RECUL DE L’EUROPE ET PAYS AVANCÉS

partie 3

par Paul KLOBOUKOFF

Qu'a apporté la "Construction européenne" à la France et à ses membres ?

Après soixante-cinq ans (déjà !) de pérégrinations, de changements de cap et de croissance... du nombre des pays « membres », un bilan-diagnostic rétrospectif approfondi sur le sujet serait utile pour mieux comprendre ce qui nous arrive et guider les décisions qui engagent notre avenir. Le présent article est une invitation à prendre du recul, à regarder la réalité en face, à accepter les critiques et cesser de leurrer sur les immenses bienfaits de la « Construction européenne », de l'Union européenne, de l'euro, et sur les profondeurs des abîmes dans lesquels tomberaient ceux qui se soustrairaient à ses dogmes et manqueraient de respect envers l'infaillibilité de leurs instances dirigeantes. Tels les Grecs en ce moment et, potentiellement d'autres Sudistes.

La plupart des constatations et des explications des deux articles précédents relatives au déclin dans le monde des pays « les plus avancés » valent pour les pays de l'Europe de l'Ouest. Comme pour ceux des autres continents, « l'histoire » et des facteurs spécifiques, des choix politiques et stratégiques ont joué aussi. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la « Construction européenne » a d'abord été motivée par le désir de consolider la paix en Europe et la conviction que « l'Union fait la force », dans un contexte où les deux plus grandes puissances, les États-Unis et l'URSS, antagonistes, avaient tendance à se partager le monde. Mais, elle se centra vite sur l'économie, et fut forcée de s'adapter à la « mondialisation » qui gagnait le « monde occidental », au développement des échanges et à la concurrence internationale, qu'elle contribua activement à promouvoir, d'ailleurs.

On a presque oublié que pendant plus de vingt ans, jusqu'en 1973, la Communauté européenne est restée limitée à ses 6 membres fondateurs, qui ont bénéficié du rebond prolongé des Trente glorieuses et vécu alors leurs presque seuls beaux jours en terme de croissance. L'Union européenne d'aujourd’hui, à 28 et bientôt plus, avec un euro « monnaie unique » de 18 pays, n'a plus grand chose à voir avec le « modèle réduit », la « maquette » initiale. Et la situation de l'Union et de plusieurs de ses membres apparait plus précaire qu'à la fin des années 1960.

Pour évaluer les apports de cette Construction, il est bon de revoir sa genèse, ses débuts à 6 et les résultats des politiques décidées lors du traité de Paris en 1951, ceux de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), lors du traité de Rome en 1957 et de la création de la Communauté économique européenne (CEE), ceux de la Politique agricole commune (PAC) et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom).

Pèlerinage sur les premiers pas de la "Construction européenne"

Officiellement, la « construction européenne » remonte au 9 mai 1950, depuis baptisé « Journée de l'Europe », jour de la « déclaration fondatrice » du ministre Robert Schuman, qui a été suivie, en 1951 par le Traité de Paris et la création de la CECA par six pays, la France, l'Allemagne de l'Ouest, les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Italie.

Après l'échec des tentatives de constitution d'une Communauté européenne de la défense (indépendante), comme le proposait le Général de Gaulle, la renonciation à constituer à court terme une organisation qui respecterait la souveraineté des États, et l'absence de vision politique commune, les six pays « fondateurs » ont choisi de centrer la coopération sur l'Économie. En 1957, ils ont signé le traité de Rome instaurant la CEE et décidé de créer la CEEA ou Euratom ainsi que d'adopter une PAC qui a vu le jour en 1962.

Pendant ce temps, sept pays qui n'avaient pas voulu se joindre aux six de la CEE ont créé en 1960 l'Association de libre-échange (AELE): la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, le Danemark, l'Irlande, la Suisse et le Portugal.

Le Général de Gaulle, qui s'était déclaré partisan d'une Europe unie « de l'Atlantique à l'Oural », n'excluant à priori ni la Grande-Bretagne ni le bloc soviétique, a pourtant opposé son véto à l'entrée de cette dernière dans la CEE en janvier 1963 et en mai 1967 (cf. fresques.ina.fr/de-gaulle/parcours). « L'Europe des six » a ainsi vécu jusqu'à la fin des « Trente glorieuses » en 1973... pendant lesquelles la croissance miraculeuse n'a pas due grand chose à la CEE.

Les « Trente glorieuses », qui ont vu la croissance française renaître peu après la fin de la guerre, puis maintenir un rythme annuel moyen de + 5 % de 1950 à 1973, n'ont pas été un phénomène spécifiquement français, ni même européen. Pendant cette période, la croissance mondiale a brillé à + 4,9 % par an. La progression a été de + 4,8 % en URSS, de + 9,3 % Japon, de + 5,2 % dans le reste de l'Asie, de + 5,4 % en Amérique latine et de + 4,4 % en Afrique. Plus « riches » et « avancés » que les autres, les grands vainqueurs occidentaux de la guerre, les États-Unis d'Amérique (USA) et le Royaume-Uni, n'ont vu leur PIB progresser respectivement « que » de + 3,9 % et de + 2,9 %.

Au sein de l'Europe de l'Ouest, les PIB de 10 pays ont crû à des taux allant de + 4,5 % à + 6,6 % entre 1950 et 1973. « Miracle économique » en Allemagne (+ 5,7 %), qui avait déjà retrouvé la première place en Europe en 1950. « Boom économique » en Italie (+ 5,6 %), autre vaincu de 1945. Davantage en Espagne (+ 6,6 %), etc. Un peu plus « modestes », les taux de croissance de trois pays du nord, la Belgique, le Danemark et la Suède, sont restés entre + 3,7 et + 4,1 % (principales sources ici : OCDE 2006, L'Économie mondiale, vol. 1, Une perspective millénaire (Angus Madisson) et vol. 2 : Statistiques historiques. En Europe de l'Est, la croissance a été de + 4,9 % en moyenne.

Pour autant, si un élan général a relevé et porté de nombreux pays, les causes n'en ont pas été identiques partout. Des événements et des changements historiques majeurs ont eu lieu, avec la longue « guerre froide » entre l'Occident et l'URSS, le face à face entre l'OTAN et le pacte de Varsovie, « séparés » par le « rideau de fer », le découpage et l'occupation de l'Allemagne, la mainmise de l'URSS sur les pays de l'Est, les révoltes pour l'indépendance et les répressions assassines, à Budapest en 1956, à Prague en 1968... la création de l'État d'Israël, les conflits et les guerres avec l'Égypte et d'autres voisins du Moyen-Orient, la crise de Suez, la guerre de Corée, celles du Vietnam dans lesquelles la France puis les USA se sont embourbés et ont été défaits, l'expansion du communisme en Indochine, la « grande marche » et le règne macabre du maoïsme sur la Chine, les décolonisations, auxquelles se sont résignés la Grande-Bretagne, la France, le Portugal, ainsi que la Hollande et l'Italie, l'indépendance de l'Inde, avec ses millions de morts d'hindous et de musulmans, et la partition du sous-continent en trois états, l'Inde, le Pakistan et le Bangladesh...

Les années 1950 et 1960 ont été celles des indépendances des pays d'Afrique, francophone, en particulier, du Maroc, de la Tunisie, puis de l'Algérie après une guerre sanglante débutée en 1954, achevée en 1962, suivie d'un « retour » en France de plus d'un million de « rapatriés »... dont une grande partie n'avait jamais vécu en métropole.

Elles ont aussi vu des avancées spectaculaires dans la conquête de l'espace, sur fond de rivalité entre les USA et l'URSS. Et la course aux armements entre les grandes puissances dans un climat empoisonné d'hostilité déclarée ou larvée, entre l'Occident et le « monde communiste ». Après l'usage de l'arme atomique par les Américains à Hiroshima et à Nagasaki, la « dissémination » de l'arme fatale nucléaire... de dissuasion, bien sûr, n'a pas tardé. En 1949, l'URSS disposait de la bombe A. En 1952, le Royaume-Uni en était doté. En 1960, la France aussi. Et la Chine rejoignait le « club » en 1964. Un club qui a vite constitué le cœur de l'exécutif du Conseil de sécurité de l'ONU. Après la bombe A, la bombe H, bien plus puissante, a pris le relais, et les missiles ainsi que les autres armes de destruction massive ont proliféré... pour la sécurité de tous. On n'arrête pas le progrès !

Ces événements qui ont bouleversé et transformé le monde n'ont pas ralenti la croissance.

Les principaux moteurs du redressement : Une raison majeure en a été l'effort de reconstruction des pays, de leurs infrastructures, des usines et des logements détruits, le remplacement de matériels obsolètes, la modernisation des industries, de l'agriculture grâce aux rapides progrès technologiques, la relance des productions et de l'emploi, tombé au plus bas, la remise à niveau en matière de formation et de recherche, ainsi que la satisfaction de besoins essentiels après des années de froid et de faim, de privations,... qui ne cessèrent pas en 1945. En France, la fin du rationnement du pain et de l'essence n'est venue qu'en 1949. Et comment ne pas souvenir du pathétique et retentissant appel à la révolte et à la solidarité nationale en faveur des mal-logés qu'a lancé l'abbé Pierre pendant le glacial hiver de 1954, meurtrier pour les sans-abris.

Le lourd problème du logement a persisté. L'exode rural accéléré, l'urbanisation incontrôlée, la concentration des populations dans les « métropoles » et l'inflation immobilière continuent de l'entretenir ou l'aggraver. Par contre, pour les autres biens matériels, les populations des pays les plus avancés, en Europe notamment, sont assez vite entrées dans la « société de consommation », sur les traces des Américains. Et le « baby boom » en France, en Allemagne de l'Ouest et aux USA, en particulier, a constitué dans ces pays un aiguillon supplémentaire.

Les réparations exigées des pays vaincus de l'Axe ont

été modestes. En compensation, le plan Marshall américain décidé en 1947 a été massif et a joué un rôle décisif dans le redressement en Europe. 17 pays, y compris l'Islande, la Suisse et la Turquie, ont pu bénéficier des 13,33 milliards de dollars d'aide, alloués pour près de 90 % sous forme de dons et pour le reste, de prêts remboursables en dollars. Les principaux récipiendaires en ont été : le Royaume-Uni avec 3,19 Mds, la France, avec 2,71 Mds, l'Italie, avec 1,51 Md, la RFA, avec 1,39 Md, les Pays-Bas (Indonésie), avec 1,08 Mds, la Grèce, avec 0,77 Md et l'Autriche, avec 0,68 Md. (source : plan Marshall - Wikipédia). Les fonds reçus ont été en partie utilisés, conformément au plan, pour acquérir des matériels et des procédés américains, et ont contribué à amplifier les transferts de technologie vers l'Europe.

Un autre bienfait venu des USA, pourrait-on dire, a été le haut niveau et la stabilité du dollar après le rétablissement, lors des accords de Bretton Woods en 1944, de la convertibilité du dollar en or (dans le cadre des échanges avec les banques centrales) et l'adoption d'un système de change fixe entre monnaies, le dollar redevenant la monnaie de réserve internationale.

Une aide financière importante accordée à la République fédérale d'Allemagne (RFA) est ressortie dans l'actualité avec la demande par la Grèce d'annulation (partielle) de sa dette. Instaurée en 1949, la RFA avait reconnu la dette d'avant-guerre de l'Allemagne. Les Accords de Londres de février 1953, très habilement négociés par le chancelier Adenauer, ont permis de réduire de moitié cette dette et d'en étaler le remboursement sur 30 ans jusqu'en 1983.

De son côté, la France ne s'est pas privée de l'usage de la planche à billets pour soutenir sa croissance. 6 dévaluations du franc de 1945 à 1969 ! Puis encore des rechutes en 1974, en mai 1981 et des « réajustements » par rapport au serpent monétaire européen (SME) en juin 1982, en mars 1983 et en août 1986... pendant la fécondation et la gestation de l'euro. La France n'a pas été la seule championne des déficits commerciaux, budgétaires, de l'inflation... et des dévaluations « compétitives ».

Et il ne faut surtout pas oublier le bas coût du pétrole, qui a favorisé le développement des activités industrielles consommatrices d'énergie, des transports et une agriculture plus mécanisée. Valorisé en dollar constant de 1993, le prix moyen du baril de pétrole brut était de 20 $ environ dans les années 1950 et 1960. Il est descendu jusqu'à près de 12 $ en 1970. Pour comparaison, il était à plus de 100 $ en 2013 (source : BP. Statistical Review 2014).

La fin brutale des Trente glorieuses : La " première crise pétrolière", qui a vu le prix du baril grimper brusquement à près de 55 $ en 1973, puis rester autour de 50 $ pendant 5 ans, jusqu'à la crise suivante de 1979, a été un facteur déterminant de la chute de la croissance mondiale et de la fin des Trente glorieuses. Elle est intervenue dans les suites de la crise monétaire de 1971, marquée par la décision prise unilatéralement en août 1971 par Richard Nixon de la cessation de la convertibilité du dollar en or. Le dollar a été dévalué de 7,85 % en décembre 1971. Principalement en raison de l'accumulation des déficits américains dans les années 1960, facilitée par la position dominante du dollar. Des déficits dont la Banque centrale des USA n'était plus capable de garantir la couverture en or en cas de nécessité. Le mark allemand s'est mis à flotter. Le système de Bretton Woods est mort La méfiance et l'instabilité monétaire se sont installées durablement.

On peut rappeler que la fin des Trente glorieuses a coïncidé avec l'élargissement de la CEE à 9 membres en 1973, avec les adhésions de trois libre-échangistes, le Danemark, la Grande-Bretagne et l'Irlande.

Les Trente glorieuses ne doivent pas grand-chose à la « Construction européenne »

Nous venons de voir que les pays concernés n'en ont pas eu besoin. De plus, les « changements » introduits par la CECA, la création de la CEE, celle d'Euratom, puis la mise en route de la PAC, étaient peu novateurs, pour la France, en particulier, et ne pouvaient qu'avoir un impact modeste sur la croissance à l'époque.

Dès le 30 octobre 1947, 23 pays ont signé le GATT

(accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), qui a été prolongé en 1995 par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cet accord était libre-échangiste en ce sens qu'il visait à abaisser les tarifs douaniers et à lever les autres obstacles aux échanges internationaux. En même temps, il était « protectionniste » dans la mesure où les tarifs réduits ne devaient s'appliquer qu'entre les états signataires, sur la base de la réciprocité. Des pays de tous les continents en ont été signataires, parmi lesquels, les USA, le Brésil, Cuba, l'Australie et la Nouvelle Zélande, la Chine, l'Inde, le Pakistan, le Liban, la Syrie... et sept pays européens, dont la France, la Belgique, le Luxembourg et le Royaume-Uni.

Dix ans plus tard, le traité de Rome a marché sur les traces du GATT en constituant le Marché commun, plus protectionniste encore, en décidant d'un tarif extérieur commun (TEC) aux six membres et de l'abaissement des droits de douane entre eux. Ces droits devaient disparaître en 12 ans. Ultérieurement le TEC a été renégocié dans le cadre du GATT. Au fil des décennies, des élargissements et de la multiplication des traités internationaux, la « protection » de l'UE s'est beaucoup affaiblie. La vulnérabilité aux « concurrences déloyales » s'est accrue.

 

J'avais déjà longuement parlé de la PAC dans un article de la Lettre du 18 juin de novembre 2002 intitulé « Deux regards sur la PAC ». Protectionniste pour un secteur jugé stratégique, le traité de Rome a voulu instaurer un marché agricole unique, sans droits de douane entre les pays membres, et une préférence communautaire afin de favoriser le développement et la modernisation de l'agriculture. Une arme fatale a été utilisée pour l'abriter de la concurrence internationale : la fixation chaque année de prix garantis à la production des produits agricoles à des niveaux généralement supérieurs aux cours mondiaux. Ce système, qui nécessitait aussi de subventionner les exportations avait été mis en place en France en 1960. Appliqué d'abord aux céréales, il devait être étendu aux autres produits végétaux et animaux. Prenant le relais, la PAC l'a adopté en 1962, avec des prix d'intervention garantis sur les marchés communautaires. Pas de révolution, donc, pour les exploitants français.

Pratiqué sur longue durée, ce système ne pouvait inciter à améliorer la compétitivité des exploitations. En outre, déconnectée de la demande, les surplus invendus de production étant rachetés par la CEE, l'offre de nombreux produits alimentaires est devenue largement excédentaire dès les années 1970. Le souci majeur a alors été de réguler, de limiter des productions. Des quotas ont été fixés, pour le lait, en particulier. Des mises en jachère ont été imposées. Depuis, la PAC a erré de réformes en réformes. Accusée de protectionnisme, dans les années 1990, elle a dû réduire les prix garantis et a compensé cette baisse par des subventions aux producteurs sur des bases complexes et contestées. Les dégâts sur l'environnement, vivement critiqués, ont aussi motivé des révisions. Puis, les aides ont été découplées des productions et ont été versées en référence aux productions des années précédentes, etc. Entre-temps, les élargissements de l'UE sont venus compliquer encore la « donne ».

Un des reproches insistants adressés à la PAC a été sa générosité, jugée excessive, envers les agro-industries, les gros propriétaires, les céréaliers, au détriment des petits exploitants. À ce propos, Michel Cointat, ex ministre de l'Agriculture a pu dire : « La PAC consiste à donner une Cadillac à quelqu'un qui en a déjà une » (cf. Du blé pour les céréaliers - site du Monde libertaire, mai 2010). Aujourd'hui, la question de l'arrêt de la PAC est posée : coûteuse et mère de discordes concernant son financement et la « répartition du pactole ».

Maigres performances de la PAC en matière de production agricole

En France, l'envol de la production agricole n'a pas attendu la PAC. La valeur ajoutée de l'agriculture a bondi de + 58 % de 1949 à 1961 (source : INSEE - Annuaire rétrospectif de la France 1948-1988). Ensuite, en 12 ans, jusqu'à 1973, elle a augmenté de + 27 %, soit à un rythme moyen de + 2 % par an seulement.

Dans la CEE, sur un demi-siècle d'existence de la PAC, les résultats n'ont pas été mirobolants, loin de là. Mesurées par la FAO en dollars constants de 2004-2006, les productions agricoles brutes des trois plus gros membres fondateurs, l'Allemagne, la

France et l'Italie ont augmenté respectivement de + 37 %, + 46 % et + 21 % entre 1961 et 2012, soit de + 36 % pour les trois pris ensemble. En fait la croissance de la production a été presque nulle pendant les 40 dernières années. Parmi les fondateurs, les Pays-Bas ont le mieux tiré leur épingle du jeu, avec une croissance de + 143 %. Comme le « marché unique », la PAC leur a grand ouvert les portes des pays voisins.

Incidemment, les chiffres de la FAO suggèrent que l'adoption de l'euro par l'Italie et la Grèce n'a pas été « stimulante » pour leurs productions agricoles, qui ont chuté de - 14 % et - 19 % entre 2000 et 2012.

La production agricole de l'Europe entière a progressé de + 36 % de 1961 à 1973, puis elle a un peu décliné et n'a finalement augmenté que de + 31 % entre 1961 et 2012. Pendant ces 50 ans, plus dynamique, la production américaine a plus que doublé. « Même pas peur du traité Transatlantique de libre échange et de partenariat » ? La production mondiale a été multipliée par 3,2, et la part de l'Europe a chuté de 37 % en 1961 à 15 % en 2012.

Il parait donc inapproprié de glorifier la PAC et le repli sur soi européen auquel elle a incité. « Sans la PAC, cela aurait été bien pire! », affirment des convaincus, refusant d'admettre que la PAC n'a pas pu, n'a pas suffisamment cherché à mettre en valeur nos potentialités agricoles et a préféré user de la « redistribution ».

Accomplissements et échecs de la CECA

La CECA a eu peu d'effets sur les productions du charbon et de l'acier, qui subissaient les tendances mondiales, rappelle Wikipédia : « Communauté européenne du charbon et de l'acier ». À son actif, la protection douanière commune aux six a stimulé les échanges entre eux (décuplement pour le charbon) et permis la limitation des importations depuis les USA. Moyennant 280 prêts aux industries et des subventions, elle a aussi retardé et adouci, pour le personnel essentiellement (plans sociaux avant l'heure), la baisse des activités. En fait, pour le charbon, la concurrence avec les autres sources d'énergie n'étant pas soutenable. Le déclin a été programmé dès le début des années 1960 avec le premier plan d'adaptation des houillères. Aujourd'hui, l'exploitation du charbon a presque disparu en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en Irlande... En Europe de l'Ouest, les exceptions sont l'Allemagne, avec 44 % de charbon dans le « mix énergétique » du pays, le Royaume Uni, avec 25 %, et la Grèce, avec 54 % (en 2012, source : lemonde.fr/planète/infographie, du 23 oct. 2013). Mais, avec les élargissements à l'est, la production de charbon de l'UE a bondi, car les mêmes chiffres sont de 31 % en République tchèque, 33 % en Roumanie, 55 % en Bulgarie, 57 % en Slovaquie, 79 % en Estonie et 88 % en Pologne. La tendance est à l'augmentation. La production de l'UE se rapproche des 600 millions de tonnes, soit de l'ordre de 7 % de la production mondiale.

Politique énergétique européenne, un réveil très tardif : la CECA a été dissoute en 2002. Il a fallu attendre les années 2010 pour que l'UE trace les orientations d'une politique énergétique. De « comprendre les politiques de l'UE », sur le site europa.eu/pol/ener/, il ressort que la consommation de l'UE (à 27) est dépendante à plus de 50 % des importations, qui augmentent, et qui dépassaient 350 milliards d'euros avant les récentes chutes des prix du pétrole et du gaz. En outre, même si l'UE a « un bouquet énergétique diversifié », 80 % de sa production d'énergie provient de combustibles fossiles, émetteurs de CO2, redoutable gaz à effet de serre pour la planète.

Aussi, les objectifs sont-ils de réduire l'utilisation des combustibles fossiles, de protéger l'environnement et lutter contre le changement climatique, d'assurer des approvisionnements en pétrole et en gaz « sécurisés ». Les États membres sont libres de développer les sources d'énergie de leur choix, en tenant compte des objectifs de l'UE en matière d'énergies renouvelables. Des objectifs « volontaristes » en la matière ont été fixés à l'horizon 2030.

La « stratégie » comporte la recherche d'économies d'énergie et l'augmentation de l'efficacité énergétique. Il est recommandé aussi de « responsabiliser » les consommateurs, notamment en les encourageant à faire jouer la concurrence entre les fournisseurs... maintenant que les monopoles des distributions de gaz et d'électricité ont été supprimés. Je n'ai rien vu d'autre concernant la modération des prix pour les consommateurs ni sur une éventuelle « harmonisation » des fiscalités sur les carburants. Parmi les moyens avancés figurent inévitablement des directives et des aides financières pour des projets, dont 23 Mds € d'ici 2020 venant des fonds structurels. La France suit avec application les recommandations qu'elle a contribué à définir. Les impôts, les bonus et les malus, les panneaux solaires ainsi que les éoliennes sur terre et « off-shore » en sont des signes visibles.

La CECA n'a pas empêché la baisse de la production d'acier. En 1969, l'Europe (à 27) était la première puissance productrice d'acier brut, avec 191,4 millions de tonnes, soit 46,8 % de la production mondiale (PM). En 2013, la production de l'UE à 27, réduite à 166,2 Mi tonnes, ne représente plus que 10,4 % de la PM (sources pour les chiffres de 1969 : Institut International du Fer et de l'Acier, annuaire stat. 1980 ; pour 2013 : www.acier.org).

Les productions des USA (5,4 % seulement de la PM en 2013) et de l'URSS ont aussi décliné. Celle du Japon a progressé pour atteindre 110,6 Mi tonnes en 2013, mais sa part de la PM n'est plus que 7 %, alors qu'elle était de 20 % en 1969. En effet, pendant ces 44 ans, la production mondiale a été multipliée par 4, jusqu'à 1 604 Mi tonnes. Et, avec 801 Mi tonnes, le géant chinois en produit la moitié à lui seul.

À l'intérieur de l'UE, la part de la France a diminué de 11,8 % à 9,4 %, celle du Royaume-Uni a reculé de 14 % à 7,2 % et l'Allemagne s'est maintenue en tête à 25,7 %. Les meilleures performances ont été réalisées par l'Italie, qui a pris la deuxième place à 14,5 %, et par l'Espagne, quatrième, juste derrière la France, à 8,6 %.

« Euratom, une ambition déçue ». C'est le triste constat d'un résumé de « L'histoire du traité de Rome », sur le site www.tratederome.fr. L'objectif initial de promouvoir une puissante industrie énergétique de la CEE, à l'aide de recherches communes, notamment, s'est heurté aux dissensions entre les membres sur les objectifs et sur leur mise en œuvre. « Aujourd'hui, l'Euratom est particulièrement actif en matière de sécurité nucléaire et prend part à la recherche sur la fusion thermonucléaire via le projet ITER ».

ITER (« International Thermonuclear Experimental Reactor ») est un projet initié par l'UE auquel ont adhéré, non sans atermoiements, 34 pays comprenant la Chine, la Corée du Sud, les USA, l'Europe, la Fédération de Russie, l'Inde et le Japon. Le réacteur thermonucléaire est en cours d'installation à Cadarache, malgré les vives controverses que le projet suscite pour des raisons scientifiques, environnementales et de dangerosité.

« ITER: l'arnaque ». « ITER ne produira jamais d'électricité! ». « Trois prix Nobel de Physique, dont deux Français, ont atomisé ITER »: Pierre Gilles de Gennes, George Charpak, Masatoshi Koshiba. » Cf. le site reacteur.iter.free.fr.

Sur médiapart.fr, le 13/01/2012, sous le titre « ITER, le naufrage », J.-P. Petit, ex directeur de recherche au CNRS, et C. Desplats, conseiller régional PACA, dénonçaient « un fiasco scientifique et financier programmé ».

Le 7/12/2012, sur le site coordination-antinucleire-sudest.net, un article, intitulé « ITER à Cadarache : le projet se dirige vers un fiasco colossal », insistait sur le manque de maîtrise des promoteurs et les coûts exorbitants du projet. Le coût de la construction prévu en 2006 pour la période 2007 à 2020 a triplé pour atteindre 16 Mds €. L'UE doit en couvrir 6,6 Mds... et la France 1,3 Md. Il faut ajouter les frais de fonctionnement à ces montants.

Ceci n'a pas retenu le Gouvernement français, qui a donné son feu vert à l'installation d'ITER à Cadarache par décret le 9 novembre 2012. Pour la France et pour l'UE, renoncer à ce projet onéreux, voué à l'échec, semble-t-il, serait un désaveu, une atteinte à l'infaillibilité. Il vaut mieux persister, quoiqu'il en coûte !

La paix en Europe doit très peu à la « Construction européenne ». En février 1945, à la conférence de Yalta, l'Europe a été « partagée » entre les Alliés occidentaux et l'URSS. Il a aussi été décidé de diviser l'Allemagne (dans ses frontières de 1937) en quatre zones, ainsi que de l'occuper. En fait, cette occupation par des militaires des USA, du Royaume-Uni et de la France a duré jusqu'à la chute du mur de Berlin. Et la « présence militaire française » a pris fin en septembre 1994. Le désarmement et l'occupation prolongée de l'Allemagne ont évidemment joué un rôle démobilisateur majeur des velléités guerrières en Europe de l'Ouest. De l'autre côté du « rideau de fer », les pays d'Europe de l'Est sont restés sous le joug soviétique jusqu'en 1990.

Les 6 pays fondateurs n'ont pas pu s'entendre sur une politique commune de défense. Il en a été de même à 9, à 12, à 15... Aussi, la défense de l'Europe de l'Ouest a reposé, disent certains, sur les armes nucléaires du Royaume-Uni et de la France. Le 20 février, sous le titre « La dissuasion selon François Hollande », lepoint.fr donnait des indications sur le programme de modernisation prévu, notait que les dépenses seraient de 3,5 Mds € en 2015 (11 % du budget de la Défense, comme les années précédentes) et citait le but assigné : « Nos forces nucléaires doivent être capables d'infliger des dommages inacceptables par l'adversaire sur ses centres de pouvoir, c'est-à-dire ses centres névralgiques, économiques et militaires ». Le message serait adressé aux mollahs de Téhéran.

Sans méconnaître l'intérêt de telles forces, il faut cependant reconnaître que la « protection » de l'Europe depuis 1945 a surtout été assurée par les USA et l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).

L'OTAN est née en 1949, deux ans après le début de la « guerre froide », à l'initiative de la Belgique, de la France, du Luxembourg, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, des USA et du Canada. De nombreux pays d'Europe et la Turquie l'ont rejointe ensuite. Son but a été d'assurer la sécurité en Europe. Méfiance envers l'Allemagne et l'URSS, d'abord! Selon Lord Ismay, secrétaire général de l'OTAN entre 1952 et 1957, son rôle consistait au cours des années de guerre froide à « garder les Russes à l'extérieur, les Américains à l'intérieur et les Allemands sous tutelle ».

On peut comprendre pourquoi cette OTAN n'enthousiasmait pas le Général De Gaulle.

En 1955, l'URSS a signé avec les pays d'Europe de l'Est sous sa domination le pacte (politique, économique et militaire) de Varsovie. Celui-ci est devenu l'ennemi désigné de l'OTAN... jusqu'à l'implosion de l'URSS en 1991. L'OTAN a survécu et n'a cessé de recruter des pays de l'Est candidats à l'entrée dans la boulimique UE.

Dire que l'Europe n'a pas connu de guerres, c'est « oublier » celles qui ont fait entre 200.000 et 300.000 morts dans la République fédérale de Yougoslavie entre 1991 et 1999, puis en 2001 et en 2004 : en Slovénie (1991), en Croatie et en Bosnie (1991-1995), au Kosovo (1998-1999 et 2004) et en Macédoine (2001), (cf. Wikipédia). L'OTAN est intervenue en Bosnie avec l'armée croate contre les Serbes. Puis à nouveau contre les Serbes au Kosovo. À propos de « La nouvelle guerre des Balkans », sur monde-diplomatique.fr en mai-juin 1999, Ignacio Ramonet (écrivain, ex directeur du mensuel Le Monde) déplorait l'«Agonie de l'ordre international » et constatait que « les Nations unies ne jouent qu'un rôle mineur dans le monde, tandis que l'Alliance atlantique, qui intervient au nom de la "communauté internationale", est devenue l'instrument essentiel de la domination américaine ».

Certains des dirigeants de l'UE souhaitent et œuvrent à l'entrée de l'Ukraine dans l'Union. L'OTAN n'est pas au début de ses approches sur le terrain là- bas. La situation n'y est pas uniquement imputable à Poutine et aux « rebelles séparatistes pro-russes ». C'est la guerre « à 3.000 km seulement de chez nous », répètent des médias en mal d'unité nationale pour faire un peu peur. Si un conflit mondial n'est pas en vue, les événements révèlent crûment l'impuissance de l'UE et ses divisions.

À la conférence de paix à Minsk, A. Merkel et F. Hollande ont été des « médiateurs engagés » (contre la Russie) entre le président ukrainien Porochenko et Poutine... sous le « parapluie » des USA et de l'OTAN. Toujours indispensables pour assurer la « sécurité » de l'Europe.

J'ai un peu insisté sur ce dernier sujet (pour les plus « jeunes » lecteurs, surtout) car il est insupportable d'entendre claironner qu'un grand mérite de la « Construction européenne » a été d'assurer la paix. Assez de balivernes ! Pour éviter de nouvelles erreurs, mieux vaut ne pas tout ignorer ou oublier du passé, si pénible ou contrariant qu'il soit.

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