par Luc BEYER de RYKE
L'Europe, citadelle assiégée, s'apprête à partir en guerre.
Elle sollicite l'aval des Nations-Unies au nom d'une « menace sur la paix ».
Qui est l'envahisseur ? La misère humaine incarnée par les migrants qui
viennent s'échouer sur nos côtes et ceux qui font naufrage avant d'y
parvenir. L'organisation internationale pour les migrations évalue à 232
millions les migrants vivant à l'étranger, soit 3 % de la population mondiale.
Leur nombre a augmenté de 57 millions depuis l'an 2000. Michel Rocard s'est rendu célèbre en disant
que la France « ne pouvait accueillir toute la misère du monde ». Pour ma part
je me souviens d'un entretien en tête à tête avec Willy Claes. Ce social-démocrate
à la Hollande était alors secrétaire général de l'OTAN. Pris dans une affaire
de corruption, celle des hélicoptères Augusta, sa chute fit perdre à la
Belgique cette charge qui lui assurait une visibilité internationale. Reste que l'homme, stratège habile et
conciliateur apprécié, ne manquait pas de pertinence dans ses analyses. À
l'époque où je le rencontrai, la guerre froide finissait d'être un souvenir
avant de ressusciter aujourd'hui avec Wladimir
Poutine.
Willy Claes m'impressionna en insistant sur le fait
qu'une guerre nouvelle nous attendait. Celle qui allait opposer le Nord au Sud.
Ce qui était nouveau aussi étaient les formes qu'elle allait revêtir. Devant les carcasses rouillées et pourries
affrétées par les passeurs, des milliers de migrants agglutinés sur leurs
ponts, nous envoyons des navires de guerre transformés en navires hôpitaux ou
barques de sauveteurs.
« L'arme
absolue : la misère et la pitié »
Ce qui me remet en
mémoire une autre rencontre et un livre. Dans les années quatre-vingt-dix je me
suis rendu à Neuilly - si mon souvenir est bon - au domicile de Jean Raspail.
Je venais le voir dans le cadre d'une émission analogue à Radioscopie de
Jacques Chancel que je réalisais pour la radio belge. À cette occasion il me
dédicaça son roman Le Camp des Saints1 en disant espérer « que ce livre restera
à l'état de prophétie … » C'est Henri Amouroux qui,
l'ayant lu, s'était écrié : « Ah mon Dieu, je n'ai jamais vu de prophète de ma
vie, vous êtes le premier !» Humour mis
à part, à la vue de ce qui se passa
à Lampedusa et
en d'autres lieux,
je me me
demande si Amouroux n'avait pas raison. Je repris le
roman de Raspail et, à sa lecture, la qualification de « roman » me paraît, au
fil de l'actualité, moins évidente.
Rappelons-en thème. « La grande voix qui berce la misère
humaine » s'est réveillée. Le tiers-monde, le quart-monde se sont mis en
marche. Ils se sont embarqués pour le paradis de l'homme blanc. Avec pour seule
arme, la pitié qu'il inspire. L'arme absolue. Dans le roman la flotte qui prend
le large est venue du Gange, flotte pacifique que viendra s'échouer dans la
nuit de Pâques sur les côtes de Provence. Tout se délite. Les plus hautes
autorités, l'armée, les banlieues qui sortent de leurs ghettos, les « belles
âmes » des dames patronnesses, tout concourt à livrer le pays aux « damnés de
la Terre ».
La menace de Daech
L'Occident a mal à sa conscience. Il est un vieux proverbe
flamand selon lequel « en riant le fou dit la vérité ». Lorsque l'on évoque
côté européen une « menace contre la paix » la crainte est justifiée. Elle
l'est sous une forme inédite qui « désarme » l'assiégé. Il y a quelques
semaines des écoutes téléphoniques de la police italienne ont révélé que Daech projetait de lâcher des « bombes migratoires » pour
déstabiliser l'Europe.
Il s'agirait d'une alliance entre les milices islamistes et
des réseaux de passeurs à partir des côtes libyennes. Les rivages italiens sont
à moins de 400 km de la Libye. Daech agirait à partir
de sept villes de la côte libyenne dont Derna à l'Est, Sabratha
à l'Ouest en passant par Syrte au Centre. Si la déstabilisation des villes
méridionales, en particulier italiennes, est l'objectif politique, il en est un
autre. Le trafic mis sur pied s'avère extraordinaire lucratif. Il assurerait,
s'il se développe, des rentrées financières des plus conséquentes à
l'organisation djihadiste.
Comment réagir ?
Nous voici donc devant une conjonction de périls assortis
d'interrogations multiples.
Pouvons-nous, les bras croisés, laisser se noyer devant nos
côtes, des milliers de migrants ?
Pouvons-nous en les recueillant laisser inonder nos villes et
nos campagnes d'hôtes non désirés déstabilisant nos structures et notre mode de
vie ? Pouvons-nous frapper les réseaux
de passeurs en détruisant leurs navires tout en évitant ce que, pudiquement,
on appelle des dommages collatéraux ? En
détruisant le régime - bien peu recommandable - du colonel Kadhafi nous nous sommes
privés d'un garde-chiourme, nous avons fait sauter un verrou et apporté le
chaos. En Libye…et chez nous. Il ne sert
plus à pleurer sur le lait versé. Le pot de Perrette est brisé. L'Europe doit
faire face. La politique des quotas paraît bien dérisoire. Il n'est sans doute
pas une politique à même de répondre au défi gigantesque auquel nous sommes
confrontés. À l'option militaire qui implique une action des services de
renseignements doit s'adjoindre une politique migratoire dûment contrôlée et
une politique concertée en matière des dérèglements climatiques. De toute
évidence poser le problème n'est pas le résoudre.
Je me contenterai dans le cadre de ce propos d'appeler à une
prise de conscience. Fut ce sur un mode quelque peu apocalyptique. Lampedusa et
« Le Camp des Saints » nous y incitent.
(1) Jean Raspail, Le Camp des Saints, éditions Robert
Laffont, 477 pages.