L'ÉCOSSE BOUSCULE L'EUROPE

 

par Luc BEYER de RYKE

 

Le privilège ou l'infortune de l'âge font que les événements ou les péripéties de l'Histoire se ponctuent et se rythment de souvenirs personnels.

Ainsi en va-t-il du référendum écossais. Les coeurs français ont paru battre à l'unisson pour William Wallace, « Braveheart » qui a battu les Anglais à Stirling en 1297 et Robert Bruce qui emporta la victoire contre eux en 1314 à Bannockburn. Sans parler de Mary Stuart et de Bonny Prince Charlie…Tout un imaginaire étayé et nourri par la « Auld Alliance » entre l'Écosse et la France dont de Gaulle disait qu'elle était la plus vieille alliance du monde…

Étant Belge, en cela, ma sensibilité diffère. Aussi francophile que je sois, je n'oublie pas ce que nous devons à l'Angleterre lorsque, seule, en 1940, elle faisait face au Reich, lui tenait tête sous les bombes qui écrasaient Londres. Enfant j'écoutais la BBC, ses messages personnels annoncés pas les accords du « Rule Britania ». Des Belges durant la bataille d'Angleterre pilotaient des Spitfire dans la RAF. Un ami de mes parents, le colonel Blondeel, formait en Angleterre la première unité de parachutistes. Un autre, très proche, médecin des paras durant la campagne de Hollande, avait rejoint Gibraltar à la nage évadé du camp de Miranda. Nous le revîmes à la Libération après que ma ville, Gand, fut libérée par le « Queen's Own REgiment ». Et l'Écosse ? La voilà. Sous les traits et la gentillesse d'un major de l'Intelligence Corps du clan des Macmillan.

Notre amitié, celle de mes parents, la mienne ensuite, avec lui et les siens fut durable. Le premier voyage, hors des frontières ou la guerre nous avait assigné à résidence, fut pour rendre visite aux Macmillan près d'Edimbourg. Voyage que je n'oublierai pas car si l'Écosse était encore bien arrimée à l'Angleterre, celle-ci au moment ou nous y étions perdit les Indes… Chaque année nous échangions nos voeux, des calendriers illustrés du chardon et des lacs écossais. Puis vit le jour où je retrouvai Gig Macmillan.

Winnie Ewing, Madame Écosse (1)…

Le Journal Télévisé m'avait envoyé dans les années soixante-dix au pays de Galle et en Écosse pour faire un reportage sur la « Devolution » et les aspirations autonomistes voire séparatistes des deux régions. Le Premier ministre conservateur, Sir Alec Douglas Home, me reçu. Quatorzième comte Home, renonçant à son titre héréditaire à la Chambre des Lords, il s'était fait élire à Kinross dans le comté de Perth. Pour lui « La jolie fille de Perth » ne pouvait trouver le bonheur que dans les bras de l'Angleterre. Faut-il dire que Gig Macmillan, aussi amoureux de son Écosse natale qu'il fut, ne reniait pas son passé dans les Services de renseignement et la Grande- Bretagne. Bien différente était l'égérie du SNP (Scottish National Party) Winnie Ewing que je retrouvai au Parlement européen lorsqu'elle et moi y siégeâmes. Elle dans le groupe gaulliste, fidèle en cela à l'antique « Auld Alliance ». À l'époque où je la vis pour la première fois nous nous trouvions devant Wesminster sous les voûtes desquelles elle faisait retentir les accents de sa passion. Elle me parlait de l'Angleterre à peu près comme le vieux Caton lorsqu'il proférait l'adage devenu célèbre « Carthago delenda est ». Londres à ses yeux était Carthage. Au fil des ans les liens se distendirent et l'Écosse enivrée par l'odeur de son pétrole songea de plus en plus à larguer les amarres. L'autonomie graduelle et sans cesse accrue qui lui était allouée ne la satisfaisait plus.

Pourtant, comme l'écrit une analyste avertie Edwige Camp-Piétrain dans une étude très informée, « Les Écossais constituent une population plus patriote que nationaliste ». Aussi forts soient les griefs et les tentations indépendantiste de beaucoup, un aussi long passé vécu avec l'Angleterre demeure présent. Ce sont les « Scots Guards » qui veillent sur la reine à Buckingham et l'on n'a pas oublié les bigpipes lorsque les Écossais, sous la mitraille, d'un pas égal, affrontaient l'Afrika Korps à El Alamein. Même si l'Écosse se veut plus sociale qu'une Angleterre torry et plus européenne, même si elle veut s'emparer de son destin et se comporter comme le font les pays nordiques, les sentiments demeurent. Londres a tremblé. Mais à l'encontre de Madrid qui dresse des chicanes et des obstacles juridiques contre les Catalans, Londres a joué le jeu avec l'Écosse. Est-ce dire que les unionistes ont gagné ? Ils l'ont emporté mais les nationalistes n'ont pas capitulé en rase la campagne. Ils étaient 30 % au moment où le bras de fer s'est engagé. Lorsqu'ils on amené le pavillon ils se sont retrouvés - à peu de choses près - à 45 %.

Une balkanisation de l'Europe ?

L'Écosse a fait trembler l'Europe. Et pourtant bien des choses pourraient être dites, bien des contradictions relevées. À Bruxelles, dans les couloirs de la Commission, les indépendantistes de diverses obédiences et nationalités ont souvent trouvé - et trouvent encore - une oreille compréhensive. J'ai en ma possession des cartes que certains répandent ou les États ont disparus pour faire place aux régions. Il y a peu j'ai participé à un colloque où, à la Maison de l'Europe à Paris, les intervenants évoquaient « L'Europe à l'épreuve de ses indépendances ». L'un d'entre eux contrecarrant ses compagnons de tribune, Thierry Garcin, relevait qu'après l'effondrement de l'Union soviétique l'Europe comptait vingt-quatre nouveaux États. Le Kosovo et son indépendance autoproclamée constitue, à ses yeux, la première pièce du puzzle européen. Il rappelait le mot assassin de Jean- Pierre Chevènement « Le mur de Berlin ? Un mort : Jacques Delors ».

Et si à juste titre, François Hollande peut s'attribuer l'appellation décernée lors de son second mandat à Jacques Chirac « le Résident de la République », il faut au moins lui reconnaître la valeur d'un diagnostic. C'est lorsqu'il s'inquiéta, dans sa dernière conférence de presse, de ce qu'il appela « une dislocation de l'Europe ».

Aussi nostalgique put-on être de la « Auld Alliance », aussi enthousiasmé qu'on puisse être pour les « Braveheart » écossais, nous ne devrions pas l'oublier. ¾

(1) Edwige Camp-Piétrain, L'Écosse et la tentation de l'indépendance, éditions Septentrion, 216 p., 16 €.

 

 



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08.10.2014
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