Compte rendu du dîner-débat du 16 sept. 2015

présidé par J. Myard

RELATIONS INTERNATIONALES ET PROCHE-ORIENT : où en est la politique française ?

 par Christine ALFARGE

« La vision du Général de Gaulle, socle de la politique étrangère de la France.»

Quel est l’intérêt de la France  pour le Proche-Orient ?

L’intérêt de la France pour tout le Proche-Orient ne date pas d’aujourd’hui, le Général de Gaulle lui-même par le vécu et l’enseignement reçu, attentif aux leçons de l’Histoire, rappellera en permanence les liens historiques entre la France et l’Orient à travers sa célèbre formule « dans l’Orient compliqué » désignant notamment des relations entre communautés de confessions diverses.  Nul doute que le Général de Gaulle ait été sensible à ce que la France pouvait apporter à cette région du monde, au combien nécessaire avec toutes les souffrances que subissent les peuples et notamment les chrétiens d’Orient, victimes d’un chaos inouï.  

Aujourd’hui, le Proche-Orient est devenu une véritable poudrière avec une internationalisation du conflit sur les territoires syrien et irakien, facteur d’un terrorisme effroyable et destructeur de civilisation et d’humanité. Comment sommes-nous arrivés à ce chaos dans un silence assourdissant jusqu’au jour où l’Europe, impuissante et inaudible dans la crise du Proche-Orient, a commencé à subir de plein fouet, attentats, insécurité, menaces islamistes, cyber-attaques, déferlement de migrants par vagues successives, submergée par l’ampleur d’une  crise jamais vue depuis la deuxième guerre mondiale, se montrant parfaitement désunie face à ses responsabilités et aux solutions à prendre et à appliquer dans l’ensemble des états européens ?     

Si par notre longue amitié avec la Terre d’Orient, nous avons le devoir de protéger et accueillir ceux qui fuient la guerre et les persécutions, nous devons cependant être conscients et mesurer les conséquences d’une déstabilisation de l’Europe à travers le terrorisme et la question des réfugiés.

À cet égard, la politique arabe de la France qui sera un des volets de la politique étrangère du Général de Gaulle, reste aujourd’hui un des enjeux majeurs pour nos propres intérêts impliquant de s’inscrire dans la continuité d’une politique équilibrée soucieuse d’une paix juste et durable dans cette mosaïque du Proche-Orient où la France est perçue comme le symbole d’un peuple qui a toujours résisté avec courage et détermination dans son histoire. Selon Jacques Myard, « Le Proche-Orient n’est pas loin et surtout important en France car c’est une question prégnante sur la société française. Ne jamais oublier les frustrations et puis il y a l’Islam qui est distillé dans les sociétés ».   

Retour sur les printemps arabes

Si la surprise a été si grande devant les révolutions tunisienne, égyptienne et  libyenne, c’est parce que l’on a longtemps cru que ces peuples ne pouvaient être capables que d’émeutes de désordre ou d’agitations éphémères pour exprimer leur mécontentement envers le pouvoir, pour plus de justice et de partage, permettant de vivre dans le respect et la dignité humaine. Désormais, un vent de liberté va souffler dans le monde arabe provoquant un embrasement notamment sur l’ensemble du territoire syrien.  

Que s’est-il passé en Syrie en mars 2011 ? 

Dans la foulée des autres printemps arabes, le 15 mars 2011, les jeunes syriens n’écouteront que leurs convictions et risqueront leur vie pour défendre la démocratie et la liberté. L’ampleur des manifestations conduira très rapidement dans de nombreuses villes au recours à l’armée outre les forces de police. Le 27mars 2013, Lattaquié sera le théâtre d’effusions de sang. L’insurrection fera place aux protestations qui vont s’installer durablement dans tout le pays à Damas, Homs ou Alep.

Dans ce contexte, les Occidentaux et des puissances régionales interviennent dans cette marche des peuples arabes vers la démocratie, y compris après la victoire des révolutions. L’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie, l’Europe et les Etats-Unis ne veulent pas perdre pied dans une région en pleine reconfiguration. L’impact de la crise syrienne fragilise en première ligne le Liban en proie à de nouvelles luttes confessionnelles destructrices ainsi que des répercussions sur les autres voisins immédiats de la Syrie que ce soit en Irak, en Jordanie, en Turquie ou en Israël. Quels sont véritablement les dessous de cartes de ces évolutions ?  Selon Jacques Myard, « La concurrence existe entre puissances et n’est pas seulement religieuse. Mais nous ne sommes plus la grande puissance, il faut des actions multi bilatérales pour une stratégie d’influence. Il ajoute, « La France a joué les apprentis sorciers en fournissant des armes et cela a  profité à Al Nosra inféodé à Al Quaïda et à Daech. Aujourd’hui, nous allons le payer cher car la guerre continue ».  Par ailleurs, il partage la même analyse que Denis Bauchard de l’IFRI sur les causes du chaos en Irak par l’action du gouverneur Paul Bremer, la politique sectaire de Maliki, la complaisance des pays du Golfe ainsi que l’ambiguïté de la Turquie de mener un double jeu dans la région. 

Quelle transition politique syrienne ?

  Personne ne peut dire aujourd’hui quel sera le visage du pouvoir en Syrie face au chaos qui s’étend aux pays voisins. Quelle transition politique garantira la sécurité pour les populations et l’ensemble des pays de la région ? Devenu  incontournable dans la résolution de la crise syrienne, comment l’Iran évoluera-t-il au regard de son influence sur l’axe Liban, Syrie, Irak et l’accord nucléaire ?  Pour Jacques Myard «La France a fait une faute de rompre les relations diplomatiques avec la Syrie. Si Bachar saute, ce sera un chaos qui entraînera le Liban ».

L’Occident a besoin de Moscou  pour résoudre la crise en Syrie.

 Actuellement, la Russie renforce sa présence militaire dans le nord-ouest de la Syrie, un territoire alaouite. Elle a un double objectif, lutter contre Daech et défendre le régime syrien, pas Bachar al-Assad mais le président élu. En cas d’une progression de l’état islamique, la Russie pourrait devoir faire face à une poussée islamiste qui menacerait ses frontières. Souvenons-nous que les guerres de Tchétchénie, opposant les forces fédérales russes aux indépendantistes, ont émergé d’une rébellion islamisée se transformant en un mouvement islamiste plus global présent dans l’ensemble du Caucase du Nord.  

De plus, la Syrie est un partenaire important pour la Russie, depuis 1971, cette dernière dispose d’une base navale dans le port de Tartous, situé sur la côte syrienne, seul accès de la Russie à la Méditerranée. La chute du régime de Bachar al-Assad peut avoir des conséquences géopolitiques majeures pour la région. A travers Vladimir Poutine, le rôle de la Russie sera déterminant sur le chaos syrien et la lutte contre l’EI. Selon un expert américain, « la Russie doit réussir à mettre autour d’une même table des pays qui ont des intérêts divergents ».   En raison du renforcement du groupe terroriste de l’EI et l’intensification des flux de migrants, un rapprochement russo-américain pourrait être envisagé lors d’une rencontre à l’ONU prévue entre les deux présidents à la fin septembre.  

Quelle position pour la France ?

La réflexion militaire et diplomatique porte à la fois sur la nécessité de faire cesser la guerre civile en Syrie et détruire Daech. Selon Jacques Myard, « Les frappes en Syrie ne servent à rien, la France envoyant seule des troupes au sol, est irréaliste. Une opération militaire ne peut réussir que si elle est coordonnée avec le régime syrien et les puissances de la région. Pour la paix mondiale, le danger immédiat est Daech. Prenons garde de ne pas tourner définitivement le dos à la Russie avec laquelle nous partageons le même objectif d’éradiquer le fléau de l’islamisation ». Il ajoute, « Si on pose la question de la transition politique comme préalable, on court le risque inéluctable d’un affaiblissement du régime, laissant à Daech le contrôle de toute la Syrie, même si le départ de Bachar al-Assad n’est plus exclu à l’avenir». 

Le Général de Gaulle disait : « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. ». Au-delà du débat politique, il y a le pragmatisme, la réalité sur le terrain car la géopolitique n’est pas une science exacte, elle dépend en permanence de nos relations avec les autres états. Nous vivons dans un monde imprévisible où plusieurs scénarios de conflits se profilent dans les années futures, marqué par de nouvelles hégémonies. Le spectre d’une troisième guerre mondiale est récurrent. Il est urgent pour l’Europe de représenter une puissance politique et économique entre les nouveaux blocs qui se dessinent afin de contribuer à l’équilibre du monde. Quant à la France, elle a tous les atouts pour devenir la première puissance européenne comme le souhaitait le Général de Gaulle à son époque, une volonté qui n’aura cessé de marquer son action d’homme de paix et de liberté en son temps et le nôtre aujourd’hui.

 

 
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