UKRAINE : QUI FLÉCHIRA POUR METTRE FIN AU CONFLIT ?

(quatrième partie)

Plus de 8.000 morts, 16.000 blessés et 2,5 millions de déplacés

par Paul KLOBOUKOFF

De premiers attaquants antiterroristes  peu enthousiastes 

Pour les troupes de Kiev, la première cible de l'Opération Anti Terroristes (ATO) a été Slaviansk, « bastion séparatiste » situé au nord de Donetsk et à l'ouest de Lougansk. Tous les soldats n'allaient pas combattre avec la même conviction. La BBC a rapporté le 16 avril 2014 qu'un convoi de véhicules blindés de transport avait été stoppé à Kramatorsk par une foule de civils comprenant des villageois. Selon ses journalistes, un officier a dit qu'il « ne venait pas pour combattre » et n'obéirait jamais à des ordres de tirer sur son « propre peuple ». Un soldat a affirmé la même chose à un journaliste de Reuters.  

Il a ajouté qu'ils avaient été à court de vivres pendant plusieurs jours avant d'être nourris par la population. Plus tard, une vidéo a montré 6 des véhicules arborant des drapeaux russes entrer dans la ville de Slaviansk. Le ministre de la Défense ukrainien a attribué cette capture à des activistes pro-russes (1). 

Le 2 mai, au cours de combats à Kramatorsk et Semionovka, deux hélicoptères Mi-24 de l'armée de Kiev ont été abattus et des soldats ont été tués (2). 

Le 9 mai, c'était au tour de Marioupol (port du bord de la mer d'Azov) de subir un premier assaut qui a fait une vingtaine de victimes civiles. Le 12 juin, après un mois de résistance, Marioupol a été prise  par les forces de Kiev équipées d'engins blindés et de lance-roquettes. Plus de 300 personnes ont été arrêtées. 

Entretemps, le 29 mai, à Kramatorsk, les rebelles ont abattu un hélicoptère Mi-8, faisant 12 morts, dont un général.  

En réponse », l'armée a lancé une « opération punitive » contre Donetsk, faisant plus de 300 morts du côté séparatiste, et investi le secteur nord de la ville, comprenant l'aéroport, où les troupes de Kiev se sont installées. 

Suivant le désir du président Porochenko de « pacifier l'Est du pays en trois mois », 80 chars ont été engagés contre Slaviansk le 6 juin. Échec. Près de 20 chars auraient été pris ou détruits et un avion Antonov (An-30) a été abattu.  Diffusée le 12 juin par nos médias, ainsi que par CNN et le New York Times, une info venant d'un responsable ukrainien a fait état de la pénétration de 3 chars et de véhicules blindés russes en Ukraine. Démentie par Moscou. 

Le 14 juin, un autre avion, Iliouchine Il-76, a été abattu tandis qu'il était sur le point d'atterrir à Lougansk. Au moins 49 morts. Aussitôt, des manifestations ont été organisées contre la Russie. Des « actions punitives » ont été menées près de Lougansk, avec des camions lance-roquettes. Cela a permis au Gouvernement de Kiev de déclarer à la presse que ses forces avaient tué environ 250 « opposants » pro-russes en 24 heures.  

Ces bribes d'infos sur des événements médiatisés révèlent  l'esprit et la nature de la « guerre », les réactions de David à l'ATO punitive de Goliath. Elles illustrent aussi la « tactique » choisie par Kiev, qui a consisté à attaquer les principaux bastions des insurgés. Mais les troupes ont rencontré des difficultés à entrer dans les villes et y ont subi des pertes. Porochenko a appelé au changement, « au regroupement des forces » pour isoler les zones contrôlées par les insurgés et « empêcher leur ravitaillement en armes et en équipement » via la frontière russe.

 Prélude aux futurs accords de paix de Minsk, un groupe de contact trilatéral comprenant des représentants de l'Ukraine, de la Russie et de l'OSCE, s'est mis au travail.  

Grande offensive d'été 2014 des forces de Kiev qui prennent des villes et occupent l'Est 

Pendant une courte trêve, non respectée, que Porochenko avait décidée le 20 juin (pour « regrouper » ses troupes ?), son armée a encore perdu deux chars, un hélicoptère, ainsi que l'armement de 400 miliciens de la Garde nationale, qui se sont rendus le 26 juin à la police de Donetsk après 7 heures de combat, et qui ont été relâchés.  

Les hostilités ont ensuite redoublé, avec la prise par les forces loyalistes, le 5 juillet, de Slaviansk et de ses voisines, Artemisk et Kramatorsk. Dans un article de l'express.fr intitulé : Ukraine: l'armée reprend Slaviansk abandonnée par les rebelles, on a pu lire : « C'est la plus grande victoire de Kiev depuis le lancement de son opération antiterroriste. ». Les séparatistes s'étaient repliés sur Donetsk, où une grande offensive de Kiev était attendue avec anxiété.  Les forces séparatistes étaient alors estimées à quelques milliers d'hommes, et Strelkov, « ministre de la Défense » des insurgés avait indiqué qu'il faudrait en mobiliser 8.000 à 10.000 de plus pour arrêter les forces de Kiev. 

« L'Europe invite l'Ukraine à la "retenue", les forces de Kiev approchent de Donetsk », a titré ladepeche.fr le 9 juillet. Lors d'un entretien de 40 minutes d'Angela Merkel et François Hollande avec Porochenko, les deux premiers ont relevé l'intention exprimée par ce dernier « de faire preuve de la retenue nécessaire au plan militaire, afin d'épargner les populations civiles », selon un communiqué de l'Élysée (3). Le lendemain Mme Merkel a redemandé par téléphone à Porochenko « une certaine retenue ».  Le 12 juillet, les troupes de Kiev étaient à 20 km de Donetsk. Sous les yeux des médias, « des milliers d'habitants fuient Donetsk ». Et lefigaro.fr a précisé que 70.000 habitants fuyaient la ville... sur un total de 900.000.  Puis, l'attention mondiale a été attirée le 17 juillet par le « crash » du Boeing MH17 de la Malaysia Airlines, qui est tombé à l'est de Donetsk. Nous savons que les parties en conflit se sont mutuellement accusées de cette « bavure » et, qu'aussitôt après, des sanctions ont été prises contre la Russie. 15 mois plus tard, après des « investigations très peu conventionnelles », inachevées, aucune culpabilité n'a été établie, et de nombreux « avis d'experts » divergent. 

Malgré quelques pertes, dont celle remarquée, le 17 août, d'un avion de chasse MIG-29, l'avancée des troupes de Kiev s'est poursuivie, faisant des victimes civiles, adultes et enfants. Elles ont pris plusieurs localités, et notamment: Lissitchansk, à 90 km au nord-ouest de Lougansk, Advdiinka, à 19 km de Donetsk, Yassynouvata, Vougleguisk (oblast de Donetsk), Pervomaïsk, Kalynove et Kamychevachka (oblast de Lougansk), la ville minière de Jdanyika, à 40 km de Donetsk, Krasnyï Louch, au nord de Donetsk. Elles ont réduit le territoire contrôlé par les forces séparatistes.  

Sous des bombardements presque incessants, Donetsk et sa population ont beaucoup souffert. Des médias français s'en sont émus, surtout le 14 août, car 74 civils avaient été tués en moins de 72 heures (4). Ce jour-là, Mary Haft du département d'Etat des USA a demandé à Kiev de « ne pas utiliser d'armement lourd contre la population civile du Donbass » (5). On peut rappeler ici que le 2 août, pendant des pourparlers de paix à Minsk, l'UE a levé les restrictions sur les livraisons d'armes à l'Ukraine qu'elle avait imposées le 20 février 2014, lorsque Ianoukovitch était au pouvoir.  

Donetsk a constitué « un point de fixation » d'importantes forces de feu des loyalistes. Contre toutes les attentes,  Donetsk n'a pas craqué. L'annonce, le 11 août de l'envoi de l'aide humanitaire russe, qui n'a pu arriver à destination qu'après le 22 août, a aidé la population affamée à tenir. Avec l'appoint de volontaires et, sans doute aussi d'armement provenant de Russie, les combattants séparatistes ont résisté.   

Vive progression séparatiste fin août, stoppée le 5 septembre... par le protocole de Minsk 

À leur tour, les insurgés, renforcés par de nouveaux  volontaires, ont lancé une vaste offensive et repoussé leurs ennemis des abords de Lougansk  et de Donetsk, à l'exception de l'aéroport de Donetsk, resté aux mains des troupes de Kiev. Ils ont aussi pris la direction de Marioupol et investi deux localités, proches, Novoazovosk et Telmanovo.  

Kiev a alors "demandé une aide supplémentaire "pratique" et des "décisions cruciales" à l'OTAN et à l'Europe (6). Le 3 septembre, Poutine a proposé un plan de paix au Groupe de contact trilatéral. Vu la forte progression des séparatistes, les hésitations des Ukrainiens ont peu duré. Pourtant, c'est le plan de paix présenté par Porochenko qui a le plus "inspiré" le "Protocole de Minsk" du 5 septembre 2014. Celui-ci  a été cosigné par des représentants de l'OSCE, de l'Ukraine et de la Russie, ainsi que par les dirigeants des deux Républiques du Donbass (7).  

Le texte, en douze points, prévoyait un cessez-le feu immédiat. Et c'est ce qui a le plus retenu l'attention. Mais il y avait aussi des points d'ordre politique et institutionnel importants, tels le point 3: "Conduire une décentralisation du pouvoir, notamment par l'adoption d'une Loi de l'Ukraine " Sur le régime temporaire (ou provisoire) de la gouvernance autonome locale dans des districts particuliers des oblasts de Donetsk et Lougansk" (Loi sur un statut spécial)". Ainsi que le point 9: " Assurer la réalisation d'élections locales anticipées" en conformité avec la dite Loi de l'Ukraine ". Le protocole prévoyait aussi de prendre des mesures pour améliorer la situation humanitaire dans le Donbass et remettre sur pieds son économie. On peut en trouver la VO en russe sur un site de l'OSCE. Il a été jugé flou et imprécis. Et les traductions en anglais et en français sur nos sites sont plus ou moins "interprétatives".

Le 16 septembre, le Président Porochenko a fait voter par la Rada une loi de son crû sur le statut spécial dans le Donbass, qui a presque fait l'unanimité contre elle dans ses rangs. Il lui a été reproché notamment une trop large autonomie accordée aux régions contrôlées par les séparatistes et les amnisties prévues pour leurs combattants  (8). « Nous considérons cette loi comme un point de contact pour un dialogue futur, et non comme un acte de droit », a aussitôt dit André Pourguine, vicepremier ministre de la République de Donetsk. « C'est un non-sens que la Rada ukrainienne prenne des lois non pour l'Ukraine, mais pour le Donbass. Nous avons notre parlement pour cela. » Il a ajouté qu'il n'était pas exclu que certaines dispositions du projet puissent être retenues et aider à coexister en paix avec l'Ukraine (source : Vzgliad  = Regard [9], trad. PK). 

Le 2 décembre, la Rada a modifié la loi sur le « statut spécial » et a précisé les districts et les localités sous le contrôle des séparatistes auxquels appliquer ce statut spécial (10).  

Le protocole, lui, a été complété le 19 septembre par un mémorandum de suivi  (clarificateur ?) comportant un point important, en particulier : la « suppression de toutes les armes lourdes sur 15 km derrière la ligne de contact pour chaque partie du conflit, afin de créer une zone démilitarisée de 30 km ».  Cette « ligne de contact », la ligne de front, était mouvante, discontinue et loin d'être rectiligne. Aussi, la situation n'allait pas restée « figée » comme les « pacificateurs » devaient se douter, d'une part, et le « visage » de la guerre allait encore changer, d'autre part.   

Redéploiement sur la ligne de front et nouvelles avancées des troupes séparatistes 

Les mois de septembre et d'octobre ont connu une relative accalmie et pu être consacrés par les belligérants à se réorganiser, à se redéployer et à renforcer leurs positions sur la ligne de contact entourant l'ouest et du nord du Donbass. Cependant, à partir du 28 septembre, des échanges de tirs et de violents combats ont recommencé entre les troupes de Kiev occupant l'aéroport international de Donetsk et les séparatistes. Des bombardements ont à nouveau frappé le centre de la ville de Donetsk, faisant de nombreux morts. Les affrontements ont duré quatre mois. L'aéroport a été complètement détruit. À Marioupol, ce n'est qu'en fin octobre, après de durs combats, que le cessez-le feu est intervenu. Les séparatistes ont cessé l'encerclement de la ville à l'ouest et au nord. 

 

À partir du 1er janvier 2015, des combats ont eu lieu presque tous les jours sur les 250 km de la ligne de front. Je ne vais pas citer ici toutes les localités qui ont été prises ou reprises, surtout par les séparatistes. Donetsk est restée la cible principale des troupes de Kiev, avec des batailles sur un arc de cercle de plus de 70 km, allant de Gorlovka, au nord, à Novotroitsk, au sud. Les séparatistes ont avancé. Ils ont repris l'aéroport le 20 janvier. Ils ont aussi percé plus au nord et poussé jusqu'à Kramatorsk, à 75 km de la ligne de front, et, le 10 février, ils y ont détruit le QG de l'armée ukrainienne. Le 24 janvier, ils avaient lancé une offensive d'envergure vers Marioupol et pris les localités proches de Chirokino et Sakhanka... pour une courte durée, puisque le sinistre bataillon Azov les a reprises après le 10 février.   Ce début d'année a encore été ensanglanté par des « bavures » des troupes de Kiev qui ont été remarquées par des médias: 13 morts et une quinzaine de blessés, le 13 janvier, victimes civiles d'une attaque à la roquette sur un autobus à 51 km de Donetsk; 8 morts et 13 hospitalisés, le 22 janvier, victimes d'un bombardement sur Donetsk; autres pilonnages aveugles sur Donetsk, avec des missiles balistiques et des bombes au phosphore, le 2 février, infligeant des brulures sévères à des civils ; le 4 février, l'hôpital et une école maternelle de Donetsk frappés par des obus ukrainiens qui ont fait plusieurs morts et des blessés; le 5 février, bombardements par l'armée de Kiev de presque tous les quartiers de Donetsk avec du phosphore et des obus incendiaires...   De très durs combats se sont déroulés autour de Debaltseve, carrefour routier et ferroviaire stratégique entre Donetsk et Lougansk... dans une « poche » profonde d'une vingtaine de km pénétrant entre les républiques de Donetsk et de Lougansk. Les troupes de Kiev l'occupaient depuis septembre 2014 et y avaient concentré des milliers de combattants. Au moins 2.000, pour le magazine Foreign Policy (11), entre 5.000 et 6.000, selon le ministre de la Défense de Donetsk (6). Entre le 1er et le 10 février, après avoir conquis les localités environnantes, les séparatistes ont encerclé Debaltseve et bloqué la route permettant de se replier vers Artémisk, plus à l'ouest.  

En février 2015, l'accord Minsk 2   a préservé les troupes de Kiev de la déroute

 Dès le 6 février, Merkel et Hollande s'étaient rendus en Russie pour discuter avec Poutine d'un nouveau plan de paix. À ce moment-là, les séparatistes avaient regagné plus de 550 km² de territoire depuis le cessez-le-feu de Minsk  de septembre 2014, et ils continuaient d'avancer. Aussi, le 11 février, porteurs de propositions, Merkel et

Hollande   se sont-ils retrouvés à Minsk avec Poutine, Porochenko et les dirigeants des républiques séparatistes (DPR et LPR). Un accord a été conclu le 12, prévoyant un cessez-le-feu à compter du 16 février, la création d'une zone démi-litarisée élargie, avec le retrait des armements lourds à des distances de 15 à 70 km suivant leur calibre et leur portée, ainsi qu'un « complexe » de 11 autres mesures prolongeant, renouvelant, détaillant et/ou complétant celles décidées lors de Minsk 1. La version originale en russe peut être trouvée, avec une traduction en français, sur un site du Courrier de Russie (11). La version originale et les traductions que j'ai lues (12) laissent des zones d'ombre et de flou. Et  Minsk 2 porte les mêmes pommes de discorde que Minsk 1 concernant le calendrier des actions, la tenue d'élections locales à l'Est, le « régime temporaire de gouvernance autonome dans des districts particuliers des oblasts de Donetsk et de Lougansk », la conduite de la réforme constitutionnelle et le « statut spécial » pour ces entités , la reprise du contrôle du gouvernement ukrainien sur toute la frontière avec la Russie, ainsi que la question des amnisties. Porochenko a refusé de négocier avec les dirigeants des républiques auto proclamées. Ce sont donc les initiatives  et les pressions de Merkel et Hollande sur leur ami Porochenko, et de Poutine sur ses protégés séparatistes, qui ont permis cet accord. Deux documents ont été produits: une déclaration commune de Merkel, Hollande, Porochenko et Poutine, qui exprime les intentions et les grands objectifs, en se référant à Minsk I, et un document plus détaillé en 13 points, en russe, intitulé « Un complexe de mesures pour l'accomplissement de l'Accord de Minsk » (trad. PK), qui a été signé par les représentants de l'Ukraine, de l'OSCE, de la Russie  et par les dirigeants de la RN Donetsk et de la RN Lougansk. Pour les aider à surmonter leurs réticences, ceux-ci ont pu voir entérinés leurs gains territoriaux. Des oracles clairvoyants ont prédit que l'accord ne durerait pas plus que le printemps. Ils ne se sont pas trompés. 

La défaite stratégique de Debaltseve 

Le 16 février, les troupes de Kiev repliées à Debaltseve, isolées, non approvisionnées et sous le feu de l'ennemi, étaient à l'agonie. Les chefs séparatistes avaient averti qu'ils respecteraient le cessez-le-feu partout sauf à Debaltseve qui leur appartenait de droit. Les bataillons de l'armée de Kiev ont craqué le 18 février. Le soir même, Porochenko a déclaré qu'il avait ordonné « la retraite planifiée et organisée ». Il a aussi affirmé que 80 % de ses hommes étaient rentrés sains et saufs. « Un tiers, tout au plus », selon le témoignage d'un militaire, recueilli par le New-York  Times,  rapporté  par  France  Culture  (13).  The Guardian, dont des reporters se trouvaient dans deux villes refuges de soldats des bataillons vaincus, a titré « Des soldats ukrainiens se confient sur les horreurs de la bataille de Debaltseve après la cinglante défaite ». Des témoignages, il ressort que des milliers de soldats se sont retirés de la ville, laissant derrière eux leurs camarades morts ou blessés. Une colonne de véhicules blindés portant environ mille hommes qui a tenté de partir par la route au petit matin est tombée dans une embuscade. Les rescapés ont dû fuir à pied à travers champs. Il en aurait été de même de la majorité des soldats qui ont pu s'échapper. Pour Kiev et son armée, cette défaite a été catastrophique. Le commandement a été accusé d'incompétence. Certains des rescapés ont affirmé avec colère qu'ils avaient eu suffisamment d'hommes et d'équipements. Debaltseve a été entièrement détruite. Le 6 avril, une trêve locale avait permis d'évacuer par bus (20 « ukrainiens » et 30 « rebelles ») entre 500 et 700 civils, sur une population qui était alors estimée à 3.000 personnes. En 2013, la ville en comptait 26.000, à 80 % russophones. Des « dégâts collatéraux » d'une ampleur trop ignorée.  

Après Minsk 2 : relative accalmie, puis, nouveaux déluges de feu avant un Minsk 2 bis

Les séparatistes ont commencé le retrait de leur artillerie du front le 24 février et les forces de Kiev, le 26. La plupart des armes lourdes spécifiées dans l'accord avaient été retirées au 10 mars. Des « escarmouches et des violations de cessez-le-feu mineures » [!] presque quotidiennes (14) ont eu lieu jusqu'à début juin. Malgré « des combats et des bombardements incessants », il n'y a pas eu de changement au plan territorial. On a donc parlé d'un « conflit gelé ».  Puis, les affrontements ont repris un cours plus violent le 3 juin, lors de l'attaque par les séparatistes de la ville de Marinka, occupée par les troupes de Kiev, à 23 km au sudouest de Donetsk. À l'issue d'une bataille brève, mais la plus lourde depuis la signature de Minsk 2, selon certains observateurs (15), les séparatistes ont été repoussés. À fin septembre, ils n'avaient pu reprendre cette ville clé.  Les violations du cessez-le-feu, de part et d'autre, se sont multipliées, montant en intensité jusqu'à fin août-début septembre. Les pressions extérieures aidant, après deux mois de pourparlers, les gouvernants de l'Ukraine et ceux des républiques de Donetsk et de Lougansk se sont accordées sur l'arrêt des combats au 1er septembre (16). Le 12 septembre, ceux-ci avaient cessé. Et, le ministre allemand des Affaires étrangères a indiqué que toutes les parties étaient « très près » de s'entendre sur le retrait des armes lourdes de la ligne de contact. Le ministre ukrainien de la Défense a dit que la violence était tombée à son plus bas niveau depuis le début de la guerre (17). 

Un accord « Minsk 2 bis » sur le retrait des armes de moins de 100 mm a été signé à Minsk le 29 septembre entre les émissaires de l'Ukraine, de la Russie et de l'OSCE au sein du groupe de contact. Minsk 2 n'avait décidé que du retrait des armes de plus de 100 mm de calibre... et il n'a pas été respecté. La mise en œuvre de l'accord devait prendre 41 jours, et « désarmer » ainsi une « zone tampon » large de 30 km entre les belligérants. Toutes les parties s'en sont réjouies, et félicitées (18). Y compris les séparatistes, qui n'étaient pas à Minsk le 29 septembre. Sans parler des questions territoriales, au moins trois points litigieux sont encore restés en suspens: la « large autonomie »  promise aux  régions rebelles; la reprise, exigée par Kiev, du contrôle des 400 km de frontière avec la Russie; la tenue d'élections propres en RN de Donetsk le 18 octobre et en RN de Lougansk le 1er novembre, tandis que celles de l'Ukraine ont été fixées au 25 octobre.   

Un très sombre bilan... encore provisoire 

À la fin septembre 2015, l'OCHA avait dénombré 8.050 morts, dont 2 500 civils dans l'est, et  plus de 18.000 blessés. À ces victimes, il faut ajouter, au 15 août, 1.438.000 personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine, dont 746.000 habitants des oblasts de Donetsk et de Lougansk, ainsi que 357.000 habitants des oblasts voisines de Kharkov, Dniepropetrovsk et Zaporojie. Il y en a aussi eu 155.000  à Kiev et plus de 30.000 dans l'oblast d'Odessa.  

En outre, 1 121 000 personnes ont fui le pays. 912 000 se sont réfugiées en Russie et 126 000 en Biélorussie. Il y a eu 68 000 partants pour la Pologne et nettement moins vers la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Moldavie.  Au 15 août, l'OCHA a aussi compté 5 millions personnes dans le besoin (privées d'accès à la nourriture, à l'eau potable, aux soins et aux services médicaux...), dont 2 millions le long de la "ligne de contact" et 2 millions à l'intérieur de la zone contrôlée par les rebelles, derrière cette ligne. Et ces estimations ne rendent pas compte des destructions de logements, d'écoles, de crèches, d'hôpitaux et de centres de santé, de bâtiments administratifs, de commerces, de routes, de ponts, de l'aéroport de Donetsk, anéanti, des entreprises de production et de distribution d'électricité, de gaz, d'essence et de fioul, d'usines, de mines... Et, l'encerclement des territoires rebelles rend très difficile leur approvisionnement et renchérit les coûts de tous les produits, y compris de ceux de première nécessité.

Qui recherche réellement la paix en Ukraine ?

Au Sommet de Paris du 2 octobre, le processus de paix de Minsk est "retardé"

L'accord « Minsk 2 bis » a précédé de trois jours la Réunion « au format Normandie » à laquelle François Hollande a convié le 2 octobre à l'Élysée  Angela Merkel, Petro Porochenko et Vladimir Poutine. Le quatuor a dû constater que la mise en œuvre complète des accords de Minsk « prendra plus de temps », selon les termes de Hollande, et ne s'achèvera pas à la fin de l'année 2015 comme il était prévu. Aucune nouvelle échéance n'a été fixée.  

Le jour même, sur lemonde.fr, un article (très « approximatif ») intitulé « Ukraine : un nouveau calendrier pour les accords de Minsk » (19), indiquait que « les quatre dirigeants se sont accordés sur les prochaines étapes du processus »,  et faisait état d'annonces de Hollande... sur lesquelles l'accord des parties est loin d'être unanime.  

Sur l'ambiance de la réunion, l'article  du 5 octobre du Courrier International « Vu d'Ukraine. Sommet de Paris : une déception pour Kiev » (20) est édifiant. On y apprend que la conférence de presse qui devait réunir les quatre chefs d'État a été annulée (une conférence de presse a réuni le couple Merkel-Hollande), que du « quatuor normand », personne n'a obtenu ce qu'il voulait... et que Poutine a quitté l'Élysée en trombe, visiblement crispé.  

Les objectifs de l'UE, ont été expliqués par une « source française » (non identifiée) à La République des Pyrénées (21). « L'ultime point des accords de Minsk, c'est la normalisation en Ukraine, c'est à dire le retrait des forces stationnées dans le pays et la sécurisation de la frontière russo-ukrainienne »... « Cette normalisation passe aussi par des élections locales qui permettraient de réintégrer le Donbass séparatiste dans l'ensemble ukrainien. » 

D'où l'insistance de Hollande pour « retarder » les élections rebelles des 18 octobre et du 1er novembre, afin de les « mettre en conformité » avec une nouvelle loi électorale à voter par la Rada. Sur ce point, comme sur les autres, Poutine a dit ne pouvoir s'engager à la place des dirigeants de la République populaire de Donetsk (RPD) et de celle de Lougansk (RPL). Il a promis de leur en parler (22).  

Il l'a fait. Et, le 6 février, lemonde.fr, ainsi que europe1.fr (23) se sont réjouis du report à 2016 des scrutins par les

séparatistes, salué par l'UE comme « un nouvel espoir d'un règlement politique durable du conflit ». Hollande et son entourage ont pu se congratuler. Pour la-croix.com, plus perspicace, « l'Ukraine entrevoit une trêve durable dans l'est » (24)... mais, « le règlement définitif de la crise (est) encore loin ». Pour satisfaire le préalable inconditionnel aux votes, réaffirmé à la Rada le 7 octobre, de la reprise du contrôle des 400 km de frontière, il faudrait « un complet retournement de la politique russe en Ukraine ». C'est, évidemment, très difficile de l'imaginer.  

Les négociations au format Normandie « ignorent » les intentions réelles des belligérants 

L'optimisme risque d'être de courte durée, car, d'après Sputnik News (25), le chef de la République autoproclamée de Donetsk a signé un décret déplaçant la date des élections au 20 mars 2016. Et dans la République de Lougansk, elles pourraient peut-être se tenir en févier. Les dirigeants des deux républiques auraient déclaré que ces décisions ont été prises après que le Gouvernement ukrainien ait continué à avancer pour adopter une loi sur les élections locales sans les consulter d'abord. En contradiction avec l'accord de paix de Minsk sur la réconciliation ukrainienne.  

En effet, au  7 octobre, le comité sur la Sécurité et la défense de la Rada a recommandé à celle-ci d'adopter un projet de loi « Sur des amendements à quelques lois d'Ukraine » (quant aux fonctions des administrations militaro-civiles) (26). L'adoption du projet permettrait, notamment, aux corps de gouvernance locale des territoires de Donetsk et de Lougansk d'assurer l'exercice de leurs autorités pendant l'opération antiterroriste.   

En outre, le 6 octobre, la Rada a adopté en deuxième lecture, par 229 voix (un minimum de 225 étant requis) une loi "Sur le service militaire d'étrangers dans les forces armées de l'Ukraine". Les députés estimeraient que "grâce à la possibilité pour les étrangers de servir légalement dans l'armée, le pays obtiendra plusieurs bataillons efficaces, expérimentés et motivés, pouvant compter jusqu'à 10 000 hommes". Cela permettra de réduire la mobilisation et de limiter les versements aux combattants, aux invalides, et aux familles des défunts" (27). En complément, la Rada aurait adopté aussi une loi facilitant l'acquisition de la nationalité ukrainienne aux étrangers servant dans l'armée.

Il ne faut pas se méprendre sur les intentions réelles des belligérants. Ces « péripéties » montrent aussi  des limites de la stratégie de l'UE portée par le « format Normandie ». Les rebelles ne participent pas directement aux négociations. Sinon, ce serait une reconnaissance de leur « souveraineté », inacceptable par Kiev et ses protecteurs.   

Les « pleins pouvoirs » de Poutine  sur les « rebelles » du Donbass ont des limites 

Voilà donc Poutine intercesseur, chargé de porter la « bonne parole » aux séparatistes, de les convaincre, les contraindre, lui, le tout puissant, qui les arme et les soutient. Pour le pousser à filer droit, il y a les « sanctions » contre la Russie et de mauvais Russes. Ce faisant, on surestime les capacités d'influence de Poutine sur les « rebelles », sa « mainmise sur les insurgés ». Ceux-ci sont déterminés et ont leurs propres objectifs. Ils se méfient de Kiev et de ses alliés étrangers. Ils éprouvent des craintes (surtout les civils)... et des ressentiments après ce qu'ils ont subi. Ils ne sont pas tous « pro-russes » au même degré, et chez eux, comme chez les « loyalistes » ukrainiens, il y a des « faucons ». 

Poutine a pu mesurer combien la majorité de la population russe approuvait le soutien aux séparatistes de l'Est de l'Ukraine. Les Russes ne peuvent rester indifférents au sort de leurs « frères », dont pas loin d'un million se sont réfugiés en Russie. De part et d'autre de la frontière, les gens sont semblables (origines, histoire, religion, langue...), et il y a des familles « transfrontières ». En outre, l'hostilité de l'UE et des USA, ainsi que les sanctions, ont remobilisé les Russes derrière leur président, duquel ils attendent de la  détermination. Aussi, vis à vis de son peuple, sur l'Ukraine, Poutine a des « obligations ». Et, il ne faut pas oublier le commandement de l'armée russe. Il a coupé court à la menace de mainmise de l'OTAN sur la Crimée et Sébastopol. Peut-il accepter que l'Ukraine entre dans l'OTAN et que des bases militaires et des rampes de lancement de missiles soient  installées à ses portes, là aussi ?   

Une dictature  impopulaire discréditée en Ukraine 

Porochenko et son Gouvernement sont devenus très impopulaires. En mars 2015 (un mois après Minsk 2... et Debaltseve), selon un sondage du R & B Group, 33 % seulement de la population approuvaient les actions de Porochenko, 24 % celles du Premier ministre Iatseniouk, et 24 % celles de la Rada (28). À la fin juillet 2015,  Die Welt indiquait que la cote de popularité de Porochenko était en chute libre, à 15 % (29). Un record. Et, en septembre 2015, selon une enquête du Centre ukrainien Razumkov, pour 66 % de la population, la situation évoluait dans la mauvaise direction, contre 16,7 % qui pensaient le contraire (30). Désapprobation du peuple ukrainien, donc. Et absence de « contrepouvoirs » légaux. Il faut le dire! Non, le régime en place n'est pas une démocratie... populaire. 

Les reproches des Ukrainiens portent, notamment, sur l'incapacité à mettre fin à une guerre fratricide meurtrière, sur l'insécurité, sur la sévère détérioration de la situation matérielle des gens, de leurs conditions de vie, sur la ruine économique et financière du pays, quasiment en état de défaut de paiement, sur l'absence de progrès dans la lutte contre la corruption et les abus des oligarques. Porochenko lui-même n'a pas tenu sa promesse de vendre ses nombreuses entreprises, et reste le « roi du chocolat ». Les Ukrainiens ne croient plus en lui et le trouvent faible. En Ukraine, c'est grave. En fait, il « tient » essentiellement grâce à ses appuis extérieurs, dont il est dépendant.   

Les lois sur la désoviétisation  avivent les haines et les dissensions 

Le Gouvernement a ouvert un autre front aux hostilités, principalement contre l'Est et le Sud, à l'aide de quatre lois « mémorielles » de désoviétisation, adoptées par la Rada le 9 avril 2015. Ce sont, en fait, des  tentatives de dérussification, dans le même esprit que la loi de février 2014 sur la dé classification de la langue russe, qui avait mis le feu aux poudres et sur laquelle il avait dû revenir. Ces lois condamnent « les régimes totalitaires communiste et nazi en Ukraine », interdisent « toute négation publique » de leur « caractère criminel », sanctions à l'appui... et imposent, notamment, de rebaptiser les noms de nombreuses localités (dont Dniepropetrovsk, Kharkov, Kirovograd...), de rues, places et monuments faisant référence au régime soviétique, à ses (ex) dirigeants, personnalités, héros...  

Le 11 avril, lemonde.fr a titré « L'Ukraine veut effacer sa mémoire soviétique ». Son rédacteur a compris que ces lois « proposent au pays une révolution mentale aussi profonde que périlleuse » (31).   Périlleuse, à coup sûr ! 

 

Pour un rédacteur de L'Obs, le 15 avril, « L'Ukraine veut se "désoviétiser" » (32) :  Il voit 4 leçons à tirer de cet acte historique et stratégique : «  1. Tuer le père pour devenir libre ; 2. Le politique précède la justice ; 3. ... c'est une véritable guerre civilisationnelle entre l'Ukraine et la Russie... où les mémoires deviennent incompatibles ; 4. ... guérir du marxisme - communisme - socialisme  et entrer, enfin, dans le XXIe siècle : le monde global, horizontal, interconnecté et interdépendant ».  Il n'est pas sûr que ces analyses rejoignent celles de nombreux Ukrainiens ! 

Pour Ruptures, le 14 avril, « Kiev institue une chasse aux sorcières légale via des lois dites mémorielles » (33).   Sous le titre « Ukraine : des lois mémorielles amnésiques », le 20 avril, causeur.fr a jugé que « Kiev amalgame nazisme et communisme » (34).  Un amalgame destiné à justifier l'agression contre une partie de son passé. 

Un article lucide du journal suisse Le Temps du 22 juin, « Désoviétiser le pays à marche forcée », souligne que « Sous couvert de renforcer l'identité ukrainienne, la Rada s'en prend frontalement à la Russie, au risque d'attiser la haine entre séparatistes et loyalistes. Les lois nourrissent les dissensions entre les Ukrainiens, dont beaucoup ont des ancêtres en Russie, quand ils ne sont pas eux-mêmes nés de l'autre côté de la frontière » (35). Deux détails encore: chanter ou jouer l'hymne soviétique coûtera 10 ans de prison ; 10.000 noms devront être dé soviétisés.  Le travail  a commencé le 24 septembre à Artemisk (à 50 km de Donetsk), qui devient Bakhmout. Les noms de 80 rues y seront changées. Une provocation qui risque fort de faire encore des victimes !  

L'interdiction des partis communistes  en Ukraine, un acte belliqueux de plus 

Poursuivant dans la même voie, et voulant aussi réduire à néant l'opposition « légale », le Gouvernement ukrainien a déclaré le 24 juillet l'illégalité du Parti communiste d'Ukraine, du nouveau Parti communiste et du Parti communiste des travailleurs et des paysans. Il leur a retiré la qualification de parti politique. Ils ne peuvent plus participer à des élections. Motif: violation de la récente loi qui met sur le même pied le communisme et le nazisme (36).  

J'ai trouvé trace, en français, de cette décision seulement sur des sites de médias communistes, apparentés et sympathisants. Apparemment, cette forme de dictature, l'atteinte à la liberté d'expression (de la presse aussi) et la xénophobie ne dérangent pas nos gouvernants, nos parlementaires... épris de justice, portant haut les valeurs

de la République. Merkel et Hollande ont été muets sur ces sujets. Du moment que c'est pour la bonne cause ! 

L'interdiction est assez stupide. Les opposants resteront des opposants, plus déterminés encore. Avec les lois « mémorielles », elle ne peut que soutenir la motivation « pro-russe » ou séparatiste à l'Est et au Sud, ou, au-delà, la volonté d'indépendance complète ou de rattachement à la Russie.  Ce sont des expressions de jusqu'auboutisme qui rendent beaucoup plus difficile un cheminement « négocié » vers une solution durable. 

Elles n'ont pas fait remonter la cote de Porochenko et l'estime pour le Gouvernement et la Rada. Si elles étaient destinées à satisfaire les « souverainistes » les plus durs et le Secteur droit, on peut observer qu'elles ont échoué.   

Depuis l'été 2015, les ultranationalistes  sont des ennemis déclarés de Kiev 

À la mi-juillet, nous avons appris que « Les ultranationalistes de Pravy Sektor déstabilisent l'ouest de l'Ukraine », titre d'un article de Geopolis (37), et/ou que « La Transcarpatie cède à la guerre des clans », titre d'un article de Libération (38). La Transcarpatie, région montagneuse et boisée à l'extrême sud-ouest de l'Ukraine, frontalière avec la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie, est un haut lieu de la contrebande, source de revenus pour des trafiquants et les autorités locales. À partir du 11 juillet, des milices du Secteur droit se sont battues contre les gardes d'un député local et la police. Véhicules blindés, grenades et armes automatiques ont fait 3 morts et 13 blessés. Des combattants du Secteur droit ont pris le maquis, pourchassés par les forces spéciales. Ces affrontements, qui ont eu un fort écho dans le pays, ont été perçus comme une déclaration de guerre.  

Pour l'historien Volodymyr Savelyev (cf. Libération), « Un tel drame était inévitable et est le révélateur d'une crise systémique : la domination des criminels armés sur le pays, la corruption et l'absence de réformes véritables ». Avec inquiétude, la chaîne Arte a indiqué le 3 août (39) que les ultranationalistes du Secteur droit comptaient près de 10.000 hommes, combattaient les pro-russes à l'Est, et étaient depuis peu les ennemis de Kiev. En fait, cela faisait des mois que le mécontentement des ultras montait, qu'ils réclamaient des changements aux ministères de l'Intérieur et de la Défense, à la tête de l'armée, ainsi que plus d'engagement contre les rebelles du Donbass.

Une violente secousse a ébranlé Kiev et tout le pays le 31 août, jour où la Rada votait en première lecture une loi sur la décentralisation. L'extrême droite l'accusait de donner trop d'autonomie aux républiques séparatistes, d'être « anti ukrainienne ». Au cours de manifestations d'une rare violence devant le Parlement, l'explosion d'une grenade a fait 3 morts et 90 blessés parmi les policiers (40). Sans doute plus de 140 au total. 30 manifestants ont été arrêtés.  

Dans un article de Libération du 1er septembre, intitulé « L'Ukraine en danger d'enlisement » (41), l'auteur estime que « l'extrême droite est une menace certes, mais elle reste politiquement marginale - avec 4 % des voix aux dernières élections - même si les liens de ses milices avec le crime organisé constituent un réel problème d'ordre public ». Pas un problème politique et militaire, donc ! À ceci près, que des membres importants du Gouvernement font partie et/ou soutiennent ces mouvements, et que des milices et des régiments de la Garde nationale réputés néonazis  sont aussi financés par de puissants oligarques. À la Rada, siègent 29 députés de partis ultranationalistes (le Parti radical, Svoboda et le Secteur droit). Et, dans un article de Médiapart du 24 juillet intitulé « Pravy Sektor, le groupe paramilitaire ultranationaliste, étend son emprise  en Ukraine » (42), il est rappelé, notamment, que le chef de Pravy Sektor (PS) Dmytro Iaroch a été nommé conseiller du chef de l'étatmajor des armées en avril 2015. 

Militairement, le Gouvernement de Kiev est prisonnier de ces forces « ultranationalistes », dont il est aussi l'ennemi. Le 20 février, déjà, lors d'un « talk » politique très regardé,  l'ambassadeur ukrainien en Allemagne, Andriy Melnyk  avait déclaré que les troupes d'Azov et du Secteur droit néo-nazis faisaient partie des forces armées ukrainiennes, qu'elles étaient contrôlées et coordonnées par le régime pro-occidental de Kiev... et que sans eux, l'avancée russe aurait été bien plus importante (43). Le Gouvernement est pris entre plusieurs feux. Cela explique en partie ses louvoiements, les revirements et le triple langage de Porochenko, difficile à comprendre par la population.  

Intrusions occidentales en Ukraine  et indépendance nationale 

Dans les reins de Porochenko et de son Gouvernement, pointent aussi les piques de l'UE, avec les fers des lances de Merkel et Hollande, celles des USA et de l'OTAN, ainsi que celles du FMI. Ces acteurs ont leurs objectifs propres, dont la coïncidence avec l'intérêt de l'Ukraine et les vœux des Ukrainiens n'est pas évidente. 

Ainsi, Porochenko désire à tout prix faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN, et réciproquement. La majorité des Ukrainiens persistent à ne pas le vouloir. Et les grandes manœuvres avec des troupes de l'OTAN en Ukraine, ainsi que les activités de conseillers et « formateurs » militaires américains, canadiens, anglais... peut inquiéter plus que rassurer sur les intentions réelles de paix du pouvoir, et présager une aggravation et une extension du conflit armé.  

Par contre, une grande partie de la population souhaiterait l'entrée du pays dans l'UE, et les « séparatistes » n'y seraient pas opposés. Mais, si les dirigeants de l'UE font ce qu'ils peuvent pour attirer l'Ukraine dans le giron occidental, ils n'envisagent pas vraiment de lui ouvrir les portes de l'Union. Trop cher, et il y a assez de problèmes dans l'UE pour en ajouter de gros. De plus, les sondages effectués dans la plupart de nos États sur cette éventualité donnent des résultats négatifs. Il ne faut surtout pas le dire franchement aux Ukrainiens ! À quoi joue-t-on alors ?  

Les nominations d'étrangers (nationalisés) à la tête de ministères importants, et celle de l'ex Géorgien Saakachvili à Odessa, associées à l'encadrement politique, économique et financier par les acteurs précédents, irritent certains. Elles suscitent de plus en plus « d'interrogations » sur l'indépendance réelle de l'Ukraine... ou sa mise sous tutelle.   

Obama négocie-t-il avec Poutine au-dessus de Merkel, Hollande et Porochenko? 

Aussi, pour ne pas affoler les « souverainistes », Porochenko a-t-il dû affirmer le 21 septembre que le plan proposé par Pierre Morel, le coordinateur du Groupe de Contact Trilatéral (GCT) devait être considéré comme « l'opinion personnelle de M. Morel » (44). Ce « plan Morel », dont nos médias ne nous ont pas parlé, plaide en faveur de la tenue des élections dans les territoires occupés du Donbass sans que le retrait des armes lourdes et des armes étrangères soit obligatoire. C'est assez réaliste, mais contraire aux accords de Minsk et de l'Élysée. 

Au cours de la réunion du GCT, à laquelle l'Ukraine a participé, des discussions ont eu lieu sur le projet de loi spéciale concernant les élections dans les zones incontrôlées de Donetsk et de Lougansk. Selon l'hebdomadaire ukrainien Zerkalo Nedeli, à l'issue de la réunion, le ministre allemand des Affaires étrangères a déclaré que « les modalités et le calendrier pour les élections locales sera élaboré au sein du GCT. Il se focalisera sur les propositions avancées par Pierre Morel, le coordinateur de ce groupe de travail, et le protocole de Minsk ».  

Or, les propositions du plan Morel ont été établies par Victoria Nuland, secrétaire d'État adjoint des USA, et Grigory Karasin, ministre des Affaires étrangères de la Russie (45). Tous deux s'étaient rencontrés pendant 2 h 30 le 9 juillet à Zurich pour confronter leurs points de vues et examiner quelles idées apporter d'ici la fin juillet pour influencer les parties au conflit ukrainien. Cette réunion s'est tenue conformément aux instructions des présidents Obama et Poutine, après le précédent échange téléphonique entre ces derniers (46). Comme convenu, le 22 juillet, une communication téléphonique entre Nuland et Karasin leur a permis d'avancer sur le sujet (47). 

Derrière Merkel, Hollande et Porochenko, au-dessus d'eux, les vrais « maîtres du jeu » avaient décidé de discuter du conflit et de s'entendre directement. Petit rappel : Victoria Nuland, très impliquée dans l'éruption de Maïdan, avait prononcé le 10 février 2014 le retentissant « fuck the EU ».  

Les 28 n'avaient pas osé répondre (48). C'était déjà de mauvais augure! En outre, l'aide américaine aux ultranationalistes néo nazis, qu'elle a soutenue, sinon promue, est de plus en plus mal acceptée aux USA (49). Le fait que ses protégés soient devenus des ennemis de Porochenko pose évidemment problème à Barak Obama et appelle une adaptation de la stratégie US. Le MoyenOrient aussi.

Pourquoi Kiev a intérêt à conclure rapidement avec les séparatistes

Forces armées : le déséquilibre entre les « Ukrainiens » et les séparatistes s'est réduit 

L'état major de l'armée de Kiev a laissé « filtrer » le 15 août un tableau comparatif des forces militaires de l'Ukraine et de celles des républiques de Donetsk et Lougansk, qui tend à montrer qu'elles sont relativement équilibrées (50). Peut-être pour mieux expliquer aux Ukrainiens pourquoi les troupes de Kiev sont tenues en échec.  

Les deux républiques du Donbass disposeraient de : 45.000 hommes (dont 8.500 de l'armée régulière russe), 600 tanks, 1.450 véhicules blindés de combat, de 510 pièces d'artillerie et de 280 lanceurs de roquettes multiples.  

Le 24 août, Porochenko a déclaré à ce sujet que « Moscou a fourni aux rebelles jusqu'à 500 chars, 400 systèmes d'artillerie et 950 véhicules blindés » (51). Il n'a pas dit combien d'armements avaient été pris aux troupes de Kiev. 

À l'Est, l'armée ukrainienne  aurait 73.000 hommes, 360 tanks, 1.400 véhicules blindés, 800 pièces d'artillerie, 230 lanceurs de roquettes, 40 avions de combat et 40 hélicoptères (50).  

Or, sur l'armée ukrainienne, nous avons les données très différentes de Globalfirepower du début de l'année 2015 (que l'Ukraine n'a pas contestés, semble-t-il, et qu'elle a surement aidé à établir) 160.000 hommes (et un million de réservistes), 2.800 tanks, 8.200 véhicules blindés, 2.970 pièces d'artillerie, 625 lanceurs de roquettes multiples, 222 avions de combat et 124 hélicoptères (cf. mon dernier article).  

Depuis, les pertes « matérielles » ont été sévères. Mais, le secrétaire du Conseil de sécurité et de défense a déclaré le 9 septembre (52) que les armées ukrainiennes avaient été rééquipées en véhicules de combat ainsi qu'en artillerie, et que le nombre des lanceurs de roquettes avait doublé. Cependant, selon Southfront (53), beaucoup d'unités sont dépourvues d'équipements modernes... et de commandements capables. Aussi, même si les chiffres ci-dessus sur les forces des séparatistes sont « gonflés », le déséquilibre en armement des forces en faveur de Kiev s'est réduit.  

Du côté des forces combattantes séparatistes, les volontaires venus d'Ukraine et de l'étranger, de Russie surtout, ont afflué. Elles comptent maintenant plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Ce n'est plus le David d'avril 2014. 

Du côté des forces combattantes de Kiev, une partie des conscrits, hésitants et/ou récalcitrants, ont été remplacés. Des volontaires ont renforcé la Garde nationale et les régiments de choc. Mais, de graves fléaux minent l'armée

 

La conscription a été un échec, en qualité et quantité. Porochenko a décidé de ne pas lancer de septième vague de mobilisation. Lors de la sixième,  27.000 conscrits, soit plus de la moitié, se sont soustraits au service militaire (52).  

Autre gros problème: les désertions. En 2014, les autorités avaient déjà enregistré plus de 10.000 déserteurs, qui dénonçaient des conditions de vie « horribles » dans l'armée et répugnaient à tuer leurs compatriotes. Au début d'octobre, le procureur général Matios a indiqué aux médias : « Nous avons étudié environ 16.000 affaires criminelles sur les déserteurs ayant quitté les zones d'opérations militaires. La plupart d'entre eux ont quitté avec leurs armes ». Sur ces 16.000 déserteurs, au moins 3.000 militaires et 5.000 agents de police ont rejoint les séparatistes. 

Les forces de Kiev subissent aussi des « pertes hors combat », dues à l'inattention, à de violentes rixes entre des soldats, souvent dues à l'abus d'alcool, à des conflits personnels ainsi que des disputes sur le partage des profits issus du racket des populations et des reventes d'équipements et d'armes. La corruption et un  important trafic sévissent. Beaucoup d'armes proviennent du Donbass (armes à feu, grenades, lances roquettes...) et se retrouvent à l'Ouest ou à l'étranger, entre les mains d'organisations criminelles. Ainsi, Southfront a rapporté le 17 octobre (54) que 21 lance-roquettes antichars RPG-26 avaient été saisis à la frontière entre l'Ukraine et la Pologne dans un bus allant de Kiev à Wroclaw. Des militaires des bataillons de volontaires seraient au cœur de ces trafics. 

Il n'est donc pas étonnant qu'Obama s'oppose aux décisions de livraisons d'armes à l'Ukraine.  

D'autres raisons de s'entendre avec les séparatistes du Donbass sans perdre de temps 

La « loyauté » et l'engagement des troupes ultranationalistes ne sont plus assurés. Ainsi, répondant peut-être aux ordres d'un oligarque local, le régiment Azov est-il revenu à Kharkov. Environ 200 de ses hommes, masqués, ont assailli le bâtiment du Conseil de la ville et se sont violemment heurtés à la police. Kiev est donc confronté à un très gros problème. Privée de ces régiments ultranationalistes, son armée serait considérablement diminuée. Pour noircir encore le tableau, l'Ukraine doit faire face à des menaces séparatistes en Bucovine, une région du sudouest, que, malgré son appartenance à l'OTAN, la Roumanie voisine s'approprierait volontiers. Rappelons que des aspirations séparatistes, propolonaises et pro-hongroises se sont manifestées avec violence en juillet dans le Grand-Ouest... et que Pologne et Hongrie manifestent beaucoup d'intérêt à l'égard de cette région.  Autres détails matériels avec lesquels Porochenko doit compter : l'Ukraine est dépendante de la Russie pour son approvisionnement en gaz, et les Républiques « terroristes » lui fournissent 40.000 tonnes de charbon par jour.  

L'hiver risque d'être froid pour les Ukrainiens si les relations s'enflamment à nouveau.  Avec Maïdan, la boîte de Pandore a été ouverte. À tous les plans, la situation est complexe et instable. La paix ne tient qu'à un fil ténu.  

Cela devrait inciter Porochenko et son Gouvernement à négocier avec réalisme la paix avec les séparatistes de l'Est en leur accordant une large autonomie, et en acceptant une réelle décentralisation des pouvoirs en Ukraine (tout en veillant à ce que les oligarques locaux n'en abusent pas). Ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. 

L'intervention militaire de la Russie en Syrie et son rapprochement avec l'Iran ont changé la donne dans les relations des USA et de leurs alliés avec la Russie. Est-ce, enfin, un bon signe pour les Ukrainiens ?  

Redéploiement géostratégique de la Russie, et torts chez nous

Les sanctions et les tentatives d'isoler la Russie ont poussé celle-ci à redéployer ses ailes 

Les sanctions prises contre la Russie, y compris le refus de Hollande de livrer les deux navires Mistral à Moscou, n'ont pas été appréciées de la même façon dans tous les

pays en Europe. Blocus et mesures de rétorsion ont nui à nos agriculteurs ainsi qu'à nos entreprises industrielles et de services. Nos médias en ont assez parlé. Mais l'arrêt, voulu par les USA, du rapprochement entre l'UE et la Russie et l'isolement dans lequel on a cherché à enfermer celle-ci aux plans économique, politique et militaire a eu des conséquences géostratégiques loin d'être anodines. 

 

 

 

 

 

 

Avec la Biélorussie et le Kazakhstan, la Russie a relancé l'Union économique eurasiatique (UEE) par un traité cosigné le 29 mai 2014 (55). L'Arménie s'est jointe à l'UEE le 1er janvier 2015, le Kirghizistan a suivi le 8 mai et des discussions sont en cours avec le Tadjikistan, candidat, ainsi qu'avec l'Ouzbékistan et le Turkménistan. À l'Occident, cette démarche ne manque pas d'être taxée de volonté de la Russie de reconstituer l'empire soviétique. 

En mai 2014, Poutine a été accueilli à bras ouverts à Pékin. L'alliance entre la Russie et la Chine a été confirmée, et un rapprochement économique réactivé. Un contrat portant sur l'approvisionnement de la Chine en gaz russe pendant 30 ans a été signé. Puis les liens se sont renforcés et diversifiés.  

« La Chine vient de se ranger du côté de la Russie sur le conflit ukrainien » a affiché Zero Hedge (en anglais) le 27 février 2015, faisant état d'une déclaration de soutien à la Russie de l'Ambassadeur de Chine en Belgique, Qu Xing, dans laquelle il a appelé les puissances occidentales à « prendre en considération  les inquiétudes légitimes de la Russie pour sa sécurité, concernant l'Ukraine » (56). 

Le 9 mai 2015, les chefs d'État de l'Occident ont boycotté la cérémonie célébrant à Moscou les 70 ans de la fin de la Seconde guerre mondiale, qui avait fait 20 millions de morts en URSS. Le président Xi Jinping, lui, est venu réaffirmer la solidarité de la Chine avec la Russie et rehausser le « partenariat stratégique global » entre les deux pays. Le président de l'Inde était là aussi. Et des soldats chinois ont participé au défilé militaire sur la place Rouge (57).  

Une coopération militaire s'est instaurée. La Russie fournit, notamment, des missiles de pointe à la Chine. Dès le 12 mai, des manœuvres navales conjointes ont eu lieu en Méditerranée. Et 5 exercices conjoints Russie, Chine et Inde ont été prévus pour l'année 2015 (58). La dernière en date s'est déroulée du 23 au 27 août à proximité de Vladivostok, en mer du Japon (mer de l'Est, pour les Chinois). De grande ampleur et à haute technologie, l'exercice a mobilisé 23 navires, 2 sous-marins, 20 avions de combat, 40 véhicules blindés... a été vu comme une démonstration de force face à l'alliance militaire nippoaméricaine (59). 

« Poutine: à la recherche d'alliés en Amérique latine » a titré Perspective Monde, faisant écho à la tournée du président russe du 11 au 17 juillet (de retour le jour du

crash du vol MH 17) à Cuba, au Nicaragua, en Argentine et au Brésil. Il s'agissait de resserrer les liens avec ces pays amis, avec aux menus, notamment: à Cuba, la coopération pétrolière dans le golfe du Mexique et la création d'une base de ravitaillement pour les navires russes... après que la Russie ait effacé 35 milliards $ de dette cubaine; au Nicaragua, de nombreux projets communs et une base pour les navires russes; en Argentine, plusieurs accords sur les énergies nucléaires; au Brésil, la coopération bilatérale, ainsi que la participation, les  15 et 16 juillet, au Sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) (60).   À ce sommet, ont assisté aussi 11 présidents latinoaméricains. La création d' une Banque de développement des BRICS a été décidée, vouée à financer des grands projets d'infrastructure d'intérêt général dans les pays qui en feront la demande. Il s'agit de se démarquer de la Banque Mondiale et du FMI, jugés  incapables de se réformer et de tenir compte de l'ascension des grands pays émergents. Trop inféodés aux Américains et aux « Occidentaux ». 

Localisée à Shanghai, la « Nouvelle banque de développement », dotée d'un capital de 100 milliards $, a commencé ses opérations en juillet 2015 (61). 

Le rapprochement militaire de la Russie avec l'Iran a été plus remarqué chez nous et en Israël lorsque « Poutine a levé l'interdiction de livrer à l'Iran des missiles S-300 », selon les termes employés par Le Monde le 13 avril 2015 (62). En fait, un accord avait déjà été signé au début de l'année pour renforcer « la coopération militaire bilatérale en raison des intérêts communs ». Les deux pays coopéraient déjà au plan économique depuis des années... et soutenaient le président Syrien Bachar AlHassad. 

Si le conflit en Ukraine n'a pas été le seul déclencheur de ce redéploiement économique et géostratégique, les sanctions et les tentatives d'isolement de la Russie en ont été un stimulateur. Elles ont contribué à pousser la Russie vers la Chine et vers les autres grands pays émergents, ainsi qu'à l'éloigner de l'Europe et de la France. Dommage! Il nous est également donné d'observer combien l'hégémonie américaine suscite de méfiance, de craintes et de réactions contre sa vision unipolaire du monde. 

« Russie: Poutine renforce son arsenal nucléaire face à l'OTAN », a titré Le Parisien sur son site le 17 juin (63). La Russie venait d'annoncer le déploiement de plus de 40 missiles balistiques intercontinentaux et d'un sous-marin lanceur d'ogives nucléaires. C'était trois jours après la révélation par le New York Times d'un projet du Pentagone d'installation d'armes lourdes dans des pays d'Europe de l'Est.  On a donc le droit de s'inquiéter et de ne pas prendre à la légère le « conflit ukrainien », ses débordements en Europe et le danger pour la paix mondiale qu'il porte.   

En Allemagne, de très vives critiques  de la politique atlantiste et anti Russie 

Une intervention de la députée Sarah Wagenknecht, du parti de gauche « Die Linke », au Parlement allemand le 19 mars 2015 (64) avait fait sensation. Elle avait critiqué vivement la politique atlantiste de la chancelière, Mme Merkel, et concernant l'Ukraine, elle avait dit notamment : « Vous avez forcé l'Ukraine à choisir. Résultat : le pays a perdu une grande partie de son industrie, et est aujourd'hui en faillite, les gens y meurent de faim et de froid, et les salaires y sont inférieurs à ceux du Ghana. Mais la confrontation avec la Russie n'a pas fait que détruire l'Ukraine, elle a endommagé toute l'Europe. Et ce n'est pas un secret, les États-Unis attisent le conflit avec la Russie aussi pour des raisons économiques... ». Et, en référence aux violations de l'accord de Minsk 2 : « Bien sûr qu'il est inacceptable de voir les rebelles continuer à tirer. Mais que l'armée ukrainienne ou que les bataillons nazis qui les épaulent, continuent de tirer, cela est tout autant inacceptable ! Et vous n'avez rien dit à ce sujet ». Et encore, « je pense qu'il vaudrait mieux admettre que cette politique de sanctions [à l'encontre de la Russie] ne fut qu'une énorme erreur, que l'Europe s'est tirée une balle dans le pied et que les sanctions doivent être levées ». 

Les milieux d'affaires et la population ont aussi des raisons d'être mécontents. Le commerce extérieur (donc le PIB et l'emploi) de l'Allemagne est le plus durement touché (avec ceux de la France et de la Pologne) par les sanctions imposées par l'UE à la Russie et les mesures de rétorsion de celle-ci.  

L'ancien chancelier fédéral allemand Gerhard Schröder a confié à Der Spiegel le 20 mars 2015 : « Les Européens et notamment le gouvernement allemand ont commis une grande erreur en permettant au président de la Commission européenne José Manuel Barroso de mener des négociations sur l'association Ukraine-UE en l'absence de la Russie. Or tout le monde savait que l'Ukraine est un pays hétérogène sur le plan culturel ». 

Quelques autres avis autorisés qui n'ont pas été écoutés, ou trop peu 

Pour l'académicienne Hélène Carrère d'Encausse, « l'UE a fait preuve d'un terrible aveuglement dans l'affaire ukrainienne ».  

Elle s'est leurrée en voulant voir dans Maïdan la répétition de la « révolution orange » de 2004. Et surtout, après avoir fait signer le 21 février 2014 au président Ianoukovitch et aux représentants de l'opposition de Maïdan (Klitschko, Iatseniouk et Tyagnibok) un accord politique qui prévoyait la formation d'un gouvernement d'Union nationale, les ministres allemand, français et polonais se sont aussitôt éclipsés. Au lieu de rester sur place, de suivre les protagonistes et faire progresser l'accord, ils ont laissé les autorités livrées à elles-mêmes (65).  

En novembre 2014, le politologue Pascal Boniface a invité les Occidentaux à reconnaître leurs responsabilités dans le conflit et à faire davantage pression sur Kiev pour l'inciter à ne pas rejeter la fédéralisation du pays (66).  

Le 3 mai 2015, le ministre italien des Affaires étrangères a déclaré à La Stampa : « La situation en Ukraine demeure très instable. L'Italie soutient Kiev, mais ce dernier doit effectuer des réformes économiques et constitutionnelles douloureuses, mais indispensables, dont l'octroi de l'autonomie au Donbass ». 

Autonomie, fédéralisation, décentralisation de façade ou réelle ? C'est bien la première question-clé. Apparemment, les protagonistes ont décidé que les rapports de forces décideront. 

Pour Nicolas Sarkozy, le 7 février : « L'Ukraine doit garder sa position de pont entre l'Europe et la Russie. Elle n'a aucune vocation à entrer dans l'UE et dans l'OTAN ».  

Pour François Fillon, le 11 février, la menace de l'annexion de l'Ukraine par la Russie est un « fantasme occidental ». Mais les Russes « ne veulent pas avoir à leur porte un ennemi de la Russie, totalement intégré à l'UE et à l'OTAN ». 

En février 2015, « La Chambre des lords accable l'Europe au sujet de l'Ukraine » dans un rapport parlementaire britannique (67) très critique sur les capacités d'analyse, de renseignement et d'anticipation de l'UE face à la Russie.

On y note  que l'UE est entrée comme une « somnambule » dans la crise ukrainienne  du fait de son incapacité à prendre en compte l'inquiétude que les politiques occidentales suscitaient à Moscou. « L'OTAN est perçue par les Russes comme une menace militaire agressive... L'élargissement de l'UE, qui s'est confondu avec l'élargissement de l'OTAN a également été perçu comme une menace pour sa sécurité. » L'abandon par le nouveau Gouvernement ukrainien du statut de pays non aligné  dès sa prise de pouvoir en février 2014 a renforcé ces inquiétudes.  

Cela dit, le rapport aurait voulu plus de fermeté de la part de l'UE dans le conflit. 

Quand on a commis des erreurs « remarquées », pour redevenir crédible et corriger le tir, il faut être capable de les reconnaître et de ne pas s'obstiner en vain. Surtout lorsque le destin d'un pays et des milliers de vies sont en jeu. 

NB  Cet article est le dernier de cette série sur l'Ukraine. Si les affrontements s'y sont déplacés du terrain militaire vers ceux de négociations compliquées et de « changements institutionnels » controversés, la situation reste très instable et la paix est en CDD. Il sera intéressant de voir si les résultats des élections locales du 25 octobre, en cours de dépouillement, peuvent laisser entrevoir un meilleur avenir pour le pays et ses habitants.

SOURCES

(1) Ukraine crisis: Military vehicles "seized" in Kramatorsk   bbc.com/news/world-europe-27...  le 16/04/2015  + The Ukrainian Army is Crumbling Before Putin   thedailybeast.com/articles/2014/04/17 

(2) Ministère de la Défense d'Ukraine,  selon LE VIF.be   le 02/05/2014 

(3) ladepeche.fr/2014/07/09/1915742-ukraine-tirs-lougansk-inquiétudedonetsk... 

(4) lefigaro.fr  Donetsk: 74 civils tués en trois jours   le  14/08/2014 

(5) Les Etats-Unis exhortent l'Ukraine à la retenue face aux rebelles  lesechos.fr    le 14/08/2014 

(6)  fr.wikipedia. org/wiki/Guerre_du_Donbass     (7) Protocole de Minsk – Wikipédia 

(8) Ukraine: le "statut spécial" pour l'Est critiqué de toutes parts - Europe - RFI  le 17/09/2014 

(9) vz.ru/news/2014/9/16/705888.html 

(10) uacrisis.org-media-center-2th-december-2015 

(11) lecourrierderussie.com/2015/02/les-treize-travaux-des-accords-deminsk/ 

(12) fr.wikipedia.org/wiki/Minsk_II  + huffingtonpost.fr/2015/02/12/ukraine-carte-frontières-temporairesaccord-minsk...    + les-crises.fr/accord-a-minsk-pour-un-cessez-le-feu-et-un-retrait-delartillerie   le 12/02/2015  +  Ukraine peace deal: what was agreed in Minsk - Telegraph   le 12/02/2015   + Minsk II - Wikipedia, the free encyclopedia     + bfmtv.com/international/ukraine-l-accord-de-minsk-2-deprimantmais-utile   le 12/02/2015  + lorientlejour.com/article/911114/laccord-de-minsk-2-decrypte.html   le 13/02/2015   

(13) Ukraine: la déroute de Debaltseve   franceculture.fr    le 19/02/2015 

(14) War in Donbass - Wikipedia, the free encyclopedia

(15) Heavy fighting rages near Donetsk, despite truce  BBC News   le 03/06/09 

(16) dw.com  Ukraine and rebels to implement Minsk deal by september 1   le 27/08/2015 

(17) BBC News  Ukraine ceasefire talks "make significant progress"   le 13/09/2015 

(18) actu.orange.fr/monde/ukraine-accord-sur-le-retrait-des-armespres-de la-ligne...  le 30/09/2015 

(19) lemonde.fr/article/2015/10/02/ukraine-le-report-de-la-mise-enoeuvre-des-accords-de-minsk... le 02/10/2015 

(20) Courrier International: Vu d'Ukraine. Sommet de Paris: une déception pour Kiev  le 05/10/2015 

(21) larepubliquedespyrenees.fr/2015/10/02/ukraine-hollande-poutinemerkel-et-porochenko-a-paris... 

(22) le-pays.fr  Le processus de paix retardé en Ukraine, pas d'élections en 2015   le 02/10/2015 

(23) lemonde.fr/international/article/2015/10/06/ukraine-lesséparatistes-prorusses-reportent...  + europe1.fr/international/ukraine-le-report-du-scrutin-desseparatistes-salue-par-lue...  le 06/10/2015 

(24) la-croix.com/Actualite/Monde/L-Ukraine-entrevoit-une-trevedurable-dans-l-est...   le 07/10/2015 

(25) sputniknews.com/politics/20151009/zakharenko-decree-localelections-postponement-until-2016 

(26) rada.gov.ua/en/News/116823.html   le 07/10/2015 

(27) fr.sputniknews.com/international/2015/10/06/.../Ukraineparlement-mercenaries... 

(28) presidential-power.com/?p=3034    le 25/03/2015 

(29) welt.de/debatte/article144591294/Der-drastische-imageverlustdes-Petro-Porochenko   le 01/08/2015

(30) razumkov.org.ua/eng/poll.php?poll_id=66   septembre 2015 

(31) lemonde.fr/europe/article/2015/04/11/l-ukraine-veut-effacer-samemoire-sovietique 

(32) leplus.nouvelobs.com/contribution/1353063_l-ukraine-veut-sedesovietiser-4-lecons...  le 15/04/2015 

(33) ruptures-presse.fr/ukraine-lois-memorielles-interdictioncommunisme/   le 13/04/2015 

(34) causeur.fr/ukraine  Des lois mémorielles amnésiques   le 20/04/2015  

(35) letemps.ch/monde/2015/06/22/desovietiser-pays-marche-forcee 

(36) communcommune.com/2015/07/ukraine-interdiction-du-particommuniste.html 

(37) geopolis.francetvinfo.fr/les-ultranationalistes-de-pravy-sectorembrasent-l-ouest-de-l-ukraine  le 17/07/2015 

(38) liberation.fr/monde/2015/07/17/la-transcarpatie-cede-a-la-guerredes-clans_1349668 

(39) info.arte.tv/fr/ukraine-les-ultranationalistes-defient le-pouvoir  le  03/08/2015 

(40) lemonde.fr/europe/article/2015/08/31/forte-explosion-devant-leparlement-ukrainien 

(41) liberation.fr/monde/2015/09/01/l-ukraine-en-danger-denlisement_1373883 

(42) blogs.mediapart.fr/blog/gregdrd/240715/pravy-sektor-le-groupeparamilitaire-ultra-nationaliste... 

(43) lejournaldusiecle.com/2015/02/20/ukraine-les-neo-nazis-fontpartie-de-nos-forces-armees... 

(44) Ukraine views "Morel's plan" as his own opinion --Porochenko : UNIAN news    le 21/09/2015  +  Aucune amnistie, aucun accord !  article en russe sur zadonbass.org   le 09/10/2015 

(45) The basis of "Morel plan" Nuland developed and Karasin - DW   ukrainiancrisis.net/news/13960  le 27/09/2015 

(46) rbth.co.uk/news/2015/07/09/meeting_with_nuland_constructive__karasin_47602.html 

(47) Kyivpost.com  le 23/07/2015 

(48) "Fuck Europe": les Vingt-Huit ne répondront pas à Victoria Nuland   lemonde.fr   le 11/ 02/2014  + The Mess that Nuland Made   Consortiumnews.com    le 13/07/2015 

(49) Ukraine's Neo-Nazis Won't Get U.S. Money - Bloomberg View   le 12/06/2015 

(50) img-host.ua/images/comparingukraine.png     le 15/09/2015 

(51) bfmtv.com/international/ukraine-porochenko-accuse-la-russie-davoir-envoye-3-convois-militaires...  le 24/08/2015 

(52) fr.sputniknews.com/defense/2015/10/05/ukraine-desertionsoldats.html + lejournalinternational.fr/8000-soldats-et-policiers-ukrainiens-ontrejoint-les-insurgés-du-donbass    le 17/08/2015  + Désertions en Ukraine    realitesdefrance.unblog/2015/08/18/nosmédias-muets-sur-le-donbass/

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