FRANÇOIS LARDEAU

le sage, l'ami des Africains

 

par Paul KLOBOUKOFF

François Lardeau est connu comme un Gaulliste de conviction résolument attaché à la grandeur de la France, à sa souveraineté, à son indépendance, opposé au traité de Maastricht puis à celui de Lisbonne, aux « transferts de compétences » irréfléchis et démesurés à une Union européenne (UE) aveuglément mondialiste et de plus en plus inféodée aux États-Unis. Des maux qui ont aggravé la dépendance de la France et l'impuissance de ses gouvernants jusqu'au stade où ceux-ci doivent aller quémander l'approbation de Bruxelles pour faire adopter notre budget national en France, de peur d'exposer le pays à des sanctions.

Patriote, le colonel Lardeau s'est aussi battu pour que la France conserve une Défense nationale digne de ce nom sans laquelle elle ne saurait être respectée et rester une grande puissance au niveau mondial. Son livre Horizon 2015 : la France a-t-elle encore une défense nationale , rédigé en 2000, avec la participation d'éminents spécialistes des problèmes de défense, essaie, à travers l'analyse des lois de programmation militaire jusqu'en 2015, de répondre à cette question vitale... qui s'avère plus d'actualité que jamais, alors que la France, dans l'UE, perd ses forces et, de facto, se repose davantage chaque année sur l'OTAN.

Dans les milieux gaullistes, on connaît peut-être moins François Lardeau l'ami des Africains, le sage, l'humaniste, qui, une fois « libéré de ses obligations militaires », s'est engagé dans l'assistance technique et le conseil aux dirigeants de pays d'Afrique, et en particulier en Côte d'Ivoire où, avec son épouse Gilberte, il a séjourné pendant de nombreuses années. C'est à Abidjan que le l'ai connu en 1977. Il était alors conseiller, très écouté, du directeur général des Finances, un des hommes de confiance du ministre de l'Économie, des Finances et du Plan, lui-même choisi pour ce poste clé par le président Félix Houphouët Boigny pour son intégrité et sa loyauté.

Calme, attentif, rassurant, très compétent et expérimenté, en matière de finances publiques, notamment, François était considéré comme un sage, Ivoirien de c?ur, que le ministre n'hésitait pas à consulter lorsqu'il avait besoin d'éclairages ou d'avis « autorisés » sur des questions complexes ou en vue d'arbitrages budgétaires.

De mon côté, après avoir servi pendant cinq ans auprès du directeur du Plan, j'étais depuis peu expert chargé de l'économie au cabinet du ministre. J'ai pu apprécier sur le vif les qualités de François Lardeau. À ce moment-là, la société qui l'avait détaché en Côte d'Ivoire s'est vue dans l'impossibilité d'y poursuivre ses activités d'assistance et de conseil. Libre, François Lardeau a accepté de me rejoindre au sein de la Société d'étude pour le développement économique et social (SEDES) afin de poursuivre sa mission de longue durée à Abidjan puis de nous renforcer dans ses domaines de compétence. Cela a été le point de départ d'une collaboration professionnelle qui a duré, continument puis épisodiquement, jusqu'en 1994. Puis, en 1997, il me présenta au président Jacques Dauer et parraina mon adhésion à l'Académie.

Il faut rappeler qu'à l'approche des années 1980, la Côte d'Ivoire était à un tournant. Après une période prolongée de forte croissance et de développement, sous l'égide d'un président bien inspiré, en grande partie basée sur une ambitieuse et réussie politique d'aménagement du territoire, sur la diversification de son agriculture d'exportation et sur la vigueur de l'investissement public, une autre, de vaches plus maigres, s'annonçait. Il fallait se montrer plus rigoureux dans la gestion des ressources nationales, rationnaliser les choix et mieux maitriser les dépenses publiques. François Lardeau se trouvait à un carrefour stratégique.

De retour en France François Lardeau, directeur d'étude, a enchaîné des missions de courte durée dans différents pays d'Afrique, seul ou en équipe avec d'autres experts. Dans le milieu des années 1980, il s'est ainsi investi en Guinée Conakry où notre société a conseillé et assisté plusieurs ministères dans la mise en ?uvre des réformes liées à la libéralisation et à l'ajustement structurel, dans l'évaluation des personnels et des besoins des administrations publiques, dans la reconversion d'agents de la fonction publique, dans la création de petites entreprises. Le colonel Lansana Conté, président de la Guinée a beaucoup apprécié François Lardeau. Il l'a même invité, de façon impromptue, à l'accompagner dans une tournée qu'il a faite à l'intérieur du pays. Au Niger, à la tête d'une équipe de collègues et de fonctionnaires locaux, il a sillonné le pays pour examiner comment pouvait être assuré le financement des collectivités locales. Si ma mémoire ne me trompe pas, l'une de ses dernières missions africaines, devenues plus espacées, a été « l'évaluation de l'aide française (1979-1991) aux administrations des finances et du plan » en Mauritanie, pour le compte du ministère français de la Coopération.

Une expérience riche et inoubliable de contribution à l'aide au développement de l'Afrique, qui en avait bien besoin et dont le Général de Gaulle avait dit que ce n'était pas son siècle. Une aide française et européenne qui a été lâchement réduite, sous le feu sporadique de critiques d'inefficacité, de coût élevé, de corruption de gouvernants de pays bénéficiaires, accusée d'être un adjuvant du néocolonialisme. Comme nous, François Lardeau a réprouvé un tel abandon. Aujourd'hui, après tant d'années perdues, de plus en plus nombreux sont ceux qui jugent que l'aide aux pays du Sud est indispensable... si l'on veut limiter l'immigration. Noblesse oblige !
François Lardeau ne s'est pas trouvé dépaysé lorsque la Grèce est passée entre les mains de la « troïka » formée par le FMI, l'UE et la BCE. Dans la Lettre du 18 juin de mars 2010, il avait rédigé un article intitulé : La Grèce va connaître les affres de « l'ajustement structurel ». Cet article commençait par : « Aujourd'hui, tous les Indicateurs sont au rouge... Tandis que, prix à payer pour le soutien financier accordé par ses partenaires européens et le FMI, la Grèce va connaître les affres de "l'ajustement structurel", remake du traitement infligé par le même FMI et la Banque mondiale aux États africains dans les années 80 avec les conséquences que l'on sait pour les populations dites vulnérables, la France s'interroge enfin sur le devenir de son agriculture et de son industrie... qui conditionnent son avenir tout court ».

Depuis, la « contagion » gagne du terrain, puisqu'au 8 avril 2014, le FMI, avait des accords en vigueur avec sept pays de l'UE (Albanie, Bosnie, Chypre, Grèce, Pologne, Portugal, Roumanie) pour un total de 82 milliards de dollars. C'est une façon pour l'Europe de retrouver des points communs avec ses « partenaires » d'Afrique. Etrange destin !

Dès 1977, ma femme Jacqueline et moi nous sommes liés d'amitié avec Gilberte et François Lardeau. Nous avons pu apprécier leur gentillesse, leur courtoisie et leur prévenance. Nous avons connu un couple uni que le temps semble avoir soudé, dont les propos et les attitudes étaient à l'unisson. La fidélité à sa famille, à ses amis, à ses compagnons, à ses convictions et à ses engagements était, sans conteste, l'une des grandes qualités de François. On ne peut la séparer de son intelligence et de sa hauteur de vue. Ce sont surtout ces souvenirs que nous garderons de lui.

Une anecdote, pour finir, qu'aimaient raconter les Lardeau. À Abidjan, ils habitaient un immeuble du centre-ville. Ils avaient un perroquet qui accueillait les arrivants avec un sonore « bonjour! ». Il aimait aussi lancer « Madame est servie ! ». Un jour, le perroquet se volatilisa. Inquiétudes ! Jusqu'à ce qu'on le leur rapporte, sans qu'il ait provoqué aucun incident. Ouf ! Le fugueur regagna son perchoir et se remit à proférer ses « Coquin de Président ! » favoris.

 



      Réagir à l'article :
 


04.12.2014
Free counter and web stats
HTML Web Counter