HOMMAGE À FRANÇOIS LARDEAU

Val-de-Grâce, lundi 17 novembre 2014


par Luc BEYER de RYKE

C'est un privilège douloureux qui m'échoit, au nom de l'Académie du Gaullisme d'accompagner par la parole, notre ami, notre compagnon François Lardeau à l'heure de l'Adieu.

C'est l'hiver qui nous étreint et nous saisit.

« Le vent me vient, le vent m'évente », chante Rutebeuf.

Et Jules Laforgue, en écho, se lamente.

« Oh la tombée de la pluie !

Oh la tombée de la nuit !

Oh le Vent ».

Ou encore Jean d'Ormesson qui parle de tristesse du « Vent du soir ».

Amoureux des lettres et des poètes, François eut goûté cette musique des mots lesquels, écrivait André Chénier, « Comme un dernier rayon animent la fin d'un beau jour ».

François fut aux côtés de Jacques Dauer en figurant parmi les membres actifs de l'Académie du Gaullisme. Jacques Dauer, beaucoup ici présents l'ont connu. Entre lui et moi ce fut une amitié de cinquante-cinq ans sinon plus. À ces côtes François assuma une mission délicate, toute en nuances. Jacques était un sabreur. Fait pour charger au gré de ses emportements. Paradoxalement c'était le militaire sorti de Saint-Cyr auquel relevait la tâche parfois, souvent même, de « regoupiller » les grenades et de discipliner (si faire se pouvait?) les broncas et les dragonnades auxquelles se laissait aller Jacques.

François à Saint-Cyr était de la promotion Leclerc sortie en 1948. S'il témoignait d'un esprit nuancé, mesuré, équilibré, la devise de Leclerc il pouvait la faire sienne : « Ne pas subir ». Le Saint-Cyrien cultivait les valeurs propres à l'école, celle de la camaraderie, celle de la fraternité, celle de l'abnégation. Elles s'illustreront tout au long d'une vie ou l'Indochine et l'Afrique occuperont une place importante, essentielle.

La vie de François est si riche que je ne puis la retracer qu'en larges traits forcément incomplets et donc réducteurs parce qu'inachevés.

Sachez qu'en Indochine, à Hué, dans les Transmissions, François effectua les dernières liaisons avec Diên-Biên-Phu. Lui-même (ce qui était plus périlleux que de discipliner Jacques Dauer?) devait faire le lien entre deux hommes qui s'appréciaient peu (et ce n'est pas peu dire) Cogny et Navarre. Cogny, qu'on appelait « l'homme de la rizière », qui avait pour obsession la protection du delta et Navarre qui, rappelle Jules Roy, « à l'étonnement de tous décida de livrer bataille à Diên-Biên-Phu ».

J'ai souvent parlé à François de l'Indochine comme je le fis avec Schoendorfer, Jules Roy, Hélie Denoix-de-Saint-Marc, Bigeard qui devant moi pleura en évoquant un de ses hommes mort dans ses bras

Tous - et François parmi eux - m'ont paru saisis du « mal jaune » dont parlait un autre de mes interlocuteurs, Jean Lartéguy.

Il y eut ensuite, plus brièvement l'Algérie ou il « ferma », les temps étant venus, Colomb-Béchar d'où les tirs de fusées furent transférés à Kourou.

Lorsque François quitta l'armée avec le grade de colonel, après avoir traversé l'épreuve collective de mai 68 et celle, plus intime et si douloureuse, de la perte de deux fils dont l'un, pilote, dans un accident d'avion au Maroc, c'est l'Afrique qui l'appela.

À titre civil désormais il apporta à la Côte d'Ivoire son talent d'organisateur et fut un proche de président Houphouët-Boigny. Avec lui et d'autres il écrivit de belles pages d'une France- Afrique si décriée et reniée aujourd'hui mais qui mérite de ne pas être rejetée sans discernement.

Avant de clore mon propos je m'en voudrais de ne pas évoquer en quelques mots le François amoureux d'Art, d'Histoire, de Lettres et de tout ce qui ennoblit l'Homme.

L'Art.

Collectionneur et amateur éclairé, François recherchait les sculptures indiennes ou japonaises. Celles peut-être qu'on trouve à Khajurâho ou sur les temples à Bénarès. Á moins qu'il s'agisse de figurines d'ivoire, délicates, ciselées venues de Kyoto. Plus proche de nous les formes amples et pleines de Mayol dont François connut la muse Dina Vierny. Ce qui explique qu'il était le secrétaire des amis de Mayol.

L'Histoire.

Par un de ses fils j'ai appris qu'il admirait Charles le Téméraire le préférant à son grand adversaire Louis XI parce que lui trouvant une vision plus généreuse du monde. Le « Bourguignon » que je suis, allant à Bruges me recueillir sur la tombe du Téméraire, ne peut ici que communier avec François?

Bibliophile.

François goûtait les grands auteurs qu'il s'agisse de Shakespeare ou de Balzac dont il possédait toute l'?uvre. Parmi les poètes il en n'était un de prédilection, Paul Éluard. En épilogue je citerai les derniers vers de son poème le plus célèbre :

« Et par le pouvoir d'un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté ».

N'est-ce pas animé par cette exigence impérieuse et cet amour de ce qui apporte un sens à la vie que François fut un gaulliste de conviction, un gaulliste de tradition.

C'est pourquoi à l'heure de l'Adieu le poème d'Éluard résonne, cher François, cher Compagnon, comme une sonnerie « Au champ », ultime écho d'une vie ou, comme Leclerc, tu n'as pas subi.

 



      Réagir à l'article :
 


04.12.2014
Free counter and web stats
HTML Web Counter