Dîner-débat du 4 nov. 2015

présidé par Christophe Barret,

PODEMOS ET LE VOTE CATALAN,

QUEL AVENIR POUR L’ESPAGNE ?

    par Christine ALFARGE

« L'Espagne vacille entre fierté catalane et unité nationale. »

C’est avant tout par un détour de l’histoire que les vrais rapports entre la Catalogne et l’Espagne, aujourd’hui comme hier, peuvent expliquer une situation antagoniste au sein de la péninsule ibérique par une rivalité à la fois économique, politique et géographique. De la pique d’Estats jusqu’au Delta de l’Ebre, la Catalogne née vers l’an mille, héberge 7,5 millions d’habitants, soit 17 % de la population espagnole.  

Qui sont ces Catalans désireux de voler de leurs propres ailes et de se défaire du carcan espagnol ? Certes, la Catalogne dispose d’un Parlement régional, comme les seize autres communautés espagnoles, mais elle rêve toujours de ne plus être sous tutelle et d’être souveraine.   

Est-ce par esprit de revanche  ou sentiment nationaliste latent ? 

Christophe Barret fait un rappel historique capital : « Le 11 septembre 1714, la Catalogne fut absorbée par le royaume d’Espagne après un siège sanglant et depuis trois siècles les Catalans ne cessent de proclamer leur différence et de se rêver en nation. » Des élections anticipées qui auront lieu en Catalogne le 25 novembre 2012, seront l’espoir, pour le président de la Communauté autonome, Artur Mas, d’organiser un jour un référendum sur l’autodétermination de la nation «catalane ». 

Deux années plus tard, le référendum sur l’indépendance de la région prévu le 9 novembre 2014 sera  déclaré anticonstitutionnel par le gouvernement espagnol et  transformé en « consultation » par une double interrogation posée aux citoyens : « Souhaitez-vous que la Catalogne soit un État ? ». « Si oui, souhaitez-vous que cet État soit indépendant ? ». Autrement dit la région qui dispose déjà de quelques prérogatives mais dans un pays centralisé doit-elle être autonome au sein d’une Espagne confédérale ou bien doit-elle obtenir sa pleine indépendance ? 

Première option, la Catalogne reste dans le giron.

Le risque que la riche Catalogne quitte le giron espagnol semble faible, selon un sondage dans El Pais, publié l’été précédent, 38 % des Catalans répondraient « oui-non » et seulement 31 % « oui-oui ».  

Deuxième option, le scénario de l’indépendance.

Si les indépendantistes l’emportaient, que se passerait-il ? Rien dans l’immédiat. L’étape suivante serait la déclaration unilatérale d’indépendance par le Parlement régional, à Barcelone, ce qui impliquerait la sortie de l’UE. Puis, il faudrait que d’autres nations reconnaissent le nouvel État. Surtout, la création d’un État exigerait une nouvelle demande d’adhésion à l’Union européenne, et la nécessité d’obtenir l’assentiment de son ancien pays. 

La revendication  de mouvements identitaires en Europe.

Dans plusieurs régions européennes, une fièvre indépendantiste est en train de surgir. À la volonté de consolider l’avenir économique de la zone euro, s’ajoute un nouveau risque pour l’Europe, la revendication de mouvements identitaires voire sécessionnistes. De la Catalogne, à la Flandre en passant par l’Écosse, toutes ces régions ont un point commun face à l’actuelle crise de la dette souveraine et les plans d’austérité, elles ont le sentiment de « payer » pour les autres parce qu’elles sont plus riches avec des taux de chômage inférieurs aux moyennes nationales. Il existe cependant un paradoxe catalan, une province riche avec une dette d’au moins 42 milliards d’euros, disposant déjà d’une autonomie importante, demandant à la fois l’aide de l’État central espagnol et revendiquant son indépendance qu’elle serait incapable d’assumer financièrement, la dette de la Catalogne représentant près de 30 % de celle de la totalité des territoires autonomes de l’Espagne. Quant au président catalan Artur Mas, ce dernier ne cesse de dénoncer le fardeau budgétaire « injuste » qui pèse sur la Catalogne, représentant le cinquième de l’économie espagnole à elle seule.

Cependant, il ne s’agit pas seulement que de l’autonomie budgétaire et fiscale, la question du régionalisme est aussi culturelle et linguistique. Dès la chute du franquisme en Espagne, la Catalogne avait déjà fait du catalan une langue officielle qui était interdite sous Franco. Même si les dirigeants indépendantistes ne souhaitent pas forcément une sortie des institutions européennes, il n’en demeure pas moins que le risque de fragmentation de l’Europe existe bien et que le morcellement de ces États entraînerait une rupture des grands équilibres. Cependant, ces mouvements n’ont ni la même histoire ni les mêmes objectifs, et n’utilisent pas les mêmes moyens pour atteindre leur but. Ainsi en Espagne à la différence du Pays basque et de la branche armée de l’ETA, la Catalogne n’a pas connu de phénomène de violences indépendantistes depuis la chute du franquisme. Toutefois, une sorte de délitement du sentiment de solidarité nationale existe.  

Aujourd’hui, le souhait d’indépendance demeure aussi fort, le Parlement catalan vient d’adopter le 9 novembre 2015, une résolution qui lance le processus visant à créer une république de Catalogne indépendante de l’Espagne dès 2017. Le texte sur le lancement de ce processus a été adopté par 72 députés indépendantistes (sur 135). L’Espagne est plus que jamais menacée de sécession.   

Le phénomène Podemos  ou la métamorphose de la gauche espagnole 

Dans ce contexte, Podemos (« Nous pouvons »), parti politique fondé en janvier 2014, représentant la gauche radicale espagnole basée sur la thèse du mouvement altermondialiste dont l’objectif politique est de redresser l’économie, réduire les inégalités, redéfinir la souveraineté, veut surtout « Construire la démocratie » telle la formule apposée sur le texte officiel de sa ligne politique.  

En effet, la naissance de Podemos est emblématique d’une résistance citoyenne organisée depuis mai 2011 face aux politiques d’austérité menées, conséquence directe de la crise des subprimes en 2007, dénonçant l’emprise des banques sur l’économie ainsi que l’absence de  représentation démocratique. Cependant, les républicains espagnols font peur aux gens en renonçant notamment aux drapeaux ou interdisant toutes prises de paroles libres. Selon Christophe Barret : « Podemos pense que la gauche a trahi. Ce nouveau parti veut donc redonner de l’espoir et un sens commun accepté par les citoyens ».

Réconcilier la politique avec le réel 

Le 30 juillet 2012, Pablo Iglesias, porte-parole de Podemos, s’exprimait en ces termes : « Les gens ne votent pas pour quelqu’un parce qu’ils s’identifient à son idéologie, à sa culture ou à ses valeurs, mais parce qu’ils sont d’accord avec lui. ».  Dans ce contexte, la participation de Podemos aux élections européennes de 2014 va bouleverser l’échiquier politique espagnol. Pour Christophe Barret : « L’objectif de Podemos est avant tout de réconcilier la gauche de la gauche avec l’opinion publique dans un style nouveau incarné par Pablo Iglesias, un pragmatique qui veut le pouvoir. ». Il ajoute : « Podemos réagit avec souveraineté à la française et sur le rejet de domination par une puissance étrangère. Il parle de patrie».

Pour Podemos, le débat espagnol monarchie/république n’est pas d’actualité, il pense qu’il est possible de construire une majorité pour lutter contre la corruption, l’évasion fiscale, l’absence d’un contrôle démocratique sur l’économie s’appuyant ainsi sur l’Amérique latine depuis une quinzaine d’années. 

Cependant, l’avenir de l’Espagne reste incertain. Lors d’une rencontre le 30 octobre dernier au siège du gouvernement espagnol, le leader de Podemos Pablo Iglésias a déclaré : « Je ne suis pas convaincu par les fronts anti-sécession». « Le moment est arrivé de tendre la main ». Avant d’ajouter : « L’Espagne serait davantage unie en admettant sa diversité ». Selon lui : « La seule alliance valable sera une alliance contre la corruption et l’inégalité ». 

Après l’adoption récente par le Parlement catalan d’une résolution lançant le processus pour mener la région à l’indépendance en 2017, l’unité territoriale de l’Espagne est clairement remis en cause et sa Constitution fragilisée. Les forces politiques classiques sont désormais les seules à pouvoir défendre l’Espagne face à une forte poussée des indépendantistes catalans et au rôle ambigu de Podemos.

 

 

© 01.12.2015