par Paul KLOBOUKOFF
Qu'a apporté la "Construction européenne" à la France et à ses
membres ?
Après
soixante-cinq ans (déjà !) de pérégrinations, de changements de cap et de
croissance... du nombre des pays « membres », un bilan-diagnostic rétrospectif
approfondi sur le sujet serait utile pour mieux comprendre ce qui nous arrive
et guider les décisions qui engagent notre avenir. Le présent article est une
invitation à prendre du recul, à regarder la réalité en face, à accepter les
critiques et cesser de leurrer sur les immenses bienfaits de la « Construction
européenne », de l'Union européenne, de l'euro, et sur les profondeurs des
abîmes dans lesquels tomberaient ceux qui se soustrairaient à ses dogmes et
manqueraient de respect envers l'infaillibilité de leurs instances dirigeantes.
Tels les Grecs en ce moment et, potentiellement d'autres Sudistes.
La
plupart des constatations et des explications des deux articles précédents
relatives au déclin dans le monde des pays « les plus avancés » valent pour les
pays de l'Europe de l'Ouest. Comme pour ceux des autres continents, «
l'histoire » et des facteurs spécifiques, des choix politiques et stratégiques
ont joué aussi. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la « Construction
européenne » a d'abord été motivée par le désir de consolider la paix en Europe
et la conviction que « l'Union fait la force », dans un contexte où les deux
plus grandes puissances, les États-Unis et l'URSS, antagonistes, avaient
tendance à se partager le monde. Mais, elle se centra vite sur l'économie, et
fut forcée de s'adapter à la « mondialisation » qui gagnait le « monde
occidental », au développement des échanges et à la concurrence internationale,
qu'elle contribua activement à promouvoir, d'ailleurs.
On a
presque oublié que pendant plus de vingt ans, jusqu'en 1973, la Communauté
européenne est restée limitée à ses 6 membres fondateurs, qui ont bénéficié du
rebond prolongé des Trente glorieuses et vécu alors leurs presque seuls beaux
jours en terme de croissance. L'Union européenne d'aujourd’hui, à 28 et bientôt
plus, avec un euro « monnaie unique » de 18 pays, n'a plus grand chose à voir
avec le « modèle réduit », la « maquette » initiale. Et la situation de l'Union
et de plusieurs de ses membres apparait plus précaire qu'à la fin des années
1960.
Pour
évaluer les apports de cette Construction, il est bon de revoir sa genèse, ses
débuts à 6 et les résultats des politiques décidées lors du traité de Paris en
1951, ceux de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), lors du
traité de Rome en 1957 et de la création de la Communauté économique européenne
(CEE), ceux de la Politique agricole commune (PAC) et de la Communauté
européenne de l'énergie atomique (Euratom).
Pèlerinage
sur les premiers pas de la "Construction européenne"
Officiellement,
la « construction européenne » remonte au 9 mai 1950, depuis baptisé « Journée
de l'Europe », jour de la « déclaration fondatrice » du ministre Robert
Schuman, qui a été suivie, en 1951 par le Traité de Paris et la création de la
CECA par six pays, la France, l'Allemagne de l'Ouest, les Pays-Bas, le
Luxembourg et l'Italie.
Après
l'échec des tentatives de constitution d'une Communauté européenne de la
défense (indépendante), comme le proposait le Général de Gaulle, la
renonciation à constituer à court terme une organisation qui respecterait la
souveraineté des États, et l'absence de vision politique commune, les six pays
« fondateurs » ont choisi de centrer la coopération sur l'Économie. En 1957,
ils ont signé le traité de Rome instaurant la CEE et décidé de créer la CEEA ou
Euratom ainsi que d'adopter une PAC qui a vu le jour en 1962.
Pendant
ce temps, sept pays qui n'avaient pas voulu se joindre aux six de la CEE ont
créé en 1960 l'Association de libre-échange (AELE): la Grande-Bretagne, la
Suède, la Norvège, le Danemark, l'Irlande, la Suisse et le Portugal.
Le
Général de Gaulle, qui s'était déclaré partisan d'une Europe unie « de
l'Atlantique à l'Oural », n'excluant à priori ni la Grande-Bretagne ni le bloc
soviétique, a pourtant opposé son véto à l'entrée de cette dernière dans la CEE
en janvier 1963 et en mai 1967 (cf. fresques.ina.fr/de-gaulle/parcours). «
L'Europe des six » a ainsi vécu jusqu'à la fin des « Trente glorieuses » en
1973... pendant lesquelles la croissance miraculeuse
n'a pas due grand chose à la CEE.
Les «
Trente glorieuses », qui ont
vu la croissance française renaître peu après la fin de la guerre, puis
maintenir un rythme annuel moyen de + 5 % de 1950 à 1973, n'ont pas été un
phénomène spécifiquement français, ni même européen. Pendant cette période, la
croissance mondiale a brillé à + 4,9 % par an. La
progression a été de + 4,8 % en URSS, de + 9,3 % Japon, de + 5,2 % dans le
reste de l'Asie, de + 5,4 % en Amérique latine et de + 4,4 % en Afrique. Plus «
riches » et « avancés » que les autres, les grands vainqueurs occidentaux de la
guerre, les États-Unis d'Amérique (USA) et le Royaume-Uni, n'ont vu leur PIB
progresser respectivement « que » de + 3,9 % et de + 2,9 %.
Au sein
de l'Europe de l'Ouest, les PIB de 10 pays ont crû à des taux allant de + 4,5 %
à + 6,6 % entre 1950 et 1973. « Miracle économique » en Allemagne (+ 5,7 %),
qui avait déjà retrouvé la première place en Europe en 1950. « Boom économique
» en Italie (+ 5,6 %), autre vaincu de 1945. Davantage en Espagne (+ 6,6 %),
etc. Un peu plus « modestes », les taux de croissance de trois pays du nord, la
Belgique, le Danemark et la Suède, sont restés entre + 3,7 et + 4,1 % (principales
sources ici : OCDE 2006, L'Économie mondiale, vol. 1, Une perspective
millénaire (Angus Madisson) et vol. 2 : Statistiques
historiques. En Europe de l'Est, la croissance a été de + 4,9 % en moyenne.
Pour
autant, si un élan général a relevé et porté de nombreux pays, les causes n'en
ont pas été identiques partout. Des événements et des changements historiques
majeurs ont eu lieu, avec la longue « guerre froide » entre l'Occident et
l'URSS, le face à face entre l'OTAN et le pacte de Varsovie, « séparés » par le
« rideau de fer », le découpage et l'occupation de l'Allemagne, la mainmise de
l'URSS sur les pays de l'Est, les révoltes pour l'indépendance et les
répressions assassines, à Budapest en 1956, à Prague en 1968... la création de
l'État d'Israël, les conflits et les guerres avec l'Égypte et d'autres voisins
du Moyen-Orient, la crise de Suez, la guerre de Corée, celles du Vietnam dans
lesquelles la France puis les USA se sont embourbés et ont été défaits,
l'expansion du communisme en Indochine, la « grande marche » et le règne
macabre du maoïsme sur la Chine, les décolonisations, auxquelles se sont
résignés la Grande-Bretagne, la France, le Portugal, ainsi que la Hollande et
l'Italie, l'indépendance de l'Inde, avec ses millions de morts d'hindous et de
musulmans, et la partition du sous-continent en trois états, l'Inde, le
Pakistan et le Bangladesh...
Les
années 1950 et 1960 ont été celles des indépendances des pays d'Afrique,
francophone, en particulier, du Maroc, de la Tunisie, puis de l'Algérie après
une guerre sanglante débutée en 1954, achevée en 1962, suivie d'un « retour »
en France de plus d'un million de « rapatriés »... dont une grande partie
n'avait jamais vécu en métropole.
Elles
ont aussi vu des avancées spectaculaires dans la conquête de l'espace, sur fond
de rivalité entre les USA et l'URSS. Et la course aux armements entre les
grandes puissances dans un climat empoisonné d'hostilité déclarée ou
larvée, entre l'Occident et le « monde communiste ». Après l'usage de l'arme atomique
par les Américains à Hiroshima et à Nagasaki, la « dissémination » de l'arme
fatale nucléaire... de dissuasion, bien sûr, n'a pas tardé. En 1949, l'URSS
disposait de la bombe A. En 1952, le Royaume-Uni en était doté. En 1960, la
France aussi. Et la Chine rejoignait le « club » en 1964. Un club qui a vite
constitué le cœur de l'exécutif du Conseil de sécurité de l'ONU. Après la bombe
A, la bombe H, bien plus puissante, a pris le relais, et les missiles ainsi que
les autres armes de destruction massive ont proliféré... pour la sécurité de
tous. On n'arrête pas le progrès !
Ces
événements qui ont bouleversé et transformé le monde n'ont pas ralenti la
croissance.
Les
principaux moteurs du redressement : Une
raison majeure en a été l'effort de reconstruction des pays, de leurs
infrastructures, des usines et des logements détruits, le remplacement de
matériels obsolètes, la modernisation des industries, de l'agriculture grâce
aux rapides progrès technologiques, la relance des productions et de l'emploi,
tombé au plus bas, la remise à niveau en matière de formation et de recherche,
ainsi que la satisfaction de besoins essentiels après des années de froid et de
faim, de privations,... qui ne cessèrent pas en 1945. En France, la fin du
rationnement du pain et de l'essence n'est venue qu'en 1949. Et comment ne pas
souvenir du pathétique et retentissant appel à la révolte et à la solidarité
nationale en faveur des mal-logés qu'a lancé l'abbé Pierre pendant le glacial
hiver de 1954, meurtrier pour les sans-abris.
Le lourd
problème du logement a persisté. L'exode rural accéléré, l'urbanisation
incontrôlée, la concentration des populations dans les « métropoles » et
l'inflation immobilière continuent de l'entretenir ou l'aggraver. Par contre,
pour les autres biens matériels, les populations des pays les plus avancés, en
Europe notamment, sont assez vite entrées dans la « société de consommation »,
sur les traces des Américains. Et le « baby boom » en France, en Allemagne de
l'Ouest et aux USA, en particulier, a constitué dans ces pays un aiguillon
supplémentaire.
Les
réparations exigées des pays vaincus de l'Axe ont
été modestes. En compensation, le
plan Marshall américain décidé en 1947 a été massif et a joué un rôle
décisif dans le redressement en Europe. 17 pays, y compris l'Islande, la Suisse
et la Turquie, ont pu bénéficier des 13,33 milliards de dollars d'aide, alloués
pour près de 90 % sous forme de dons et pour le reste, de prêts remboursables
en dollars. Les principaux récipiendaires en ont été : le Royaume-Uni avec 3,19
Mds, la France, avec 2,71 Mds, l'Italie, avec 1,51 Md, la RFA, avec 1,39 Md,
les Pays-Bas (Indonésie), avec 1,08 Mds, la Grèce, avec 0,77 Md et l'Autriche,
avec 0,68 Md. (source : plan Marshall - Wikipédia).
Les fonds reçus ont été en partie utilisés, conformément au plan, pour acquérir
des matériels et des procédés américains, et ont contribué à amplifier les
transferts de technologie vers l'Europe.
Un autre
bienfait venu des USA, pourrait-on dire, a été le haut niveau et la stabilité
du dollar après le rétablissement, lors des accords de Bretton
Woods en 1944, de la convertibilité du dollar en
or (dans le cadre des échanges avec les banques centrales) et l'adoption d'un
système de change fixe entre monnaies, le dollar redevenant la monnaie de
réserve internationale.
Une aide
financière importante accordée à la République fédérale d'Allemagne (RFA) est
ressortie dans l'actualité avec la demande par la Grèce d'annulation
(partielle) de sa dette. Instaurée en 1949, la RFA avait reconnu la dette
d'avant-guerre de l'Allemagne. Les Accords de Londres de février 1953, très
habilement négociés par le chancelier Adenauer, ont permis de réduire de moitié
cette dette et d'en étaler le remboursement sur 30 ans jusqu'en 1983.
De son
côté, la France ne s'est pas privée de l'usage de la planche à billets pour
soutenir sa croissance. 6 dévaluations du franc de 1945 à 1969 ! Puis encore
des rechutes en 1974, en mai 1981 et des « réajustements » par rapport au
serpent monétaire européen (SME) en juin 1982, en mars 1983 et en août 1986... pendant la fécondation et la gestation de l'euro. La France
n'a pas été la seule championne des déficits commerciaux, budgétaires, de l'inflation...
et des dévaluations « compétitives ».
Et il ne
faut surtout pas oublier le bas coût du pétrole, qui a favorisé le
développement des activités industrielles consommatrices d'énergie, des
transports et une agriculture plus mécanisée. Valorisé en dollar constant de
1993, le prix moyen du baril de pétrole brut était de 20 $ environ dans les
années 1950 et 1960. Il est descendu jusqu'à près de 12 $ en 1970. Pour
comparaison, il était à plus de 100 $ en 2013 (source : BP. Statistical Review 2014).
La fin
brutale des Trente glorieuses : La " première crise pétrolière", qui a vu
le prix du baril grimper brusquement à près de 55 $ en 1973, puis rester autour
de 50 $ pendant 5 ans, jusqu'à la crise suivante de 1979, a été un facteur
déterminant de la chute de la croissance mondiale et de la fin des Trente
glorieuses. Elle est intervenue dans les suites de la crise monétaire de 1971,
marquée par la décision prise unilatéralement en août 1971 par Richard Nixon de
la cessation de la convertibilité du dollar en or. Le dollar a été dévalué de
7,85 % en décembre 1971. Principalement en raison de l'accumulation des
déficits américains dans les années 1960, facilitée par la position dominante
du dollar. Des déficits dont la Banque centrale des USA n'était plus capable de
garantir la couverture en or en cas de nécessité. Le mark allemand s'est mis à
flotter. Le système de Bretton Woods
est mort La méfiance et l'instabilité monétaire se sont installées
durablement.
On peut
rappeler que la fin des Trente glorieuses a coïncidé avec l'élargissement de
la CEE à 9 membres en 1973, avec les adhésions de trois libre-échangistes,
le Danemark, la Grande-Bretagne et l'Irlande.
Les
Trente glorieuses ne doivent pas grand-chose à la « Construction européenne »
Nous
venons de voir que les pays concernés n'en ont pas eu besoin. De plus, les «
changements » introduits par la CECA, la création de la CEE, celle d'Euratom,
puis la mise en route de la PAC, étaient peu novateurs, pour la France, en
particulier, et ne pouvaient qu'avoir un impact modeste sur la croissance à
l'époque.
Dès le
30 octobre 1947, 23 pays ont signé le GATT
(accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), qui a
été prolongé en 1995 par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet accord
était libre-échangiste en ce sens qu'il visait à abaisser les tarifs douaniers
et à lever les autres obstacles aux échanges internationaux. En même temps, il
était « protectionniste » dans la mesure où les tarifs réduits ne devaient
s'appliquer qu'entre les états signataires, sur la base de la réciprocité. Des
pays de tous les continents en ont été signataires, parmi lesquels, les USA, le
Brésil, Cuba, l'Australie et la Nouvelle Zélande, la Chine, l'Inde, le
Pakistan, le Liban, la Syrie... et sept pays européens, dont la France, la
Belgique, le Luxembourg et le Royaume-Uni.
Dix ans
plus tard, le traité de Rome a marché sur les traces du GATT en
constituant le Marché commun, plus protectionniste encore, en décidant
d'un tarif extérieur commun (TEC) aux six membres et de l'abaissement des
droits de douane entre eux. Ces droits devaient disparaître en 12 ans. Ultérieurement
le TEC a été renégocié dans le cadre du GATT. Au fil des décennies, des
élargissements et de la multiplication des traités internationaux, la «
protection » de l'UE s'est beaucoup affaiblie. La vulnérabilité aux « concurrences déloyales » s'est accrue.
J'avais
déjà longuement parlé de la PAC dans un article de la Lettre du 18 juin de
novembre 2002 intitulé « Deux regards sur la PAC ». Protectionniste
pour un secteur jugé stratégique, le traité de Rome a voulu instaurer un marché
agricole unique, sans droits de douane entre les pays membres, et une
préférence communautaire afin de favoriser le développement et la modernisation
de l'agriculture. Une arme fatale a été utilisée pour l'abriter de la concurrence
internationale : la fixation chaque année de prix garantis à la production des
produits agricoles à des niveaux généralement supérieurs aux cours mondiaux. Ce
système, qui nécessitait aussi de subventionner les exportations avait été mis
en place en France en 1960. Appliqué d'abord aux céréales, il devait être
étendu aux autres produits végétaux et animaux. Prenant le relais, la PAC l'a
adopté en 1962, avec des prix d'intervention garantis sur les marchés
communautaires. Pas de révolution, donc, pour les exploitants français.
Pratiqué
sur longue durée, ce système ne pouvait inciter à améliorer la compétitivité
des exploitations. En outre, déconnectée de la demande, les surplus invendus de
production étant rachetés par la CEE, l'offre de nombreux produits alimentaires
est devenue largement excédentaire dès les années 1970. Le souci majeur a alors
été de réguler, de limiter des productions. Des quotas ont été fixés, pour le
lait, en particulier. Des mises en jachère ont été imposées. Depuis, la PAC a
erré de réformes en réformes. Accusée de protectionnisme, dans les années 1990,
elle a dû réduire les prix garantis et a compensé cette baisse par des
subventions aux producteurs sur des bases complexes et contestées. Les dégâts
sur l'environnement, vivement critiqués, ont aussi motivé des révisions. Puis,
les aides ont été découplées des productions et ont été versées en référence
aux productions des années précédentes, etc. Entre-temps, les élargissements de
l'UE sont venus compliquer encore la « donne ».
Un des
reproches insistants adressés à la PAC a été sa générosité, jugée excessive,
envers les agro-industries, les gros propriétaires, les céréaliers, au
détriment des petits exploitants. À ce propos, Michel Cointat,
ex ministre de l'Agriculture a pu dire : « La PAC consiste à donner une
Cadillac à quelqu'un qui en a déjà une » (cf. Du blé pour les céréaliers -
site du Monde libertaire, mai 2010). Aujourd'hui, la question de l'arrêt
de la PAC est posée : coûteuse et mère de discordes concernant son financement
et la « répartition du pactole ».
Maigres
performances de la PAC en matière de production agricole
En
France, l'envol de la production agricole n'a pas attendu la PAC.
La valeur ajoutée de l'agriculture a bondi de + 58 % de 1949 à 1961 (source :
INSEE - Annuaire rétrospectif de la France 1948-1988). Ensuite, en 12
ans, jusqu'à 1973, elle a augmenté de + 27 %, soit à un rythme moyen de + 2 %
par an seulement.
Dans la
CEE, sur un demi-siècle d'existence de la PAC, les résultats
n'ont pas été mirobolants, loin de là. Mesurées par la FAO en dollars constants
de 2004-2006, les productions agricoles brutes des trois plus gros membres
fondateurs, l'Allemagne, la
France
et l'Italie ont augmenté respectivement de + 37 %, + 46 % et + 21 % entre 1961
et 2012, soit de + 36 % pour les trois pris ensemble. En fait la croissance de
la production a été presque nulle pendant les 40 dernières années. Parmi les
fondateurs, les Pays-Bas ont le mieux tiré leur épingle du jeu, avec une
croissance de + 143 %. Comme le « marché unique », la PAC leur a grand ouvert
les portes des pays voisins.
Incidemment,
les chiffres de la FAO suggèrent que l'adoption de l'euro par l'Italie et la
Grèce n'a pas été « stimulante » pour leurs productions agricoles, qui ont
chuté de - 14 % et - 19 % entre 2000 et 2012.
La
production agricole de l'Europe entière a progressé de + 36 % de 1961 à
1973, puis elle a un peu décliné et n'a finalement augmenté que de + 31 % entre
1961 et 2012. Pendant ces 50 ans, plus dynamique, la production américaine a
plus que doublé. « Même pas peur du traité Transatlantique de libre échange
et de partenariat » ? La production mondiale a été multipliée par 3,2, et
la part de l'Europe a chuté de 37 % en 1961 à 15 % en 2012.
Il
parait donc inapproprié de glorifier la PAC et le repli sur soi européen
auquel elle a incité. « Sans la PAC, cela aurait été bien pire! », affirment
des convaincus, refusant d'admettre que la PAC n'a pas pu, n'a pas suffisamment
cherché à mettre en valeur nos potentialités agricoles et a préféré user de la
« redistribution ».
Accomplissements
et échecs de la CECA
La CECA
a eu peu d'effets sur les productions du charbon et de l'acier, qui subissaient
les tendances mondiales, rappelle Wikipédia : « Communauté
européenne du charbon et de l'acier ». À son
actif, la protection douanière commune aux six a stimulé les échanges entre eux
(décuplement pour le charbon) et permis la limitation des importations depuis
les USA. Moyennant 280 prêts aux industries et des subventions, elle a aussi retardé
et adouci, pour le personnel essentiellement (plans sociaux avant l'heure), la
baisse des activités. En fait, pour le charbon, la concurrence avec les autres
sources d'énergie n'étant pas soutenable. Le déclin a été programmé dès le
début des années 1960 avec le premier plan d'adaptation des houillères. Aujourd'hui,
l'exploitation du charbon a presque disparu en France, en Italie, en Espagne,
aux Pays-Bas, en Irlande... En Europe de l'Ouest, les exceptions sont
l'Allemagne, avec 44 % de charbon dans le « mix énergétique » du pays, le
Royaume Uni, avec 25 %, et la Grèce, avec 54 % (en 2012, source :
lemonde.fr/planète/infographie, du 23 oct. 2013). Mais, avec les élargissements
à l'est, la production de charbon de l'UE a bondi, car les mêmes chiffres sont
de 31 % en République tchèque, 33 % en Roumanie, 55 % en Bulgarie, 57 % en
Slovaquie, 79 % en Estonie et 88 % en Pologne. La tendance est à
l'augmentation. La production de l'UE se rapproche des 600 millions de tonnes,
soit de l'ordre de 7 % de la production mondiale.
Politique énergétique européenne, un réveil très tardif : la CECA a été
dissoute en 2002. Il a fallu attendre les années 2010 pour que l'UE trace les
orientations d'une politique énergétique. De « comprendre les politiques de l'UE
», sur le site europa.eu/pol/ener/, il ressort que la consommation de
l'UE (à 27) est dépendante à plus de 50 % des importations, qui augmentent, et
qui dépassaient 350 milliards d'euros avant les récentes chutes des prix du
pétrole et du gaz. En outre, même si l'UE a « un bouquet énergétique diversifié
», 80 % de sa production d'énergie provient de combustibles fossiles, émetteurs
de CO2, redoutable gaz à effet de serre pour la planète.
Aussi,
les objectifs sont-ils de réduire l'utilisation des combustibles fossiles, de
protéger l'environnement et lutter contre le changement climatique, d'assurer
des approvisionnements en pétrole et en gaz « sécurisés ». Les États membres
sont libres de développer les sources d'énergie de leur choix, en tenant compte
des objectifs de l'UE en matière d'énergies renouvelables. Des objectifs «
volontaristes » en la matière ont été fixés à l'horizon 2030.
La «
stratégie » comporte la recherche d'économies d'énergie et l'augmentation de
l'efficacité énergétique. Il est recommandé aussi de « responsabiliser » les
consommateurs, notamment en les encourageant à faire jouer la concurrence entre
les fournisseurs... maintenant que les monopoles des distributions de gaz et
d'électricité ont été supprimés. Je n'ai rien vu d'autre concernant la
modération des prix pour les consommateurs ni sur une éventuelle «
harmonisation » des fiscalités sur les carburants. Parmi les moyens avancés
figurent inévitablement des directives et des aides financières pour des
projets, dont 23 Mds € d'ici 2020 venant des fonds structurels. La France suit
avec application les recommandations qu'elle a contribué à définir. Les impôts,
les bonus et les malus, les panneaux solaires ainsi que les éoliennes sur terre
et « off-shore » en sont des signes visibles.
La
CECA n'a pas empêché la baisse de la production d'acier. En
1969, l'Europe (à 27) était la première puissance productrice d'acier brut,
avec 191,4 millions de tonnes, soit 46,8 % de la production mondiale (PM). En
2013, la production de l'UE à 27, réduite à 166,2 Mi tonnes, ne représente plus
que 10,4 % de la PM (sources pour les chiffres de 1969 : Institut
International du Fer et de l'Acier, annuaire stat. 1980 ; pour 2013 : www.acier.org).
Les
productions des USA (5,4 % seulement de la PM en 2013) et de l'URSS ont aussi
décliné. Celle du Japon a progressé pour atteindre 110,6 Mi tonnes en 2013,
mais sa part de la PM n'est plus que 7 %, alors qu'elle était de 20 % en 1969.
En effet, pendant ces 44 ans, la production mondiale a été multipliée par 4,
jusqu'à 1 604 Mi tonnes. Et, avec 801 Mi tonnes, le géant chinois en produit la
moitié à lui seul.
À
l'intérieur de l'UE, la part de la France a diminué de 11,8 % à 9,4 %, celle du
Royaume-Uni a reculé de 14 % à 7,2 % et l'Allemagne s'est maintenue en tête à
25,7 %. Les meilleures performances ont été réalisées par l'Italie, qui a pris
la deuxième place à 14,5 %, et par l'Espagne, quatrième, juste derrière la
France, à 8,6 %.
« Euratom, une ambition déçue ». C'est le triste constat d'un résumé de « L'histoire du
traité de Rome », sur le site www.tratederome.fr. L'objectif initial
de promouvoir une puissante industrie énergétique de la CEE, à l'aide de
recherches communes, notamment, s'est heurté aux dissensions entre les membres
sur les objectifs et sur leur mise en œuvre. « Aujourd'hui, l'Euratom est particulièrement
actif en matière de sécurité nucléaire et prend part à la recherche sur la
fusion thermonucléaire via le projet ITER ».
ITER (« International Thermonuclear Experimental Reactor ») est un
projet initié par l'UE auquel ont adhéré, non sans atermoiements, 34 pays
comprenant la Chine, la Corée du Sud, les USA, l'Europe, la Fédération de
Russie, l'Inde et le Japon. Le réacteur thermonucléaire est en cours d'installation
à Cadarache, malgré les vives controverses que le projet suscite pour des
raisons scientifiques, environnementales et de dangerosité.
« ITER:
l'arnaque ». « ITER ne produira jamais d'électricité! ». « Trois prix Nobel de
Physique, dont deux Français, ont atomisé ITER »: Pierre Gilles de Gennes,
George Charpak, Masatoshi Koshiba.
» Cf. le site reacteur.iter.free.fr.
Sur médiapart.fr,
le 13/01/2012, sous le titre « ITER, le naufrage », J.-P. Petit, ex
directeur de recherche au CNRS, et C. Desplats,
conseiller régional PACA, dénonçaient « un fiasco
scientifique et financier programmé ».
Le
7/12/2012, sur le site coordination-antinucleire-sudest.net, un article,
intitulé « ITER à Cadarache : le projet se dirige vers un fiasco colossal »,
insistait sur le manque de maîtrise des promoteurs et les coûts exorbitants
du projet. Le coût de la construction prévu en 2006 pour la période 2007 à 2020
a triplé pour atteindre 16 Mds €. L'UE doit en couvrir 6,6 Mds... et la France 1,3 Md. Il faut ajouter les frais de
fonctionnement à ces montants.
Ceci n'a
pas retenu le Gouvernement français, qui a donné son feu vert à l'installation
d'ITER à Cadarache par décret le 9 novembre 2012. Pour la France et pour l'UE,
renoncer à ce projet onéreux, voué à l'échec, semble-t-il, serait un désaveu,
une atteinte à l'infaillibilité. Il vaut mieux persister, quoiqu'il en coûte !
La
paix en Europe doit très peu à la « Construction européenne ». En
février 1945, à la conférence de Yalta, l'Europe a été « partagée » entre les
Alliés occidentaux et l'URSS. Il a aussi été décidé de diviser l'Allemagne
(dans ses frontières de 1937) en quatre zones, ainsi que de l'occuper. En fait,
cette occupation par des militaires des USA, du Royaume-Uni et de la France a
duré jusqu'à la chute du mur de Berlin. Et la « présence militaire française »
a pris fin en septembre 1994. Le désarmement et l'occupation prolongée de
l'Allemagne ont évidemment joué un rôle démobilisateur majeur des velléités
guerrières en Europe de l'Ouest. De l'autre côté du « rideau de fer », les pays
d'Europe de l'Est sont restés sous le joug soviétique jusqu'en 1990.
Les 6
pays fondateurs n'ont pas pu s'entendre sur une politique commune de défense.
Il en a été de même à 9, à 12, à 15... Aussi, la défense de l'Europe de l'Ouest
a reposé, disent certains, sur les armes nucléaires du Royaume-Uni et de la
France. Le 20 février, sous le titre « La dissuasion selon François Hollande
», lepoint.fr donnait des indications sur le programme de modernisation
prévu, notait que les dépenses seraient de 3,5 Mds € en 2015 (11 % du budget de
la Défense, comme les années précédentes) et citait le but assigné : « Nos
forces nucléaires doivent être capables d'infliger des dommages inacceptables
par l'adversaire sur ses centres de pouvoir, c'est-à-dire ses centres névralgiques,
économiques et militaires ». Le message serait adressé aux mollahs de
Téhéran.
Sans
méconnaître l'intérêt de telles forces, il faut cependant reconnaître que la «
protection » de l'Europe depuis 1945 a surtout été assurée par les USA et
l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
L'OTAN est née
en 1949, deux ans après le début de la « guerre froide », à l'initiative de la
Belgique, de la France, du Luxembourg, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, des USA et
du Canada. De nombreux pays d'Europe et la Turquie l'ont rejointe ensuite. Son
but a été d'assurer la sécurité en Europe. Méfiance envers l'Allemagne et
l'URSS, d'abord! Selon Lord Ismay, secrétaire général de l'OTAN entre 1952 et 1957, son rôle consistait au
cours des années de guerre froide à « garder les Russes à l'extérieur, les
Américains à l'intérieur et les Allemands sous tutelle ».
On peut
comprendre pourquoi cette OTAN n'enthousiasmait pas le Général De Gaulle.
En 1955,
l'URSS a signé avec les pays d'Europe de l'Est sous sa domination le pacte
(politique, économique et militaire) de Varsovie. Celui-ci est devenu l'ennemi
désigné de l'OTAN... jusqu'à l'implosion de l'URSS en 1991. L'OTAN a survécu et
n'a cessé de recruter des pays de l'Est candidats à l'entrée dans la boulimique
UE.
Dire que
l'Europe n'a pas connu de guerres, c'est « oublier » celles qui ont fait entre
200.000 et 300.000 morts dans la République fédérale de Yougoslavie entre 1991
et 1999, puis en 2001 et en 2004 : en Slovénie (1991), en Croatie et en Bosnie
(1991-1995), au Kosovo (1998-1999 et 2004) et en Macédoine (2001), (cf. Wikipédia). L'OTAN est intervenue en Bosnie avec
l'armée croate contre les Serbes. Puis à nouveau contre les Serbes au Kosovo. À
propos de « La nouvelle guerre des Balkans », sur monde-diplomatique.fr
en mai-juin 1999, Ignacio Ramonet
(écrivain, ex directeur du mensuel Le Monde) déplorait l'«Agonie de
l'ordre international » et constatait que « les Nations unies ne jouent
qu'un rôle mineur dans le monde, tandis que l'Alliance atlantique, qui
intervient au nom de la "communauté internationale", est devenue
l'instrument essentiel de la domination américaine ».
Certains
des dirigeants de l'UE souhaitent et œuvrent à l'entrée de l'Ukraine dans
l'Union. L'OTAN n'est pas au début de ses approches sur le terrain là- bas. La
situation n'y est pas uniquement imputable à Poutine et aux « rebelles
séparatistes pro-russes ». C'est la guerre « à 3.000 km seulement de chez
nous », répètent des médias en mal d'unité nationale pour faire un peu
peur. Si un conflit mondial n'est pas en vue, les événements révèlent crûment
l'impuissance de l'UE et ses divisions.
À la
conférence de paix à Minsk, A. Merkel et F. Hollande
ont été des « médiateurs engagés » (contre la Russie) entre le président
ukrainien Porochenko et Poutine... sous le «
parapluie » des USA et de l'OTAN. Toujours indispensables pour assurer
la « sécurité » de l'Europe.
J'ai un peu insisté sur ce dernier sujet (pour les plus «
jeunes » lecteurs, surtout) car il est insupportable d'entendre claironner
qu'un grand mérite de la « Construction européenne » a été d'assurer la paix.
Assez de balivernes ! Pour éviter de nouvelles erreurs, mieux vaut ne pas tout
ignorer ou oublier du passé, si pénible ou contrariant qu'il soit.