LA GRANDE-BRETAGNE VA-T-ELLE ISOLER LE CONTINENT ?

par Luc BEYER de RYKE

«He is a jolly good fellow. »

Voilà le chant joyeux que les Torry auront entonné à l'annonce du triomphe de leur champion David Cameron. Leur avait-on assez prédit, sinon la défaite, au moins un résultat si étriqué que pour gouverner il leur faudrait des alliés. Toutes les combinaisons étaient échafaudées. Les plus improbables. Encore assurait-on, les Torry, avec deux ou trois sièges de plus que les Travaillistes, pouvaient se voir renvoyer dans les cordes si les Libéraux, jouant les Saxons, s'alliaient au Labour.

La première leçon à tirer de ces élections concerne les instituts de sondage... et les médias. Que les sondages se trompent à ce point est rare mais cela se produit. Quant aux médias ils ont tendance à anticiper sur l'événement et à réagir comme s'il avait eu lieu. Lorsqu'il survient, le démenti qu'il offre à leurs analyses peut être cinglant. Il est humain de se tromper mais il est sage de se montrer prudent et de ne pas tenir pour acquis ce qui n'est que virtuel. Dans

l'histoire du journalisme, on cite toujours ce grand quotidien français décrivant avec enthousiasme et un grand luxe de détails l'arrivée « vécue comme si vous y étiez » de Nungesser et Coli aux Etats-Unis. C'était magnifique, c'était émouvant... sauf que les deux aviateurs s'étaient perdus corps et biens dans l'Atlantique !

Douche écossaise

Ed Miliband et les Travaillistes, eux, se sont perdus dans le flux qui a porté les Conservateurs au pouvoir. Et pour l'Écosse on peut parler de naufrage. Sur les cinquante-neuf élus écossais surnage un Travailliste. Comme si les Écossais avaient voulu en conserver un pour garder le souvenir de comment un Travailliste est fait... Reste que la majorité de David Cameron se double de la douche écossaise qui voit le SNP (Scottish National Party) emporter cinquante-six sièges sur cinquante-neuf. Venant de six, c'est un raz-de-marée.

Devenue présidente du SNP, la « reine d'Écosse » a quarante-cinq ans. Fille d'un électricien et d'une assistante dentaire, elle est née à Irvine (côte ouest) dans une famille modeste non politisée. Ce qui n'est pas son cas. Nicola Sturgeon s'engage au SNP à seize ans. On la surnomme « Nippy Sweetje », « chérie piquante ». Elle déteste. Piquante ? Certes. Comme un chardon. Elle mord, elle griffe, elle s'impose. Lorsque le référendum sur l'indépendance est perdu elle prend la place d'Alex Salmond. Le triomphe des élections est la revanche éclatante d'un référendum au résultat décevant.

Cameron et Sturgeon vont se gêner mutuellement

Le SNP est bien plus à gauche socialement et économiquement que le Labour. Il va, bien que tout puissant en Écosse, continuer à subir la politique d'austérité voulue par les Conservateurs. De plus, Cameron va d'ici peu faire voter une loi à Wesminster qui amputera le pouvoir des élus écossais. Cette loi, intitulée « vote anglais pour lois anglaises », aboutira à ce que sels les députés anglais de la chambre des Communes auront à se prononcer sur les matières qui les concernent. Ce qui est à double tranchant. Face à cet « indépendantisme » anglais, le séparatisme écossais ne pourra que se renforcer. Même si Nicola Sturgeon affirme qu'elle n'a « absolument aucun désir ou intention de faire du mal à l'Angleterre. [...] Je suis petite-fille d'une Anglaise. Il n'y a pas une once d'anti-anglais dans mes os. »

L'Europe divise

Il n'empêche que l'Angleterre et l'Écosse nourrissent une vision du monde qui les éloigne l'une de l'autre. Du monde mais surtout de l'Europe. Si Cameron a gagné et Nigel Farage ainsi que son UKIP (eurosceptiques) ont perdu, c'est en partie parce que Cameron a promis un référendum sur l'Europe. Au sein de son parti les eurosceptiques le taraudent. Et les électeurs qui auraient pu se prononcer pour Farage, pour une part ont préféré les Conservateurs à conditions qu'ils soient prêts à les consulter sur l'Europe. Cameron lui-même n'est pas pour la sortie de la Grande-Bretagne. Mais ce descendant d'Henri VII, petit cousin de la reine, sorti d'Eton, ressemble en cela à la fille d'épicier qu'était Margaret Thatcher. Comme Maggie il va se tourner vers les commissaires européens pour leur dire « I want my monney back ». Lord Mandelson, ancien vice-premier ministre travailliste et ancien commissaire au Commerce, estime que « si Cameron joue bien, il peut aller loin ». Au Soir de Belgique il dit que « les Britanniques sont davantage irrités par l'Union européenne qu'ils n'y sont hostiles. Les institutions européennes sont distantes, détachées de la réalité et interfèrent sans cesse dans la vie quotidienne ». Ce qui, avouons-le, est un constat pertinent. Nous allons vivre très certainement de longs mois d'une négociation difficile entre le nouveau Gouvernement britannique et la Commission.

Le référendum est prévu pour 2017. D'entrée de jeu David Cameron en nommant ses ministres a mis en place le dispositif de négociation. C'est un ordre de bataille. Qu'en sera-t-il du « brexit », terme désormais utilisé pour évoquer un départ de la Grande-Bretagne de l'Union européenne ?

Beaucoup d'eurosceptiques le souhaitent et l'exigent. la City n'en veut pas. À Cameron et à la Commission de résoudre la quadrature du cercle.

 
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