par Jean-Louis GUIGNARD
« La connaissance abstraite qui porte
sur des notions générales est une connaissance confuse. »
(Louis Rougier, Histoire d'une
faillite philosophique.)
En décidant d'étudier de façon approfondie ce qu'il est
convenu d'appeler le « social » en France nous n'imaginions pas trouver tant de
confusion, de gestion anarchique, de rupture avec les principes fondateurs de
notre Constitution et, « last but not least », tant de corporatisme.
L'ouverture au monde et le « financialisme de la
construction européenne aboutit à une attaque contre le prix du social et le
pouvoir d'achat de la classe productrice en oubliant que ce sont nos acquis
sociaux qui permettent de surmonter les crises et assurer la cohésion sociale.
Cette baisse du cout du travail par celui du pouvoir d'achat qui, dans une
analyse superficielle, peut sembler favorable à nos exportations, plus
particulièrement pour les grands groupes fortement internationalisés, a des
effets dévastateurs sur le tissus de PME/PMI. Les retraités, hors régimes
spéciaux, ont étés bien mal traités en indexant leur pension à l'inflation
plutôt que sur les salaires.
« L'actionnaire était le grand oublié de la période
1945-1975… À travers les fonds de pension, la représentation des actionnaires
est devenue collective… et ces bureaucrates d'actionnaires n'ont qu'un seul
mandat, celui d'exiger au terme le plus proche le plus gros dividende possible.
Les préoccupations propres de l'entreprise (et du personnel [ndlr])
disparaissent », Michel Rocard, 2 février 2006.
Il est bien évident que le travail et le pouvoir d'achat font
parties d'une politique sociale qui se respecte. « Je fais le mal que je ne
veux pas, je ne fais pas le bien que je veux. », saint Paul.
Nous avons essayé de comprendre pourquoi cette hétérotélie est aussi répandue aboutissant à ce que
j'appellerai le « syndrome de rantanplan (hors arrogance), le chien plein de
bonnes intentions dont l'action aboutit à des catastrophes opposées au but
poursuivi ; par exemple on peut dire que les avantages acquis par certains sont
des désavantages acquis pour ceux qui n'en profitent pas !
Le vrai problème est que nous avons changé de paradigme, les
Français sont piégés entre « constructivisme et mondialisme ». Hayek,
économiste autrichien (1899-1992), désigne sous le nom de « constructivisme »
l'application du rationalisme cartésien au social et à l'économie, d'ailleurs
exclu par Descartes.
« Étant donné que pour Descartes la raison était définie
comme déduction logique de prémisses explicites, l'action rationnelle devint
aussi l'appellation réservée à l'action déterminée entièrement par une vérité
connue et démontrable », Hayek.
Nos élites, à formation administrative, raisonnent comme dans
le cadre d'un système fermé comme celui de nos monarchies théocratiques; ils
vont passer leur temps à modifier la législation nationale pour atteindre des
objectifs ponctuels rendant impossible un système d'ajustement légal permanent
en contact avec des données extérieures imprévisibles. Maurice Allais nous
signale en 1974 que l'ouverture à la mondialisation (nécessaire) est en
contradiction avec notre système de redistri- bution par une politique
constructiviste. Depuis lors tous nos gouvernements sont pris à contre-pied par
une actualité qu'ils ne peuvent prévoir, ils courent après l'évènement et sont
déchirés entre constructivisme et l'ouverture des marchés qu'ils ont voulus et
signés (Union européenne). Les Français n'accordent plus leur confiance à une classe
politique issue de l'administration qui n'a pas les qualités requises dans un
monde en mutation rapide. Ce diagnostic
ne s'applique pas, loin de là, seulement au social mais pratiquement à
tous les domaines (géopolitique, énergie, environnement, économie, science et
technologie, internet, ville intelligente...). De même L'UE cherche à créer une
gestion propre à celle des systèmes fermés.
1984, décès des 30 glorieuses et naissance des 40 lamentables
Nous devons impérativement sortir de ce constructivisme
sclérosant et tueur de notre pacte social afin de reconstruire en l'améliorant
notre système social dans le cadre des principes fondateurs de notre Nation,
c'est-à-dire de notre « vivre ensemble ». Il convient de préciser par ce que
nous entendons par système fermé ou ouvert et des méthodes pour la
décision.
Je me suis fortement inspiré des travaux de Mario Tokoro dans le cadre du projet Open Systems
Dependability s'intéressant à des systèmes d'information
volumineux et en évolution constante qui
a obtenu des résultats intéressants dans la gestion des services publics entre
autres. Il y a de nombreuses études universitaires sur le domaine en
particulier ceux de l'Université de Chicago en pointe dans ce domaine.
Le Discours de la méthode
Comment revoir notre méthodologie qui doit beaucoup à la
pensée de Descartes pour faire face aux défis du XXIe siècle ? Descartes
lui-même se refusait à l'appliquer au social et à l'économie pour les systèmes «
ouverts ». En 1637 il nous nous enseigne son Discours de la méthode : - ne
jamais considérer les choses comme vraie sans en avoir la preuve ; - diviser
chacune des difficultés en autant de problèmes ; - considérer d'abord les
problèmes avant de s'attaquer aux plus complexes ; - travailler pas à pas, afin
de ne rien omettre.
Cette méthodologie a inspiré dès le XIXe siècle et tout au
long du XXe de formidables développements dans de nombreux domaines. Au début
du XXIe siècle de nombreux problèmes majeurs ne peuvent plus être appréhendés
par les seuls principes de Descartes… citons quelques exemples : -
l'environnement aux facettes multiples (énergie, climat, sécurité, alimentaire,
biodiversité…) en interaction complexe et variables dans le temps !; - Internet
évoluant plus vite que l'appréhension que nous en avons ; - la médecine ou nous
savons trouver des médicaments lorsque la cause est simple et isolée ; - le «
social » et l'économie dans un monde ouvert en pleine mutation.
Systèmes fermés et systèmes ouverts
Le premier est isolé du reste du monde et avec des frontières
clairement établies, temporelles incluses. Il peut être constitué de plusieurs
sous-systèmes récursifs avec des interactions définies. La bonne connaissance
des sous-systèmes permet de comprendre le comportement de l'ensemble. Cette
méthode a montré son efficacité car le réductionnisme méthodologique cartésien
s'applique.
Un système ouvert interagit constamment avec ce qui
l'entoure; il comporte de nombreux sous-systèmes récursifs - leur nombre et
leurs interactions - évoluant en permanence de façon complexe come leur
environnement extérieur. La méthode réductionniste ne peut convenir et au mieux
avec des résultats décevants et peu pérennes.
Popper pensait que la science évolue au fur et à mesure que
les connaissances réfutent les théories et Khun que
nos connaissances sont soumises à des périodes de progression linéaire puis de
changement de paradigme. Néanmoins ils n'ont proposé aucune alternative à
Descartes.
Contrairement au réductionnisme la méthodologie des systèmes
ouverts privilégie les interactions et cherche à résoudre le problème global en
identifiant sa vraie nature définie de façon provisoire. Notre système social
n'échappera pas à cette évolution à laquelle nos élites ne sont pas formées ni
en capacité de l'être.
« Nous
les élites... » (Jacques Toubon).
Notre classe dirigeante, principalement administrative, est
incapable de proposer aux Français autre chose que le modèle fermé actuel ;
dans les partis politiques chacun va chercher à tirer au mieux son intérêt
personnel, direction dans un grand groupe ou comité Gudule. Le peuple devient
l'ennemi. Un retour aux sources de notre démocratie ne pourra se faire que par
le peuple. Maurice Allais avait bien diagnostiqué que l'ouverture à la
mondialisation, depuis 1974, était en contradiction avec notre politique
constructiviste de redistribution. La construction de l'Europe à caractère
constructiviste mais aussi atlantiste et financialiste
n'a pas arrangé les choses.
Cette approche mentalement fermée de notre politique
socio-économique fait que les gouvernements successifs sont pris à contre-pied
par l'actualité qu'ils sont incapables de prévoir. Ils courent après
l'évènement et réagissent au coup par coup entre leur constructivisme - la «
volonté politique » comme ils aiment bien dire- et l'ouverture des marchés
européens qu'ils ont cosignés. Leur absence de vision géopolitique hors
idéologie les conduit au rôle de suiveur ! Pour se maintenir en France
l'exécutif s'assure d'un certain soutien médiatique le législatif étant déjà
sous contrôle. Les Français ne donnent plus leur confiance à cette classe
administrative principalement issue de l'ENA qui n'a pas les compétences pour
un monde ouvert.
La destruction de notre industrie est une conséquence de
cette incompétence. La théorie des zones monétaires optimales est bien connue mais semble inconnue des
dirigeants européens et français; la construction idéologique de la monnaie
unique provoque des retards de croissance récurrents comme l'avait prédit en
1998 Jean Jacques Rosa : « L'ensemble des pays européens… ne constituent pas
entre eux une zone monétaire unique, naturelle ou optimale »… « ...la
constitution d'une monnaie unique abaissera le niveau de vie par rapport à ce
qu'il pourrait être avec des changes flexibles et une politique monétaire
indépendante. » « Il n'y a plus de
correction possible que par la disparition ou la création d'entreprises et
entretemps, par les transferts qu'opèrent les finances publiques. » Michel Rocard avait aussi prédit que nos
industries seraient la proie d'OPA.
Le politique constructiviste mené depuis 1974, française et
européenne, conduit à la destruction de notre système social. Il est urgent de
changer de paradigme, pas seulement par le renouvellement d'une classe
dirigeante à bout de souffle, mais tout simplement en revenant aux fondamentaux
de notre Constitution. Ce sera l'objet de mon prochain travail.