COMPLÉMENTAIRES SANTÉ : 

TARIFS PROHIBITIFS, HERNIE FISCALE, INSTABILITÉ ET ÉPAIS BROUILLARD

par Paul KLOBOUKOFF

Comment nos gouvernants ont renchéri les complémentaires santé

De l'incitation à la participation  des entreprises au châtiment fiscal

Avant de s'apparenter à un véritable racket, jusqu'en 2010, la politique à l'égard des complémentaires santé a été plutôt « tolérante »,  et même « stimulante »  en faveur des contrats collectifs obligatoires souscrits au bénéfice de leurs salariés par des entreprises qui prennent en charge une partie plus ou moins grande des cotisations (environ 60  %  en moyenne au cours des dernières années). Pour encourager les entreprises dans cette voie, leur « part patronale »  des cotisations a été soumise (sous certaines conditions) à des charges sociales allégées, limitées à la CSG, à la CRDS ainsi qu'à un forfait social fixé à 2 %  en 2009 (pour les entreprises d'au moins 10 salariés). En outre, cette part patronale dépensée par l'entreprise était exclue de son bénéfice imposable. 

Quant au coût de l'assurance complémentaire, il était entièrement déductible du revenu imposable du salarié.   

Ces contrats présentaient ainsi des avantages pour les entreprises et les salariés qui leur ont valu un certain succès... malgré des tarifs des assurances complémentaires « plombés »  par de lourdes dépenses de gestion. 

Par contre, les signataires de contrats individuels, essentiellement des agents de la fonction publique restés libres d'adhérer à une mutuelle de leur choix, des travailleurs non -salariés, des « non actifs »  et des « seniors », devaient payer leurs cotisations« plein pot »  et se voyaient refuser les mêmes possibilités de déductions fiscales. C'est toujours le cas aujourd'hui. Rassurons-nous! J'avais déjà exposé ces problèmes et cette « discrimination »  négative en novembre 2007 dans un article intitulé « Complémentaires santé: au profit de qui ? ». 

Puis, la chasse aux « niches fiscales »  a touché les entreprises signataires de tels contrats collectifs et leurs salariés. Le forfait social a été relevé à 4 %  du montant des cotisations en 2010, puis à 6 %  en 2011, et à 8 % depuis 2012. 

Jusqu'en 2010, la grande majorité des contrats (ceux alors qualifiés de « contrats responsables »  parce qu'ils conditionnaient les remboursements au respect du parcours de soin coordonné), qu'ils soient individuels ou collectifs, ne supportaient aucune taxe. En 2010, ils ont été soumis à une taxe de 3,5 %, qui a été portée à 7 %  en 2011. Pour les « irresponsables », elle a été de 9 %.  En 2014, elle est montée à 14 %. Contrairement à la TVA, qui porte sur la valeur ajoutée, cette taxe s'applique au « Chiffre d'affaires », c'est à dire au montant des cotisations versées. L'impact pour les assurés en est d'autant plus lourd. Seuls les contrats d'assurance maladie complémentaire individuels ou collectifs responsables des agriculteurs ont échappé à ces sanctions.   

Une taxation additionnelle « redistributive »   pour financer la CMU et l'ACS 

Depuis 1999, les OACS, organismes d'assurance complémentaire santé (sociétés d'assurances, institutions de prévoyance, mutuelles) alimentent un Fonds CMU par une contribution qui a pris le nom de taxe de solidarité additionnelle (TSA) en 2011,  qui porte sur les cotisations santé complémentaire. Son taux initial était de 1,75 %. Il  a été relevé en 2006, en 2009, puis en 2011, pour s'établir à 6,27 %  (1). Cette  TSA s'ajoute à la taxe précédente et s'applique aux contrats individuels comme aux contrats collectifs.

Le Fond CMU, dont cette taxe est la principale recette, finance la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et l'aide à l'acquisition de la complémentaire santé (ACS). Un des buts poursuivis a été d'augmenter le nombre des bénéficiaires de ces dispositifs d'aide par le jeu, dans ce domaine là aussi, d'une « solidarité »  entre adhérents, qu'on ne retrouve pas  dans les évaluations officielles de la redistribution (cf. mon article  d'octobre 2014 « Insatiable, inchiffrable et indéchiffrable redistribution »). Au 1er juillet 2015, en métropole, pour bénéficier de la CMU-C (gratuite), les plafonds de revenus annuels sont de 8.645 € pour une personne seule, de 12.967 € pour 2 personnes, et 21.611 € pour 5 personnes. Les plafonds de revenus pour recevoir l'ACS sont de 35 %  supérieurs à ceux de la CMU-C, soit de 11.670 € pour une personne... Mission accomplie, peut-on dire, puisqu'en fin 2014 il avait 5,2 millions (Mi) de bénéficiaires de la CMU-C et 1,2 Mi de l'ACS. Des tarifs  souvent « prohibitifs »  des couvertures ont « modéré »  la croissance du nombre de ces derniers, dont les aides annuelles sont de 100 € au-dessous de 16 ans, de 200 € de 16 à 49 ans, de 350 € de 49 à 60 ans, et de 550 € à partir de 60 ans.   

Majoration des impôts de millions de salariés, plafonnements complexes des déductions fiscales et de l'exonération de cotisations sociales des entreprises 

La loi de finances pour 2014 votée à la fin de l'année 2013 a rendu imposable la part des cotisations prise en charge par les entreprises (et/ou comités d'entreprises)... et ce, pour les cotisations versées depuis le 1er janvier 2013. Cette part doit être déclarée par l'employeur au fisc en tant que revenu du salarié. 13 millions de salariés ont été concernés par cette « réforme sociale », ou encore ce « mauvais coup », comme il en pleut depuis mai 2012. La hausse consécutive de leur impôt sur le revenu (IR) a été estimée en moyenne entre 90 et 130 euros par contribuable (2). Cela renchérit beaucoup la complémentaire santé pour les travailleurs salariés en exercice ou au chômage. 

Le grand chambardement enclenché par la loi sur la généralisation de la complémentaire santé  (voir plus loin) issue de l'Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 a aussi apporté son lot de changements.  

Un plafond de déductibilité fiscale a été fixé aux cotisations salariales et patronales qui financent le régime collectif de prévoyance obligatoire de l'entreprise. En 2015, ce plafond est de : 5 % du PASS + 2 %  de la rémunération annuelle brute du salarié... le total étant limité à 16 %  du PASS. Le PASS est le Plafond annuel de la Sécurité sociale. Son montant est de 38.040 € en 2015. Le plafond est donc de 6.086,40 €. La part des cotisations dépassant ce plafond est imposable pour l'entreprise. Ce plafond semble peu contraignant. Attention, cependant : le régime obligatoire de prévoyance dont il est question couvre les  risques complémentaires santé, mais aussi ceux de la maternité et des accidents (3). Or, 8 sur 10 des sites des organismes professionnels que j'ai consultés omettent de le préciser.   

Un autre plafond a été fixé pour limiter les exonérations de charges sociales. Les cotisations patronales qui financent le régime collectif de prévoyance obligatoire ne sont pas soumises à des charges sociales dans la limite de 6 %  du PASS + 1,5 %  du salaire annuel brut. Le total ne doit pas dépasser 12 %  du PASS, soit 4 564, 80 € en 2015. 

Pour bénéficier des déductions fiscales et des exonérations ci-dessus, les contrats signés par les entreprises doivent être collectifs, obligatoires, responsables et solidaires. Nous verrons plus loin ce que cela signifie.  

Flambée des tarifs, taux de remboursement de plus en plus faibles

+ 40 %  en 8 ans,  sans compter les hausses d'impôts sur les revenus

« Complémentaires santé : pourquoi vos cotisations flambent »  avait titré Le Monde.fr en mars 2014, indiquant que selon l'indice de prix du comparateur Assurland, considéré comme très fiable, les factures s'étaient envolées de près de + 40 %  au cours des 8 années précédentes.  

Une grande partie de cette inflation des tarifs a été provoquée par des politiques « sociales »  soucieuses du bien- être des citoyens qui n'ont pas lésiné sur l'aggravation de la fiscalité et des charges pour les entreprises et qui ont aussi organisé le transfert de dépenses de la Sécurité sociale vers les complémentaires santé ainsi que vers les « patients ». Par les jeux des « déremboursements », des médicaments, en particulier, des franchises à retenir et des participations forfaitaires de 0,5 € ou 1 € sur les actes médicaux et techniques, sur les soins infirmiers, la pharmacie, les dispositifs médicaux, etc. Les pressions exercées sur des honoraires médicaux et chirurgicaux peuvent aussi avoir contribué à la prolifération des dépassements d'honoraires... impactant les prises en charge et les coûts des complémentaires.  

De lourds coûts de gestion des contrats 

Des causes, il ne faut pas exclure les coûts de gestion de contrats qui doivent se conformer à des réglementations de plus en plus complexes, la multiplication des opérations de faibles montants, ainsi que les progressions plus ou moins fortes des marges des organismes de prévoyance, des mutuelles et des sociétés d'assurance.  

Une étude réalisée pour le journal L'Argus de l'assurance a montré que les frais de gestion  représentaient de 7 %  à 27 %  des montants (hors taxes) des cotisations et que, dans de nombreux cas, elles dépassaient 20 %.  D'une autre étude, de la DREES du ministère de la Santé (4), il ressort qu'en 2013 près de 22  %  du montant des cotisations HT collectées par les OACS n'ont pas été reversés aux assurés. Les frais d'acquisition (notamment pour attirer de nouveaux clients) se montent à 8 %, celles d'administration, à 7 %, et celles de gestion des sinistres, à 4 %. À ces charges, on peut ajouter 2,9 %  de résultat net. 

Cette « ponction »  est (en moyenne)  la plus forte, plus  de 26 %,  chez les sociétés d'assurance, dont les frais d'acquisition sont de 13 %.  Celle des institutions de prévoyance est nettement plus faible, un peu supérieure à 16 %. Cette « performance »  s'explique sans doute parce qu'elles gèrent surtout des contrats d'entreprises.   

Des cotisations de 45 %   supérieures aux remboursements 

Les taxes qui s'ajoutent aux cotisations HT sont de 13,27 %  de celles-ci pour les contrats responsables (de loin les plus nombreux) et de 20,27 %  pour ceux qui ne sont pas responsables, qu'ils soient collectifs ou individuels. 

Frais de gestion et taxes représentent donc au moins 31  %  du montant des cotisations TTC payées pour les assurés. Cela signifie aussi qu'en moyenne, les cotisations TTC payées par les assurés sont d'au moins  45 %  supérieures aux remboursements qu'ils reçoivent de leurs OACS. Pour les contrats non responsables, la ponction est plus forte. 

 

Pourtant, qui n'a pas entendu parler des « privilégiés »  qui « bénéficient » de généreuses complémentaires santé ? Certes, une partie des assurés, couverts  par des contrats collectifs d'entreprises, ont été mieux lotis que ceux « bénéficiant »  de contrats individuels. Mais, les choses changent. On nivelle par le bas et on redistribue.  

D'autres précisions sur les OACS, le marché, les coûts et les tarifs

Un « marché »  fragmenté et différencié  des complémentaires santé 

Le chiffre d'affaires HT des organismes complémentaires santé (OACS) est de l'ordre de 33 Mds €. Un potentiel fiscal de 4,5 à 5 Mds €, qui pourrait encore croître, sans « l'évasion fiscale »  des « résistants »  qui ne sont pas assurés. 

L'étude de la DREES précitée (4) a présenté en 2015 des données  intéressantes sur le marché des complémentaires santé en 2013. Le nombre des OACS assujettis à la taxe CMU-C était alors de 605, dont 96 sociétés d'assurances (SA), 28 institutions de prévoyance (IP) et 481 mutuelles (MU). Sur le montant total des 32,8 milliards de cotisations (hors taxes) collectées, les parts de marché étaient de 28 %  pour les SA, de 18 %  pour les IP et 54 %  pour les MU. Un tiers des organismes, en majeure partie des mutuelles, étaient de petite taille. 

Les parts de cotisations collectées étaient de 44 %  pour les contrats collectifs et de 56  %  pour les contrats individuels. Elles étaient très variables d'un type d'organisme à un autre, les IP étant « spécialisées »  dans les contrats collectifs (87 %  de leur CA), les MU faisant, au contraire, 71 %  de leur CA avec des contrats individuels, et les SA présentant des pourcentages plus équilibrés entre individuels et collectifs.

 De meilleures garanties,  moins chères,  pour les contrats collectifs que pour les individuels 

L'étude montre aussi que « les garanties offertes par les contrats collectifs sont plus avantageuses, en dépit du coût plus faible de ces contrats pour les assurés ». Ce qui ne surprend pas, puisqu'il s'agit de contrats «de groupes».   À cet égard, une enquête de la DREES auprès des OACS  sur les contrats les plus souscrits a montré des écarts importants entre les contrats individuels et les contrats collectifs en 2013 (5). Les remboursements des contrats collectifs étaient plus élevés que ceux des contrats individuels. Pour le vérifier et le chiffrer, les contrats les plus souscrits ont été classés en 5 groupes homogènes selon les remboursements de plusieurs prestations : les contrats de types A, B, C, D et E, en allant du haut au bas de l'échelle. 66 %  des bénéficiaires des contrats  collectifs avaient des contrats de types A et B (dont 53 %  de type A), contre 9 %  seulement pour les personnes sous contrats individuels. En même temps, 44 %  des individuels étaient de types D ou E, contre 11 %  chez les collectifs.  

Une baisse du niveau des couvertures souscrites  liée à la forte hausse des  tarifs 

En outre, une baisse des protections à l'aide d'assurances complémentaires santé « privées », une « descente en gamme»  des contrats, a été observée entre 2010 et 2013 (6). Ainsi, les titulaires de contrats collectifs de types A et B étaient 66 %  en 2013, contre 77 %  en 2010. Ceux des contrats « standard »  de types C et D, étaient 27 %  en 2013, et plus que 10 %  en 2010.  Du côté des contrats individuels, la part des bénéficiaires de la grande majorité d'entre eux, de types C et D, est passée de 67 %  en 2010 à 69 %  en 2013, celle des titulaires de contrats « d'entrée de gamme », de type E, de 18 %  à 22 %, et celle des contrats de types A et B a baissé de 15 %  à 9 % .  

Des tarifs élevés  qui crèvent les plafonds avec l'âge 

Ne cherchez pas sur les sites des organismes statistiques publics des données sur les prix des complémentaires santé. Les OACS, elles aussi, n'aiment pas afficher des tarifs repoussoirs. Heureusement, des « comparateurs »  le font.

LesFurets.com ont fait réaliser par Odoxa une enquête en septembre 2015 (7) qui indique que 60 %  des Français jugent leur complémentaire santé trop onéreuse. Les cotisations sont, en moyenne, de 1.164 € par an et par personne. Pour ceux disposant d'une mutuelle d'entreprise, l'addition, 960 €, est un peu moins salée, que pour ceux sur contrats individuels, 1.260 €. Autre info, 20 %  des assurés paient entre 1.200 € et 1.800 €. Pour 17 %  des assurés, c'est encore plus. Et les plus de 65 ans déboursent en moyenne 1.680 € par an et par personne.  

Une autre enquête portant sur huit mille demandes de tarifs a été menée en 2015 pour le comparateur assurance.com (8). Elle a ciblé quatre  types d'assurés et a observé les tarifs pratiqués par les mutuelles en France, qui  peuvent varier dans de fortes proportions d'un département à un autre. 

Pour un jeune salarié de 25 ans, le tarif moyen annuel d'une garantie classique est de 313,2 €. Il est le plus cher dans les Hauts-de-Seine, 350,64 €, contre 289,32 € en Haute Corse.  

Pour un travailleur non salarié de 40 ans, le tarif moyen annuel (TMA) d'une garantie classique est de 424,8 €. Maximum 473,28 € à Paris, et minimum 399,36 dans les Landes. 

Pour une famille de deux adultes de 30 ans et deux enfants de 3 ans et de 7 ans, le TMA d'une garantie classique est de 1.083,12 €. Maximum 1.238 € dans les Hauts-de-Seine et minimum 986,4€  dans le Lot-et-Garonne. 

Pour un couple de très jeunes seniors de 60 ans, le TMA d'une « garantie renforcée »  est de 2.553,6 €. Maximum 2.807,28 € dans les Alpes-Maritimes et minimum à 2.415 dans les Landes. 

Note : ces maxima et minima sont des montants moyens au niveau des départements.  

Pourquoi si peu de Français  sont-ils sans complémentaire santé ?  Un mystère ! 

Il est remarquable qu'avec de tels tarifs et des remboursements tellement amputés par le fisc et les charges des OACS, le pourcentage des personnes assurées soit aussi élevé.

En décembre 2011, Le Figaro.fr et Le Particulier (9) s'étaient interrogés : « Est-il rentable de se passer de complémentaire santé ? »... pour les personnes ne pouvant souscrire que des contrats individuels. Pour eux, « Vivre sans complémentaire santé ne met pas votre budget en péril, puisque les gros risques sont pris en charge par l'Assurance maladie et que les dépenses les plus importantes (prothèses dentaires, lunettes ou appareils auditifs)  vous laissent déjà une part importante à votre charge »... « Reste un cas où l'absence de couverture peut coûter cher : l'hospitalisation sans prise en charge à 100 %  par la Sécu (absence d'affection de longue durée [ALD] ou lorsqu'aucun acte médical d'une valeur supérieure à 120 € n'est engagé ». Il existe, ajoutaient-ils, des contrats  moins coûteux (« allant de 140 € par an pour un contrat de base pour les seniors à près de 500 € pour une garantie plus étendue »), ciblés sur la couverture de ce seul risque hospitalisation, avec lesquels on est garanti en cas d'hospitalisation, quelle qu'en soit la raison. Trois assureurs pratiquant ces types de contrats étaient cités. En fait, il y en a beaucoup plus. Mais, comme pour les autres, les offres doivent être regardées à la loupe. Les miracles tarifaires sont rares. 

Faisant suite à un article sur franceculture.fr du début octobre 2015 intitulé « Généralisation des complémentaires santé : vers une privatisation de la Sécu ? »  (10), un lecteur, médecin, précisait, notamment, que : 1° lors d'une hospitalisation, dès que la somme des actes effectués en une journée dépasse 120 €, seule la participation forfaitaire est facturée au patient; 2° le risque « grossesse » est pris en charge à 100 %  par la Sécu; 3° les nombreuses personnes âgées en ALD sont prises en charge à 100 %  par la Sécu pour les dépenses liées à celles-ci. Pourtant ce sont-elles qui supportent les cotisations les plus élevées. Une (bien) meilleure information publique du public serait un grand service à rendre aux citoyens !

« Généralisation»  dans le brouillard et « choc de réglementation »

Pourquoi la généralisation des contrats collectifs santé cible les salariés du privé 

L'enquête détaillée sur la santé et la protection sociale de l'Irdes (11) réalisée en 2012 avait évalué le pourcentage des Français garantis par une complémentaire santé à 95 %, en incluant les 6,1 %  de bénéficiaires de la CMU-C. Les moins couverts étaient les chômeurs, avec un pourcentage de 85,2 %, dont 16,3 %, seulement, en contrat collectif, et 24,6 %  par la CMUC. Venaient ensuite les femmes/hommes au foyer, dont 90 %  étaient couverts, pour 19,8 %  par la CMU-C. Dans les retraités et veufs inactifs, 95,1 %  étaient couverts, presque tous sous contrats individuels. Parmi les actifs non-salariés, 93,4 %  étaient couverts, avec seulement 19,1 %  en contrats collectifs, et 70,8 %  en contrats individuels. Du côté des salariés, 95,9 %   sont couverts dans le secteur privé, et 96,9 %  dans le secteur public. Pas de problème majeur à ce niveau là, donc. Par contre, 28,4 %  des salariés du privé n'ont que des contrats individuels, tandis qu'ils sont 79,1 %  dans cette situation dans le secteur public.  

On pourrait donc s'étonner que « la généralisation »  des contrats collectifs cible en priorité les salariés des entreprises du secteur privé et laisse de côté les autres Français. 

Explication : cette « généralisation »  ne relève pas d'un plan d'ensemble visant à améliorer la protection de la santé prodiguée par l'Assurance maladie obligatoire

(AMO) et les complémentaires santé. Un plan qui  comporterait des objectifs explicites, le choix de priorités et de moyens, un calendrier... Elle est une composante du paquet de mesures de l'Accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l'emploi (12) conclu en janvier 2013 entre les partenaires sociaux, les organisations patronales (MEDEF, UPA, CGPME), d'un côté, et trois syndicats (CFE-CGC),CFDT, CFTC), de l'autre, et qui devait être suivi des adaptations législatives et réglementaires nécessaires. Le volet flexibilité de l'ANI portait sur les accords compétitivitéemploi, les licenciements économiques, les plans sociaux et la mobilité interne. Le volet sécurisation des parcours professionnels était consacré  à de nouveaux droits attachés à la personne: droits rechargeables à l'assurance chômage, compte personnel de formation, généralisation de la complémentaire santé, encadrement du travail à temps partiel, taxation des contrats de travail de courte durée et aide à l'embauche des jeunes en CDI. 

La généralisation visait surtout les salariés des PME et des TPE qui n'avaient pas souscrit de contrats collectifs en faveur de leurs salariés, dont la plupart étaient couverts par des contrats individuels plus coûteux. Pour les entreprises concernées, cette prise en charge venait en contrepartie des assouplissements retenus du contrat de travail (13). Selon les experts, entre 3 et 4 millions de salariés d'environ 300.000 entreprises devaient ainsi passer d'un contrat individuel à un contrat collectif.

Constituant une obligation concernant tous les salariés du secteur privé,  et suite à des mesures décidées en 2014, les impacts seront nettement plus étendus et plus incertains. En effet, des décrets de 2014 ont modifié les procédures de sélection des contrats permettant l'accès à l'ACS, d'une part, et défini le contenu de « contrats responsables »  susceptibles de « bénéficier d'un dispositif social et fiscal incitatif»  (cf. ci-dessus), d'autre part.  

Sélection d'un nombre réduit  de contrats éligibles à l'ACS 

Depuis juillet 2015, pour avoir droit à l'ACS, les postulants sont contraints de faire le choix de leur contrat parmi une liste réduite d'offres qui ont été préalablement sélectionnées, suivant des critères de qualité et de prix, au terme d'une procédure de mise en concurrence avec appel d'offres. Finie la liberté de choix de l'offre... et de l'assureur. 

Saisie du projet de décret, l'Union nationale des organismes d'assurance maladie (UNOCAM) avait donné un avis défavorable (14) et formulé trois critiques : 1° la procédure amènerait à retenir une liste nominative d'OACS, et non de contrats. Elle obligerait de nombreux bénéficiaires de  l'ACS à changer de contrats et de garanties, mais aussi d'assureurs. Une baisse du taux de recours à l'ACS était à craindre ; 2° le projet manquait de clarté et de précision ; 3° le tiers payant, imposé aux contrats  sélectionnés entraînerait de sérieuses perturbations et des risques financiers pour les professionnels de santé, et juridiques  pour les pouvoirs publics. Cet avis n'a pas été entendu.   

Encadrement des complémentaires santé  solidaires et responsables 

Jusqu'en 2014, la qualification « responsable »  s'appliquait à des contrats. En 2015, des « complémentaires santé »  le sont aussi. Ce glissement sémantique du contrat vers l'organisme est peut-être dû à ce qu'un même OACS ne propose généralement pas des contrats responsables et d'autres qui ne le sont pas. Il rappelle, cependant, la crainte ci-dessus de l'UNOCAM de voir la sélection d'organismes remplacer celle de contrats.  

Depuis le 1er avril 2015, les couvertures santé doivent être responsables, que les contrats soient individuels ou collectifs. Au 30 mars 2015, 94 %  l'étaient déjà, car les OACS n'ont pas tardé à « mettre à jour »  leurs offres. En fait, la grande majorité  des OACS sont solidaires et responsables.  

Une complémentaire santé est « solidaire »  lorsque l'organisme ne fixe pas les cotisations en fonction de l'état de santé des postulants et qu'aucune information médicale n'est demandée lors de la souscription (15). Cette obligation de solidarité est en partie fictive ou contournée, puisque le lieu de résidence, la profession et l'âge sont demandés. Or ce sont des « discriminants »  tarifaires importants. 

La première condition pour qu'un OACS soit « responsable »  est qu'il encourage le respect du parcours de soins coordonnés par le médecin traitant. Pour ses assurés « respectueux », des taux minima de remboursements (de 30 %  et 35 %) ont été fixés par décrets pour les consultations médicales, les médicaments remboursables à 65 %  par la Sécu et les examens biologiques, en particulier. Par contre, les dépassements et les majorations liés au non-respect du parcours de soins ne sont pas remboursés. 

Désormais, « pour couper court aux dérapages tarifaires »  observés chez des opticiens, les prises en charge des frais d'optique sont encadrées. Des planchers et des plafonds de remboursement (verres + montures) par les OACS ont été fixés en fonction des corrections à apporter. 

Les dépassements d'honoraires sont soumis à de nouveaux plafonds de remboursement, plus restrictifs. « Les contours techniques de cette limitation sont complexes »  (16). Et les plafonds vont encore baisser d'ici 2017. Quant au remboursement du « forfait hospitalier » (montant minimum dû pour chaque jour d'hospitalisation), il fera partie du « panier de soins »  minimum prévu avec la « généralisation »  au 1er janvier 2016.  

En septembre 2014, l'UNOCAM avait rendu un avis défavorable sur le projet de décret relatif au contrat responsable (17), pointant les risques en matière de renchérissement des contrats, d'accessibilité aux soins, de régulation de l'optique, et demandant aux pouvoirs publics une garantie de stabilité des règles dans le temps. 

L'UNOCAM avait aussi insisté sur les problèmes de gestion liés au remboursement  différencié des dépassements d'honoraires depuis octobre 2012, selon que le médecin a signé ou non le contrat d'accès aux soins (CAS).

Généralisation de l'assurance santé  pour les salariés du privé... dans le brouillard 

Selon les termes de l'ANI « fondateur »  du 11 janvier 2013, les entreprises  devaient financer à partir de 2016 la couverture complémentaire de leurs salariés à hauteur d'au moins 50 %  d'une couverture minimale, panier  basique de soins. Un décret du 8 septembre 2014 a déterminé ce niveau minimal des garanties. Il a également précisé les conditions dans lesquelles des salariés pouvaient être dispensés de l'obligation d'affiliation (12).  

Or, la participation des entreprises au financement des contrats collectifs au profit de leurs salariés est, en moyenne, de l'ordre de 60 %... avec des contrats assurant souvent des garanties bien plus que minimales. Des salariés pourraient donc prendre des couvertures « surcomplémentaires »  santé pour compenser la baisse de leurs garanties. L'incompréhension se propage devant ce « millefeuille »  des couvertures santé annoncé. «  La  Sécu en sera le  premier niveau, suivi de la complémentaire santé obligatoire basique, améliorée au niveau de la branche, elle-même améliorée au niveau de l'entreprise, laquelle sera abondée au niveau du salarié par des sur-complémentaires »  (13). Après cela, il y aura encore un « reste à charge »  (RAC), plus ou moins important pour les patients.  

La mise en pratique du « Tiers payant généralisé »  (TPG), autre outil stratégique pour lutter contre « le renoncement aux soins », ne va pas simplifier les choses. Ce TPG se heurte à une forte résistance du corps médical qui le voit comme un moyen pour l'assureur ainsi que pour les pouvoirs publics,  forts de leurs rôles de payeurs, de s'imposer dans la relation entre les patients et les médecins, (17). Un pas de plus aussi vers un système de soins moins libéral. 

Ces discordances reflètent l'improvisation de décisions prises au coup par coup, avec une cohérence vacillante, dans un domaine complexe, aux interconnections multiples. Elles ont poussé le Gouvernement à remettre en question l'accord ANI afin d'imposer que  l'obligation de participation minimale de 50 %  puisse s'appliquer aussi à des régimes de garanties supérieures au panier minimal de soins. Le MEDEF et la profession s'y opposent. L'Affaire est entre les mains des parlementaires. Le Sénat a retoqué en novembre l'article du Projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2016 portant sur cette question... et modifié en profondeur le projet de loi (18). En attendant que l'Assemblée nationale donne raison au Gouvernement. Chez nous, le dialogue social et la concertation, c'est cela! Quant aux entreprises qui n'ont pas attendu le 1er janvier 2016 et ont signé des contrats collectifs responsables et solidaires de nouvelle génération TVH (Touraine-Valls-Hollande), ils regretteront, comme nos militaires autrefois, d'avoir exécuté l'ordre sans attendre le contrordre. Leurs salariés aussi, peut-être. 

Et maintenant, que vais-je faire ? 

En introduisant la question des complémentaires santé dans l'ANI, les gouvernants et les acteurs sociaux ont mis le doigt dans un engrenage qui rend politiquement nécessaire de se pencher aussi sur les situations des catégories de la population qui sont les plus mal « ser- vies »  par le système. Les dispositions inscrites à cet effet dans le budget 2016 de la Sécu et le PLFSS 2016, ainsi que les modifications qu'elles ont connues, montrent que le Gouvernement continue à hésiter et à prendre pour cibles surtout les entreprises du secteur privé.    

Les principales décisions inscrites dans le budget 2016 de la Sécu sont, en effet: 1° étendre l'accès à la complémentaire santé collective des entreprises aux salariés précaires et aux retraités ; 2° pour les CDD : versement par l'employeur d'une aide individuelle  en référence à ce qu'il verse pour couvrir ses autres salariés ; 3° permettre aux salariés qui adhèrent au contrat collectif de leur employeur lors de leur départ à la retraite de ne pas voir le tarif de leur couverture augmenter de plus de + 150 %. Ultérieurement ce pourcentage sera porté à + 100 % ; 4° même chose pour les anciens salariés au chômage ; 5° pour les personnes de plus de 65 ans en contrats individuels : tous les assureurs pourront soumettre des offres qui seront labellisées « personnes âgées», et bénéficieront d'une TSA réduite si elles sont « responsables », ont des prix peu élevés et des garanties définies... ultérieurement par des décrets et des circulaires (19). 

Il apparait qu'une grande partie de ceux qui paient les tarifs les plus chers sont des oubliés de ces « réformes ». Rien n'est prévu pour les travailleurs individuels, les personnes au foyer, et les salariés du secteur public qui ne bénéficient pas de contrat collectif. Quant au « label personnes âgées », attendons de voir les offres « éligibles »  qui seront faites, ainsi que la réduction de la TSA (actuellement de 6,27 %) qui sera accordée. Si elle se limite à de petits pourcents, elle risque fort de n'avoir aucun effet incitatif.  

Les jeux sont faits, rien ne va plus ! Nous verrons dans quelques mois ce que ce tohu-bohu aura apporté de positif en matière de couverture sanitaire et d'accès aux soins.

© 01.12.2015

 
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