Au Proche-Orient les adeptes de
« la ligne claire » chère à Hergé ne font pas d'émules.
Radicalisation, surenchère, fanatisme, barbarie même avec la décapitation du
journaliste américain James Foley, tous les termes,
tous les superlatifs du catastrophisme peuvent s'aligner pour décrire l'état de
la région.
Efforçons nous d'en esquisser l'inventaire.
Israël et le Hamas. Le bras
de fer
Commençons par Israël. On assiste à une
recomposition de la société qui entraîne l'État à une fuite en avant. Deux
pôles urbains traduisent la division, voire la fracture, non proclamée d'Israël
: Jérusalem et Tel-Aviv.
Les « hommes en noir », les juifs orthodoxes
investissent Jérusalem, le parti du Premier ministre, le Likoud, les partis et
associations de colons et… l'armée.
En une seule année 8.700 juifs laïcs ont quitté Jérusalem.
Face à elle Tel-Aviv constitue le pôle d'une société laïque et d'un sionisme
non religieux.
Lorsque l'on se trouve menacé par un ennemi commun la
résistance qu'on lui oppose est le meilleur ciment. Les roquettes du Hamas,
l'aéroport Ben-
Gourion devenu leur cible,
certaines tombant sur Tel Aviv et Jérusalem font
oublier les fractures théologiques.
Qui se souvient de l'époque lointaine ou Israël, sans
avoir créé le Hamas, le favorisait financièrement dans l'espoir de casser
l'OLP.
D'où la fureur de Netanyahou
devant le nouveau gouvernement palestinien scellant une « réconciliation »
fragile entre fonctions rivales.
Après avoir ravagé Gaza, Tsahal
en est sorti. Avec un bilan pour le moins contrasté.
Israël a porté au Hamas des coups
sévères mais à quel prix ? D'abord celui de la vie de ses soldats. Sur les 69
tués Israéliens il y a 64 soldats. Jamais Tsahal
n'avait perdu autant d'hommes. Les roquettes du Hamas, les arsenaux détruits ou
démantelés ont surpris les Israéliens par leur importance. Encore n'ont-ils pas
tous été réduits à néant. Le Hamas continue à disposer d'une force de frappe.
Le conflit a montré que certains tunnels débouchaient en Israël et pouvaient
ainsi livrer passage à des commandos susceptibles d'agir sur le sol israélien.
D'où cette interrogation un peu perfide mais justifiée : « Le Mossad est-il
toujours le meilleur service de renseignements au monde comme on tente de
l'accréditer » ?
Autre constat ; la valeur des coups portés au Hamas. Ses
chefs, ses troupes ont subi des pertes non négligeables. Mais bien moins
importantes que les populations civiles. On évolue à 2.000 le nombre des morts
et parmi eux 500 enfants ou presque. L'image d'Israël en est durablement
ternie. Au point, qu'avec sans doute quelques excès, Sébastien Boussois, un chercheur
français associé à l'université Libre de Bruxelles, a inventé le terme de « jeunocide ». Ce qui lui a valu les foudres de
ses collègues israéliens.
Kriegspiel proche-oriental
De l'embrasement de Gaza et des suites provoquées ressort
une donnée majeure. Le conflit israélo-palestinien est l'épicentre d'une
déflagration qui fait exploser tout le Proche-Orient.
Nous assistons à un Kriegspiel
dont l'enjeu n'est autre que le leadership de la région. Si
l'opposition entre sunnisme et chiisme se perpétue, elle ne suffit plus à
résumer les conflits. Le champ sunnite est lui-même divisé.
Ainsi le Qatar aux côtés du Hamas et dressé contre
l'Arabie Saoudite.
L'Égypte avec le général Al Sissi
a effectué son grand retour. Le régime Morsi, celui
des frères musulmans auxquels appartient le Hamas, a été abattu. La répression
est terrible.
Avec l'accord d'Israël on a vu des hélicoptères égyptiens
intervenir avant le déclenchement de l'opération de Gaza contre le Hamas.
L'Égypte, ensuite, a participé à la négociation.
Un autre grand pays s'affirme ses prétentions. C'est la Turquie.
Les excellentes relations avec Israël, même sous le régime islamique de l'AKP, appartiennent au passé.
Mais la Turquie, dans sa volonté de ressusciter
l'influence ottomane, s'expose à l'imbroglio de la situation. Erdogan s'est joint aux adversaires de Bachar
el Assad en Syrie. Des adversaires majoritairement
islamistes et, en prime, combattant également les Kurdes, cauchemar des Turcs.
Jusqu'ici tout est donc pour le mieux… ou le serait. Si ce
n'est l'irruption en Irak (et en Syrie) du nouvel État Islamique là aussi
combattu par les Kurdes et les rares cohortes d'une armée irakienne en déliquescence.
Or ne voilà-t-il pas qu'à Mossoul, ce même État Islamique détient en otage 49
diplomates Turcs.
Devant cet état de fait Ankara ne sait pas trop sur quel
pied danser. Quant aux Kurdes ils ont toujours été divisés. J'ai connu
leurs chefs Talabani et Barzani.
Lorsqu'il il y a bien des années je fus au Kurdistan
irakien lors de la guerre du Golfe, les deux se disputaient le pouvoir mais
tous deux ne voulaient pas entendre parler du PKK d'Ocalan
qui, militairement, menaient la vie dure à l'armée turque. Depuis, Talabani,
devenu président d'un état irakien en lambeaux, agonise. Barzani se trouve être
le seul et fragile rempart contre la montée de l'État Islamique. Et le voici
rejoint par le PKK, dont le chef Ocalan est toujours
détenu en Turquie. Laurent Fabius, au nom de la France, leur a promis des
armes.
Demeure un acteur majeur qui, pour l'instant, se montre
discret : l'Iran. Initialement proche du Hamas palestinien qu'il
alimentait en armes, l'Iran s'en est éloigné pour s'en rapprocher à nouveau.
Jusqu'à quand ?
Le « plan Yinon »
Pour conclure revenons à Israël. Il y a quelques
années je fus reçu en tête à tête par Eyut Olmert. Il était alors maire de Jérusalem avant de devenir
Premier ministre entraîné ensuite dans des affaires de corruption qui
provoquèrent sa chute. Je garde en mémoire ses propos. Il ne faut pas, me
dit-il en substance, favoriser la création d'un État palestinien. Tout au
contraire nous devons contribuer à la formation de petites entités
territoriales placées sous l'autorité de cheiks locaux avec lesquels il nous
sera aisé de négocier et de composer. Les vues exprimées par Eyut Olmert s'inscrivaient en
droite ligne dans la filiation dune théorie dite « plan Yinon
» du nom d'un haut fonctionnaire des Affaires étrangères dans les années
80. Plan jamais perdu de vue et, semble-t-il, remis en honneur par l'équipe
gouvernementale ai pouvoir. Il s'agirait d'assurer la survie d'Israël par
l'éclatement en petites entités ethniques et religieuses des grands états tels
la Syrie, la Lybie, l'Irak et L'Iran.
Aux États-Unis Brezinski, l'ancien secrétaire d'État de Carter, en serait
un adepte. En un mot comme en cent, il s'agirait de pratiquer et d'organiser
une devise vieille comme le monde, « Divide
ut impere, diviser pour régner ». Il n'est pas
évident qu'elle ait toujours apporté les meilleurs résultats et moins encore
assuré la paix.
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02.09.2014