus au nord et à l'est, en Nord-Pas-de-Calais (19,8 %), en
Picardie (16,7 %), en Champagne-Ardenne (16,1 %), en Lorraine (12,8 %) et en
Alsace (16,1 %), ainsi qu'en Rhône-Alpes (13,2 %) et en PACA (15,1 %). Des
scores nettement plus faibles avaient été enregistrés dans les Régions «
réfractaires » de la Côte ouest, et notamment en Bretagne (7,8% ), en Pays de Loire (6,2 %), en Poitou-Charentes (5,5 %)
et en Aquitaine (6,2 %).
Qui sont les électeurs du FN ?
Les renseignements sur « le profil type » des électeurs du
FN sont surtout d'ordre statistique. Sur
les votes du 6 décembre, l'étude réalisée par Ipsos/Stopra
Steria, « Comprendre le vote des Français :
sociologie des électorats et profil des abstentionnistes au premier tour des
élections régionales 2015 », est une référence des médias (7).
Elle indique que le FN a fait ses plus gros scores dans les
communes rurales et les petites villes, avec parfois près de/ou plus de 60 %
des suffrages dans des localités de l'Aisne, de Meurthe-et-Moselle, du Var...
L'électorat du FN est surtout masculin, plutôt jeune, actif et « populaire » ; il n'a pas fait de
longues études ; il est constant dans son vote.
31 % des hommes interrogés avant le scrutin avaient
l'intention de voter FN. Ce taux était de 23 % chez les femmes. Seulement 20 %
des seniors de plus de 60 ans
exprimaient des intentions de vote en sa faveur. Au contraire, l'attrait du FN
parmi les jeunes et les actifs se
montrait par des intentions de votes de 35 % chez les 1824 ans, de 28 % chez
les 25-34 ans et de 32 % chez les 3559 ans. 43 % des ouvriers, 36 % des
employés, 35 % des agriculteurs, artisans et indépendants prévoyaient aussi de
voter FN. 36 % des électeurs de niveau inférieur au bac et 32 % du niveau du
bac font partie de l'électorat FN. 92 %
de ceux qui avaient voté pour Marine Le Pen en 2012 prévoyaient de voter FN aux
régionales de 2015.
Ces observations diffèrent peu de celles faites par les mêmes
instituts de sondages en fin mars 2015
au moment du premier tour des élections départementales (8). Le
profil-type ? En résumé, « Il s'agit plutôt d'un homme, jeune, peu diplômé »...
« le FN peine encore à convaincre les plus âgés »... «
parmi les motivations, les plus présentes, deux se
dégagent : la question de l'immigration et celle de la sécurité et de la lutte
contre la délinquance ».
« Dégager » ces
seules motivations était assez réducteur... même après les attentats Charlie Hebdo du 11 janvier.
Le choc a été encore plus violent et d'une autre dimension
lors des attentats du 13 novembre, avec 130 morts et 450 blessés, ainsi que la
peur et la psychose qui se sont installées... en partie grâce à un battage
médiatique qui n'a pu que réjouir Daech. Les
élections régionales se sont déroulées dans un pays en alerte rouge, sous haute
surveillance policière et militaire... renforcée en raison de la tenue à Paris de la spectaculaire COP 21
sur le climat, que les Autorités avaient eu la géniale idée de programmer à la même date que les élections.
Allez savoir pourquoi ?
En outre, de plus en plus mal supportée presque partout, une
immigration massive venue du Moyen-Orient a déferlé sur l'Europe, faisant fi
des « frontières extérieures et
intérieures » de l'UE. Des gouvernants ultra européistes se sont même
enhardis à oser parler de réviser ou « d'actualiser » les accords de Schengen.
Alors, pour des commentateurs médiatisés, l'insécurité et la
peur ont tout de suite été des motivations déterminantes des électeurs du FN.
Vu le profil dévoilé de l'électorat du FN, de sa relative jeunesse ainsi que de
sa forte présence en zone rurale et dans les petites villes, cette explication
ne tient pas route. Elle vaudrait plus pour les électorats de droite et de
gauche, comptant davantage de seniors et plus présents dans les grandes villes,
dont Paris. Puis, avec d'autres
explications, des mea culpa ont été murmurés, chuchotés, par des
dirigeants politiques. Ils n'avaient pas assez bien vu et réagi à la détresse,
à l'insatisfaction... ainsi qu'aux critiques de leurs comportements de
politiciens intéressés, sinon cupides. Ils feront mieux d'ici les prochaines
échéances électorales. Foi d'animal.
Les préoccupations des électeurs du FN sont en grande partie
d'ordre économique. Les régions où les
votes FN ont été les plus forts sont aussi celles où le taux de chômage est le
plus élevé (INSEE) et où de nombreuses
personnes sont en situation précaire. Plus que d'autres, elles ont le sentiment
que la mondialisation et la soumission à Bruxelles desservent la France et les menacent. À cet égard, le FN leur
apparait le plus protecteur. Attaché, aussi à défendre l'identité de la France, à réduire
l'immigration incontrôlée et le communautarisme qui prospère, parfois soutenu, pour des raisons
électoralistes, derrière les paravents de la solidarité, de la « diversité » et
de la laïcité.
Entre deux tours : hystérie, exorcisation,
amputation, excommunication
Bien qu'ayant été anticipés par les sondages, les résultats
du FN au premier tour ont été un électrochoc. Le PS a été pris de panique à la
perspective de la « victoire » possible du FN dans deux ou trois régions. Sous
François Hollande ! Les deux grands prêtres, Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis (premier secrétaire du PS) se sont aussitôt
lancés dans une intense et bruyante campagne de désintoxication, d'exorcisation
du corps électoral saisi par le démon. Avec trois armes fatales éprouvées : 1°
la dramatisation, le dénigrement et l'invective, assortis de la propagation de
la peur parmi les électeurs, menacés de tous les maux, voire de la guerre
civile ; 2° répondant à l'instinct de survie, « le regroupement familial »
autour du PS des petits frères (Front de gauche, Verts..., frondeurs) ; 3° la
sonnerie au Front républicain, habituellement réservée aux grandes occasions,
aux cas désespérés.
Et, sur ce dernier point, le PS a joué avec le feu en retirant ses listes dans trois régions avant
d'avoir négocié des contreparties avec la droite et le centre. En
Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, ou dans le CentreVal-de-Loire,
des régions que le PS a finalement conservées, mais après des triangulaires
serrées à hauts risques.
« Ralliez-vous à mon panache rose », en quelque sorte, s'est aventuré François Hollande. Il s'est heurté a un « Ni ni » (ni Front
républicain, ni Front national) déterminé. Les barons de LR et de l'UDI,
s'étaient rangés à l'avis de Sarkozy.
Tous, sauf Raffarin et NKM. Cela a ravi des médias, qui avec le concours de «
personnalités » médiatiques, ont soutenu l'initiative du PS et ont tenté, sans
succès, d'influencer Sarkozy et les siens (?). Aussi, le Front républicain a
été limité à trois régions. Et encore. En
Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine,
Jean-Pierre Masseret a refusé de retirer sa
liste malgré des pressions indignes d'une démocratie. Il a été excommunié et sa
liste s'est vue retirer l'étiquette du parti. Les gens de gauche ont été priés
de voter pour le candidat de droite. Certains l'ont fait, d'autres, non. En
PACA, le retrait du PS en faveur de Christian Estrosi, ennemi juré, est mal
passé (9). Il n'avait obtenu que 16,6 % des voix au premier tour, contre 40,6 %
pour Marion Maréchal Le Pen. Le second tour a montré que les convictions
personnelles ne pesaient pas lourd face à la « discipline » du parti, qui s'est
aussi imposée dans le nord, où Xavier Bertrand
(LR) a été élu, alors qu'il avait obtenu 25 % % des votes au premier
tour, contre 40,6 % à Marine Le Pen.
L'entre-deux tours a connu une énorme mobilisation des politiciens,
du milieu des médias et du spectacle, des syndicats, du MEDEF... qui sont
tombés à bras raccourcis sur le FN. Au point que cet acharnement a suscité des
(rares) réprobations et des appels à la raison. Le 10 décembre, le philosophe
Robert Redeker (10) a appelé « les politiques à
dépasser les postures pour entendre la voix vivante du peuple qui souffre », et
fustigé « l'antifascisme de confort », de retour, avec les éternels donneurs de
leçons, contre les « salauds des pauvres »...
Le 11, on a pu lire sur le figaro.fr (11) « Régionales : les socialistes
hystérisent la fin de campagne ». L'article pointait, en particulier, le
comportement de Claude Bartolone (président PS sortant de l'Ile-de-France et
président de l'Assemblée nationale) qui a accusé Valérie Pécresse (tête de
liste LR et UDI dans la région) de « défendre Versailles, Neuilly et la race blanche ». Manuel Valls, lui, a
déclaré : « Le Front national est un parti antisémite, raciste, qui n'aime pas
la République et qui trompe les Français. Nous sommes à un moment historique.
Il y a deux options, celle de l'extrême droite qui prône la division et qui
peut conduire à la guerre civile et celle de la République et de ses valeurs ».
Quand on est Premier ministre, de telles outrances sont bienvenues. Elles
rapprochent les citoyens. En retour, Marine Le Pen a brocardé Valls, surnommé «
le matamore des préfec- tures » qui a organisé « le
suicide collectif de la secte PS ». Du haut niveau également ! Pour sa part,
Sarkozy a pu assurer que « le vote pour le Front national n'est pas immoral ».
Cela n'a pas réjoui toute « sa » famille, et risque de lui coûter cher aux
primaires en 2016.
L'avis exprimé le 11 décembre sur figaro.fr/vox (12) par le
journaliste écrivain André Bercoff est très
tranchant. Il estime que « la campagne menée par les socialistes vis-àvis du Front national
est farcesque et grotesque ». Pour lui, chacun aura compris que cette
année, « les régionales sont beaucoup plus que les régionales ». Ce qui
est tout fait vrai. Il dénonce « la tambouille électorale », et note que « le
découpage des apprentis sorciers n'a pas tenu une seconde devant le brutal
retour à la réalité »... Et, « quand on
conjure des citoyens de gauche de voter résolument pour des représentants du
bord opposé, qu'ils conspuaient abondamment il y a encore quarante-huit heures
; quand on accepte que pendant six ans, pas un élu de son propre camp ne siègera
à tel ou tel conseil régional, c'est qu'il y a vraiment quelque chose de
pourri dans le royaume de la soi-disant démocratie des urnes. Ce que
signifie cette campagne de décembre 2015, c'est à la fois l'éloge du reniement
ajouté au déni du réel : cela fait beaucoup pour des millions d'hommes et de
femmes qui auraient encore le toupet d'avoir des convictions ». Et il ajoute :
« Car enfin il faut être clair : quelles que soient les divergences que l'on
peut avoir avec le Front national - et
Dieu sait s'il
en existe - est-il pour
autant un parti factieux ? Antirépublicain ?
Prépare-t-il la France à une dictature auprès de laquelle celle d'un Hitler ou
d'un Staline n'aurait été qu'une aimable
bluette ? »... « De deux choses l'une, ou le Rassemblement Bleu marine veut la
fin de la République et des libertés et l'on vote une loi pour l'interdire, ou
c'est un parti comme les autres et on l'affronte avec les armes de la
démocratie qui ne sont pas, loin s'en faut rouillées et hors d'usage ».
Sur le fond, Il est difficile d'être en désaccord avec des
points saillants de cette « analyse » et cette interrogation. Je n'ai pas
reproduit ici les questions adressées aux bienpensants et aux vertueux « qui
font barrage de leur corps à la bête immonde » en « faisant l'impasse sur les
totalitarismes d'aujourd'hui », et les critiques envers « les princes qui nous
gouvernent ou qui aspirent à le faire », dont les soucis principaux sont leurs
postes, les fromages et le pouvoir.
Réveils douloureux et courbatures après la fièvre au soir du second tour
Répondant aux appels angoissés au sursaut républicain et à la
mobilisation nationale contre le FN le 13 avril, les citoyens ont fait reculer
l'abstention, de 50,09 % au premier tour à 41,59 % au second. 17 % d'électeurs
de plus sont allés voter. Un premier succès pour la démocratie... s’il n'est
pas éphémère.
Aucune région n'a échappé au mouvement. Au premier tour,
l'abstention était de 48 % à 52 % dans presque toutes les régions en métropole.
Au second, entre des taux en forte baisse de 38,8 % à 42,8 %, la dispersion est restée faible. Exception,
l'Ile-de-France (IDF) était la plus mauvaise élève, à 54,1 %. Elle l'est restée
au second tour, à 45,54 %. À cause de la Seine-Saint-Denis (93), où
l'abstention a reculé de 63,1 % à 54,1
%, mais est restée très forte. Chez le meilleur élève, la région Limousin
Roussillon-Midi-Pyrénées (LRMP), ce taux a été réduit de 47,8 % à 38 %.
Conséquences directes des retraits de listes de gauche et de
consignes de vote mal acceptées, les votes blancs et nuls ont été nombreux: 4,9
% des inscrits, au total. Ils ont culminé à 7,8 % en PACA, et à 7,3 % en
Nord-Pas-de Calais-Picardie (NPCP), où des « duels » ont opposé Marion-Maréchal Le Pen et Marine Le Pen
à Christian Estrosi et à Xavier
Bertrand. Il importe de le signaler, car si le nombre total de votants a cru de
+ 17 % entre les deux tours, celui des suffrages exprimés (sans les votes
blancs et nuls) a été majoré de + 15,9 %. En PACA, ces taux de progression ont été respectivement
de + 16,1 %, et + 10,7 %. Dans le NPCP, ils ont été de + 11,7 % et + 7,5
%. Des écarts importants, donc.
Au second tour, les pourcentages des suffrages exprimés de
neuf des régions se sont situés dans une fourchette étroite, de 54,9 % à 56,9 %.
Les plus faibles, sans surprise, sont ceux de
l'IDF, à 52,5 %... ainsi que la Bretagne, à 53,9 %. Les plus forts ont
été relevés en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, à 59,2 %, et en Bourgogne
Franche-Comté, à 58,2 %, où le résultat était très incertain.
À qui a profité la mobilisation ? Un succès pour l'union de
la droite. Une catastrophe pour l'union de la gauche. Une nette progression
pour le FN. Les résultats sont sans équivoque.
L'union de la droite a obtenu
818 sièges avec 10,1 millions de votes le 13 décembre. C'est 3,2 Mi de
votes de plus que ceux enregistrés le 7 décembre par les partis « classés » à
droite (13). Ce score, elle le doit à un plus fort engagement de ses partisans,
au « Front républicain », ainsi qu'à des reports d'électeurs dont les candidats
(ou partis) ont été éliminés au premier tour. Il est difficile de « chiffrer »
les voix de ces différentes origines. Une enquête réalisée sur « la sociologie
du vote au second tour des élections régionales 2015 » (14) le montre. Elle indique,
entre autres, que : 1° parmi les électeurs qui avaient voté Hollande au second
tour des présidentielles de 2012, 20 % disent avoir voté à droite le 13
décembre 2015, et 14 % pour le FN ; 2° 34 % de ceux qui avaient voté pour
Sarkozy disent avoir glissé vers le FN. Des chiffres qu'il ne faut pas prendre
au pied de la lettre, mais qui illustrent des tendances réelles et contribuent
à expliquer les résultats observés.
Au premier tour, le 7 décembre, les partis classés à gauche
ont réuni 7,806 Mi de votes, soit 36 % de l'ensemble de votes exprimés. Aux
régionales de mars 2010, la gauche parlementaire avait recueilli 9,779 Mi
votes, soit 50,2 % de l'ensemble des votes. Pire, au second tour du 13
décembre, la gauche n'a obtenu que 8,083 Mi de votes, soit 32,1 % des votes,
contre 11,457 Mi, soit 54,05 % des votes, en 2010 (15). La chute est brutale,
tout de même !
Entre les deux tours, malgré la mobilisation générale, la
gauche a engrangé très peu de voix supplémentaires, le Front républicain en
NPCP et en PACA lui ayant coûté au moins 1,1 Mi de voix, c'est-à-dire le nombre
de votes en sa faveur au premier tour
dans ces deux régions. Elle aurait pu en perdre 350.000 de plus si J-P Masseret avait obéi aux injonctions de Valls et de Cambadélis.
Entre les deux tours, le FN est monté au niveau maintenant
qualifié « d'historique » de 6,8 millions d'électeurs, soit 13 % de plus qu'au
premier tour. N'ayant pu obtenir de présidence régionale, il a dû se contenter
de 358 sièges de conseillers régionaux sur les 1.910, contre 339 pour le parti
socialiste et 520 pour les listes de l'union de la gauche. Le FN en compte
désormais dans chaque région... et est le seul opposant à la droite en NPCP et
en PACA.
Entre les régionales
de 2010 et celles de 2015, le nombre d'électeurs du Front National a quasiment
triplé, montant, aux premiers tours, de 2,230 millions en 2010 à 6,028 en 2015
et, aux seconds tours, de 1,943 Mi en 2010 à 6,820 Mi.
« Depuis 2012, le FN a multiplié par 11 son nombre d'élus » a-t-on pu lire sur msn.com le 15
décembre (16). Il y était rappelé que depuis l'accession de François Hollande à
l'Élysée, en mai 2012, le nombre des élus FN est passé de 181 à 1.992. Il
comprend 2 sénateurs et 2 députés, 21 députés au Parlement européen et 61
conseillers départementaux. Les élections municipales de 2014 lui ont apporté
11 villes et 1.544 conseillers municipaux. 358 conseillers régionaux viennent
de s'y ajouter. Doit-on extrapoler à 2017 et à 2021, avec ou sans front républicain
?
Dans la nouvelle cartographie métropolitaine, deux couleurs,
celles des nouvelles présidences des régions, se partagent le territoire de la
métropole, divisé en quatre grandes zones. Le bleu de la droite s'étend sur les
cinq régions du nord, de l'Alsace à la Normandie, en passant par l'Ile de
France, et occupe les Pays de la Loire, à l'ouest. Il couvre aussi les deux
régions mitoyennes du sud-est, Auvergne-Rhône-Alpes et PACA. Le rose de la
gauche colore la Bretagne, une poche entourée de bleu. Il s'insinue entre les
zones bleues, occupant la Bourgogne Franche-Comté, à l'est, et les trois
régions du centre et du sud-ouest. Les superficies couvertes par les deux
couleurs sont de dimensions comparables. Finalement, avec cette représentation,
tout est rentré dans l'ordre !
Les régions ultramarines ont un peu diversifié la coloration
de la France. La Réunion reste bleue, le président LR étant reconduit, et sa
liste (LR-UDI-OR) gratifiée de 29 sièges sur un total de 45. Deux régions
conservent la couleur rose clair des divers gauches. En Guadeloupe, leur liste
a acquis 28 sièges, en laissant 13 au PS et à ses alliés locaux. En Guyane, où
le président (DVD !) a été reconduit, ce sont 35 sièges qui ont été pris par sa
liste DVG-DVD, et 16 laissés à la coalition DVG-MDES (décolonisation et émancipation sociale). Le
jaune a coloré la Martinique où le leader indépendantiste a été réélu président, à la tête d'une large
coalition qui a obtenu 33 sièges sur 51. Il semble que ces résultats étaient
assez attendus. Ils n'ont pas fait couler beaucoup d'encre et de salive en
métropole.
Cela n'a pas été le cas de la victoire indépendantiste en
Corse, qui a provoqué de l'émotion et des craintes pour l'avenir. L'Union de Femu a Corsica avec Corsa Libra, arrivée en tête
avec 35,34 % des suffrages a pris 24 sièges, en laissant 12 à la liste de
gauche (DVG et FG), 11 à celle de droite (LR-UDI-CCB et DVD) et 4 à celle du
FN.
Les premières déclarations et revendications (dont la
libération des prisonniers politiques, dont celle d'Ivan Colonna, qui avait été
condamné pour l'assassinat du préfet Erignac) de
Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée
régionale, et de Gilles Simeoni, président du Conseil
exécutif, ont ouvert une nouvelle ère des relations entre le Gouvernement de la
France et les nouveaux élus corses qui n'ont pas caché leur intention d'œuvrer
résolument à l'indépendance de la Corse,
et de l'obtenir. « Nos » médias se sont peu attardés sur ce « succès électoral
».
Puis, la Corse est vite revenue sur nos écrans après le
guet-apens tendu aux pompiers dans un quartier « sensible » d'Ajaccio qui a
fait 3 blessés, 2 pompiers et 1 policier. Une « première » sur l'Ile, qui a
soulevé l'ire de Corses qui ont déclaré
refuser sur leur sol ce type d'agressions et des zones de non-droit comme en
connaissent des banlieues « sur le continent ». Des manifestations de
contrariété se sont aussitôt déroulées, mettant à mal, notamment, une salle de
prière, et détruisant des livres religieux. Elles ont été condamnées de toutes
parts, et qualifiées de racistes et xénophobes, les représentants des Musulmans
dénonçant avec constance les tentations d'amalgame.
En métropole, comme en Corse, le soleil de la paix et de la
sérénité n'illumine donc pas le ciel en cette fin d'année. Espérons qu'un
anticyclone bienveillant chassera les nuages qui se sont accumulés depuis des
mois et nous permettra de vivre une meilleure année 2016.
Des chutes et des déficiences qu'il ne faut pas refuser de voir
Peu de Français sont conscients du
déclin économique de la France dans l'UE, et de l'UE dans le monde. Inutile de
les inquiéter, d'exciter leur curiosité, leur esprit critique, de les faire
douter et de les inviter à se demander s'il n'y a vraiment pas de meilleur
choix, comme l'affirment nos péremptoires dirigeants, que de continuer dans la
même voie, européiste et mondialiste. Notre « modèle sociallibéral
» n'est pas taillé pour la course au large sans laquelle la solidarité
s'appelle concurrence renforcée.