par Christine
ALFARGE
« L'Espagne vacille entre fierté catalane et unité nationale. »
C’est avant tout par un détour de l’histoire que les vrais rapports
entre la Catalogne et l’Espagne, aujourd’hui comme hier, peuvent expliquer une
situation antagoniste au sein de la péninsule ibérique par une rivalité à la
fois économique, politique et géographique. De la pique d’Estats
jusqu’au Delta de l’Ebre, la Catalogne née vers l’an mille, héberge 7,5
millions d’habitants, soit 17 % de la population espagnole.
Qui sont ces Catalans désireux de voler de leurs propres
ailes et de se défaire du carcan espagnol ? Certes, la Catalogne dispose d’un
Parlement régional, comme les seize autres communautés espagnoles, mais elle
rêve toujours de ne plus être sous tutelle et d’être souveraine.
Est-ce par esprit de revanche ou sentiment nationaliste latent ?
Christophe Barret fait un rappel
historique capital : « Le 11 septembre 1714, la Catalogne fut absorbée par
le royaume d’Espagne après un siège sanglant et depuis trois siècles les
Catalans ne cessent de proclamer leur différence et de se rêver en nation.
» Des élections anticipées qui auront lieu en Catalogne le 25 novembre 2012,
seront l’espoir, pour le président de la Communauté autonome, Artur Mas,
d’organiser un jour un référendum sur l’autodétermination de la nation
«catalane ».
Deux années plus tard, le référendum sur l’indépendance de la
région prévu le 9 novembre 2014 sera
déclaré anticonstitutionnel par le gouvernement espagnol et transformé en « consultation » par une double
interrogation posée aux citoyens : « Souhaitez-vous que la Catalogne soit un
État ? ». « Si oui, souhaitez-vous que cet État soit indépendant ? ». Autrement
dit la région qui dispose déjà de quelques prérogatives mais dans un pays
centralisé doit-elle être autonome au sein d’une Espagne
confédérale ou bien doit-elle obtenir sa pleine
indépendance ?
Première option, la Catalogne reste dans le
giron.
Le risque que la riche Catalogne quitte le giron espagnol
semble faible, selon un sondage dans El Pais, publié l’été précédent, 38 % des
Catalans répondraient « oui-non » et seulement 31 % « oui-oui ».
Deuxième option, le scénario de l’indépendance.
Si les indépendantistes l’emportaient, que se passerait-il ? Rien dans l’immédiat. L’étape suivante
serait la déclaration unilatérale d’indépendance par le Parlement régional, à
Barcelone, ce qui impliquerait la sortie de l’UE. Puis, il faudrait que
d’autres nations reconnaissent le nouvel État. Surtout, la création d’un État
exigerait une nouvelle demande d’adhésion à l’Union européenne, et la nécessité
d’obtenir l’assentiment de son ancien pays.
La revendication de mouvements identitaires en Europe.
Dans plusieurs régions européennes, une fièvre
indépendantiste est en train de surgir. À la volonté de consolider l’avenir
économique de la zone euro, s’ajoute un nouveau risque pour l’Europe, la
revendication de mouvements identitaires voire sécessionnistes. De la
Catalogne, à la Flandre en passant par l’Écosse, toutes ces régions ont un
point commun face à l’actuelle crise de la dette souveraine et les plans
d’austérité, elles ont le sentiment de « payer » pour les autres parce qu’elles
sont plus riches avec des taux de chômage inférieurs aux moyennes nationales.
Il existe cependant un paradoxe catalan, une province riche avec une dette d’au
moins 42 milliards d’euros, disposant déjà d’une autonomie importante,
demandant à la fois l’aide de l’État central espagnol et revendiquant son
indépendance qu’elle serait incapable d’assumer financièrement, la dette de la
Catalogne représentant près de 30 % de celle de la totalité des territoires
autonomes de l’Espagne. Quant au président catalan Artur Mas, ce dernier ne
cesse de dénoncer le fardeau budgétaire « injuste » qui pèse sur la Catalogne,
représentant le cinquième de l’économie espagnole à elle seule.
Cependant, il ne s’agit pas seulement que de l’autonomie
budgétaire et fiscale, la question du régionalisme est aussi culturelle et
linguistique. Dès la chute du franquisme en Espagne, la Catalogne avait déjà
fait du catalan une langue officielle qui était interdite sous Franco. Même si
les dirigeants indépendantistes ne souhaitent pas forcément une sortie des
institutions européennes, il n’en demeure pas moins que le risque de
fragmentation de l’Europe existe bien et que le morcellement de ces États
entraînerait une rupture des grands équilibres. Cependant, ces mouvements n’ont
ni la même histoire ni les mêmes objectifs, et n’utilisent pas les mêmes moyens
pour atteindre leur but. Ainsi en Espagne à la différence du Pays basque et de
la branche armée de l’ETA, la Catalogne n’a pas connu de phénomène de violences
indépendantistes depuis la chute du franquisme. Toutefois, une sorte de
délitement du sentiment de solidarité nationale existe.
Aujourd’hui, le souhait d’indépendance demeure aussi fort, le
Parlement catalan vient d’adopter le 9 novembre 2015, une résolution qui lance
le processus visant à créer une république de Catalogne indépendante de
l’Espagne dès 2017. Le texte sur le lancement de ce processus a été adopté par
72 députés indépendantistes (sur 135). L’Espagne est plus que jamais menacée de
sécession.
Le phénomène Podemos ou la métamorphose de la gauche
espagnole
Dans ce contexte, Podemos (« Nous
pouvons »), parti politique fondé en janvier 2014, représentant la gauche
radicale espagnole basée sur la thèse du mouvement altermondialiste dont
l’objectif politique est de redresser l’économie, réduire les inégalités,
redéfinir la souveraineté, veut surtout « Construire la démocratie » telle la
formule apposée sur le texte officiel de sa ligne politique.
En effet, la naissance de Podemos
est emblématique d’une résistance citoyenne organisée depuis mai 2011 face aux
politiques d’austérité menées, conséquence directe de la crise des subprimes en 2007, dénonçant l’emprise des banques sur
l’économie ainsi que l’absence de
représentation démocratique. Cependant, les républicains espagnols font
peur aux gens en renonçant notamment aux drapeaux ou interdisant toutes prises
de paroles libres. Selon Christophe Barret : « Podemos pense que la gauche a trahi. Ce nouveau
parti veut donc redonner de l’espoir et un sens commun accepté par les citoyens
».
Réconcilier la politique avec le réel
Le 30 juillet 2012, Pablo Iglesias,
porte-parole de Podemos, s’exprimait en ces termes :
« Les gens ne votent pas pour quelqu’un parce qu’ils s’identifient à son
idéologie, à sa culture ou à ses valeurs, mais parce qu’ils sont d’accord avec
lui. ». Dans ce contexte, la
participation de Podemos aux élections européennes de
2014 va bouleverser l’échiquier politique espagnol. Pour Christophe Barret : « L’objectif de Podemos
est avant tout de réconcilier la gauche de la gauche avec l’opinion publique
dans un style nouveau incarné par Pablo Iglesias, un
pragmatique qui veut le pouvoir. ». Il ajoute : « Podemos
réagit avec souveraineté à la française et sur le rejet de domination par une
puissance étrangère. Il parle de patrie».
Pour Podemos, le débat espagnol
monarchie/république n’est pas d’actualité, il pense qu’il est possible de
construire une majorité pour lutter contre la corruption, l’évasion fiscale,
l’absence d’un contrôle démocratique sur l’économie s’appuyant ainsi sur
l’Amérique latine depuis une quinzaine d’années.
Cependant, l’avenir de l’Espagne reste incertain. Lors d’une
rencontre le 30 octobre dernier au siège du gouvernement espagnol, le leader de
Podemos Pablo Iglésias a
déclaré : « Je ne suis pas convaincu par les fronts anti-sécession». «
Le moment est arrivé de tendre la main ». Avant d’ajouter : « L’Espagne
serait davantage unie en admettant sa diversité ». Selon lui : « La
seule alliance valable sera une alliance contre la corruption et l’inégalité ».
Après l’adoption récente par le
Parlement catalan d’une résolution lançant le processus pour mener la région à
l’indépendance en 2017, l’unité territoriale de l’Espagne est clairement remis
en cause et sa Constitution fragilisée. Les forces politiques classiques sont
désormais les seules à pouvoir défendre l’Espagne face à une forte poussée des
indépendantistes catalans et au rôle ambigu de Podemos.