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UKRAINE, CETTE INCONNUE
(première partie)
par Paul KLOBOUKOFF
Ukraine séculaire ou pays sans histoire Bien que je ne n'aie pas les compétences d'un
historien, il m'a semblé utile de revenir sur le passé de l'Ukraine, peu connu,
pour mieux comprendre les origines de la situation complexe d'aujourd'hui, les
habitudes, les mentalités, les sensibilités et les attitudes des acteurs
ukrainiens, ainsi, d'ailleurs que des motifs possibles des interventions de
l'extérieur, notamment de la Russie, de l'Union européenne, de l'OTAN, des USA,
de la Pologne... Le présent article remonte
à la « Rus' de Kiev », au IXe siècle, et descend jusqu'à la création de la
République Socialiste soviétique d'Ukraine en 1922, puis à l'indépendance de la
République d'Ukraine en 1991. Le prochain article portera sur les années
suivantes, jusqu'à la guerre « civile »
de 2014-2015 et ses développements possibles. Le territoire de l'Ukraine a été pendant les
onze derniers siècles le théâtre permanent d'invasions, de guerres, de longues
occupations ou dominations lors des périodes d'expansion et de recul des
puissances d'Europe et d'Asie qui se sont affrontées autour de lui et en ont
pris possession. En fait, ce sont elles qui ont écrit la plus grande partie de
« l'histoire » de l'Ukraine. Elles ont
provoqué d'incessantes et massives migrations des populations. Aussi, les
origines et les « nationalités » des
occupants des différentes régions ont eu tendance à se mélanger ou à se perdre
dans le temps. Par contre, des influences subies ont laissé des traces visibles.
Au début : Rus' de Novgorod, puis Rus' de Kiev
Entre 859 et 862, selon les historiens, les Vikings, ou
Varègues, avec à leur tête le prince Rurik et ses
frères, se sont installés à Novgorod, au Nord de l'actuelle Russie, à
proximité de la mer Baltique. Ils ont colonisé la région et conquis, sans
rencontrer de vives résistances, un très vaste territoire, baptisé « Rus' »,
s'étendant, à son apogée, de la mer Baltique, au nord, presque jusqu'à la mer
Noire, au sud, et allant des pays baltes et de la Prusse, à l'Ouest, au-delà de
Rostov, Souzdal et Ryazan, à l'Est. Emprunter le
Dniepr (long de 2.200 km) jusqu'à la mer Noire devait leur faciliter le
commerce jusqu'à Constantinople. Aussi, les Vikings ont-ils descendu le fleuve
et se sont-ils installés à Kiev. En 882, le prince Oleg le Sage, héritier de Rurik, a transféré sa capitale à Kiev. Dès lors, Les
principautés de Novgorod et de Kiev ont dominé la Rus' et la dizaine d'autres
principautés qui la formaient. Vladimir
Ier, appelé le Grand ou le Saint, a régné brillamment sur la Rus' et posé les
premiers fondements de l'Empire russe. Il s'est converti au christianisme
byzantin en 988, à l'origine de la religion orthodoxe en Russie. La puissance et le prestige de la Rus' de
Kiev ont crû jusqu'au début du XIe siècle. Puis, des rivalités au sein des
familles princières et des conflits entre les nombreuses principautés qui
s'étaient constituées ont beaucoup affaibli la Rus'. En 1237, la Rus' n'a pas
pu résister à l'invasion des Tatars. Comme une dizaine d'autres villes, Kiev a
été détruite et ses défenseurs massacrés. Les Princes se sont alors réfugiés à
Moscou (1).
Plus de trois siècles sous le joug des Tatars
Au début du XIIIe siècle, Gengis Khan, fondateur du vaste
Empire mongol, a entrepris la conquête de la Rus' ainsi que des pays d'Europe.
Après avoir dévasté et pillé les pays du Caucase, puis écrasé une coalition de
18 princes de la Rus', les redoutables guerriers tatars ont fait une première
incursion jusqu'au-delà du Dniepr en 1223.
Ils sont revenus en force
en 1237 et envahi la Rus' depuis Riazan, à l'Est, jusqu'au-delà de
Moscou. Ils se sont emparés du territoire de l'Ukraine en 1240, d'une grande
partie de la Turquie, et attaqué la Pologne, la Hongrie et la Croatie, sans
s'attarder dans ces derniers pays. Par contre, ils se sont implantés
durablement dans la basse et moyenne Volga ainsi qu'en Crimée et au bord de la
mer Noire, à la périphérie des principautés de la Rus'. En 1242, le chef des Tatars, Batu, a décidé
d'établir à Saraï, sur la basse Volga, la capitale du
Khanat de la Horde d'Or, territoire occidental de l'Empire mongol. C'est de là
que les Tatars ont exercé leur domination brutale sur la Rus'. Sans l'occuper.
Sans chercher à nuire aux activités économiques, à l'organisation politique en
principautés, à la religion orthodoxe, ainsi qu'aux us et coutumes des
populations... pourvu que leurs vassaux acceptent sans broncher leur autorité
et acquittent leur tribut, le « vykhod », règlent les
droits de passage des marchandises et accomplissent diverses corvées, de
transport et de poste, par exemple. Mais, malheur aux défaillants et aux
récalcitrants (2). Durant toute la
domination tatare, « la paix mon- gole » a été marquée par la terreur, les répressions
sanglantes et les expéditions punitives. Entre 1240 et 1459, une cinquantaine
d'attaques avec destructions de villes, pillages et tueries, captures
d'esclaves, ont eu lieu. Certaines villes ont été plusieurs fois « visitées »
(3), telles Riazan, Vladimir, Souzdal ou
encore Moscou, qui a été entièrement
brûlée en 1382. Pourtant, à partir du
XIVe siècle, la Moscovie et d'autres principautés étaient montées en puissance.
Dimitri « Donskoï », grand héros populaire depuis, avait même remporté une
première victoire d'envergure sur les Tatars à
Koulikovo, sur le Don en 1380. Une victoire
sans lendemain... qui est toutefois restée dans la mémoire russe. Le XVe siècle a vu la Horde d'Or se diviser
en trois khanats autonomes, de Crimée, de Kazan-Astrakhan et de Sibérie, en
1430, puis des princes Tatars passer au service du grand-prince de Moscou. En
1480, l'armée russe du prince Ivan III a
repoussé sur le fleuve Ougra les troupes tatares du
khan Ahmed, libérant la Moscovie.
Ensuite, il a fallu attendre la conquête de Kazan en 1652 et d'Astrakhan
en 1656 par le tsar Ivan IV, le Terrible, pour que cesse la menace mongole sur
la Russie... et « l'Ukraine ». Mais la question tatare n'était pas réglée pour
autant.
Encore deux siècles de harcèlements par les Tatars de Crimée et d'affrontements
avec les Ottomans
En 1475, le khanat de Crimée est devenu un protectorat de
l'Empire Ottoman et s'est soumis à l'Islam sunnite. Peu après, en 1502, le khan
de Crimée, allié aux Russes, cette fois, a détruit Saraï,
mettant fin à la Horde d'Or, et a pris sa succession. Le khanat de Crimée a
alors été l'un des états les plus puissants de l'Europe orientale. Ses armées
ont souvent pénétré jusqu'au cœur de la Russie en passant par l'est ou via la
future Ukraine. En 1571, elles ont pris et brûlé Moscou, tué ou réduit en
esclavage une grande partie de sa population. L'année suivante, les Tatars et
les Turcs ont encore envahi la Russie. Mais, cette fois, ils ont été repoussés
à l'issue la grande bataille de Molodi. Les Tatars de Crimée étaient aussi redoutés
et haïs pour leur cruauté lors de leurs très fréquentes incursions plus près de
la Crimée, en Ukraine, en Russie et en Moldavie. Outre les pillages, leurs
expéditions, qui ciblaient volontiers les chrétiens, avaient pour but la
capture d'esclaves. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, ils ont pratiqué un
commerce massif d'esclaves en direction de l'Empire ottoman et du Moyen-Orient
(4). Caffa, dans la péninsule de Crimée, a été un
très grand marché d'esclaves. Le nombre d'esclaves capturés, vendus et asservis a dépassé un
million de personnes, Ukrainiens, Russes, Polonais... Mais cette funeste vérité
est enfouie. « Nos » historiens et « nos » médias répugnent, en effet, à parler
de l'esclavage en Europe orientale, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Pour enrayer ces incursions, protéger les
populations et garder les régions proches de la Crimée, la Russie et la Pologne
ont armé les troupes « irrégulières »
des Cosaques qui « vivaient dans ce que la Russie a appelé «
l'Ukraine », mot traduit par « marche frontière ». En Russe, « kraï » signifie bout,
extrémité, bord, ainsi que pays, région, territoire, tandis que « okraïna » signifie
confins. Il est donc fort possible que l'appellation « Ukraine » soit née ainsi.
Le déclin du khanat de Crimée a suivi celui de l'Empire
ottoman. Au début du XVIIIe
siècle, aidés par les « Ukrainiens », les Russes ont lancé
plusieurs campagnes contre la Crimée. Ils ont réussi à pénétrer sur la
péninsule elle-même pendant la guerre russo-turque de 1735-1739. Une nouvelle guerre russo-turque, de 1768 à
1792, au désavantage des Ottomans, a permis à Catherine II d'annexer la Crimée en avril 1783. Puis en 1792, par le
traité d'Iasi (capitale moldave) entre les Empires russe et ottoman, la Russie
a été étendue jusqu'au Dniestr, couvrant ainsi tout le territoire de l'actuelle
Ukraine, à l'exception de deux régions de l'Ouest limitrophes de la Moldavie et
de la Pologne restées en possession de l'Autriche. Tous ces événements, depuis les premières
invasions mongoles jusqu'à la fin du khanat de Crimée et à l'expulsion des Turcs
par la Russie, ont laissé de profondes et douloureuses empreintes dans le Sud
et l'Est de l'Ukraine. L'Ouest, plus éloigné des Empires tatars et turcs a été
plus épargné. Il n'a pas vécu la même histoire.
Plus de quatre siècles sous la dépendance de la Lituanie et de la Pologne
Après deux
siècles de fragmentation de la Lituanie en de nombreux duchés, Ladislas Ier a
réunifié son pays et, en 1320, en est devenu grand-duc. Profitant de
l'affaiblissement de la Rus' par les Mongols, lui et ses successeurs ont étendu
le grand-duché vers l'Est et le Sud, annexé la Galicie, la Volhynie et la
Podolie, allant alors jusqu'au Dniepr.
En 1385, le grand-duché de Lituanie et le royaume de Pologne se sont unis. Jagellon, le grand-duc,
s'est converti au catholicisme et est devenu roi de Pologne. Depuis lors, et
jusqu'à la fin du XVIe, le royaume a été
en guerres contre la Horde d'Or, la
principauté de Moscou, la Bohême, la Hongrie et les Tatars de Crimée. Au siècle
suivant, cela a été contre la Suède, la Prusse, la Transylvanie, la Russie, les
Cosaques d'Ukraine et le Khanat de Crimée.
En 1569, par le traité de Lublin, le royaume de Pologne et le
grand-duché de Lituanie ont formé la puissante République des deux nations (RDN).
Elle s'étendait alors de la mer Baltique aux confins de la mer Noire,
limitée au Sud et au Sud-Est (de
l'Ukraine) par l'Empire Ottoman, qui occupait les bords de la mer Noire, à
l'est et au Nord de sa partie ukrainienne par la Russie. L'Ouest et le centre
de la future Ukraine étaient alors entre les mains de la Pologne. À partir de 1654, la RDN a repris les
hostilités contre la Russie, à propos des territoires des actuelles Biélorussie
et Ukraine, notamment. Elle n'a pas réussi à battre les Cosaques zoporogues, alliés avec la Russie. La guerre a duré jusqu'à
la trêve (ou traité) d'Androussovo en 1667, favorable
à la Russie, qui a « entériné » le partage de l'Ukraine « polonaise ». À la
Russie, la partie à l'Est du Dniepr ainsi que Kiev, sur la rive Ouest. La
Pologne a conservé la partie occidentale. En fait, « L'Ukraine occidentale (à
l'Ouest du Dniepr) était pro-polonaise, mais l'Ukraine orientale se prononçait ouvertement pour son
rattachement à la Russie ». Le Sud de l'Ukraine restait ottoman (5).
Russification d'un côté et polonisation de l'autre pouvaient ainsi plus
librement suivre leurs cours séparateurs (6).
Un siècle plus tard, après plusieurs victoires russes contre l'Empire
ottoman, Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie et Marie-Thérèse
d'Autriche se sont associés pour imposer en 1772 à une Pologne en grande
difficulté un partage la privant du tiers de sa population et de son
territoire. En 1793, ces trois mêmes
puissances ont décidé d'un second partage, plus sévère. En janvier 1795, suite
à une insurrection en Pologne, la République des deux nations a été rayée de la
carte au terme d'un troisième partage. La Prusse a pris l'Ouest de la Pologne,
la Russie a reçu l'est, et l'Autriche, le Sud-Ouest (Galicie).
État cosaque,
embryon de la nation ukrainienne...?
Dans le vocabulaire slave, « cosaque » signifiait homme
libre, sans attache. Les cosaques étaient souvent nomades. Leurs débuts ont été
situés à Riazan, en 1443, a proximité de Moscou. À
partir de 1490, des cosaques se sont installés entre le Dniepr et le Boug méridional
(au cœur de l'Ukraine). Ces cosaques, appelés Zaporogues, se sont répandus dans
les steppes méridionales et orientales (7). Ils sont devenus les protecteurs
des paysans contre les tatars et les princes lituaniens ou polonais. Ils ont
accueilli nombre de ceux qui fuyaient ces derniers. Leur liberté et leur «
modèle d'organisation » ont aussi attiré des citadins, des nobles et des
aventuriers. C'était une sorte de
démocratie directe dans laquelle leurs chefs militaires, jusqu'au rang le plus
élevé de Hetman, étaient élus lors de conseils pléniers réunis en « Rada ».
Cette assemblée participait aux décisions importantes, et les chefs lui
rendaient compte.
D'abord piètres combattants, avec l'expérience, les Cosaques
sont devenus de redoutables guerriers. Dès la fin du XVIe, puis au XVIIe
siècle, ils ont plusieurs fois affronté les Lituaniens et les Polonais,
particulièrement en 1625-1637 et en 1648-1654. Une révolution paysanne a éclaté
en 1648. En mai, l'Hetman Bohdan Khmelnitskyi, allié
aux Tatars de Crimée et aux Russes de Moscou, a battu les Polonais à Jovti Vody puis à Korsoum, initiant une guerre de libération qui a duré six
ans et qui a ébranlé l'Union lituano-polonaise. Ce
soulèvement a donné naissance à un territoire Cosaque autonome appelé « Ukraine
» dans le bassin du Dniepr entre la Pologne et la Russie.
En 1654, l'Hetmanat s'est placé
sous la protection du tsar de Moscou (traité de Pereislav).
Peu après, en 1667, est intervenu (nous l'avons vu) le traité partage d'Androussovo, aux termes duquel la Pologne a perdu la rive
est du Dniepr et la région de Kiev, mais gardé la rive occidentale. L'Hetmanat cosaque, a alors été scindé en deux.
L'Hetmanat de la rive droite a été
supprimé dès 1699 lors du traité de Karlowitz entre Polonais et Ottomans. L'Hetmanat de la rive gauche a vécu presque cent ans de plus.
L'Ukraine orientale, gouvernée par un hetman, a peu à peu été assimilée à un
état russe. Au début du XVIIIe siècle, «
l'Hetmanat était parmi les pays les mieux
alphabétisés de toute l'Europe. Il y avait des écoles dans la plupart des
villages, les Cosaques ukrainiens étaient connus pour être des personnes très
bien éduquées... » (8). Mais,
d'indépendance, pas question ! La Russie s'est servie des forces de ces vassaux
contre la Pologne et les Ottomans. Puis, en 1793, Catherine II a mis fin à leur
autonomie et a étendu l'Empire russe jusqu'à la mer Noire. Plus tard, les
Cosaques sont restés fidèles à la Russie. Ils ont formé des corps d'élite de la
cavalerie impériale qui, on s'en souvient, ont harcelé les armées
napoléoniennes.
Novorossia
« Novorossia » ou Nouvelle Russie a
été le nom donné aux territoires annexés par Catherine II en 1764, entre la mer
d'Azov et la mer Noire. La Nouvelle Russie s'étendait de Louhansk et Donetsk, à
l'Est, à Dniepropetrovsk et Zaporojie, sur le Dniepr, puis descendait au
Sud-Ouest vers le Dniestr, qui borde la Moldavie, et Odessa. D'autres
territoires ont ensuite été annexés : la Crimée en 1774, la Méotide (extrême
Sud-Est de l'Ukraine) en 1783, la Transnistrie en 1792, et la Moldavie en
1812.
Sous la houlette de Potemkine, ces territoires ont aussitôt
été occupés par des colons venant de l'Empire russe, des Bulgares, des Serbes,
des Arméniens, des Grecs, des Allemands, des Hollandais... Les steppes ont été
mises en culture et de nombreuses villes ont été fondées, Odessa, Kherson et
Sébastopol, notamment. Odessa était une ville portuaire cosmopolite. À ses
débuts, elle a été administrée de 1803 à 1814 par le duc de Richelieu, qui a
été aussi gouverneur de Nouvelle Russie. Son successeur à partir de 1815 a été
un autre Français, le comte de Langeron (9).
Le XIXe siècle a vu l'économie de la région décoller et
s'épanouir : culture et exportation de blé, production de sucre, autres
industries alimentaires, extraction de houille du Donetsk, de minerai de fer du
Krivoï-Rog et industrie métallurgique à partir de 1870. Des Français, des
Belges, des Écossais, des Allemands... sont venus y investir, accélérant son
développement industriel et économique. Le négoce a aussi profité de
l'extension du chemin de fer. L'Ukraine russe comptait 13 millions d'habitants
en 1860. Elle a prospéré jusqu'en 1914.
L'abolition du servage en 1861 et l'industrialisation avaient
provoqué l'exode rural, le peuplement
des villes et le brassage des populations urbaines, où le russe était la langue
dominante. Tandis que l'ukrainien était parlé dans les campagnes. Kiev a compté
environ un demi-million d'habitants en 1892. Malgré des massacres et des
pogroms, au recensement de 1897, les communautés juives constituaient 30 % des
populations des villes et des
bourgs.
La chronologie des fondations des villes, un témoin de l'histoire de l'Ukraine
Les fondations des principales villes, souvent fortifiées,
ont été groupées en quatre périodes nettement distinctes, résumant à leur façon
l'histoire et le peuplement du territoire ukrainien jusqu'à la fin du XIXe
siècle.
Les quatre grandes villes les plus anciennes, Kiev, Jytomyr,
Poltava et Tchernihiv, au Nord et au Nord-ouest ont été fondées sous la Rus' de
Kiev entre 880 et 910. À l'Ouest, Lvov,
Rivne, Vinnytsia, Khmelnitskyi et Ternopil ont été
fondées du XIIIe au XVe siècle, pendant la première moitié de l'occupation
lituanienne et polonaise. Tcherkassy, sur le Dniepr, a été édifiée au XIIIe
aussi.
Au Nord-Est, Kharkov et Soumy ont été érigées en forteresses
cosaques contre les Tatars de Crimée peu après 1650. Un siècle plus tard, sous
la domination russe ont été fondées : Kirovohrad, Zaporojie, Dniepropetrovsk, Kryvyi-Rig, Kherson, Marioupol, Mykolaev, Odessa et
Louhansk, structurant ainsi l'Est et le Sud du pays. Donetsk, a vu les
premières mines de charbon en 1820... et a été «
officiellement » fondée en 1869. A
l'Ouest, la domination lituano-polonaise a duré
jusqu'à près de six siècles en Galicie et en Volhynie (jusqu'à 1939). À l'Est
et au Sud, les dominations tatares, turque, cosaque et russe ont été nettement
plus longues qu'à l'Ouest.
Russification
et montée d'une conscience
nationale ukrainienne
Au XIXe siècle, l'Est et le Sud de l'Ukraine ont subi une
vigoureuse politique de russification linguistique. En 1863, l'impression de
manuels scolaires et de livres religieux en ukrainien a été prohibée.
L'enseignement en ukrainien dans les écoles a été interdit. Seules les œuvres
littéraires en ukrainien ont été tolérées. En 1897, seulement 13 % de la
population était alphabétisée. Il a fallu attendre 1905 pour que les
publications et les associations culturelles ukrainiennes soient à nouveau
autorisées, et aident à relever le niveau.
Pour certains historiens (10), la première moitié du XIXe
siècle a été décisive pour le développement d'une conscience nationale dans
l'Ukraine orientale. L'intelligentsia a entrepris « l'étude » du folklore, du
langage populaire et de l'histoire du pays. Des articles sur la vie et l'œuvre
de l'icône de la culture de l'Ukraine, Taras Chevtchenko (1814- 1861), en
témoignent. L'œuvre de ce grand écrivain et poète est considérée comme le
symbole le plus marquant du réveil de l'esprit national ukrainien, à
l'influence considérable. Son « Kabzar » est devenu le livre de référence de l'enseignement
de la langue ukrainienne à la fin du XIXe siècle. Sa vie tourmentée a été partagée, de gré ou
de force, entre l'Ukraine et la Russie. Dans ses poèmes, il a idéalisé les cosaques
ukrainiens, fiers et braves, ainsi que les paysans révoltés... face aux ennemis
héréditaires. Cette représentation imagée s'est imprégnée dans les esprits,
aussi bien en Russie qu'en Ukraine, et n'a sans doute pas complètement
disparu.
En 1846, s'est formée la « Confrérie de Cyrille et Méthode »,
dont Chevtchenko a pris la direction. Elle voulait promouvoir une future
fédération des peuples slaves qui laisserait aux nationalités une entière
liberté et une complète autonomie. Elle a été impitoyablement réprimée en 1847,
et la vie littéraire de Chevtchenko en Ukraine a été interrompue plus de dix
ans. De 1876 à 1905, l'impression d'ouvrages en ukrainien a été interdite.
Du côté occidental, en Galicie, l'emploi de l'ukrainien était
toléré dans les écoles primaires. Mais,
malgré la Constitution de 1860, les Ukrainiens n'avaient pas les mêmes droits
que les autres nationalités de l'Empire austro-hongrois. Ils subissaient aussi
la domination de riches aristocrates polonais ainsi que de citadins polonais ou
juifs.
La guerre de 1914 -1918 : ravages et lourdes conséquences
L'Ukraine a été plongée jusqu'au cou dans la Première guerre
mondiale qui a opposé les Empires d'Allemagne et d'Autriche-Hongrie, aidés par
la Turquie et la Bulgarie, à la France et à la Russie, puis à d'autres « Alliés
», la Belgique, l'Empire britannique, la Russie, le Monténégro, l'Italie, la
Roumanie, la Grèce et enfin les États-Unis d'Amérique.
En 1914, les terres occidentales de Galicie, de Transcarpatie
et de Bucovine appartenaient à l'Empire austro-hongrois. Le reste de l'Ukraine
faisait partie de la Russie. Aussi, dès le début des hostilités, les combats
ont enflammé le front Ouest du territoire, avec des alternances de victoires
des armées antagonistes russes et austro-hongroises, les conquêtes puis les abandons
des villes, reprises ensuite... telle Lviv, capitale de la Galicie.
Sur le front Sud-Ouest
de la Russie, la Troisième et la Huitième armées russes étaient en grande
partie formées de corps « ukrainiens » composés de divisions d'infanterie
(surtout), ainsi que de brigades de fusiliers et de cavalerie : de Kiev,
Jytomyr, Kharkov, Odessa, Vinnytsia, Sébastopol, Simferopol, Kuban. 4,5 millions d'Ukrainiens auraient servi dans
l'armée russe... tandis que 250.000 à 300.000 Ukrainiens auraient combattu dans
les armées austro-hongroises (11).
Avec une tournure défavorable aux armées tsaristes, la guerre
s'est poursuivie jusqu'à la révolution russe de 1917, l'arrivée au pouvoir des
Bolcheviks, l'armistice de Brest-Litovsk en décembre 1917, puis le traité
de Bucarest le 7 mai 1918 entre les
alliés germano-austro-hongrois et la Russie avec la Roumanie. Du côté russe, il
y a eu 1,8 million de morts chez les militaires et 1,5 million chez les civils,
ainsi que 5 millions de blessés et de mutilés.
Les changements sociaux entraînés par la guerre ont été
considérables en Ukraine, du fait des nombres élevés des victimes, des
invalides ainsi que des déplacés. Des réfugiés, des déportés, « de plus de
vingt groupes ethniques » auraient été
hébergés dans les régions orientales, hors des combats. Leur nombre aurait
fluctué entre 420.000 et 1 million. Et plus de 600 000 prisonniers de guerre
austro-hongrois et allemands seraient restés sur le territoire ukrainien (12).
Non sans que tout cela provoque des conflits locaux. Pendant une grande partie
du XXe siècle, les conséquences de la guerre ont été déterminantes pour
l'Ukraine.
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