C'est un privilège douloureux qui m'échoit, au nom de l'Académie
du Gaullisme d'accompagner par la parole, notre ami, notre compagnon François Lardeau à l'heure de l'Adieu.
C'est l'hiver qui nous étreint et
nous saisit.
« Le vent me vient, le vent m'évente
», chante Rutebeuf.
Et Jules Laforgue, en écho, se
lamente.
« Oh la tombée de la pluie !
Oh la tombée de la nuit !
Oh le Vent ».
Ou encore Jean d'Ormesson qui parle
de tristesse du « Vent du soir ».
Amoureux des lettres et des
poètes, François eut goûté cette musique des mots lesquels, écrivait André
Chénier, « Comme un dernier rayon animent la fin d'un beau jour ».
François fut aux côtés de Jacques
Dauer en figurant parmi les membres actifs de l'Académie
du Gaullisme. Jacques Dauer, beaucoup ici présents l'ont
connu. Entre lui et moi ce fut une amitié de cinquante-cinq ans sinon plus. À
ces côtes François assuma une mission délicate, toute en nuances. Jacques était
un sabreur. Fait pour charger au gré de ses emportements. Paradoxalement c'était
le militaire sorti de Saint-Cyr auquel relevait la tâche parfois, souvent même,
de « regoupiller » les grenades et de discipliner (si
faire se pouvait?) les broncas et les dragonnades auxquelles se laissait aller
Jacques.
François à Saint-Cyr était de la
promotion Leclerc sortie en 1948. S'il témoignait d'un esprit nuancé, mesuré, équilibré,
la devise de Leclerc il pouvait la faire sienne : « Ne pas subir ». Le Saint-Cyrien cultivait les valeurs propres à l'école, celle
de la camaraderie, celle de la fraternité, celle de l'abnégation. Elles s'illustreront
tout au long d'une vie ou l'Indochine et l'Afrique occuperont une place
importante, essentielle.
La vie de François est si riche
que je ne puis la retracer qu'en larges traits forcément incomplets et donc
réducteurs parce qu'inachevés.
Sachez qu'en Indochine, à Hué, dans les Transmissions, François effectua les dernières
liaisons avec Diên-Biên-Phu. Lui-même (ce qui était
plus périlleux que de discipliner Jacques Dauer?) devait
faire le lien entre deux hommes qui s'appréciaient peu (et ce n'est pas peu
dire) Cogny et Navarre. Cogny,
qu'on appelait « l'homme de la rizière », qui avait pour obsession la
protection du delta et Navarre qui, rappelle Jules Roy, « à l'étonnement de
tous décida de livrer bataille à Diên-Biên-Phu ».
J'ai souvent parlé à François de
l'Indochine comme je le fis avec Schoendorfer, Jules
Roy, Hélie Denoix-de-Saint-Marc, Bigeard qui devant
moi pleura en évoquant un de ses hommes mort dans ses bras
Tous - et François parmi eux - m'ont
paru saisis du « mal jaune » dont parlait un autre de mes interlocuteurs, Jean Lartéguy.
Il y eut ensuite, plus brièvement
l'Algérie ou il « ferma », les temps étant venus, Colomb-Béchar d'où les tirs
de fusées furent transférés à Kourou.
Lorsque François quitta l'armée
avec le grade de colonel, après avoir traversé l'épreuve collective de mai 68
et celle, plus intime et si douloureuse, de la perte de deux fils dont l'un, pilote,
dans un accident d'avion au Maroc, c'est l'Afrique qui l'appela.
À titre civil désormais il
apporta à la Côte d'Ivoire son talent d'organisateur et fut un proche de
président Houphouët-Boigny. Avec lui et d'autres il écrivit de belles pages d'une
France- Afrique si décriée et reniée aujourd'hui mais qui mérite de ne pas être
rejetée sans discernement.
Avant de clore mon propos je m'en
voudrais de ne pas évoquer en quelques mots le François amoureux d'Art, d'Histoire,
de Lettres et de tout ce qui ennoblit l'Homme.
L'Art.
Collectionneur et amateur éclairé,
François recherchait les sculptures indiennes ou japonaises. Celles peut-être
qu'on trouve à Khajurâho ou sur les temples à Bénarès. Á moins qu'il s'agisse
de figurines d'ivoire, délicates, ciselées venues de Kyoto. Plus proche de nous
les formes amples et pleines de Mayol dont François connut la muse DinaVierny. Ce qui explique qu'il
était le secrétaire des amis de Mayol.
L'Histoire.
Par un de ses fils j'ai appris qu'il
admirait Charles le Téméraire le préférant à son grand adversaire Louis XI
parce que lui trouvant une vision plus généreuse du monde. Le « Bourguignon »
que je suis, allant à Bruges me recueillir sur la tombe du Téméraire, ne peut
ici que communier avec François?
Bibliophile.
François goûtait les grands
auteurs qu'il s'agisse de Shakespeare ou de Balzac dont il possédait toute l'?uvre.
Parmi les poètes il en n'était un de prédilection, Paul Éluard.
En épilogue je citerai les derniers vers de son poème le plus célèbre :
« Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté ».
N'est-ce pas animé par cette
exigence impérieuse et cet amour de ce qui apporte un sens à la vie que
François fut un gaulliste de conviction, un gaulliste de tradition.
C'est pourquoi à l'heure de l'Adieu
le poème d'Éluard résonne, cher François, cher
Compagnon, comme une sonnerie « Au champ », ultime écho d'une vie ou, comme
Leclerc, tu n'as pas subi.