par Christine ALFARGE
« La vision du Général
de Gaulle, socle de la politique étrangère de la France.»
Quel est l’intérêt de la France
pour le Proche-Orient ?
L’intérêt de la France pour tout le Proche-Orient ne date pas
d’aujourd’hui, le Général de Gaulle lui-même par le vécu et l’enseignement
reçu, attentif aux leçons de l’Histoire, rappellera en permanence les liens
historiques entre la France et l’Orient à travers sa célèbre formule « dans
l’Orient compliqué » désignant notamment des relations entre communautés de
confessions diverses. Nul doute que le
Général de Gaulle ait été sensible à ce que la France pouvait apporter à cette
région du monde, au combien nécessaire avec toutes les souffrances que
subissent les peuples et notamment les chrétiens d’Orient, victimes d’un chaos
inouï.
Aujourd’hui, le Proche-Orient est devenu une véritable
poudrière avec une internationalisation du conflit sur les territoires syrien
et irakien, facteur d’un terrorisme effroyable et destructeur de civilisation
et d’humanité. Comment sommes-nous arrivés à ce chaos dans un silence
assourdissant jusqu’au jour où l’Europe, impuissante et inaudible dans la crise
du Proche-Orient, a commencé à subir de plein fouet, attentats, insécurité,
menaces islamistes, cyber-attaques, déferlement de migrants par vagues
successives, submergée par l’ampleur d’une
crise jamais vue depuis la deuxième guerre mondiale, se montrant
parfaitement désunie face à ses responsabilités et aux solutions à prendre et à
appliquer dans l’ensemble des états européens ?
Si par notre longue amitié avec la Terre d’Orient, nous avons
le devoir de protéger et accueillir ceux qui fuient la guerre et les persécutions,
nous devons cependant être conscients et mesurer les conséquences d’une
déstabilisation de l’Europe à travers le terrorisme et la question des
réfugiés.
À cet égard, la politique arabe de la France qui sera un des
volets de la politique étrangère du Général de Gaulle, reste aujourd’hui un des
enjeux majeurs pour nos propres intérêts impliquant de s’inscrire dans la
continuité d’une politique équilibrée soucieuse d’une paix juste et durable
dans cette mosaïque du Proche-Orient où la France est perçue comme le symbole
d’un peuple qui a toujours résisté avec courage et détermination dans son
histoire. Selon Jacques Myard, « Le Proche-Orient
n’est pas loin et surtout important en France car c’est une question prégnante
sur la société française. Ne jamais oublier les frustrations et puis il y a
l’Islam qui est distillé dans les sociétés ».
Retour sur les printemps arabes
Si la surprise a été si grande devant les révolutions
tunisienne, égyptienne et libyenne,
c’est parce que l’on a longtemps cru que ces peuples ne pouvaient être capables
que d’émeutes de désordre ou d’agitations éphémères pour exprimer leur
mécontentement envers le pouvoir, pour plus de justice et de partage,
permettant de vivre dans le respect et la dignité humaine. Désormais, un vent
de liberté va souffler dans le monde arabe provoquant un embrasement notamment
sur l’ensemble du territoire syrien.
Que s’est-il passé en Syrie en mars 2011 ?
Dans la foulée des autres printemps arabes, le 15 mars 2011,
les jeunes syriens n’écouteront que leurs convictions et risqueront leur vie
pour défendre la démocratie et la liberté. L’ampleur des manifestations
conduira très rapidement dans de nombreuses villes au recours à l’armée outre
les forces de police. Le 27mars 2013, Lattaquié sera le théâtre d’effusions de
sang. L’insurrection fera place aux protestations qui vont s’installer
durablement dans tout le pays à Damas, Homs ou Alep.
Dans ce contexte, les Occidentaux et des puissances
régionales interviennent dans cette marche des peuples arabes vers la
démocratie, y compris après la victoire des révolutions. L’Arabie saoudite,
l’Iran, la Turquie, l’Europe et les Etats-Unis ne veulent pas perdre pied dans
une région en pleine reconfiguration. L’impact de la crise syrienne fragilise
en première ligne le Liban en proie à de nouvelles luttes confessionnelles
destructrices ainsi que des répercussions sur les autres voisins immédiats de
la Syrie que ce soit en Irak, en Jordanie, en Turquie ou en Israël. Quels sont
véritablement les dessous de cartes de ces évolutions ? Selon Jacques Myard,
« La concurrence existe entre puissances et n’est pas seulement religieuse.
Mais nous ne sommes plus la grande puissance, il faut des actions multi
bilatérales pour une stratégie d’influence. Il ajoute, « La France a
joué les apprentis sorciers en fournissant des armes et cela a profité à Al Nosra
inféodé à Al Quaïda et à Daech.
Aujourd’hui, nous allons le payer cher car la guerre continue ». Par ailleurs, il partage la même analyse que
Denis Bauchard de l’IFRI sur les causes du chaos en
Irak par l’action du gouverneur Paul Bremer, la politique sectaire de Maliki, la complaisance des pays du Golfe ainsi que
l’ambiguïté de la Turquie de mener un double jeu dans la région.
Quelle transition politique syrienne ?
Personne ne peut dire
aujourd’hui quel sera le visage du pouvoir en Syrie face au chaos qui s’étend
aux pays voisins. Quelle transition politique garantira la sécurité pour les
populations et l’ensemble des pays de la région ? Devenu incontournable dans la résolution de la crise
syrienne, comment l’Iran évoluera-t-il au regard de son influence sur l’axe
Liban, Syrie, Irak et l’accord nucléaire ?
Pour Jacques Myard «La France a fait une faute
de rompre les relations diplomatiques avec la Syrie. Si Bachar
saute, ce sera un chaos qui entraînera le Liban ».
L’Occident a besoin de Moscou pour résoudre la crise en Syrie.
Actuellement, la
Russie renforce sa présence militaire dans le nord-ouest de la Syrie, un
territoire alaouite. Elle a un double objectif, lutter contre Daech et défendre le régime syrien, pas Bachar
al-Assad mais le président élu. En cas d’une progression de l’état islamique,
la Russie pourrait devoir faire face à une poussée islamiste qui menacerait ses
frontières. Souvenons-nous que les guerres de Tchétchénie, opposant les forces
fédérales russes aux indépendantistes, ont émergé d’une rébellion islamisée se
transformant en un mouvement islamiste plus global présent dans l’ensemble du
Caucase du Nord.
De plus, la Syrie est un partenaire important pour la Russie,
depuis 1971, cette dernière dispose d’une base navale dans le port de Tartous,
situé sur la côte syrienne, seul accès de la Russie à la Méditerranée. La chute
du régime de Bachar al-Assad peut avoir des
conséquences géopolitiques majeures pour la région. A travers Vladimir Poutine,
le rôle de la Russie sera déterminant sur le chaos syrien et la lutte contre
l’EI. Selon un expert américain, « la Russie doit réussir à mettre autour d’une
même table des pays qui ont des intérêts divergents ». En raison du renforcement du groupe
terroriste de l’EI et l’intensification des flux de migrants, un rapprochement
russo-américain pourrait être envisagé lors d’une rencontre à l’ONU prévue
entre les deux présidents à la fin septembre.
Quelle position pour la France ?
La réflexion militaire et diplomatique porte à la fois sur la
nécessité de faire cesser la guerre civile en Syrie et détruire Daech. Selon Jacques Myard, «
Les frappes en Syrie ne servent à rien, la France envoyant seule des troupes au
sol, est irréaliste. Une opération militaire ne peut réussir que si elle est
coordonnée avec le régime syrien et les puissances de la région. Pour la paix
mondiale, le danger immédiat est Daech. Prenons garde
de ne pas tourner définitivement le dos à la Russie avec laquelle nous
partageons le même objectif d’éradiquer le fléau de l’islamisation ». Il
ajoute, « Si on pose la question de la transition politique comme préalable,
on court le risque inéluctable d’un affaiblissement du régime, laissant à Daech le contrôle de toute la Syrie, même si le départ de Bachar al-Assad n’est plus exclu à l’avenir».
Le Général de Gaulle disait : « C’est parce
que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande
politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne
sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. ». Au-delà du
débat politique, il y a le pragmatisme, la réalité sur le terrain car la
géopolitique n’est pas une science exacte, elle dépend en permanence de nos
relations avec les autres états. Nous vivons dans un monde imprévisible où
plusieurs scénarios de conflits se profilent dans les années futures, marqué
par de nouvelles hégémonies. Le spectre d’une troisième guerre mondiale est
récurrent. Il est urgent pour l’Europe de représenter une puissance politique
et économique entre les nouveaux blocs qui se dessinent afin de contribuer à
l’équilibre du monde. Quant à la France, elle a tous les atouts pour devenir la
première puissance européenne comme le souhaitait le Général de Gaulle à son
époque, une volonté qui n’aura cessé de marquer son action d’homme de paix et
de liberté en son temps et le nôtre aujourd’hui.