par Luc BEYER de RYKE
Les premières brumes les premiers brouillards de novembre
environnent les morts. Les anonymes et ceux qui ont fait l’Histoire. Il en est
un que le gel de l’oubli et les
bulletins de vote ont enseveli plus profondément encore. Il avait pourtant
révolutionné les mœurs de son pays. Jusque dans la manière de se vêtir et
d’écrire. D’une terre asiatique prenant appui sur quelques arpents d’Europe il
avait – par le fer et par le feu – voulu occidentaliser la Turquie. Dans ce
portrait on reconnaîtra aisément Mustapha Kemal Ataturk,
le Gazi, le « père des Turcs ». C’était, il
est vrai, l’époque où le stalinisme, l’hitlérisme, le kémalisme, le franquisme
pour ne citer que ceux-là exaltaient et broyaient les peuples tout à la fois.
La Turquie se donna une constitution laïque dont l’armée s’érigea la
gardienne.
La « laïcité » à la Turque ne s’accompagnait pas
toujours – c’est un euphémisme – du respect de la tolérance et de la liberté.
Lorsque j’étais en charge au Parlement européen des relations avec la Turquie
les Droits de l’Homme étaient un souci permanent. Ce qui n’empêcha pas
Européens et Turcs d’entamer dès 1963 les premiers pas devant conduire à terme
à une association. À l’époque j’ai « couvert » l’événement pour le
journal télévisé belge (RTB).
Nous nous entretenions avec les « acteurs » européens qui
s’appelaient entre autre Maurice Couve de Murville,
Paul-Henri Spaak et le néerlandais Joseph Luns qui,
par la taille, rivalisait avec le Général de Gaulle. Et côté turc je pu obtenir
une interview du Premier ministre Ismet Inönu appelé Ismet Pacha, le
compagnon d’Ataturk. Le vent de l’Histoire…
Le retour de l’Islam
Lorsque le vent se lève il peut devenir bourrasque, tempête,
tornade. Celui qui, depuis quelques années souffle sur la Turquie morcelle,
disperse, emporte l’héritage d’Ataturk. Déjà à la fin
des années quatre-vingts Erbakan et son parti le Reffah
agitaient les vertes oriflammes du prophète.
Je l’avais rencontré et le poussant dans ses retranchements il avait
fini par me dire son rêve, le retour au califat. Il comptait parmi ses troupes
un homme jeune, pieux et ambitieux qui deviendra maire d’Istanbul, Recep Tayip Erdogan.
Lequel rompit avec son mentor. On crû à la modernité du nouvel arrivant, à son
image d’un islam modéré, version musulmane et turque d’une démocratie
chrétienne à l’européenne.
Lorsque le vent se lève il peut devenir bourrasque, tempête,
tornade. Celui qui, depuis quelques années souffle sur la Turquie morcelle,
disperse, emporte l’héritage d’Ataturk. Déjà à la fin
des années quatre-vingts Erbakan et son parti le Reffath
agitaient les vertes oriflammes du prophète. Je l’avais rencontré et le
poussant dans ses retranchements il avait fini par me dire son rêve, le retour
au califat. Il comptait parmi ses troupes un homme jeune, pieux et ambitieux
qui deviendra maire d’Istanbul, Recep Tayip Erdogan. Lequel rompit avec
son mentor. On cru à la modernité du nouvel arrivant,
à son image d’un islam modéré, version musulmane et turque d’une démocratie
chrétienne à l’européenne.
Erdogan et l’AKP ? Un M.R.P à la turque…
Au fil des ans et des élections le mot prêté à Bossuet acquit
toute sa justesse. « Il n’est de pire dérèglement de l’esprit que de croire
les choses parce qu’on veut qu’elles soient. » Erdogan
de toute évidence s’ingénie à « ré-islamiser » la Turquie et à restaurer
l’empire ottoman. À tel point qu’à Budapest et à Bucarest il entreprend de
faire construire d’immenses mosquées moyennant de plantureux accords
économiques passés avec les pouvoirs en place. La Turquie sous son égide de
plus en plus autoritaire est devenue une puissance régionale incontournable. Sa
politique est faite d’ambiguïtés résultant à la fois de l’Histoire et de ses
intérêts. Elle est aux prises avec Daech mais lui
laisse passer des armes et soigne ses blessés. Entre le choix d’agir contre Daech et celui de matraquer les Kurdes Erdogan
n’hésite pas. En cela il s’inscrit dans le droit fil de l’ancienne armée
kémaliste. Les Kurdes, voilà l’ennemi ! Et Bachar el
Assad ! Mais le malheur fait que seuls les hommes de PKK ou leur branche
syrienne et les soldats de Bachar résistent sur le
terrain. Jacques Myard est venu nous le dire et il
est de moins en moins isolé. Un autre de nos invités ne diffère pas
sensiblement d’analyse. C’est Jean-Pierre Chevènement.
L’avocat de la défense
Reste que pour beaucoup de Turcs, pas forcément membre de
l’AKP, le PKK et leurs amis demeurent un épouvantail. Ainsi Bulent Akarçali, ancien ministre et co-président avec moi de la
Commission mixte chargée de nos relations bilatérales au Parlement européen
vient de m’écrire une longue lettre. Il s’indigne – je lui laisse la
responsabilité de ses propos – que « le PKK, bien qu’officiellement reconnu
comme organisation terroriste, soit partout présente en Europe, principalement
en France. Leur organisation, sous forme d’association et fondation organise le
trafic et la vente de drogue, d’armes, d’êtres humains (notamment les réfugiés
syriens). Leurs avoirs sont gérés via l’Europe. Mais aucun gouvernement ne
prend la moindre mesure ». Ce qui ne calmera pas l’ire de mon correspondant
est de voir depuis peu des conseillers spéciaux américains en gagés aux côtés
des Kurdes en Syrie. .
Quel que soit le débat qui peut être engagé il est un élément
soulevé par Bülent Akarçali
qui mérite d’être pris en considération. Conséquence de la guerre en Syrie, « 2,5
millions de réfugiés vivent en Turquie, coût : 7 millions de dollars. Le PNB
par tête d’habitant est de 10.000 dollars en Turquie et de 50.000 dollars
environ en France. Au même moment François Hollande annonce que la France va
libérer 100 millions d’euros pour permettre une vie décente et honorable aux
réfugiés. Il rigole ! Une masse de réfugiés infiltrés et provocateurs, de
terroristes et d’agents étrangers ». Et l’ancien élève du collège
francophone de Saint-Joseph d’en appeler à plus de compréhension de la part de
la France.
Il cite « Galatasaray, Teyfik Fikret et Petit Prince où l’on obtient une
population estudiantine de près de dix mille élèves enseignés en français et
respectant les règles en usage du baccalauréat français ».
Incertaine Turquie
Les dossiers offerts à l’analyse et à la réflexion sont
rarement linéaires. Le dossier turc en est l’exemple. Ce qui n’empêche que le
coup d’audace d’Erdogan en réussissant nous surprend.
En attisant le sentiment antikurde, en jugulant la liberté de presse, en
laminant l’opposition après sa victoire électorale le sultan risque de céder au
vertige du pouvoir absolu. Si l’AKP l’a emporté c’est parce que le MHP,
l’extrême droite nationaliste, s’est vidée à son profit de nombreux électeurs.
Ce qui ne peut que radicaliser le vainqueur. Entre son appartenance à l’OTAN,
ses complaisances à l’égard de Daech, sa haine des
Kurdes, son panturquisme et sa volonté d’élever partout des minarets, symbole
de l’islam, la Turquie d’Erdogan ne laisse pas
d’inquiéter.