par Luc BEYER de RYKE
«My
name is Bond. James Bond. » Pour notre divertissement interprété par Daniel Craig,
007 s’en prend aux multinationales du crime telle Spectre. Pour notre angoisse,
dans la vie réelle le Spectre s’appelle Daech.
Il n’est pas seul. L’islamisme meurtrier se partage entre
organisations concurrentes. Celles qui s’attaquent au Mali, d’autres telle Boko Haram qui prend racine au
Niger, au Nigéria, au Cameron et au Tchad. Ce qui a ouvert les vannes fut
l’intervention en Libye. Je m’y trouvais quelques semaines à peine avant la
chute de Khadafi. L’homme était un despote auquel
nous trouvions quelque utilité lorsqu’il nous servait de garde-chiourme
empêchant des migrants se s‘échouer sur nos côtes. Dans le désert en route pour
Ghadamès j’ai rencontré quelques groupes d’Africains sortis de « Coke en
stock », noirs comme l’ébène, errants au milieu des sables et des
pierrailles. Ces migrants figuraient parmi les très rares miséreux en Libye.
Dans le régime de Khadafi la liberté n’existait pas
mais la misère non plus. Les revenus du pétrole assuraient un niveau de vie
décent à la plupart des Libyens.
Lesquels témoignaient de peu d’ardeur au travail préférant
commander les nombreux Tunisiens ou Égyptiens assurant la prospérité de l’industrie hôtelière. Khadafi soucieux de préserver son pouvoir absolu s’est
dressé contre l’islamisme qui trouvait des relais en particulier à Benghazi.
C’est lorsqu’il a voulu exterminer une partie de la population proche de cette
mouvance que fut déclenchée l’intervention en Libye. Une coalition
franco-britannique à laquelle, avec réticence, se sont joint les États-Unis mis
le régime à bas. Avec l’appui des islamistes et des berbères du Djebel Nefusa qui investirent Tripoli. Khadafi
fut tué. Avec un pistolet en or sorti des ateliers liégeois de la FN (fabrique
nationale d’armes de guerre de Herstal, banlieue liégeoise).
Les Hommes bleus
Au despote succéda le
chaos. En Libye et dans l’ensemble du Sahel. Dans le nord du Mali les Touareg
se trouvèrent en première ligne. Depuis longtemps les « Hommes bleus »
exigeaient une autonomie qui les libéreraient du
Gouvernement de Bamako. Plusieurs rebellions furent ainsi réprimées. Bon nombre
de Touaregs se réfugièrent en Libye. Khadafi les
enrôla et leur confia la garde des frontières. Le régime renversé, Khadafi tué, ils revinrent au Mali. Avec leurs armes et
toutes celles offertes à qui voulait les acheter ou les prendre. Le Nord du
Mali devient une poudrière. Plusieurs mouvements touareg
s’unirent pour constituer le MNLA (Mouvement de Libération de l’Azawad, nom berbère donné au Nord Mali). Il ne s’agissait
pas d’islamistes même si les options sécularistes ou religieuses faisaient
débat.
Le MNLA prit le pouvoir à Kidal, Gao et Tombouctou. Il y eut
une guerre des chefs. Le MNLA s’aboucha avec les islamistes d’Anserdine. Mauvais calcul. Mieux organisés ce furent les
islamistes d’Anserdine, du Mujao
et d’Al Qaida Maghreb islamique qui raflèrent la
mise. Les trois villes passèrent sous leur contrôle. Le MNLA les reprirent lors
de l’intervention française. Il s’y maintient malgré le désir du Gouvernement
de Bamako qui voudrait les en déloger. Des combats se poursuivent dans la
région. Ils sont le fait de groupes divers dont le plus visible est celui de
l’Algérien Moktar bel Moktar.
C’est lui qui au nom des « signataires du sang », venu de Libye, avait
attaqué le gisement et l’usine de gaz d’Inamenas
en territoire algérien. Opération qui s’est soldée, après l’intervention de
l’armée algérienne, par trente assaillants et trente-huit otages tués.
« Les signataires du sang », ont fusionné avec le Mujao
sous l’appellation d’Al Murabitoune (les
Almoravides). Le mouvement recomposé a salué les frères Quashi
et les meurtres de Charlie Hebdo. Ce qui n’empêche qu’entre islamistes règne
une surenchère meurtrière. Daech a lancé une fatwa
contre Moktar bel Moktar
retranché, semble-t-il, à Derna en Libye. Après les massacres parisiens,
l’homme pour ne pas être distancé à perpétré les meurtres et l’attaque du Radison à Bamako. Il les a revendiqués officiellement, ceci
sous réserve de confirmation.
Un point de vue engagé
Pour mieux cerner et analyser la situation au Mali j’ai pris
contact avec un des dirigeants du MNLA. Tout en respectant son anonymat voici
l’essentiel de notre entretien. Il s’agit d’un témoignage de première main.
Assorti d’un correctif. Ce sont des propos émanant d’une des parties au
conflit. Chacune d’elles est de toute évidence juge et partie. Ce qui n’est pas
une raison pour ne pas les entendre en n’abdiquant pas notre esprit critique.
Ces réserves émises, écoutons les propos de mon interlocuteur.
En exergue il se livre à la dénonciation du régime de Bamako.
Selon lui nombre de personnalités dirigeantes, y compris dans le milieu
militaires, auraient partie liées avec
les narcotrafiquants. Ce qui expliquerait, m’assure-t-il, l’absence de
protection des grands hôtels internationaux tels le Radison.
Lorsque je lui dis mal comprendre un comportement qui fragilise le régime il confesse
n’avoir pas de réponse à m’offrir. Les réponses éclairent davantage à propos
des relations entre le MNLA et l’armée française dans le Nord.
« Nous continuons à coopérer mais plus comme avant. Au
début nous avons mis nos cadres, notre connaissance du terrain au service des
Français. Mais l’État français s’est désengagé. Il s’abrite derrière Bamako et
l’Algérie. Il se fond sur les accords d’Alger du 20 juin 2015. Accords qui
parlent d’intégration, de décentralisation mais pas d’autonomie ni même de fédéralisation.
Aussi lorsque les militaires font appel à nous, nous leur répondons mais nous
ne prenons plus les devants. Nous nous souvenons d’avoir sauvé les Tchadiens en
2013 qui n’avaient pas la connaissance du terrain. Nous avons perdu des hommes
et jamais notre rôle n’a été mentionné. Nous le ressentions amèrement. Nous
souhaitons prendre notre destin en main.
Comme les Kurdes. Il faut responsabiliser les populations locales, c’est à nous
de payer le prix du sang ! »
Ces paroles fortes apportent un éclairage sur les combats qui
se déroulent dans le Sahel où l’islamisme comme une traînée d’amadou enflamme
toute la région.