Plus de 8.000 morts,
16.000 blessés et 2,5 millions de déplacés
par Paul KLOBOUKOFF
De premiers attaquants antiterroristes peu enthousiastes
Pour les
troupes de Kiev, la première cible de l'Opération Anti Terroristes (ATO) a été
Slaviansk, « bastion séparatiste » situé au nord de Donetsk et à l'ouest de
Lougansk. Tous les soldats n'allaient pas combattre avec la même conviction. La
BBC a rapporté le 16 avril 2014 qu'un convoi de véhicules blindés de transport
avait été stoppé à Kramatorsk par une foule de civils comprenant des
villageois. Selon ses journalistes, un officier a dit qu'il « ne venait pas
pour combattre » et n'obéirait jamais à des ordres de tirer sur son « propre
peuple ». Un soldat a affirmé la même chose à un journaliste de Reuters.
Il a ajouté
qu'ils avaient été à court de vivres pendant plusieurs jours avant d'être
nourris par la population. Plus tard, une vidéo a montré 6 des véhicules
arborant des drapeaux russes entrer dans la ville de
Slaviansk. Le ministre de la Défense ukrainien a attribué cette capture à des
activistes pro-russes (1).
Le 2 mai, au
cours de combats à Kramatorsk et Semionovka, deux
hélicoptères Mi-24 de l'armée de Kiev ont été abattus et des soldats ont été
tués (2).
Le 9 mai,
c'était au tour de Marioupol (port du bord de la mer d'Azov) de subir un
premier assaut qui a fait une vingtaine de victimes civiles. Le 12 juin, après
un mois de résistance, Marioupol a été prise
par les forces de Kiev équipées d'engins blindés et de lance-roquettes.
Plus de 300 personnes ont été arrêtées.
Entretemps,
le 29 mai, à Kramatorsk, les rebelles ont abattu un hélicoptère Mi-8, faisant
12 morts, dont un général.
En réponse
», l'armée a lancé une « opération punitive » contre Donetsk, faisant plus de
300 morts du côté séparatiste, et investi le secteur nord de la ville,
comprenant l'aéroport, où les troupes de Kiev se sont installées.
Suivant le
désir du président Porochenko de « pacifier l'Est du
pays en trois mois », 80 chars ont été engagés contre Slaviansk le 6 juin.
Échec. Près de 20 chars auraient été pris ou détruits et un avion Antonov
(An-30) a été abattu. Diffusée le 12
juin par nos médias, ainsi que par CNN et le New York Times, une info venant
d'un responsable ukrainien a fait état de la pénétration de 3 chars et de
véhicules blindés russes en Ukraine. Démentie par Moscou.
Le 14 juin,
un autre avion, Iliouchine Il-76, a été abattu tandis qu'il était sur le point
d'atterrir à Lougansk. Au moins 49 morts. Aussitôt, des manifestations ont été
organisées contre la Russie. Des « actions punitives » ont été menées près de
Lougansk, avec des camions lance-roquettes. Cela a permis au Gouvernement de
Kiev de déclarer à la presse que ses forces avaient tué environ 250 « opposants
» pro-russes en 24 heures.
Ces bribes d'infos sur des événements médiatisés
révèlent l'esprit et la nature de la «
guerre », les réactions de David à l'ATO punitive de Goliath. Elles illustrent
aussi la « tactique » choisie par Kiev, qui a consisté à attaquer les
principaux bastions des insurgés. Mais les troupes ont rencontré des
difficultés à entrer dans les villes et y ont subi des pertes. Porochenko a appelé au changement, « au regroupement des
forces » pour isoler les zones contrôlées par les insurgés et « empêcher leur
ravitaillement en armes et en équipement » via la frontière russe.
Prélude aux futurs
accords de paix de Minsk, un groupe de contact trilatéral comprenant des
représentants de l'Ukraine, de la Russie et de l'OSCE, s'est mis au
travail.
Grande offensive d'été 2014 des forces de Kiev
qui prennent des villes et occupent l'Est
Pendant une courte trêve, non respectée, que Porochenko avait décidée le 20 juin (pour « regrouper » ses
troupes ?), son armée a encore perdu deux chars, un hélicoptère, ainsi que
l'armement de 400 miliciens de la Garde nationale, qui se sont rendus le 26
juin à la police de Donetsk après 7 heures de combat, et qui ont été
relâchés.
Les hostilités ont ensuite redoublé, avec la prise par les
forces loyalistes, le 5 juillet, de Slaviansk et de ses voisines, Artemisk et Kramatorsk. Dans un article de l'express.fr
intitulé : Ukraine: l'armée reprend Slaviansk abandonnée par les rebelles, on a
pu lire : « C'est la plus grande victoire de Kiev depuis le lancement de son
opération antiterroriste. ». Les séparatistes s'étaient repliés sur Donetsk, où
une grande offensive de Kiev était attendue avec anxiété. Les forces séparatistes étaient alors
estimées à quelques milliers d'hommes, et Strelkov, «
ministre de la Défense » des insurgés avait indiqué qu'il faudrait en mobiliser
8.000 à 10.000 de plus pour arrêter les forces de Kiev.
« L'Europe invite l'Ukraine à la "retenue", les
forces de Kiev approchent de Donetsk », a titré ladepeche.fr le 9 juillet. Lors
d'un entretien de 40 minutes d'Angela Merkel et François Hollande avec Porochenko, les deux premiers ont relevé l'intention
exprimée par ce dernier « de faire preuve de la retenue nécessaire au plan
militaire, afin d'épargner les populations civiles », selon un communiqué de
l'Élysée (3). Le lendemain Mme Merkel a redemandé par téléphone à Porochenko « une certaine retenue ». Le 12 juillet, les troupes de Kiev étaient à
20 km de Donetsk. Sous les yeux des médias, « des milliers d'habitants fuient
Donetsk ». Et lefigaro.fr a précisé que 70.000 habitants fuyaient la ville...
sur un total de 900.000. Puis,
l'attention mondiale a été attirée le 17 juillet par le « crash » du Boeing
MH17 de la Malaysia Airlines, qui est tombé à l'est de Donetsk. Nous savons que
les parties en conflit se sont mutuellement accusées de cette « bavure » et,
qu'aussitôt après, des sanctions ont été prises contre la Russie. 15 mois plus
tard, après des « investigations très peu conventionnelles », inachevées,
aucune culpabilité n'a été établie, et de nombreux « avis d'experts »
divergent.
Malgré quelques pertes, dont celle remarquée, le 17 août,
d'un avion de chasse MIG-29, l'avancée des troupes de Kiev s'est poursuivie,
faisant des victimes civiles, adultes et enfants. Elles ont pris plusieurs
localités, et notamment: Lissitchansk, à 90 km au nord-ouest de Lougansk, Advdiinka, à 19 km de Donetsk, Yassynouvata,
Vougleguisk (oblast de Donetsk), Pervomaïsk, Kalynove et Kamychevachka (oblast
de Lougansk), la ville minière de Jdanyika, à 40 km
de Donetsk, Krasnyï Louch,
au nord de Donetsk. Elles ont réduit le territoire contrôlé par les forces
séparatistes.
Sous des bombardements presque incessants, Donetsk et sa
population ont beaucoup souffert. Des médias français s'en sont émus, surtout
le 14 août, car 74 civils avaient été tués en moins de 72 heures (4). Ce
jour-là, Mary Haft du département d'Etat des USA a
demandé à Kiev de « ne pas utiliser d'armement lourd contre la population
civile du Donbass » (5). On peut rappeler ici que le 2 août, pendant des
pourparlers de paix à Minsk, l'UE a levé les restrictions sur les livraisons
d'armes à l'Ukraine qu'elle avait imposées le 20 février 2014, lorsque Ianoukovitch était au pouvoir.
Donetsk a constitué « un point de fixation » d'importantes
forces de feu des loyalistes. Contre toutes les attentes, Donetsk n'a pas craqué. L'annonce, le 11 août
de l'envoi de l'aide humanitaire russe, qui n'a pu arriver à destination qu'après
le 22 août, a aidé la population affamée à tenir. Avec l'appoint de volontaires
et, sans doute aussi d'armement provenant de Russie, les combattants
séparatistes ont résisté.
Vive progression séparatiste fin août, stoppée
le 5 septembre... par le protocole de Minsk
À leur tour, les insurgés, renforcés par de nouveaux volontaires, ont lancé une
vaste offensive et repoussé leurs ennemis des abords de Lougansk et de Donetsk, à l'exception de l'aéroport de
Donetsk, resté aux mains des troupes de Kiev. Ils ont aussi pris la direction
de Marioupol et investi deux localités, proches, Novoazovosk
et Telmanovo.
Kiev a alors "demandé une aide supplémentaire
"pratique" et des "décisions cruciales" à l'OTAN et à
l'Europe (6). Le 3 septembre, Poutine a proposé un plan de paix au Groupe de
contact trilatéral. Vu la forte progression des séparatistes, les hésitations
des Ukrainiens ont peu duré. Pourtant, c'est le plan de paix présenté par Porochenko qui a le plus "inspiré" le
"Protocole de Minsk" du 5 septembre 2014. Celui-ci a été cosigné par des représentants de
l'OSCE, de l'Ukraine et de la Russie, ainsi que par les dirigeants des deux
Républiques du Donbass (7).
Le texte, en douze points, prévoyait un cessez-le feu
immédiat. Et c'est ce qui a le plus retenu l'attention. Mais il y avait aussi
des points d'ordre politique et institutionnel importants, tels le point 3:
"Conduire une décentralisation du pouvoir, notamment par l'adoption d'une
Loi de l'Ukraine " Sur le régime temporaire (ou provisoire) de la
gouvernance autonome locale dans des districts particuliers des oblasts de
Donetsk et Lougansk" (Loi sur un statut spécial)". Ainsi que le point
9: " Assurer la réalisation d'élections locales anticipées" en
conformité avec la dite Loi de l'Ukraine ". Le protocole prévoyait aussi
de prendre des mesures pour améliorer la situation humanitaire dans le Donbass
et remettre sur pieds son économie. On peut en trouver la VO en russe sur un
site de l'OSCE. Il a été jugé flou et imprécis. Et les traductions en anglais
et en français sur nos sites sont plus ou moins "interprétatives".
Le 16 septembre, le Président Porochenko
a fait voter par la Rada une loi de son crû sur le
statut spécial dans le Donbass, qui a presque fait l'unanimité contre elle dans
ses rangs. Il lui a été reproché notamment une trop large autonomie accordée
aux régions contrôlées par les séparatistes et les amnisties prévues pour leurs
combattants (8). « Nous considérons cette
loi comme un point de contact pour un dialogue futur, et non comme un acte de
droit », a aussitôt dit André Pourguine, vicepremier ministre de la République de Donetsk. « C'est
un non-sens que la Rada ukrainienne prenne des lois non pour l'Ukraine, mais
pour le Donbass. Nous avons notre parlement pour cela. » Il a ajouté qu'il
n'était pas exclu que certaines dispositions du projet puissent être retenues
et aider à coexister en paix avec l'Ukraine (source : Vzgliad = Regard [9], trad. PK).
Le 2 décembre, la Rada a modifié la loi sur le « statut
spécial » et a précisé les districts et les localités sous le contrôle des
séparatistes auxquels appliquer ce statut spécial (10).
Le protocole, lui, a été complété le 19 septembre par un
mémorandum de suivi (clarificateur ?)
comportant un point important, en particulier : la « suppression de toutes les
armes lourdes sur 15 km derrière la ligne de contact pour chaque partie du
conflit, afin de créer une zone démilitarisée de 30 km ». Cette « ligne de contact », la ligne de
front, était mouvante, discontinue et loin d'être rectiligne. Aussi, la
situation n'allait pas restée « figée » comme les « pacificateurs » devaient se
douter, d'une part, et le « visage » de la guerre allait encore changer,
d'autre part.
Redéploiement sur la ligne de front et
nouvelles avancées des troupes séparatistes
Les mois de septembre et d'octobre ont connu une relative
accalmie et pu être consacrés par les belligérants à se réorganiser, à se
redéployer et à renforcer leurs positions sur la ligne de contact entourant
l'ouest et du nord du Donbass. Cependant, à partir du 28 septembre, des
échanges de tirs et de violents combats ont recommencé entre les troupes de
Kiev occupant l'aéroport international de Donetsk et les séparatistes. Des
bombardements ont à nouveau frappé le centre de la ville de Donetsk, faisant de
nombreux morts. Les affrontements ont duré quatre mois. L'aéroport a été
complètement détruit. À Marioupol, ce n'est qu'en fin octobre, après de durs
combats, que le cessez-le feu est intervenu. Les séparatistes ont cessé
l'encerclement de la ville à l'ouest et au nord.