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«GOUVERNANCE UNIQUE»
INCOMPATIBLE AVEC
LES FORTES DISPARITÉS DANS L'UNION EUROPÉENNE
Par Paul KLOBOUKOFF
Des disparités démultipliées avec les
élargissements
Si les élargissements n'ont pas tous été entièrement «
volontaires » de la part des « dirigeants » de l'UE, il est incontestable qu'un
objectif majeur pour eux est de « construire » une entité aussi grosse que
possible. Un « colosse » de 510 millions d'habitants (en 2014) dont le cumul
des PIB des membres atteint 17.500 Mds $ et l'autorise à prétendre au premier
rang mondial, juste devant les USA, à 16.800 Mds $, et loin devant la Chine, à 10.400
Mds $. Cette appréciation est à relativiser, car lorsque les PIB sont évalués à
parité de pouvoir d'achat (PPA), comme nous l'avons déjà vu, la Chine est
maintenant la 1ère puissance mondiale.
En tout état de cause, l'hétérogénéité affaiblit l'UE et rend
inappropriée la « gouvernance unique » prônant l'approfondissement, la monnaie
unique et voulant faire respecter de mêmes règles venues d'en haut à tous. Laissons de côté, sans les ignorer, la
multiplicité des langues, originaires et importées, qui s'expriment, la
diversité des cultures, des us et coutumes qui se côtoient, se frottent et
qu'on voudrait « métisse r», à défaut de les « unifier ». Les disparités
démographiques, économiques et sociales sont suffisamment éloquentes !
Les populations des États de l'UE vont de 82,1 millions (Mi) d'habitants
en Allemagne, 65,7 Mi en France... à 0,5 Mi au Luxembourg et 0,4 à Malte, soit
entre 120 et 200 fois moins. Ensemble les six plus gros (Allemagne, France,
Royaume-Uni, Italie, Espagne, Pologne) hébergent 70 % de la
population totale en 2013 (Eurostat).
Ensemble ces six gros produisent 74 % de la « richesse » de l'UE,
évaluée à 13.100 Mds €. Leurs PIB vont de 2.740
Mds d'euros pour l'Allemagne à 690 Mds € pour la Pologne. À l'étage en
dessous, 15 « plus petits pays » ont des populations de 4,3 à 20 Mi habitants
avec des PIB allant de 43 à 421 Mds €. Enfin, 7 « confettis » ont entre
0,4 et 3 Mi habitants, et leurs PIB sont compris entre 7,3 et 35,3 Mds. Le PIB
de l'Allemagne est 147 fois supérieur à celui de l'Estonie et 275 fois à celui
de Malte. De quoi parler d'égal à égal et marcher du même pas cadencé. Derrière ces chiffres se trouvent aussi de
fortes disparités des PIB/habitant (PIB/h) qui résument des écarts
considérables de productivités, d'un côté, et de niveaux de vie, de l'autre. Le
PIB/h moyen annuel dans l'UE est de 25.700 €, toujours en 2013, niveau
notablement inférieur à celui des Américains, proche de 40.000 €. À l'intérieur de l'Union, au paradis
financier et fiscal luxembourgeois, le PIB/h atteint 91.000 €. Arrivent
ensuite deux « échappés » qui ont refusé
l'euro, la Suède, avec 44.500 €, et le Danemark, avec 43.800 €. Assez loin
d'eux, suivent six Nordistes
dont les PIB/h
vont de 36.800 à 33.300 €,
l'Autriche, les Pays-Bas, l'Irlande, la Finlande, la Belgique et l'Allemagne.
La France, à 31.400 €, tient la dixième position, devant le
Royaume-Uni, à 29.600 € et l'Italie, qui
a décroché à 25.600 €. Puis on trouve cinq membres de la zone euro (ZE), la
Slovénie, à 16.800 €, la Grèce, à 16.100 €, le Portugal, à 15.800 €, l'Estonie,
à 14.300€ et la Lettonie, à 11.700 €.
Dans l'UE, hors ZE, la Roumanie est à 7.100 €, et la Bulgarie à 5.500 €.
C'est entre 6 et 8 fois moins qu'en Suède ou au Danemark. Pour comparaison,
entre les PIB/h des 50 États constituant les USA, l'écart maximum est de 1 à
3. Les chiffres ci-dessus, peu glorieux
pour la France et peu valorisants pour
l'Union, sont peu diffusés et encore moins commentés par « nos » politiciens et
les médias.
Sans tomber dans le « France bashing »,
peut-on dire que la France recule dans
l'UE ?
Les statistiques du
FMI permettent de comparer les évolutions des PIB/habitant depuis 1980.
D'abord, un rattrapage significatif des pays du sud et de l'Irlande, favorisé
par des aides de la CEE, a eu lieu entre 1980 et 2000. Il s'est arrêté lors de
l'arrivée de l'euro. Pendant cette période, les écarts par rapport au PIB/h de la France se sont réduits de 36 % à 16 %
pour l'Italie, de 61 % à 50 % pour la
Grèce, de 54 % à 38 % pour l'Espagne, de 75 % à 51 % pour le Portugal. Quant au
PIB/h de l'Irlande, qui était inférieur de 52 % à celui de la France en 1980,
il avait dépassé ce dernier de plus de 10 % en 2000. Entre 2000 et 2013, le PIB/h de l'Espagne est
encore monté de près de 7 % par rapport à celui de la France, ceux des trois
autre Sudistes et de l'Irlande ont légèrement reculé. Quant aux PIB par habitant des Nordistes, ils
ont aussi crû davantage que celui de la France entre 1980 et 2013. En faveur de
l'Allemagne, grande gagnante, l'écart de croissance a été de + 47,4 %. En 1980,
le PIB/h de la France était de + 18 % plus élevé que celui de l'Allemagne
(réunifiée). En 2013, le PIB/h de l'Allemagne est supérieur de + 20 % à celui
de la France. Et, toujours par rapport à la France, les écarts de croissance
ont été de + 13,5 % pour les Pays-Bas, de + 9 % pour la Suède et de + 21 % pour
Royaume- Uni. Il semble que la France a
été un « pigeon » dans l'Union européenne. Ou que nos gouvernants ont été moins
« avisés » que leurs collègues. Ou les deux. Certains objecteront que le PIB
par habitant de l'Allemagne est plus élevé aussi parce le pays se dépeuple et
qu'entre 1980 et 2013, sa population n'a augmenté que + 4,7 %. Alors que la
nôtre a crû de + 18,3 %. En effet ! Et les gouvernants ainsi que les patrons
français ne sont pas tous mécontents de la vigueur de l'immigration. Et on
s'enorgueillit en haut lieu d'avoir un taux de fécondité record, même s'il
devient difficile d'ignorer qu'il est en partie dû aux performances
d'originaires du Maghreb et d'Afrique.
Quoi qu'il en soit, la démographie, en elle-même, n'explique pas les
écarts des progressions des PIB par habitant. D'ailleurs, si entre 1980 et
2013, les populations de l'Italie et du Portugal n'ont crû que de + 5,9 % et +
7,1 %, les progressions ont été de + 13,7% en Grèce, de 13,9% au Royaume-Uni,
de + 15,8% en Suède, de + 18,7% aux Pays-Bas, de + 24,7% en Espagne et de + 40,4%
en Irlande. Inutile de se flageller en
notant aussi que le PIB/h de la Chine a progressé 4,5 fois plus que celui de
l'Allemagne et 6,6 fois plus que celui de la France pendant ces 33 ans.
Elargissements et
appauvrissement de l'UE
Les élargissements à trois « Sudistes », la Grèce, l'Espagne
et le Portugal entre 1981 et 1986, puis les ouvertures à l'est à partir de
2004, ont fait baisser le PIB/h moyen de l'UE. Leur impact sur le PIB/h moyen
de 2013 peut être évalué à - 24 %. En effet, les
données d'Eurostat sur 2013 montrent que le PIB/h des 12 (29.300 €) est
inférieur de - 6,4 % à celui des 9 (31.140 €), et que le PIB/h des 28 (25.690
€) est inférieur de - 13,8 % à celui des 15 (29.810 €). La baisse n'est pas
terminée. Il reste les pauvres candidats des Balkans à la porte de l'UE. En
outre, les intentions à peine voilées d'englober l'Ukraine et, pourquoi pas,
les pays du Caucase, laissent penser que le PIB par habitant de l'UE est menacé
de chuter davantage... et aussi que l'Union risque d'être irrémédiablement
ingouvernable.
Je reviendrai sur l'Ukraine dans un prochain article. D'après
la COFACE, qui évalue les risques pays, le PIB de l'Ukraine serait de 135 Mds $
en 2014 pour une population de 45,5 millions d'habitants. L'UE ferait un « gros
coup démographique » en faisant entrer
ce pays car la population de l'UE serait augmentée de l'ordre de + 9 % (à
situations, très hypothétiquement, inchangées) Le PIB de l'Union ne serait
majoré que de + 0,7 % (si le PIB ukrainien ne continue pas de reculer). Le
PIB/habitant de l'UE reculerait alors de - 7,6%.
Certaines lois naturelles ne sont pas encore perçues par les
constructeurs de l'Europe. Unir plusieurs faibles ne suffit pas pour constituer
un gros plus puissant. Un ou plusieurs petits, ou faibles, unis à un plus fort
voisin deviennent le plus souvent des vassaux asservis
par ce dernier. Et l'UE en est une vivante illustration.
L'UE fait peu de cas des inégalités de niveaux de vie entre les Européens
En France, plus encore dans les pays Scandinaves, et dans la
plupart des pays d'Europe qui en ont les moyens, réduire les inégalités des
niveaux de vie (NDV) est un objectif majeur. Il n'en va pas de même de la
réduction des écarts de NDV entre pays dans l'Union. Pourtant, ils sont
considérables depuis les élargissements à l'est. Et les diminuer
significativement demanderait une forte redistribution des « ressources » entre les États. Ce qui n'est pas envisageable
dans une Union dont la valeur de référence est la concurrence, dont les membres
sont endettés jusqu'au cou et ne veulent pas (encore) se départir de la
totalité de leurs prérogatives en matière sociale.
Les statistiques sur les NDV sont tardives. Les plus récentes
d'Eurostat, présentées par l'INSEE, portent sur l'année 2011. Elles montrent
que les NDV moyens vont de 28.860 € au Danemark, 26.260 en Suède, 26.260 en
Finlande, 25.150 en France... 22.020 en Allemagne... à des montants allant de
5.000 à 6.000 € en Pologne, en Lettonie, en Lituanie et en Hongrie, et, au plus
bas, à 3.280 € en Bulgarie et 2.410 € en Roumanie Le NDV moyen des Danois est
ainsi 4,9 fois supérieur à celui des Polonais, 8,6 fois supérieur à celui des
Bulgares, et 12 fois à celui des Roumains.
Alors, le recours aux comparaisons en parité de pouvoir
d'achat (PPA) est bien commode pour réduire ces trop criantes inégalités et
pour remplir le devoir de nivellement (apparent) qui en est attendu. En effet,
mesuré en PPA, le NDV moyen du Danemark est diminué de - 30 % et s'établit
à 20.120 euros PPA, celui de la Suède
perd - 21 % et descend à 20.770 € PPA, celui de la France perd - 9,3 % et
baisse à 22.230 € PPA, etc. À l'autre extrémité des NDV, celui de la Pologne
est majoré de + 69 % et atteint 9.950 € PPA, celui de la Bulgarie double et
atteint 6.640 € PPA, celui de la Roumanie gagne + 66 % et monte à
4.000 € PPA.
Mesuré ainsi, le niveau de vie moyen au Danemark, n'est plus
que 2 fois supérieur à celui des Polonais, 3 fois supérieur à celui des
Bulgares et 5 fois plus élevé que celui des Roumains. Pas de quoi s'affoler,
donc? Ces comparaisons en PPA, très en
vogue, sont cependant à regarder avec circonspection. Au moins parce que les
valeurs et les compositions des consommations sont dissemblables d'un pays à
l'autre. Le panier d'une ménagère polonaise n'est pas le caddie d'une
Française. Nous mangeons nettement moins de pain, de pommes de terre et de
choux, et davantage de viandes, de fromages, de plats préparés... que dans les
pays de l'est, par exemple. Lorsqu'un Bulgare veut acheter une voiture de qualité
allemande, « Das Auto», comme on dit dans nos pubs
patriotes, il doit la payer en euros (et non en € PPA), « à partir de 259 euros
par mois», peut-être, mais pas « sans apport et sans conditions ». Un tel
montant, relativement « modeste» chez
nous, est voisin du NDV moyen mensuel des Bulgares, ce qui interdit l'achat
d'un tel véhicule à la grande majorité d'entre eux. Le grand marché «
unique» est loin de l'être pour tous
dans l'UE. Nous ne sommes pas
sensibilisés à de tels « détails» . Et pas informés de
ce que parmi les 20 % des Européens aux plus faibles NDV on trouve 47 % des
Bulgares, plus de 50 % des Lituaniens et des Lettons ainsi que 77 % des
Roumains... contre « seulement» 5 % des
Français et encore moins d'habitants d'Autriche, des Pays-Bas, de Chypre et du
Luxembourg. C'est aussi dans ces derniers pays, ainsi qu'en Belgique et au
Danemark, qu'on trouve en plus grandes proportions des 20 % des Européens les
plus « aisés ou riches » : de 28 % de la population en France jusqu'à 60 % au Luxembourg...
contre moins de 7 % en République Tchèque, en Slovaquie, en Pologne, en Croatie
et en Roumanie, et entre 2 et 4 % en Estonie, en Hongrie, en Lettonie, en
Lituanie et en Bulgarie. Encore faut-il préciser que les NDV sont comparés ici
en parité de pouvoir d'achat.
Des disparités qui favorisent les migrations et
le « dumping social »
La principale source ici sur les disparités est La France
dans l'Union européenne, édition 2014 de l'INSEE, dont je recommande la
lecture. L'ampleur de ces disparités permet de mieux comprendre l'importance
des migrations à l'intérieur de l'UE, les motifs des délocalisations des
productions vers les pays où les salaires sont nettement plus faibles, les
concurrences (tolérées ou instituées par l'UE) exercées par l'emploi de «
salariés détachés » et les pratiques, dans certains secteurs des transports et
des services, d'entreprises usant au maximum de ces différentiels de
rémunération... qui mettent en péril la survie de nos transporteurs routiers
actuellement.
Echappant à la directive européenne de 1996 encadrant les
travailleurs de l'UE provisoirement détachés dans un autre pays (« plombiers
polonais » qui ont tant fait rire les eurobéats, ou
autres), qui impose le respect des règles de rémunération et de travail du pays
d'accueil, la pratique dite du « cabotage » permet au transporteur étranger de
charger et décharger, dans une limite de 7 jours, ses camions en France en se
soustrayant à nos règles sociales. Sur lefigaro.fr, le problème est évoqué le
20 janvier et le 17 février 2015. Sous le titre « Transporteurs : la France
face à la concurrence européenne », des données comparatives sur les
rémunérations des personnels de conduite sont fournies. Le coût à l'heure de
conduite est de 29,28 € pour la France, de 15,91 pour l'Allemagne à l'ouest, de
13,16 € pour l'Espagne, de 9,94 € pour la Pologne et de 12,14 € pour la
Slovaquie. Si des corrections n'interviennent pas rapidement, la plupart des
transporteurs français auront disparu d'ici peu. Des écarts de rémunérations
semblables dans l'industrie expliquent aussi les performances de sociétés (ou
multinationales) allemandes qui, pour être plus compétitives, ont fait de leurs
voisins de l'est des « satellites » spécialisés dans la sous-traitance à bas
coûts.
Les accords de Schengen élargis accentuent les
problèmes migratoires
Non sans raisons, les accords sur la libre circulation des
personnes ont été plus difficiles à sceller
que ceux sur
les marchandises et
les capitaux. Le premier accord
de Schengen, entre l'Allemagne, la France et les trois États du Benelux remonte
à 1985. Après plusieurs étapes et une directive décisive de Bruxelles en 2004,
la libre circulation des citoyens européens à l'intérieur de « l'espace
Schengen » s'étend aujourd'hui sur 26 pays. Parmi les 28 de l'UE, la Roumanie
et la Bulgarie n'y ont pas encore été admis et le Royaume-Uni ainsi que
l'Irlande ont signé des accords partiels. La Suisse, le Lichtenstein, la
Norvège et l'Islande ont des statuts d'états associés. Cet « acquis »
communautaire a facilité les migrations intracommunautaires, généralement en
défaveur des pays les plus pauvres, de l'Europe de l'Est, en particulier, qui
ont vu émigrer des « forces vives ». Il a aussi accru les problèmes sociaux et les fardeaux financiers liés à
l'accueil de nombreux migrants pauvres dans les pays de destination.
La porosité des frontières extérieures de l'espace, censé
être « protégé », a favorisé l'immigration venant principalement d'Afrique et
du Moyen Orient et les déplacements incontrôlés des immigrants à l'intérieur de
l'espace, non sans poser de graves problèmes humanitaires, d'emploi, et
susciter des controverses et des dissensions dans les pays et les localités
concernées d'accueil ou de transit (comme Calais). La remise en cause
insistante de ces accords très critiqués a maintenant des chances de déboucher
sur leurs renégociations et aboutir, sur le papier, à des dispositions restrictives...
qu'il sera sans doute difficile de mettre en pratique.
Les morts de milliers de migrants tentant de rejoindre les
rives européennes de la Méditerranée ces derniers mois obligent à changer de
regard et d'attitude envers ces « mouvements migratoires » de désespérés fuyant
des pays en guerre. L'UE doit décider d'être plus solidaire et déterminée pour
faire face aux problèmes d'accueil des réfugiés, de ne plus laisser seuls, en
première ligne, les pays côtiers débordés, telles l'Italie et la Grèce. S'attaquer
ensemble aux causes de ces exodes ainsi qu'aux trafiquants qui en vivent, en
collaboration avec les autorités des pays de départ africains, devient une
nécessité moins contestée. Reste à savoir comment.
«
Couvrez ces pauvretés que je ne saurais voir »
Tartuffes ! C'est le qualificatif qui vient à l'esprit devant
le tableau lénifiant des taux de pauvreté dans les pays de l'UE et les
relativement faibles écarts entre la majorité d'entre eux. En 2011, ces taux
sont compris entre 13 % et 19 % pour 18 pays (sur 27), la France étant à 14 %.
Seuls 2 pays ont des taux plus bas, de l'ordre de 10 %, les Pays-Bas et la
République tchèque. 6 pays ont des taux supérieurs à 19 %, l'Italie, la
Croatie, la Bulgarie, l'Espagne, la Roumanie et la Grèce, où il dépasse les 23
%. La « moyenne » dans l'UE est chiffrée à 17 %, pour un nombre total de «
pauvres » de 84 millions de personnes. Nous allons voir que ce taux et cet
effectif n'ont pas de sens.
Ces taux de « pauvreté monétaire » sont calculés après
redistribution, pays par pays, sans référence commune. La redistribution, qui a
pour effet de les abaisser, est très variable d'un pays à l'autre, élevée en
Irlande, au Royaume-Uni, chez les Scandinaves et, au contraire, très faible en
Italie et en Grèce, par exemple. Ceci d'après les chiffres « officiels ». Or,
cette redistribution est difficile à chiffrer. Dans mon article d'octobre 2014
intitulé « Insatiable, inchiffrable, indéchiffrable redistribution », j'avais
montré que l'évaluation de cette redistribution était très partielle en France.
Pas totalement par hasard. Méfiance, donc, envers ces taux de pauvreté
monétaire. Mais surtout, les « seuils de pauvreté » audessous
desquels une personne est « pauvre » diffèrent d'un pays à l'autre, et
considérablement entre les pays du nord, ceux du sud et ceux de l'est. Calculés
à parité de pouvoir d'achat (PPA), ces seuils sont de 16.000 € PPA au
Luxembourg, de 12.300 en Autriche, de 11.200 en France... de 5.960 en Grèce, de
5.740 au Portugal... de 4.430 en Hongrie, de 3.470 en Bulgarie et de 2.160 en
Roumanie. (Données d'Eurostat présentées par l'Observatoire [français] des
inégalités le 16 mai 2014.) Le seuil de pauvreté en Autriche est, en € PPA, 5,7
fois plus élevé que celui de la Roumanie. S'il était évalué en euros courants,
il serait 13 fois plus fort. Est-il honnête et raisonnable de comparer ainsi
ces taux et d'utiliser le même mot « « pauvreté » quand il s'agit de « taux de
misère » comme en Roumanie et dans d'autres pays de l'est ?
Les taux de pauvreté monétaire sont proches de 14 % en France
et en Hongrie. Mais le seuil de pauvreté de la France en € PPA est 2,5 fois
plus élevé que celui de la Hongrie. S'il était évalué en euros courants, il
serait 4,3 fois supérieur. Les pauvretés n'ont pas les mêmes valeurs. Autre incongruité du même tonneau : entre deux
voisins vivant l'un au Luxembourg et l'autre en France et ayant tous deux des
NDV de 15.000 €, le Luxembourgeois est « pauvre », le Français fait presque
partie des « aisés ». Tant que de telles « statistiques » de pauvreté qui
déforment le visage de l'Europe serviront de références, de repères, l'Union
restera une fiction, une abstraction, et sa gouvernance sera malvoyante.
Malveillante aussi et/ou condescendante, peut-être, à l'égard des pays
réellement les plus pauvres.
Décidément, de grands changements sont à apporter à la
conception et à la gouvernance de l'UE pour en faire une « Europe » solidaire
et viable.
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