CAMOUFLET HISTORIQUE

POUR L'UNION EUROPEENNE ET SES TENANCIERS

 

par Paul KLOOBOUKOFF

 

Un manque avéré d'arguments en faveur de l'UE.

L'Union européenne (UE), « première puissance économique mondiale », est la grande malade de ce début de siècle, minée par la stagnation et le chômage, par l'absence d'espoir pour de nombreuses personnes et leur sentiment d'insécurité, de précarité face à la mondialisation, dont « l'Europe » ne les protège pas, mais les y expose davantage, au contraire. Sur les plans économique et social, le slogan « l'Union fait la force » a fait long feu.

L'UE n'est pas, non plus, une garante de la paix. Depuis longtemps, elle doit compter sur l'OTAN. Et le poil se hérisse lorsque l'on entend, à l'occasion des cérémonies de commémorations de 6 juin 1944, psalmodier que « grâce à l'Europe, nous avons connu soixante-dix ans de paix pour la première fois dans l'histoire ». L'Allemagne a été « désarmée » et a été, de fait, coupée en deux parties séparées par le « rideau de fer » en 1945, l'Est étant sous tutelle soviétique et l'Ouest placé sous contrôle des Alliés, avec des forces d'occupation. En 1949 et en 1950, deux Allemagnes ont été créées, la RFA et la RDA. Avec la guerre froide, le mur de Berlin a été construit en 1961. Cette guerre a duré jusqu'en 1990. L'Allemagne n'a été réunifiée que le 3 octobre 1990, un an après a chute du « mur de la honte ». Des troupes alliées sont ensuite restées en Allemagne jusqu'en 1994, pour faire face à d'éventuels dangers venant de l'Est. En 1990, le président François Mitterrand avait annoncé le retrait progressif de quarante-six mille soldats français.

Quant aux Européens qui vivaient de l'autre côté du rideau de fer, ils ne sont devenus réellement indépendants qu'après 1990. Et le pacte de Varsovie, alliance militaire entre l'URSS et huit pays, signé en 1955, il a été dissous le 1er juillet 1991. L'OTAN, elle, demeure et s'étend. Il est donc urgent d'arrêter de réécrire et de raconter n'importe quelle Histoire.

Et les « patrons » de l'UE n'ont pas trouvé d'arguments frappants de substitution. Ils ont voulu effacer les nations, « fédéraliser », « intégrer ». Ils ont fait transférer une grande partie des pouvoirs des États à une entité sans âme, sans racines, qui n'a rien d'une patrie, et ressemble à une société multinationale boulimique dont l'ambition première est de grossir toujours plus.

Imaginons ce que sera l'UE quand elle aura absorbé tous les pays des Balkans, l'Ukraine, les pays du Caucase ainsi que la Turquie, et fera, en outre, partie d'une vaste « zone de libre-échange, d'investissement et de partenariat » avec l'Amérique du Nord et une foultitude d'états avec lesquels elle négocie en ce moment (dans notre dos). Car les intentions des tenanciers n'ont pas changé, malgré les résultats des élections. Bientôt, l'UE ne pourra plus être qu'une zone de libre-échange mondialiste. C'était, souvenons-nous, ce que proposaient déjà (en modèle plus réduit) des états libre-échangistes (Royaume-Uni, Suède, Finlande...) qui n'avaient pas voulu faire partie des fondateurs de la Communauté européenne. Et, parmi les tenanciers, il y aura des attardés, qui voudront encore fédéraliser cette « Europe » et la caporaliser en imposant des politiques uniques et les mêmes règles à tous.

Abstention record et montée de l'euroscepticisme : un désaveu cinglant

Montrant la désaffection croissant pour « l’Europe », l'abstention n'a cessé de progresser pendant trente ans, montant de 39 % en 1979 jusqu'à 57 % en 2009 et en 2014. Aux côtés de la Belgique, du Luxembourg, où le vote est obligatoire, et Malte, les « bons élèves » sont plutôt rares. Le taux de participation a dépassé 50 % seulement en Italie (60 %, 7,5 millions de votants de plus qu'en France), en Grèce (58,2 %) et au Danemark (56,4 %), votes des « protestataires » compris. Parmi les plus mauvais élèves de la vieille Europe, il faut citer le Portugal (34,5 %), le Royaume-Uni (36 %) et les Pays-Bas (37 %).

Catastrophique en Europe de l'Est, la participation ne dépasse 37 % qu'en Lituanie (44,9 %). Elle n'est que de 25,1 % en Croatie, 22,7 % en Pologne, 21 % en Slovénie, 19,5 % en République Tchèque... et 13 % en Slovaquie. Les élargissements précipités n'ont pas éveillé de « sentiment européen » à l'Est. L'UE y reste une étrangère. La plupart des pays se sont jetés dans ses bras ouverts d'abord pour se placer sous la protection de l'OTAN. Ils ont peut-être espéré obtenir davantage d'aides au développement de la part des pays « riches » de l'Ouest. Leurs peuples ne soupçonnaient sans doute pas que l'adhésion ouvrirait plus grandes les portes à une colonisation économique à la recherche de marchés, de travailleurs « bon marché », et précipiterait l'exil de leurs forces vives vers des cieux plus prometteurs. Pouvaient-ils prévoir qu'ils seraient dépossédés de leurs souverainetés et poussés à oublier leurs identités. Sans avoir, comme à l'Ouest, des décennies pour se préparer à digérer de tels changements ?

Pour apprécier la perception de l'UE, l'abstention est un indicateur significatif du manque d'intérêt et/ou de motivation, d'indifférence, de passivité de scepticisme, de contrariété... Il faut aussi compter les votes en faveur de candidats des partis « critiques » et/ou eurosceptiques, couramment qualifiés, avec bienveillance, de nationalistes, de populistes, d'europhobes, de xénophobes, de racistes, d'antisémites, d'extrémistes, de fascistes... bref, « d'anti européens », qui veulent « détruire l'Europe ». Cette diabolisation par les médias et les partisans bien-pensants ne « paie » plus. Elle a cependant explosé à l'annonce des résultats des scrutins. Wolfgang Schäuble, ministre allemand de l'Économie, grand chef de soixante et onze ans du groupe CDU de Mme Merkel, a traité le Front National (FN) de « parti fasciste ». « En connaisseur, sans doute », a-t-on répliqué.

Le succès spectaculaire du FN aux élections du Parlement européen (PE) n'est pas isolé. Les partis « populistes » ont réalisé des scores remarqués dans de nombreux pays: 27,5 % des votes au Royaume-Uni, 26 % au Danemark, 25 % en France, 21 % en Italie, 19,5 % en Autriche, 16,5 % en Belgique, 14,7 % en Hongrie, 13,3 % aux Pays-Bas, 12,9 % en Finlande, 9,7 % en Suède, 9,4 % en Grèce, 7 % en Allemagne, 7,1 % en Pologne. La source principale ici, fr.myeurop.info, ne fournit pas de chiffres pour l'Espagne, le Portugal et les autres pays de l'Est.

Le manque d'attractivité de l'UE en Europe de l'Ouest se lit aussi dans le refus du Royaume-Uni, de la Suède et du Danemark de renoncer à leurs monnaies et d'adopter l'euro, ainsi qu'à celui de la Norvège et de la Suisse d'adhérer à l'Union. Ces pays n'en sont pas pour autant repliés sur eux-mêmes, et ne se portent pas si mal, finalement. La Suède et le Danemark sont mêmes présentés comme des modèles. Quant au Royaume-Uni, un référendum pourrait prochainement décider de son maintien ou de sa sortie de l'UE. Dans ce dernier cas, le « séisme » ébranlera aussi le continent.

À propos des 26,8 millions d'abstentions et des 4,7 millions de votes « populistes », Michel Mattéoli, professeur à la Sorbonne a parlé d'une « rupture profonde entre l'intelligentsia médiatico-politique et le peuple », et critiqué la construction d'une « Europe purement institutionnelle au détriment d'un sentiment européen ». D'accord ! L'acquis communautaire en est d'autant plus restreint, contestable et fragile.

De son côté, l'ex ministre Hubert Védrine a observé le 26 mai : « Le premier parti d'Europe, c'est les eurosceptiques » C'est devenu évident !

Les groupes dominants « pro-européens » perdent du terrain au PE

Les projecteurs médiatiques sont braqués sur la victoire sans précédent des partis populistes, grand danger pour « l'Europe ». Cette surexposition aveu-glante vise aussi à dissimuler les échecs subis par les partis « euro-positifs » qui font la loi au PE et, bien au-delà, dans l'orientation de l'UE. Sur le site de la Fondation Schuman, on peut même lire : « les forces européennes sortent victorieuses des élections européennes marquées par une montée populiste dans plusieurs états membres » Jugez-en. Le « grand vainqueur », avec 214 sièges, le Parti Populaire Européen PPE (droite et/ou démocrates-chrétiens) perd 60 sièges. Classés seconds avec 191 sièges, les Socialistes du S&D perdent 5 sièges (seulement). Les démocrates et libéraux (ADLE) perdent 19 sièges, n'en gardant que 64. Les Verts/ALE perdent 5 sièges et en conservent 52. Au total, ces quatre partis perdent 89 sièges. Leur représentation passe de 610 (soit 79,6 % des 766 sièges du PE précédent) à 521, soit 69,4 % des 751 sièges de la nouvelle Assemblée. Ils restent donc dominants au PE, mais un peu moins. Et parler de victoire paraît bien excessif.

Fort de ces résultats, le candidat du PPE à la présidence de la Commission européenne Jean-Claude-Junker a aussitôt revendiqué le poste convoité... avec l'appui, d'abord hésitant, d'Angela Merkel. Car trois des groupes dominants au PE s'étaient entendus pour confier la présidence de la Commission à la tête de liste du groupe qui obtiendrait le plus de voix aux élections européennes.

Mais, l'article 17 du traité de Lisbonne stipule que les chefs d'État et de gouvernement devront « tenir compte » du résultat des élections et « mener des consultations appropriées » avant de désigner le président de la Commission (cf. lefigaro.fr/elections/ européennes-2014/05/14). Le choix du candidat par le Conseil doit ensuite être soumis pour approbation au Parlement européen. Ce ne sont donc pas les députés européens qui « élisent » le président de la Commission, comme l'ont propagé des médias et des partis peu scrupuleux. « C'est un pas vers plus de démocratie au sein de l'UE », n'ont pas hésité à se réjouir des « analystes » politiques... compréhensifs.

Les jeux ne sont pas encore faits. Le choix de Junker, jugé trop européen (fichtre!) et homme du passé par des dirigeants conservateurs, soulève aussi des oppositions et des réticences venant des Pays-Bas, de la Suède, de la Finlande et, plus encore, du Royaume-Uni. Son Premier ministre, David Cameron, a menacé de sortir de l'UE en cas d'élection de Junker à la présidence de la Commission.

Les partis « eurocritiques », eurosceptiques, « euronégatifs » se renforcent

Parmi eux, seuls les Conservateurs et Réformistes européens de l'ECR reculent en perdant 11 sièges. Sur 46 de leurs élus, 19 sont du Royaume-Uni et 19 de Pologne. Au contraire, la Gauche unitaire européenne/ Gauche verts nordique - GUE/NGL gagne 10 sièges et en obtient 45, dont: 8 en Grèce, 7 en Allemagne, 5 en Espagne et 4 au Portugal. Le Groupe Europe Libertés Démocratie - EFD obtient 41 sièges, contre 33 précédemment. Le gros des forces provient du Royaume-Uni, avec l'UKIP, 33 sièges, d'Italie, 5, et du Danemark, 4. Les députés non-inscrits - membres apparentés à aucun groupe politique - NI étaient 33. Avec les autres (nouveaux élus n'appartenant à aucun groupe du Parlement sortant), ils sont maintenant 98.

Au total, ces opposants potentiels sont 230, avec un gain de 74 sièges. Ils détiennent ainsi 30,6 % des sièges de la nouvelle Assemblée. Le nombre de députés de partis « populistes », « europhobes » serait de plus de 140 (dont 38 extrémistes de droite ou de gauche). Où sont alors comptés les autres 90 députés eurocritiques ?

Les « euro-conservateurs » soutiennent que les élections ne changeront rien au Parlement, car les décisions se préparent au sein de Commissions, que les partis dominants « contrôlent », dont ils se partagent les présidences, les postes clés, dont ils barreront les accès aux eurosceptiques. Pas très démocratique? C'est cela aussi l'UE.

Le verrouillage de l'UE la rend irréformable de l'intérieur

Nous venons de voir un double verrouillage institutionnel. Il permet de conserver la nomination du président de la Commission aux mains du Conseil des chefs d'État et de Gouvernement avec la connivence des partis dominants (ou partis de gouvernement) en donnant aux euro-gogos l'illusion d'un renforcement significatif du pouvoir de décision du PE et de la démocratie.

D'autre part, les conditions posées pour la constitution des groupes parlementaires (au moins 25 élus dans au moins sept pays) ne sont pas inno-cemment aussi restrictives et/ou sélectives.

La formation et l'animation des Commissions parlementaires ne sont, en outre, visiblement, pas conçues et pratiquées de telle sorte que les opinions critiques (pas forcément stupides) puissent s'exprimer et être entendues.

Il faut aussi souligner le pouvoir décisionnel du Conseil des chefs d'État et de Gouvernement. Avant comme après l'accord de Lisbonne, tout passe par lui. La Commission, cheville ouvrière de l'exécutif, est sous le feu des accusations (justifiées) d'omnipotence principalement parce que le Conseil lui laisse trop l'initiative et le pouvoir de préparer, de décider et d'agir sans contrôle. La Commission sert ainsi de paravent à nos gouvernants. Parmi les exemples récents de ces dérives d'autorité « autocratique » figurent les négociations en secret de traités déterminants de libre-échange. Après les élections, le Dracula Transatlantique (TIPP) devra peut-être se montrer avant qu'il soit trop tard... pour être discuté, amendé si besoin. Presque tous les autres de ces traités resteront inconnus des peuples d'Europe. Pourtant, les chefs d'État donnent les « autorisations » initiales à la Commission, et nos députés européens ne peuvent pas ignorer tout ce qui se trame (sans y mettre de la bonne volonté). Les médias non plus. « Motus et bouche cousue » : une autre façon de verrouiller les oppositions éventuelles.

Les États de l'UE se sont trop laissés emprisonner, paralyser par les traités

L'immigration, problème majeur dans nombre de pays de l'UE, nourrit l'exaspération et fait monter des populismes « nationalistes », « xénophobes » et « racistes ». Quel chef d'État, courageux, réactionnaire ou suicidaire est monté à l'assaut de la citadelle du traité de Schengen? Elle n'a cessé d'être « élargie » et, dès 2017, elle ouvrira ses portes aux ressortissants Turcs... suite à un accord signé en 2013, à l'insu des citoyens européens, qui lui sont très majoritairement opposés. Un argument de plus pour ceux qui déplorent que cette UE soit irréformable, que ses dirigeants méprisent autant les peuples, et ne voient d'autres issues que de la quitter ou de la casser pour en construire une plus franche et démocratique.

Croissance, déficits et endettement contre assainissement, réformes structurelles et réduction des dépenses entraînant la déflation et le chômage? Face à cette question clivante, les partis de gouvernement sont désarmés. Ils sont pieds et poings liés par le pacte budgétaire européen. Celui-ci avait été concocté par le couple Merkel Sarkozy, et signé par ce dernier le 2 mars 2012. Après l'avoir dénoncé, François Hollande l'a fait ratifier le 22 octobre 2012. Il a suivi le troupeau. Sans se rebeller, comme l'ont fait les dirigeants de trois pays seulement sur les 28, le Royaume-Uni, la République tchèque et la Croatie, qui ont osé braver le courroux de Bruxelles et supporter les regards réprobateurs de certains de leurs « collègues ». Sont-ils sanctionnés ou isolés pour autant ? Non. L'UE a trop besoin de tous ses membres. Le cas grec nous l'a montré. Alors, pourquoi cette soumission servile ? Parmi les opposants les plus déterminés à la politique d'austérité « imposée par une UE dominée par la droite libérale capitaliste », se trouvent les partis populistes, nationalistes. Comme par hasard !

Les problèmes monétaires sont revenus avec insistance dans la courte campagne des élections européennes. Un abcès de fixation tenace reste le statut et la politique de la Banque centrale européenne. « indépendante », elle est toutefois soumise à l'influence de l'Allemagne et des états bien portants du Nord. Elle privilégie la prévention de l'inflation au détriment du soutien de la croissance en Europe. Elle a laissé monter l'euro à un niveau incompatible avec la compétitivité des entreprises de la zone euro. Particulièrement face au dollar et à la politique « agressive » de la Fed américaine. De telles critiques ont ainsi abondé et touché des sujets plus ou moins tabous jusque-là: dévaluer l'euro, sortir de l'euro, recréer une monnaie commune, voire, quitter l'Union... et bien sur, supprimer la BCE et rétablir l'émission monétaire au niveau des banques centrales des états.

Ces questions n'ont pas été considérées comme absurdes, sans fondements, et n'ont pu être balayées d'un revers de main. À la pointe des combats, se sont évidemment portés les partis populistes, indépendantistes, nationalistes, anti euro ou europhobes. Leurs efforts ont été électoralement payants. Cependant, malgré les résultats des scrutins, il apparaît que dans ces domaines là également, il n'est pas dans les intentions des dirigeants européens (dont nos chefs d'État) de faire étudier de façon approfondie ces questions vitales, mais contrariantes, dérangeantes. Ils attendent des scores encore plus élevés des partis eurosceptiques pour se bouger... Il est vrai que la BCE est une pierre angulaire pour les fédéralistes, influents dans les arcanes de l'UE. Un autre fondement de la « construction européenne », le non-respect de la subsidiarité, aide l'UE à s'enfoncer dans les cœurs des législations et des us des nations, que celles-ci le veuillent ou non.

Ainsi, tous les verrouillages mis en place pour emprisonner les états membres et leurs peuples, pour les condamner à suivre sans dévier le chemin décidé par la technocratie autocrate qui a annexé l'Europe, sont largement responsables du rejet massif de l'UE qui s'est manifesté. Ils font le lit des mouvements et des partis « eurosceptiques », "patriotes" qui osent remettre en cause « le système » et ses tenants.

Séisme en France : « dans le doute, abstiens-toi, sinon, vote FN » ?

En France, c'est bien le tremblement de terre annoncé. L'abstention et le FN sont les grands « gagnants ». Les gouvernants, alternatifs ou cohabitants, leurs partis et les médias « engagés » à leurs côtés sont les grands vaincus. Les européistes convaincus, grands déçus, sont invités à ouvrir les yeux.

Le taux de participation aux élections est de 43,5 %, très loin des 60,7 % de 1979. Preuve du désintérêt ou du désamour pour l'UE, moins d'un Français sur deux a daigné se déplacer pour voter. Avec 25 % des suffrages exprimés, le FN a pu déclarer qu'il est le premier parti de France.

Si on compte les 6,3 % du Front de Gauche, les 3,8 % de Debout la République, les 1 % de la Liste Ouvrière et les 0,3 % du Nouveau Parti Anticapitaliste, les partis « réfractaires » déclarés, en désaccord avec l'UE, ont recueilli 36,4 %, soit plus du tiers des voix.

L'insatisfaction et le doute envers l'UE ne se limite pas à ces cercles. Pendant la campagne, d'autres électeurs de gauche, du centre et de droite avaient pesté contre l'UE et réclamé des changements profonds. Impossible de savoir combien d'entre eux ont cependant voté, « comme d'habitude », pour des candidats UMP, PS ou EELV.

Sur les 74 députés européens français, 24 seront du FN. Nous verrons s'ils sont inutiles au PE et/ou carrément nuisibles, une honte pour la France dans l'Europe et le monde, comme l'affirment certains... ou, au contraire, avec le concours des réfractaires d'autres pays, s'ils ne vont pas réveiller un peu une Assemblée qui a tendance à ronronner docilement et à s'assoupir.

Du côté des partis de gouvernement, c'est la consternation. L'UMP n'a recueilli que 20,8 % des voix, le PS avec le PRG n'en a obtenu que 14 %, l'Alternative (MoDem-UDI), 9,9 %, et les Verts, 8,9 %.

Au Parlement européen, l'UMP et ses alliés de droite n'auront plus que 20 sièges, contre 29 jusque-là. Le PS et ses associés étaient au plus bas, avec 14 sièges depuis 2009. Ils en conservent 13. Les Verts avaient fait un score exceptionnel en 2009, emportant 14 sièges. Il ne leur en reste que 6.

Jean-Christophe Cambadélis, nouveau secrétaire général du PS, a estimé, avec élégance, que le parti avait pris « une branlée ». Alors, pourquoi ne pas dire que les Verts ont pris « une tripotée » et l'UMP « une déculottée ». Avec bruit, pour détourner l'attention de la débâcle, ces partis portent plainte contre les coupables désignés, le FN et sa patronne Marine Le Pen. Pourtant, les scores de l'abstention et du FN sont largement dus à leurs faiblesses, à leur inefficacité à juguler la crise, à relancer la croissance, à réduire le chômage et améliorer le pouvoir d'achat. Le FN, lui, n'apparaît pas impliqué dans ces échecs. Les électeurs ont déjà montré leur colère aux municipales. Le gouvernement a trouvé bon d'affirmer qu'il garderait le même cap et accélèrerait le mouvement. Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut entendre !

Aux européennes, les sanctions sont plus sévères, car l'UE, particulièrement en raison de la politique d'austérité très critiquée qu'elle « impose » au gouvernement afin de réduire les déficits et l'endettement, est jugée directement responsable (au moins en partie) des difficultés en France et indirectement, car la stagnation en Europe est également néfaste pour notre économie. Il y a eu un cumul des expressions de défiance, de mécon-tentement et de rejet venant à la fois de causes franco-françaises et de causes « européennes ». Le score « historique » du FN aux européennes est aussi dû au fait que le FN a joué sur son terrain de prédilection « euro-critique », sur lequel il s'entraîne et monte en puissance depuis des années.

On peut aussi considérer que, par la modification (« magouille » ?) du mode de scrutin, destinée à éliminer les petits partis « parasites », sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (loi électorale du 11 avril 2003 qui a décidé de l'élection des députés européens dans 8 grandes régions, séparément les unes des autres, et d'un seuil d'éligibilité de 5 % ), les partis habituellement dominants viennent de se tirer une balle dans le pied en faisant cadeau de 5 à 6 sièges du PE au FN... devenu un parti « majoritaire ». En même temps, ils ont privé Debout la République (DLR) de 3 sièges qu'un mode de scrutin loyal lui aurait accordé. Explications: 1 - Dans la plupart des états de l'UE, les sièges au PE sont attribués aux partis en fonction des pourcentages des voix qu'ils ont recueillies au niveau national (de l'ensemble du pays). 2 - Dans plus de la moitié des états, il n'y a pas de seuil d'éligibilité. Et la France est la seule en Europe de l'Ouest à avoir fixé un seuil de 5 %, maximum autorisé par l'UE.

En Allemagne, la Cour de Karlsruhe a supprimé le seuil, qui était de 3 %, pour inconstitutionnalité, au nom de l'égalité des citoyens devant le droit de vote et l'égalité des chances entre les partis. Une conception de la démocratie assez différente de celle qui sévit en France, dont devrait s'inspirer notre Conseil constitutionnel. Outre-Rhin, un parti a obtenu 3 sièges au PE avec un score au niveau national de 3,36 %, et sept partis ayant réalisé entre 0,63 % et 1,46 % ont obtenu chacun 1 siège. En France, avec les mêmes règles, DLR aurait conquis 3 des 74 sièges français au PE, le FN en aurait 18 ou 19 au lieu de 24. Pourquoi un tel silence à ce sujet ?

L'avancée du FN n'est pas « seulement un feu de paille qui s'éteindra dès que la fièvre des élections sera retombée », contrairement à ce qu'espèrent à voix haute des vaincus, vu les situations désastreuses dans lesquelles se sont mis le PS et l'UMP. Et, trop de diabolisation du FN a tué la diabolisation. Se consoler, tout en essayant de réconforter ses ouailles, en claironnant que, de toutes façons, le FN est impuissant, qu'il n'a que deux députés à l'Assemblée nationale et très peu de représentants maires et conseillers locaux, est très maladroit ! Car, précisément, au-delà des sympathisants du FN, de plus en plus de citoyens jugent que cette sous représentation est anormale, antidémocratique. Dans les rangs de presque tous les partis, des res- ponsables et des élus ont demandé des changements de modes de scrutins, et en premier lieu l'introduction de la proportionnelle dans les élections législatives. « Une dose homéopathique, peut-être », pour les dirigeants des partis de gouvernement qui, visiblement, se refusent à « légaliser » le tripartisme qui s'est affirmé sans ambigüité dans les urnes.

Essayer de se convaincre que le Président et son gouvernement sont « légitimes » jusqu'en 2017 quoi qu'il arrive n'est pas forcément propice à plus de lucidité politique. Inébranlables, tandis que le chômage reprend, que la croissance se fait attendre et que les « pactes » font plouf les uns après les autre, les chefs du PS ont décidé de ne pas perdre de temps, et de remettre sur le tapis des « réformes » conflictuelles. Ils espèrent, sans doute, les faire voter avant une plus forte désertion de députés et de sénateurs du Parti exaspérés de ne pas se faire entendre. Le projet de loi sur la famille, le projet de loi pénale Taubira et celui, trop rapidement bâclé, de la « Grande » réforme territoriale (qui annonce la conservation de 12 Régions, et aussitôt après en garde 14) en sont des exemples édifiants, à la limite des provocations. Défavorables à la nécessaire « réconciliation nationale », au « rassemblement », à la remobilisation, au recentrage sur les problèmes majeurs de la France... et de l'Europe. 

NB : Des résultats peut-être pas anodins. Le Gouverneur de la BCE, Mario Draghi a annoncé le 5 juin des mesures « inédites » destinées à pousser les banques, qui détiennent de confortables matelas de ressources inemployées déposées à la BCE, à les mobiliser pour financer l'investissement. La BCE augmente aussi considérablement les possibilités de refinancement des prêts par les banques au secteur privé. Pourrait s'ajouter un vaste programme d'achats d'actifs financiers. La copieuse augmentation des liquidités vise à relancer la croissance, à débrider l'inflation et à affaiblir l'euro. Pourquoi la BCE n'a-t-elle pas pris ces décisions avant les élections européennes ? La pression était-elle insuffisante, et fallait-il le coup de pouce du désaveu électoral de l'UE (et de la politique de la BCE) pour que l'Institution monétaire de Francfort change ainsi son fusil d'épaule ? Merci aux eurosceptiques ?

 

 




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12.06.2014
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