par Christine ALFARGE
« La nation française
en état d’urgence économique, social et démocratique. »
Alors que les années d’après-guerre étaient porteuses d’avenir
et de progrès, la croissance a marqué le pas à partir des années 70, aussi bien
économiquement que socialement. Le chômage s’est imposé, les inégalités se sont
creusées, l’ascenseur social s’est bloqué.
Aujourd’hui, nous assistons à une déliquescence de la société,
une fuite en avant. Selon Marc Dugois, « le problème est mal posé et ne peut apporter
que des mauvaises solutions ». Plus philosophiquement, il y a pour lui deux
erreurs de fond. Au début, le troc est la raison d’être ensemble, l’échange des
êtres pas des avoirs, la monnaie n’a alors aucun sens mais le troc connait ses
limites et n’est qu’une apparence car la paresse est rentrée dans le groupe
impliquant l’obligation de travailler.
L’autre problème repose sur notre rapport à l’argent et plus
particulièrement la méconnaissance de l’argent. La monnaie représente un
stockage d’énergie humaine qui n’intéresse pas, cela illustre la confusion
entre production et richesse. Il dit : « la production n’est en aucun cas
une richesse, la richesse n’est qu’un regard ».
Le rêve de dire
L’espoir de richesse, est-ce vraiment une richesse ? Tant
qu’elle n’est pas achetée, elle n’est pas une richesse, il n’y a pas de
création de richesse. Selon Marc Dugois, « tout le
monde rêve à une création de richesse, la richesse n’est qu’un regard et on ne
crée pas la richesse, la richesse est une motivation ». On se met à rêver
de partout, on se trouve avec un système où la dette commence à remplacer le
travail.
Comment la société peut-elle continuer d’évoluer ?
À priori, la crise actuelle que nous connaissons n’empêche
pas la structure sociale de poursuivre son évolution, ne s’agit-il pas en
réalité d’apparence avec une dette publique qui s’accroît (ses dépenses étant
chaque année, depuis 1974, plus élevées que ses recettes) et la compétitivité
de l'économie française qui s'effondre ?
Au rythme actuel d'insouciance budgétaire et fiscale, la
dette publique selon l’INSEE dépasse les 2.100 milliards d’euros à la fin du
troisième trimestre, ce qui veut dire qu’à la fin de l’année 2015, nous
atteindrons les 2.200 milliards d’euros soit 97,6 % du produit intérieur brut
(PIB). Les déficits du commerce extérieur et de la balance des paiements
accèdent à des niveaux jamais atteints, même pendant la crise de 1983: celui du
commerce extérieur est de 3,5 % du PIB, contre 1,1 % en 1983 et 0,9 % en 2000,
la balance des paiements, qui n'était déficitaire que de 0,9 % du PIB en 1983,
et excédentaire de 1,7 % en 2000, accuse aujourd’hui un déficit de 3,6 % alors
que « la balance des paiements doit toujours être équilibrée » indique
Marc Dugois. Pendant que l'Allemagne a un excédent de
près de 10 % du PIB en balance commerciale et de plus de 5 % en balance des
paiements, seul l'euro nous protège pour le moment d'une glissade vers l'abîme
mais pour combien de temps !
La notion de progrès, gage suffisant pour l’avenir ?
C’est dans ce contexte international économique, financier,
commercial, militaire, politique très fragile, que chaque nation devra se
battre de plus en plus violemment contre toutes les autres pour survivre ou
lutter pour garder son indépendance.
Cependant il faut rester lucide, la croissance économique
mondiale actuelle n’est qu’une apparence, elle peut s’effondrer à tout moment,
selon Marc Dugois : « la dette croît sans arrêt,
les emprunts augmentent et les entreprises sont surendettées. On veut sauver
les banques qui ne peuvent tenir que par une trésorerie qui tourne sans arrêt.
On endette l’Europe par des créanciers qui ne seront jamais payés et rachetés
par la Banque centrale européenne (BCE) », il ajoute : « la hausse des prix
est la conséquence directe de l’inflation, le besoin d’argent augmente de plus
en plus. Finalement, on se croit un pays riche alors que nous ne sommes riches
que de nos dettes ». Si l’un ou l’autre des principaux détenteurs de capitaux
se met à ne plus croire à cette fuite en avant des pays riches dans la dette
publique, s’ils refusent de financer plus longtemps le sauvetage des banques
occidentales par leurs prêts aux États, et s’ils refusent de miser plus
longtemps sur une hypothétique sortie de crise par le progrès économique et
social du monde, la France doit se préparer à ces temps difficiles en
retrouvant des marges de manœuvre adéquates. Elle doit absolument débattre
sérieusement de l’état du pays en particulier de sa dette publique et de sa
compétitivité et s’accorder sur les instruments qui lui restent pour agir sur
son destin. Le faible coût de la dette qui préserve la France pour le moment
par des taux bas, est un piège infernal dans lequel il ne faut pas s’habituer.
Il faut rappeler que la dette de l’État français émise sur les marchés
financiers, est détenue à 64,4 % principalement par des sociétés financières
européennes, ce qui implique, en cas de crise, un risque de faillite de l’État.
Marc Dugois dit : « on entend très souvent, il
faut de la croissance mais la croissance est la somme de toutes les dépenses
». La croissance restera donc un vœu pieux tant que la dette publique ne sera
pas la préoccupation première des dirigeants du pays.
Si ce débat nécessaire a lieu, la France comprendra qu’il lui
faut, redonner ses lettres de noblesse à l’école, s’occuper de la formation de
ses travailleurs et ses chômeurs, miser sur la formation professionnelle des
jeunes, les plus touchés par la recherche d’emploi, développer la recherche dans
les entreprises. Elle comprendra qu’il faut augmenter ses impôts, regrouper ses
collectivités territoriales, rassembler ses services publics, retrouver une
culture d’innovation, revaloriser l’ensemble des métiers de l’industrie et
s’ouvrir sur le monde.
À travers la formule « être, agir, échanger », Marc Dugois pense que « la solution passe par l’abandon de la
concurrence sur la coopération pour s’en sortir ». Si on ne s’entend pas
comme le laisse prévoir la cacophonie politique sur les faits et les moyens
d’action, on continuera à vivre dans l’insouciance, jusqu’à ce que les faits
imposent une société beaucoup plus dure et surtout avec plus de contraintes et
d’inégalités. Selon Marc Dugois, « on se trouve
dans un système qui a remplacé le travail par la dette où personne ne veut
affronter la réalité ». Il met en garde sur la différence de l’être et du
paraître pour se dépasser ou dépasser l’autre. Il insiste sur : « la capacité
de se regarder, savoir ce que l’on veut, prendre de la hauteur, la richesse n’étant
qu’un regard ».
On vit dans un pays élitiste qui méprise ceux
qui ne font pas de hautes études, cependant on a
besoin de tout le monde pour que la machine tourne, chaque citoyen peut et doit
trouver sa place. C’est toute la société qui doit s’inquiéter sur son avenir.
Remettre le travail à l’honneur, conciliant social et efficacité, devient l’axe
majeur pour redonner confiance aux citoyens, véritables acteurs de la
production du pays. Ainsi recréer l’homme que notre temps cherche à détruire
reste le grand combat de l’avenir.