par Marc DUGOIS
Tout s’écroule sauf la certitude de nos dirigeants droits dans
leurs bottes d’apparat. Ils sont tellement peu sûrs d’eux-mêmes qu’ils ont
besoin de se cramponner aux faux intellectuels façon Attali, Minc ou BHL qu’ils
ont toujours écoutés, droite et gauche confondues, et qui les ont toujours
conduits dans le mur. Ils sont incapables d’envisager qu’ils se trompent depuis
toujours, que leurs analyses sont fausses et que les cycles économiques sont
des leurres. À force d’acheter l’affect du peuple, ils se sont convaincu qu’ils
étaient réellement appréciés pour leur supériorité naturelle.
De l’autre côté une partie du peuple croit au complot en
refusant l’idée que le désastre ne soit pas voulu dans le but d’en enrichir
certains. Certes il y a manigance dans l’organisation de la débandade, mais il
y a surtout une incompréhension généralisée de ce qui se passe et de la raison
du désastre. Il suffit de parler en privé à des politiques pour constater
combien ils sont perdus et combien ils ont peur d’affronter la réalité car
comme le dit Daniel Cohn-Bendit « le discours de la vérité ne peut pas avoir la
majorité ». Or les politiques craignent la vérité, ils veulent la majorité.
Toute notre société est structurée autour de l’idée que nous
créons annuellement des richesses et que nous devons nous les partager au moins
mal. Notre économie, notre éducation et notre politique sont fondées sur cette
certitude et notre énergie n’est bandée que sur l’augmentation de la production
de richesses, la fameuse croissance, et sur l’ajustement de sa répartition.
Voilà notre dessein actuel qui est accessoirement d’un matérialisme affligeant.
Or il n’y a pas de création de richesses en économie contrairement au formatage
martelé si agréable à entendre.
Une richesse n’étant qu’un regard il faut différencier le
regard individuel du regard collectif. Il y a bien évidemment des regards
individuels qui voient leurs créations comme des richesses. L’enfant qui fait
avec son couteau un sifflet à partir d’une branche de frêne ou le peintre du
dimanche qui se fait plaisir en maniant son pinceau, se créent évidemment des
richesses à leurs propres yeux, richesses qui deviendront d’ailleurs souvent
avec le temps embarras puis débarras. Mais nous ne faisons pas de l’économie en
constatant cela. L’échange des regards individuels, c’est-à-dire le troc, n’a
jamais existé que dans les cours d’écoles au grand dam des parents.
L’économie étudie, ou devrait étudier, les échanges entre les
regards individuels et le regard collectif. Le regard collectif c’est la
monnaie car, à l’intérieur du groupe qui a cette monnaie, chacun la regarde
comme une richesse et le regard que portent tous les individus sur la monnaie
est le même. Il n’y a donc qu’un seul regard collectif et la monnaie est une
richesse reconnue par tous dans le groupe. L’économie est censée étudier
comment les individus qui portent un regard individuel de richesse sur ce
qu’ils fabriquent par leur travail, vont pouvoir vérifier que ce qu’ils ont
fabriqué est réellement reconnu comme richesse par le groupe et n’est pas
considéré par le groupe comme inintéressant voire nocif.
La seule façon de faire cette vérification ponctuelle est de
constater qu’un client vient s’appauvrir en monnaie pour s’enrichir de ce qui
n’était quelques instants auparavant qu’un regard individuel de richesse non
encore reconnu. Dès que le client s’est appauvri par son achat d’une certaine
quantité de monnaie, cette quantité devient le chiffrage du regard collectif
que le groupe porte à ce qui a été créé. C’est par son propre appauvrissement
que le client confère à la production de l’entreprise l’estampille
richesse.
On ne peut donc pas dire qu’une entreprise crée forcément des
richesses. Elle crée soit des richesses soit des inutilités soit des déchets
qui n’intéressent personne. C’est en échangeant son argent contre la production
de l’entreprise que le client transforme cette production en richesse parce que
le regard collectif de l’argent a rencontré le regard individuel du producteur.
C’est l’abandon par le client de son argent qui crée la richesse et non
l’entreprise qui n’avait créé qu’une richesse potentielle et aléatoire.
Ce qu’il faut étudier ce n’est pas le bien ou le service qui
a été proposé mais d’une part l’origine de l’argent qui a transformé ce bien ou
ce service en richesse reconnue par le regard collectif et d’autre part les
motivations qui ont poussé le client à s’appauvrir en monnaie.
Et c’est là où le bât blesse durement.
Dans une société normale c’est par le travail passé qu’un
individu se trouve en possession de monnaie et il la dépense avec parcimonie
car il sait les efforts qui ont été nécessaires pour l’obtenir. Mais dans notre
société qui n’a réellement comme seul but que de justifier la surproduction que
la mécanisation de tout a entrainée, ce frein salutaire a été saboté pour que
la machine tourne. Il faut sauver la machine et tous ceux qui la servent. Ils
sont faciles à reconnaitre : ce sont tous ceux qui gagnent beaucoup d’argent.
Ce sont les mondes de la publicité (donc du sport et des médias), de la banque,
de la politique et des dirigeants de grandes entreprises.
Et ça marche !
La machine tourne, tout le monde s’endette pour acheter,
l’endettement mondial est sidéral comme l’endettement des particuliers, des
entreprises et des États. L’Europe n’est pas encore endettée ? La Banque
Centrale Européenne rachète aux banques par le « quantitative easing » des créances titrisées
sur États qui ne pourront être honorées que par de nouveaux emprunts. Ce sont
les subprimes en beaucoup plus gros mais mieux
imaginées car totalement fondées sur la création de richesses futures
auxquelles tout le monde fait semblant de croire.
La guerre a commencé pour savoir qui, des États, des
entreprises ou des particuliers, va être contraint de sauver le système
bancaire mondial que personne ne peut rembourser sans s’endetter à nouveau ou
sans faire payer les autres. Le système bancaire mondial est déjà en
décomposition avancée mais assez bien dissimulée pour faire encore
provisoirement bonne figure.
Peut-être faut-il rapidement prendre conscience que la
richesse n’est qu’un regard, individuel ou collectif.