PROCHE-ORIENT, L'EMBRASEMENT

par Luc BEYER de RYKE


Au Proche-Orient les adeptes de « la ligne claire » chère à Hergé ne font pas d'émules. Radicalisation, surenchère, fanatisme, barbarie même avec la décapitation du journaliste américain James Foley, tous les termes, tous les superlatifs du catastrophisme peuvent s'aligner pour décrire l'état de la région.

Efforçons nous d'en esquisser l'inventaire.

Israël et le Hamas. Le bras de fer

Commençons par Israël. On assiste à une recomposition de la société qui entraîne l'État à une fuite en avant. Deux pôles urbains traduisent la division, voire la fracture, non proclamée d'Israël : Jérusalem et Tel-Aviv.

Les « hommes en noir », les juifs orthodoxes investissent Jérusalem, le parti du Premier ministre, le Likoud, les partis et associations de colons et… l'armée.

En une seule année 8.700 juifs laïcs ont quitté Jérusalem. Face à elle Tel-Aviv constitue le pôle d'une société laïque et d'un sionisme non religieux.

Lorsque l'on se trouve menacé par un ennemi commun la résistance qu'on lui oppose est le meilleur ciment. Les roquettes du Hamas, l'aéroport Ben-

Gourion devenu leur cible, certaines tombant sur Tel Aviv et Jérusalem font oublier les fractures théologiques.

Qui se souvient de l'époque lointaine ou Israël, sans avoir créé le Hamas, le favorisait financièrement dans l'espoir de casser l'OLP.

D'où la fureur de Netanyahou devant le nouveau gouvernement palestinien scellant une « réconciliation » fragile entre fonctions rivales.

Après avoir ravagé Gaza, Tsahal en est sorti. Avec un bilan pour le moins contrasté.

Israël a porté au Hamas des coups sévères mais à quel prix ? D'abord celui de la vie de ses soldats. Sur les 69 tués Israéliens il y a 64 soldats. Jamais Tsahal n'avait perdu autant d'hommes. Les roquettes du Hamas, les arsenaux détruits ou démantelés ont surpris les Israéliens par leur importance. Encore n'ont-ils pas tous été réduits à néant. Le Hamas continue à disposer d'une force de frappe. Le conflit a montré que certains tunnels débouchaient en Israël et pouvaient ainsi livrer passage à des commandos susceptibles d'agir sur le sol israélien. D'où cette interrogation un peu perfide mais justifiée : « Le Mossad est-il toujours le meilleur service de renseignements au monde comme on tente de l'accréditer » ?


Autre constat ; la valeur des coups portés au Hamas. Ses chefs, ses troupes ont subi des pertes non négligeables. Mais bien moins importantes que les populations civiles. On évolue à 2.000 le nombre des morts et parmi eux 500 enfants ou presque. L'image d'Israël en est durablement ternie. Au point, qu'avec sans doute quelques excès, Sébastien Boussois, un chercheur français associé à l'université Libre de Bruxelles, a inventé le terme de « jeunocide ». Ce qui lui a valu les foudres de ses collègues israéliens.

Kriegspiel proche-oriental

De l'embrasement de Gaza et des suites provoquées ressort une donnée majeure. Le conflit israélo-palestinien est l'épicentre d'une déflagration qui fait exploser tout le Proche-Orient.

Nous assistons à un Kriegspiel dont l'enjeu n'est autre que le leadership de la région. Si l'opposition entre sunnisme et chiisme se perpétue, elle ne suffit plus à résumer les conflits. Le champ sunnite est lui-même divisé.

Ainsi le Qatar aux côtés du Hamas et dressé contre l'Arabie Saoudite.

L'Égypte avec le général Al Sissi a effectué son grand retour. Le régime Morsi, celui des frères musulmans auxquels appartient le Hamas, a été abattu. La répression est terrible.

Avec l'accord d'Israël on a vu des hélicoptères égyptiens intervenir avant le déclenchement de l'opération de Gaza contre le Hamas. L'Égypte, ensuite, a participé à la négociation.

Un autre grand pays s'affirme ses prétentions. C'est la Turquie. Les excellentes relations avec Israël, même sous le régime islamique de l'AKP, appartiennent au passé.

Mais la Turquie, dans sa volonté de ressusciter l'influence ottomane, s'expose à l'imbroglio de la situation. Erdogan s'est joint aux adversaires de Bachar el Assad en Syrie. Des adversaires majoritairement islamistes et, en prime, combattant également les Kurdes, cauchemar des Turcs.

Jusqu'ici tout est donc pour le mieux… ou le serait. Si ce n'est l'irruption en Irak (et en Syrie) du nouvel État Islamique là aussi combattu par les Kurdes et les rares cohortes d'une armée irakienne en déliquescence. Or ne voilà-t-il pas qu'à Mossoul, ce même État Islamique détient en otage 49 diplomates Turcs.

Devant cet état de fait Ankara ne sait pas trop sur quel pied danser. Quant aux Kurdes ils ont toujours été divisés. J'ai connu leurs chefs Talabani et Barzani.

Lorsqu'il il y a bien des années je fus au Kurdistan irakien lors de la guerre du Golfe, les deux se disputaient le pouvoir mais tous deux ne voulaient pas entendre parler du PKK d'Ocalan qui, militairement, menaient la vie dure à l'armée turque. Depuis, Talabani, devenu président d'un état irakien en lambeaux, agonise. Barzani se trouve être le seul et fragile rempart contre la montée de l'État Islamique. Et le voici rejoint par le PKK, dont le chef Ocalan est toujours détenu en Turquie. Laurent Fabius, au nom de la France, leur a promis des armes.

Demeure un acteur majeur qui, pour l'instant, se montre discret : l'Iran. Initialement proche du Hamas palestinien qu'il alimentait en armes, l'Iran s'en est éloigné pour s'en rapprocher à nouveau. Jusqu'à quand ?

Le « plan Yinon »

Pour conclure revenons à Israël. Il y a quelques années je fus reçu en tête à tête par Eyut Olmert. Il était alors maire de Jérusalem avant de devenir Premier ministre entraîné ensuite dans des affaires de corruption qui provoquèrent sa chute. Je garde en mémoire ses propos. Il ne faut pas, me dit-il en substance, favoriser la création d'un État palestinien. Tout au contraire nous devons contribuer à la formation de petites entités territoriales placées sous l'autorité de cheiks locaux avec lesquels il nous sera aisé de négocier et de composer. Les vues exprimées par Eyut Olmert s'inscrivaient en droite ligne dans la filiation dune théorie dite « plan Yinon » du nom d'un haut fonctionnaire des Affaires étrangères dans les années 80. Plan jamais perdu de vue et, semble-t-il, remis en honneur par l'équipe gouvernementale ai pouvoir. Il s'agirait d'assurer la survie d'Israël par l'éclatement en petites entités ethniques et religieuses des grands états tels la Syrie, la Lybie, l'Irak et L'Iran.

Aux États-Unis Brezinski, l'ancien secrétaire d'État de Carter, en serait un adepte. En un mot comme en cent, il s'agirait de pratiquer et d'organiser une devise vieille comme le monde, « Divide ut impere, diviser pour régner ». Il n'est pas évident qu'elle ait toujours apporté les meilleurs résultats et moins encore assuré la paix.

 



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02.09.2014
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