par
Marc DUGOIS
Il y a une contradiction apparemment insurmontable entre
l’affirmation souvent énoncée ici qu’il n’y a pas de création annuelle de
richesses et l’observation apparemment indiscutable que depuis l’époque de
l’homme de Cro-Magnon une multitude de richesses a été créée par les
hommes. Les tenants de la création
annuelle de richesse la chiffrent même par le PIB et souhaitent son
augmentation par ce qu’ils appellent la croissance économique. Mais la richesse n’est qu’une façon de
regarder et si elle est richesse pour les uns, elle est embarras pour d’autres
et même rebuts pour certains. Cela est vrai dans l’espace mais aussi dans le
temps. Si en Hollande de 1634 à 1637, le prix d’un bulbe de tulipe valait quinze ans de salaire d’un
maçon, le prix d’une maison ou d’un carrosse avec ses deux chevaux, il vaut
aujourd’hui six euros la douzaine. Un lieu de vie qui aurait été conservé en
Europe dans l’état où il était à l’époque de Néanderthal
serait aujourd’hui par sa rareté et sa tranquillité hors de prix et réservé à
quelque émir ou oligarque.
La sculpture « dirty corner » qu’Anish Kapoor a créée à Milan et déposée dans les jardins du
château de Versailles est sûrement une richesse aux yeux des organisateurs de
l’exposition, sûrement un déchet aux yeux de ceux qui l’ont surnommée « Le
vagin de la reine » et probablement un encombrant et une gêne pour tous ceux
qui venaient voir Versailles pour remonter le temps. Si le Pont du Gard est une
richesse aujourd’hui, était-il à sa construction autre chose qu’un élément de
voirie pour approvisionner Nîmes en eau ?
C’est notre regard individuel qui différencie ce qui à nos yeux est
précieux et ce qui peut partir à la poubelle. Ce qui nous est précieux nous est
richesse mais n’est qu’une richesse individuelle.
La richesse collective est beaucoup plus difficile à
appréhender car elle appelle deux questions : quel collectif ? Et qu’est-ce
qu’un regard collectif ? La doxa « attalienne-mincienne et BHLienne
», relayée par les médias, nous dit que le collectif est le monde qu’il baptise
comme s’il n’y en avait qu’une « la planète » par un égocentrisme très
révélateur. Cette doxa affirme que si les espèces animales ont le droit d’avoir
des races de chiens, de poules ou de chevaux, l’espèce humaine, elle, n’a plus
de races et qu’il faut même supprimer le mot des dictionnaires. Cette doxa
pateline et mielleuse veut imposer sa morale et sa vision à toute l’humanité en
pensant trouver dans la fuite en avant la réponse à l’échec qu’ils ont tous eu
chez nous. Cette volonté de mondialisation du collectif entraîne bien
évidemment des réactions violentes de gens que l’on appellera terroristes pour
ne pas se compliquer la vie. Cette doxa, constatant que la communication
s’était mondialisée, en a déduit complètement à tort qu’il en était de même
pour la réflexion et l’action. Une autre
doxa, politicienne celle-là, nous dit que le collectif est européen.
Cette doxa-là veut appliquer à l’Europe toutes les recettes
qui ont échoué individuellement dans chaque pays. Pour cette fuite en
avant, les politiques ont un besoin
vital de l’euro, cet outil mort-né qu’ils momifient au lieu de l’enterrer. Ils
se réunifient tous, ceux qui veulent dépenser plus pour dépenser moins comme
ceux qui veulent dépenser moins pour dépenser plus, tous unis pour sauver
l’euro, leur Europe et surtout eux-mêmes. Tous unis contre ceux qui veulent retrouver
un collectif qui a déjà fait ses preuves, la nation ou la patrie. Quant au regard collectif sur une chose,
c’est son prix car seule la monnaie est reconnue par tous comme une richesse.
Si des membres du groupe acceptent de s’appauvrir en monnaie en l’échangeant
contre une chose ou un service, alors cette chose ou ce service qui n’était
qu’une production est reconnue par le groupe comme une richesse, au moins à un
moment donné et en un lieu donné.
Malheureusement depuis bientôt cinquante ans nous fabriquons par la
dette de la fausse monnaie qui casse tous les équilibres.
Les productions sont réputées être des richesses alors
qu’elles ne sont en réalité qu’encombrements ou déchets, par le simple fait
qu’elles sont achetées avec de la monnaie obtenue sans efforts par l’emprunt. Il
est plus facile d’emprunter à la banque de l’argent qui n’existe pas, que de
travailler à la sueur de son front. Il est plus facile d’importer des
marchandises que de les fabriquer en travaillant. Comme cela fait exactement le
même PIB, les observateurs sont contents et on a simplement remplacé le travail
par la dette qui monte, qui monte, qui monte… La montée des machines est un
exemple intéressant de la perversité de la dette.
Les machines remplacent les hommes mais elles coûtent cher à
concevoir et à réaliser. Normalement l’équilibre entre les trois entités
créatives, l’homme, l’argent et la machine, se fait naturellement car d’un côté
l’homme est attiré par la machine qui fait le travail à sa place mais de
l’autre, il n’y a de machine que si l’homme a suffisamment travaillé pour avoir
l’argent nécessaire à son achat. La machine ne crée pas le chômage parce
qu’elle n’existe que si l’homme travaille assez pour pouvoir se la payer.
Or avec la dette le verrou saute. La machine est payée
immédiatement par l’emprunt et à terme par les mythiques richesses futures. Le
résultat est une mécanisation galopante qui fait monter parallèlement le
chômage et la dette. Ne pourrait-il y avoir des économistes pour hurler aux
oreilles des puissants que si l’on n’abandonne pas l’outil stupide de la dette
pour retrouver le travail humain, le chômage ne peut que monter, la dette
s’envoler et la violence atteindre des sommets.
Gloire au travail, le seul que l’on ose ignorer le jour de sa
fête !