par Marc DUGOIS
Ce titre était celui de l'émission de Frédéric Taddeï sur France 3 le vendredi 10 octobre 2014. L'émission
a montré une fois de plus la superbe de Jacques Attali qui ressuscite à chacune
de ses apparitions l'annotation du professeur de philosophie « suffisant et
insuffisant » tellement il réduit tout à la liberté individuelle
d'entreprendre, à la satisfaction de lui-même et à la vente d'un gouvernement
mondial. Mais l'émission a aussi montré le bon sens d'Éric Zemmour qui en dérange
plus d'un par ses affirmations de vérités simples. Pourtant le sujet n'a pas
été traité et Frédéric Taddeï a même osé dire, sans
se faire contredire, que la solidarité était la nouvelle formulation de la
fraternité. C'est dommage car notre devise nationale est un sujet passionnant
qui méritait mieux.
La troisième République a repris à la Révolution française la
devise « Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort » en tentant de la
désacraliser par la suppression de la mort. Notre devise reste pourtant stupéfiante
d'intelligence mais aussi de fragilité.
Elle est intelligente parce que la vraie liberté se gagne en
atteignant l'état de n'être l'esclave que de ses propres choix. C'est un long
travail que d'apprendre à choisir en assumant ses choix avec toutes leurs
conséquences.
Elle est intelligente parce que la vraie égalité passe par la
reconnaissance que nous avons besoin des autres comme les autres ont besoin de
nous. L'égalité nous force à prendre le risque de l'autre. Elle est
interdépendance, échange des êtres, reconnaissance de l'autre et acceptation de
soi.
Elle est intelligente parce que la fraternité nécessite un
père commun, une verticale commune, un sacré qui soit à la fois commun et
reconnu par le groupe comme par les individus. Ce sacré est le symbole
mystérieux de ce qui est plus puissant que nous, dans son bon et dans son
mauvais côté.
Mais la devise de la France est fragile car l'égalité peut
facilement se décomposer en identité, la fraternité en solidarité et la liberté
en individualisme.
Aujourd'hui le groupe s'étant, au moins provisoirement,
totalement effondré dans les faits, égalité et fraternité qui sont des notions
de groupe, se sont effectivement désagrégées en identité et en solidarité par
manque d'admiration, voire même de respect de l'autre et par absence de sacré
qui soit mobilisateur.
On peut être solidaire d'un bloc de béton mais on ne peut pas
lui être fraternel. Il n'y a de fraternité qu'en soumission commune à un sacré
et la solidarité, si à la mode aujourd'hui, n'est qu'un refus vaniteux du sacré
et de la fraternité considérée officiellement comme ringarde ou utopique et au
fond comme trop exigeante.
L'égalité est sans doute la partie la plus difficile de notre
devise car elle suppose de prendre le risque de l'autre en acceptant de
dépendre de lui et en assumant qu'il dépende de nous. Dans toutes les
civilisations les tâches sont réparties mais l'échec de la vraie égalité a fait
apparaitre l'identité, le tout le monde pareil, que l'on a honteusement
continué à appeler égalité.
Notre société aurait pu remettre intelligemment en cause le
fait que l'homme soit l'unique représentant de l'avis de la famille lors des
votes ou lors des décisions importantes prises exclusivement par les hommes
alors que les femmes pouvaient tout aussi bien exprimer cette décision commune.
Mais par peur de l'égalité, par peur de prendre le risque de l'autre, nous
avons préféré introduire le divorce, le vote individuel et le déni des races et
des sexes. Aujourd'hui la différence de l'autre n'est plus considérée comme une
richesse à découvrir, c'est devenu l'affirmation coupable que nous lui sommes
supérieurs. Puisque je suis complet, si l'autre est différent de moi, c'est
qu'il est incomplet donc inférieur. Être moderne ou à la mode c'est ne plus
voir les différences et même les masquer pour que chacun puisse se croire
complet à lui tout seul et se sentir autorisé à gommer les engagements pris
vis-à-vis des autres. Le sacré était le garant de ces engagements. La
solidarité nous en a malheureusement détachés en détrônant la fraternité.
La liberté qui n'est plus structurée par l'égalité et par la
fraternité sombre inexorablement dans l'individualisme et le repli sur soi sans
perspectives et sans moteur de vie.
C'est l'abandon du côté sacré de notre devise nationale qui a fait de
nous la victime et le bourreau de cette exécution de la pensée.
L'individualisme tellement vanté par Attali n'a plus qu'à s'évader dans le
plaisir puisqu'on lui a fait renoncer à prendre le chemin difficile du
bonheur. Ne pourrions-nous pas retrouver
le sens profond de la France dont la géographie a fait l'histoire ? Terre
d'invasions successives échouées sur le même sol, elle a phagocyté ceux qui
n'étaient pas repartis en s'en enrichissant dans le creuset de sa culture. La
France n'est pas un camaïeu de cultures comme les USA. Elle donne à tous ceux
qui ne veulent pas se l'approprier, la chance de s'y intégrer en la
nourrissant. Elle a mis des siècles à trouver sa formule sacrée de Liberté
Égalité Fraternité qui comme tout sacré, peut être merveilleuse ou abominable
suivant ce que l'on en entend. Il est bien triste qu'elle soit aujourd'hui
entendue par beaucoup comme la devise sans âme d' « individualisme, conformité
et solidarité ». Elle vaut beaucoup mieux que cela.