par Paul KLOBOUKOFF
Sur le chemin détourné de la Construction européenne
Dans l'article précédent, nous avons quitté une Communauté économique
européenne (CEE) à six membres (Allemagne, France, Italie, Belgique, Pays-Bas
et Luxembourg) à la fin des Trente glorieuses s'élargissant à neuf en 1973 avec
les entrées de trois libre-échangistes de l'Association européenne de
libre-échange (AELE), le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark. Un ver est
alors dans le fruit. Ce n'est pas la « perfide Albion » par elle-même, mais la
cristallisation d'une cohabitation antagoniste au sein de la CEE entre une
vision libre-échangiste et atlantiste, qui finira par s'imposer au fil des
années, et la conception antérieure, plus protectrice et plus compatible avec
une Communauté intégrée, susceptible, un jour peut-être, d'adopter une véritable
gouvernance commune.
Ensuite, en 1981 et en 1986, la Grèce puis l'Espagne et le Portugal (ex de
l'AELE) viennent porter à douze l'effectif des membres de la CEE. Pays plus
pauvres et « vulnérables » que les « anciens », ces « Sudistes » vont bénéficier
d'attentions et d'aides pour tenter de les rapprocher des niveaux des autres et
à supporter les concurrences internes à la CEE... dans le Marché unique, créé
par l'Acte unique en 1986, précisément.
En 1990, la CEE grossit encore un peu avec la réunification de l'Allemagne.
Puis, en 1995, elle accueille trois États restés « neutres » pendant la guerre
froide, l'Autriche, la Finlande et la Suède. L'Union européenne (UE), instituée
en 1995, compte alors quinze membres, tous de l'Europe de l'Ouest.
Cela durera jusqu'au tournant de 2004 à partir duquel Chypre, Malte et onze
États de l'Europe de l'Est pressés de se placer sous la protection de l'OTAN,
vont être admis dans l'UE de façon plus ou moins précipitée. L'actualité nous
montre que la marche en avant de l'UE et de l'OTAN vers l'est, l'Ukraine et le
Caucase, n'est pas terminée.
À ce stade, déjà, l'hétérogénéité est une des caractéristiques de l'UE
qu'on ne souligne pas assez. Et le terme « convergence », porté, brandi, par
les technocrates de l'UE depuis le très controversé traité de Maastricht de
1992, a perdu beaucoup de sa signification.
Absence de politique industrielle, social-libéralisme et
pièges du Marché unique
Pendant quarante ans, beaucoup
d'énergie a été consacrée à établir l'Union, à adapter ses instances et leur
fonctionnement aux changements provoqués par la mondialisation et par les
élargissements successifs, ainsi qu'à délester les États membres des attributs
de leur souveraineté en usant, au besoin, du subterfuge de la subsidiarité. Ses
« dirigeants » ont voulu étendre, au-dessus des États, la couverture par
l'Union des compétences en matière économique, financière et budgétaire, ainsi
que sociale, sociétale, juridique... et politique.
Par contre, les efforts réalisés avec la CECA, la PAC, Euratom et la
politique énergétique ont été limités, erratiques, nous l'avons vu, et les
résultats obtenus ont été médiocres. En matière de politique commune
industrielle et de services, l'impasse a été presque complète. Pouvait-il en
être autrement alors que l'Union poussait en avant la libéralisation et la
mondialisation, forçait à la concurrence (valeur première de l'UE) entre les
États et à l'intérieur de ceux-ci, brisait les monopoles nationaux, favorisait
leur remplacement par des multinationales et tolérait l'installation de leurs
sièges chez des « moins-disants » fiscaux.
Chez nous, il est bien temps de déplorer la désindustrialisation. La ré
industrialisation ne sera qu'un rêve tant que la même « logique » sévira et
s'imposera à la France, dont le gouvernement n'a plus de pouvoir en la matière.
Il faut se rappeler que Pascal Lamy, éminent socialiste qui avait dirigé le
cabinet de Jacques Delors lorsque ce dernier présidait la Commission européenne
(entre 1985 et 1995), a été à la tête de l'Office mondial du commerce (OMC)
pendant huit ans, entre 2005 et 2013. Des «socialo-libéraux» avant l'heure, qui
n'ignoraient pas qu'en raison, notamment, de très bas coûts de la main-d’œuvre
dans nombre de pays émergents et de PVD avides de rattrapage, le
libre-échangisme généralisé et la concurrence mondiale exerceraient une forte
pression à la baisse en Europe sur les coûts de production, et sur les
salaires, en particulier. Mais, motus et discrétion sur ce « risque ». Notre
avance technologique et des gains de productivité élevés devaient permettre à
nos entreprises d'être compétitives et de garder l'avantage sur les autres. Optimisme
démenti, hélas !
En l'absence de protections appropriées contre les «concurrences déloyales»
et de toutes les réciprocités nécessaires, la création du Marché unique a
accru la vulnérabilité des entreprises envers l'extérieur. Avec la
multiplication des normes communes à un nombre croissant de pays de l'Union, et
la libre circulation à l'intérieur de celle-ci, il est devenu plus commode pour
des multinationales américaines, japonaises... de cibler plusieurs marchés
nationaux simultanément et/ou d'implanter des « chevaux de Troie » dans des
pays européens attractifs. Il va sans dire que la mise en service de l'euro a
accentué le mouvement. Malheureusement, cette « aide structurelle » à
l'importation dans l'Union n'a pas eu de contreparties à l'exportation hors de
l'Union.
De plus, conformément aux objectifs, le Marché unique a encouragé le
développement des échanges intracommunautaires et/ou le repli sur soi
communautaire, et a exacerbé la concurrence dans l'Union. Les plus compétitifs
(Allemagne, Pays-Bas, Scandinaves...) ont pu plus aisément tailler des
croupières aux plus faibles (Grèce, Portugal, Italie...) sur les marchés et
creuser les inégalités entre les membres. Mais surtout, en termes de
croissance au niveau de l'ensemble de l'UE, c'était et cela reste un jeu à
somme nulle... voire négative.
Nulle, car la solidarité et les synergies qu'on pouvait espérer d'une
«Union» ne sont pas venues à un rendez-vous. qui n'a
pas été fixé. Négative, car la grande exportation a été reléguée au second plan
dans une partie des États membres, alors que la croissance de pays émergents
(Chine, Inde, Brésil...) et de PVD explosait entraînant celle de leurs marchés
intérieurs. Ces pays ont « tiré » la croissance mondiale. L'Union européenne
n'a pas su profiter de ces débouchés dynamiques. Tandis que « nos » multinationales,
ainsi d'ailleurs que des PME performantes, ont préféré aller investir au large
sur des marchés alléchants plutôt que dans l'UE. Devant une demande atone dans
la maison commune, sur le tard, l'Allemagne a exporté davantage hors de l'Union,
pour le plus grand bien de la balance commerciale de celle-ci. Cependant, les
dirigeants de l'UE et ceux de pays membres, dont la France, ne semblent pas
vouloir admettre que la croissance ne peut être soutenue qu'à condition de
promouvoir activement les exportations à l'extérieur de l'UE (à l'intérieur
aussi, le marché unique l'impose), de limiter les importations... et de
décourager les délocalisations des investissements et des emplois.
Sur le site statistiquesmondiales.com, un tableau des ratios PIB/Exportations
totales de biens et services en 2012 et en 2013 montre de notables
différences entre les pays dans l'UE. Avec un taux de 27 %, la France et la
Grèce sont en queue, derrière l'Italie, à 30 %, le Royaume-Uni, à 31 %, et
l'Espagne, à 34 %. Parmi les « six gros », l'Allemagne et la Pologne exportent
51 % et 48 % de leurs PIB. La Belgique, à 86 %, et les Pays-Bas, à 88 %, ne
travaillent presque plus que pour l'exportation. Forts, les ratios sont de 55 %
pour le Danemark, 46 % pour la Suède et 40 % pour la Finlande. Ceux du Portugal
et de la Roumanie, enfin, dépassent un peu les 40 %. La recherche de la
compétitivité doit vraiment devenir la priorité pour les pays qui apparaissent
comme les maillons faibles ici. « Les multinationales françaises
délocalisent leurs équipes » a titré un court article sur lefigaro.fr
/sociétés le 16/03/2015. Il faisait état de statistiques de l'INSEE
indiquant que 56 % des effectifs de ces multinationales (hors secteur
bancaire), soit 5,3 millions de salariés, se trouvaient dans près de 37.900
filiales étrangères en 2012. L'UE était la première zone d'implantation de ces
filiales, avec 2, 1 Mi de salariés.
Autre information : en 2012, les groupes français ont investi 65,5 Mds €
hors de leur pays. Les 2/3 en ont été consacrés à des pays non européens, USA,
Brésil et Chine en premier lieu.
À l'intérieur de l'UE, des concurrences qualifiées de déloyales s'exercent,
dues en particulier aux différences des coûts salariaux entre pays et à la législation
de l'Union
Dépenses publiques, dette: de mauvais choix et des
indicateurs d'alerte ignorés
Il a été commode de dévoyer la pensée de l'économiste renommé J.M. Keynes
(1883-1946) pour attribuer à la dépense intérieure les mérites de la croissance
et, en même temps, de reconnaître que cette dépense dépend des ressources
procurées par la croissance ! Sachant aussi que cette dépense, largement
publique et génératrice de déficits budgétaires, est financée par
l'endettement. C'est, hélas, sur ces ressorts que la croissance et l'emploi se
sont appuyés depuis les années 1970 dans une « Europe » de l'ouest longtemps
social-démocrate. Avec des dérapages inflationnistes et des coups de pouce de
dévaluations compétitives tant qu'ils étaient permis.
On peut ajouter que dans la plupart des États « riches » de l'Union, la
copieuse part des ressources consacrée aux dépenses dites « sociales » et à la
redistribution n'a fait qu'augmenter. La contrepartie en a été, évidemment, une
fiscalité élevée qui pénalise les pouvoirs d'achat, les investissements, la
compétitivité des entreprises et qui restreint la place du secteur privé...
créateur de croissance et d'emploi. C'est à une véritable révolution
qu'invitaient la mondialisation et la concurrence intra-européenne. Elle n'a
pas eu lieu. L'Union est restée coincée dans ses contradictions entre un
libre-échangisme débridé et le désir (ou la facilité politique) de ne pas
bousculer les « acquis sociaux » anciens et récents ainsi que les règlements
sclérosants qui nuisaient à sa compétitivité. La France, par exemple, porte
encore les stigmates de la retraite à 60 ans décidée en 1982 et des 35 heures
entrées en vigueur en 2000, qui allaient à contrecourant de l'histoire
démographique et économique contemporaine.
Les objectifs de convergence assignés aux États membres et aux «candidats»
avec les contraintes budgétaires et financières imposées par le traité de
Maastricht et ses enfants n'ont pas inversé les tendances. Les indicateurs
suivis se sont même sévèrement dégradés à partir de 2008 avec la violente
explosion financière provoquée par les « subprimes »
et prolongée en Europe par une importante crise économique et financière qui a
conduit les « locomotives » de l'UE au bord de la déflation. Avec la récente chute inespérée des prix
des hydrocarbures, la
reprise aux États-Unis et des croissances très honorables
dans de grands émergents comme la Chine et l'Inde, une mince lueur d'espoir
perce à travers les nuages. Un espoir entretenu par l'usage extensif de la planche
à billets par la Banque centrale européenne (BCE) qui vise à stimuler
l'investissement, relancer l'inflation et « déprécier » l'euro. Une «
dévaluation compétitive », à l'américaine, ou à l'italienne, en quelque sorte.
Et dire qu'il y a un an, les dirigeants de l'UE et nos « élites » trouvaient
stupide la proposition de «dévaluer» l'euro !
Si la surveillance du fameux seuil de 3 % du PIB pour les déficits
budgétaires se poursuit, avec une molle conviction, celle de la limite de 60 %
du PIB pour la dette publique, largement dépassée par de nombreux pays, est
très lâche (aux deux sens du mot) depuis des années. Cela fait aussi un certain
temps que le taux de l'inflation est notablement inférieur aux + 2 % de
référence recommandés. Pourtant les réponses à ces « écarts » ont tardé et se
font encore en partie attendre. Ceci est particulièrement vrai et grave en ce
qui concerne la dette. D'autant que, malheureusement, l'endettement public a
été un « moteur » pour de nombreux pays de l'UE, et non des moindres.
On doit aussi regretter que les gains de productivité, d'une part, et les
déficits des balances commerciales, d'autre part, révélateurs de l'évolution de
la santé et de la compétitivité des États, ne fassent pas partie des
indicateurs d'alerte les plus suivis. Nous verrons plus loin qu'il est
indispensable aussi de ne plus rester indifférents aux inégalités, aux criantes
disparités, si l'on désire construire avec lucidité une Union européenne
viable.
Le marasme en Europe doit beaucoup au surendettement
« Sans endettement point de croissance » a trop longtemps été une
doctrine dominante dans l'UE, nous l'avons vu, et les niveaux atteints
interdisent maintenant d'aller plus loin. Pourtant...
Selon les données rétrospectives du FMI, la dette publique de la Belgique
était déjà de 89 % de son PIB en 1980. Elle était à 114 % en 1999. En 2007,
avant les crises, elle était descendue à 84 %. En Italie aussi l'endettement
public avait atteint un sommet à 113 % en 1999 et était à 103 % en 2007. Cette année-là,
déjà, l'Allemagne était à 65 %, la France à 63 %, le Portugal à 68 %, et la
Hongrie à 67 %. Jusque-là, les autres pays, et particulièrement ceux de l'Est,
membres récents, avaient été de « bons élèves ». Ensuite le tsunami de 2008,
ses suites et la croissance zéro de l'UE ont semé la déroute et emporté les
dettes publiques, souvent bien au-delà des limites autorisées.
Selon des statistiques européennes récentes, au troisième trimestre 2014,
les ratios dette publique brute/PIB étaient de 74,8 % en Allemagne, 95,3 % en
France, 131,8 % en Italie et 96,8 % en Espagne. Nous sommes loin des 60 %. À
elles seules, les dettes de ces quatre gros de l'UE se montent à 7 341
milliards d'euros et représentent 77,5 % de la dette totale de la zone euro
(ZE), elle-même de 9 473 Mds €... pour un PIB de 9 603 Mds en 2013. Malgré la
polarisation de l'attention (justifiée) sur la Grèce et les autres pays du sud,
c'est le surendettement de ses plus gros membres qui pèse le plus sur
les situations et les destins de la zone euro et de l'UE.
Les montants suivants sont ceux des Pays-Bas, 449 Mds, et de la Belgique,
433 Mds, dont les ratios de dette sont de 69 % et de 108,2 %. La dette de la
Grèce est de 315,5 Mds € (3,3 % de la dette de la ZE), soit 176 % de son PIB.
Les ratios sont de 80,7 % pour l'Autriche, 131,4 % pour le Portugal, 114,8
% pour l'Irlande et 58,1 % (seulement) pour la Finlande. Ensemble, leurs dettes
s'élèvent à 819 Mds €.
Nettement plus faibles les montants des dettes de l'Estonie, la Lettonie,
Chypre (104,7 % du PIB), Malte, la Slovénie (78,1 % du PIB), la Slovaquie, et
du Luxembourg totalisent 116 Mds €, soit 1,2 % de la dette de la ZE.
Hors de la ZE, avec des ratios de
87,9 %, 76 % et 80,3 %, le Royaume-Uni, la Croatie et la Hongrie dépassent le
seuil imposé. Par contre, le ratio du Danemark est de 47 % et celui de la
Suède, de 39 %. Force est donc de constater que les
seuls pays de l'ouest de l'UE capables de supporter rigoureusement les
contraintes imposées à Maastricht sont le Luxembourg et les trois Scandinaves.
Ce surendettement généralisé est une
conséquence et une cause du marasme dans l'UE. Il faut ajouter que les très
bas taux d'intérêt, artificiellement provoqués, « adoucissent » le service de
la dette et n'incitent pas particulièrement aux économies des dépenses
publiques. En outre, les dettes publiques atteignant des niveaux (enfin) jugés
dangereux, l'idée a fait son chemin de « mutualiser » entre les pays une partie
de leur dette (j'en avais parlé dans La Lettre de juin 2012 dans «
Des interrogations européennes », au sujet « des euro-obligations et la
mutualisation des dettes pour emprunter plus autrement»). Ce qui conduirait
à cumuler des dettes nationales (allégées) avec une nouvelle dette solidaire
commune. L'Allemagne, menacée d'être la première garante de dettes d'autrui, a
réussi à faire repousser le projet aux calendes grecques. Nous connaissons la
suite. La BCE a dû déroger à ses principes et fait marcher la planche à
billets, notamment pour redonner du souffle à l'endettement.
Euro: vertus, reproches, quels apports pour la croissance
qui fait tant défaut ?
Pour des entreprises productrices, des commerces, des établissements
financiers qui ont des relations avec l'étranger, ainsi que pour des
particuliers qui voyagent, même en dehors des frontières de la ZE, l'euro est
une unité de compte et de transaction commode. À ces titres, l'euro est
plébiscité.
L'euro est devenu une monnaie de réserve mondiale qui a pris le pas sur la
livre sterling et ne craint pas de rivaliser avec le dollar et le yen
japonais... en attendant que l'usage du yuan chinois se « mondialise » et
devienne une valeur aussi prisée que le franc suisse.
L'euro a facilité le développement des échanges de biens et de services à
l'intérieur et avec l'extérieur de la zone, les mouvements de capitaux, et a
favorisé la concentration de ceux-ci entre les mains des multinationales ainsi
que les délocalisations d'activités.
Il a été reproché aux gouvernants de l'Union et de la BCE d'avoir longtemps
parié sur un euro fort, trop fort pour plusieurs pays membres, ainsi que
d'avoir privilégié la maîtrise des prix au détriment de la croissance.
Nous venons de voir que la Banque centrale européenne (BCE) peut faire
déprécier, ou dévaluer, l'euro pour rendre la zone plus compétitive et tenter
de soutenir la croissance. Au contraire, le système, maintes fois dénoncé, des
taux de change fixes entre les monnaies de la ZE interdit tous ajustements
monétaires à l'intérieur de la zone. Or de très importantes différences existent,
voire s'accentuent, entre les performances, les capacités et les potentiels des
dix-huit pays membres. Mon prochain article, intitulé « Gouvernance unique
incompatible avec les fortes disparités dans l'Union européenne», les
montrera en détail. La concurrence ne s'exerce pas à armes égales. Si la
dévaluation de l'euro peut permettre d'améliorer la balance commerciale de la
zone, elle n'empêche pas les déséquilibres de se poursuivre à l'intérieur au
détriment des plus faibles. Une monnaie commune permettant périodiquement des
réajustements monétaires lui semble donc préférable.
Des réajustements seraient d'autant plus justifiés que, lors de la fixation
de ces taux de change internes, certains ont été surévalués, ceux des monnaies
de la France, de l'Italie, de la Grèce, du Portugal, de l'Espagne, en
particulier, par rapport à ceux des monnaies de l'Allemagne, des Pays-Bas et du
Luxembourg, en particulier.
Sauf accommodements et dérogations particulières (cf. Royaume-Uni,
Danemark, Suède), lors de leur entrée dans l'UE les États doivent s'engager à
adopter l'euro dès qu'ils seront « admissibles ». Or, les dirigeants de
l'Union, pressés de faire « grossir » la zone euro, ont trop rapidement ou
précipitamment admis certains pays fragiles ou en proie à des difficultés
persistantes. Ainsi, le taux d'endettement public de l'Italie était supérieur à
90 % dès 1990. Lors de son admission en 1999, il était de 113 %. Celui de
l'Espagne était de 62 % en 1999 et le solde de ses échanges extérieurs était
déficitaire depuis des années. Au Portugal, ce déficit commercial approchait 9
% du PIB. Il a rapidement dépassé les 10 %. Dès la création de la ZE,
l'endettement public y était supérieur à 70 % de son PIB et l'équilibre de ses
échanges extérieurs était mal assuré (source des données: FMI).
Le cas le plus critique actuellement est celui de la Grèce. Son taux
d'endettement flirtait avec les 100 % depuis 1993, dépassait ce seuil en 2001
et s'élevait jusqu'à 176 %, en 2014, nous l'avons vu. Son déficit extérieur persistant
était de 7,2 % du PIB en 2001. Il est monté à 15 % en 2007 et 2008. La Grèce a
été «piégée». Elle n'aurait pas dû adopter l'euro en 2001, ni plus tard. L'UE
lui doit réparation pour les dommages subis. Elle doit l'aider à s'en sortir, à
sortir de la zone, dangereuse pour elle. Réaménagement de la dette, à long
terme et à bas coût, et prêts à taux d'intérêt très faibles pour redonner vie à
l'économie et relancer la croissance: voici des compensations que l'Union peut
supporter sans douleur aigüe. Les risques de contagion que certains craignent
ne peuvent provenir d'une telle sortie si celle-ci est bien expliquée. Au
contraire, elle rassurerait les marchés financiers. Et nous savons combien
c'est important pour nos dirigeants.
Valeur ajoutée par «l'Europe»: un échec à demi avoué
Depuis les années 1980, des études ont eu pour but d'évaluer « la valeur
ajoutée » par la Construction européenne en termes de croissance et
d'emploi dans les pays membres. Un premier rapport (Albert-Ball), très
critique, a été rédigé pour la Commission en 1983. En 1988, c'était au tour
d'une équipe dirigée par M. Cecchini de tenter
d'évaluer les bienfaits du futur Grand marché européen et ce qui a été appelé «
le coût de la non-Europe » qui résulterait de l'absence de ce Marché
unique. A échéance de cinq à six ans à partir de 1992, les bénéfices potentiels
ont été estimés à un supplément de + 4,5 % à + 7 % pour le PIB de la CEE (alors
à 15) et à 2 à 5 millions d'emplois nouveaux. Ces bienfaits devaient résulter
principalement de trois causes qui résument assez bien la « philosophie » des
promoteurs du Marché unique: la suppression des obstacles aux échanges
entre les pays, les économies d'échelle et les effets positifs de la
concurrence.
Manque probable de lucidité ! Le destin n'en a pas voulu ainsi. Selon les
données d'Eurostat, sur les six ans de 1991 à 1997, le PIB de la CEE n'a
progressé en volume que de + 10,6 % (« coup de pouce » du Marché unique
compris), soit de + 1,7 % par an seulement. Moins encore pour la France (+ 1,4
%) et l'Allemagne (+ 1,2 %). Le taux de l'emploi, lui est descendu de 62 % à
60,5 %. Et le taux de chômage a dépassé les 10 % de 1993 à 1997.
Les pronostics des promoteurs de « l'Europe » apportant de l'eau au moulin
(ou du vent à l'éolienne) du Marché unique avaient donc les mêmes vertus que
les promesses préélectorales de nos politiciens. Du pipeau !
Pas de raison, pour autant, de renoncer à ce type d'exercice pédagogique,
dont les députés européens sont nourris. Aussi, un rapport « Évaluer le coût
de la non-Europe 2014-2019 » rédigé au nom du Service de recherche
parlementaire européen a-t-il été édité en mars 2014.
Revenant en arrière, ses auteurs ont estimé que les progrès dus à
«l'Europe» entre 1992 et 2006 comportent : une majoration du PIB de +
2,2 %, soit + 233 Mds €, et la création de + 1,1 % d'emplois supplémentaires,
soit + 2,8 millions de postes. TOUT CELA en 14 ans ! Quel aveu
d'impuissance, d'inefficacité !
En outre, ces progrès ne sautent
pas aux yeux quand on regarde les statistiques. Sur cette période, le PIB de
l'UE n'a crû que + 37 %, soit de + 2,1 % par an en moyenne.
Encore faut-il ajouter qu'après, entre 2006 et 2014, le PIB de l'UE n'a
augmenté, au total, que de + 3,3 %, soit de + 0,4 % par an. Certes, la
croissance a été plombée par la crise financière internationale de 2008. Mais
ensuite, c'est un marasme économique déflationniste européen qui a sévi.
Quant à l'emploi dans l'UE, si le chômage a connu une petite accalmie en
2006, son taux étant alors de 7,9 %, il est très vite remonté à partir de 2008
pour atteindre 10,7 % en décembre 2013 et 9,9% en décembre 2014.
Il importe aussi de signaler que le taux de chômage est encore plus élevé
dans la zone euro: 12,1% en décembre 2013, et 11,3 % en décembre 2014.
Ces observations renforcent les
doutes sur l'efficacité économique de « l'Europe » telle qu'on la faite, et
démentent les affirmations péremptoires célébrant ses bienfaits. Les changements,
c'est pour quand ?