Compte rendu du dîner-débat du 12 février 2014 présidé par

Richard LABÉVIÈRE

 

LE RENSEIGNEMENT FRANÇAIS, NOUVEAUX ENJEUX

 

   par Christine ALFARGE

 

« L’information est essentielle à l’anticipation des décisions politiques du pays.»

Si le renseignement est discret par vocation, il n’en demeure pas moins l’appui indispensable du pouvoir politique afin de pouvoir afficher les missions prioritaires sur la sécurité du territoire national et à l’étranger. Les changements rapides du monde actuel obligent à une adaptation permanente concernant les évolutions futures. Nous sommes passés dans un autre monde, celui de l’après-guerre froide. Sans connaissance précise du monde, sans appréciation pertinente des situations, des nouveaux rapports de forces, les moyens d’actions peuvent s’avérer très aléatoires.

La France reste, comme les autre pays européens, exposée à des risques qui peuvent prendre des formes très diverses allant du terrorisme au crime organisé, en passant par des conflits locaux ou régionaux, cybermenaces, dissémination d’armes conventionnelles et prolifération d’armes de destruction massive. L’évolution des sociétés et des crises est un vrai défi pour le renseignement. Il n’y a pas d’autre choix que de tenir compte du monde tel qu’il est avec ses déséquilibres et ses mutations. L’effondrement du système financier, l’instabilité politique, la corruption et l’incivisme ont triomphé laissant apparaître dans de nombreux pays notamment en Europe, les signes d’une société tendant au déclin voir à la chute. Le renseignement français est au cœur de ces nouveaux enjeux stratégiques, de développement économique, industriel et militaire du pays et leur impact sur la société civile.

Dans ce contexte, « l’utilité du renseignement » posée par Richard Labévière est primordiale dans la mesure où doivent exister une volonté et une capacité d’établir une appréciation rigoureuse et exacte de la situation du monde actuel permettant un système de sécurité efficace.

La maîtrise de l’information apparaît également comme un enjeu stratégique au regard du savoir, de la connaissance, des échanges culturels et économiques. C’est une arme décisive dans la compétition économique ou le conflit militaire. Le partage entre ces deux mondes laisserait penser qu’ils s’opposent, s’ignorent, ou sont indépendants bien qu’ils interagissent entre eux, et doivent normalement servir une politique. Une réflexion approfondie doit être menée sur une grande stratégie française se déclinant en différents niveaux dont la partie la plus importante reste la stratégie de puissance poursuivie par l’État, qui ne se limite pas à la seule stratégie militaire. Selon des spécialistes en grande stratégie : Il faut « coordonner et diriger toutes les ressources de la nation ou d’une coalition » et « définir la mission propre et la combinaison des diverses stratégies générales, politique, économique, diplomatique et militaire ».

 

L’évolution du renseignement

Initialement, le renseignement était fondamentalement d’ordre géopolitique et militaire auquel s’ajoutait parallèlement le renseignement policier. Depuis les années 1970-1980, la finalité évolue et on est entré dans un système à quatre activités diversifiées « le renseignement policier qui se focalise de plus en plus sur la lutte anti-terroriste ; le renseignement militaire qui se caractérise par la recherche et la surveillance de la prolifération et des technologies duales ; le renseignement géopolitique et diplomatique traditionnel ; enfin le renseignement économique volet émergent qui prend une importance croissante ». Cependant, la récente fusion des services police et gendarmerie depuis le 1er janvier 2009 vers une « communauté de renseignement » sous tutelle du ministère de l’Intérieur, est plus un souhait qu’une réalité et constitue une spécificité évoluant en fonction des mutations de la société et des objectifs gouvernementaux fixés aux différents services de renseignement. Le secret et le renseignement vont de pair même si ajoute Richard Labévière : « L’information peut discréditer les services pour des raisons politiques ».

Seuls les informations ou supports qui font l’objet de mesure particulière de la part de la puissance publique peuvent être considérés comme un secret de Défense. Indispensable à l’activité de renseignement, le secret, même protégé juridiquement, demeure un instrument difficile à manipuler pour les services concernés où des abus et des dérives peuvent nuire à la légitimité même des activités de renseignement. À ce titre, il est nécessaire de redéfinir un nouveau cadre de contrôle visant à plus de transparence dans les différents domaines qui concernent la sécurité nationale.

 

L’évolution de la menace

Les risques et les menaces auxquels la France doit faire face continuent de se diversifier. Selon Richard Labévière : « Un retard a été compensé et maintenant les services ne sont pas mal positionnés. Il faut de l’ajustement permanent, des choix de financement technologiques, quel outil pour quelle pertinence pour les intérêts français ». Le Livre Blanc de défense et de sécurité nationale 2013 réaffirme notamment le rôle crucial du renseignement comme contribuant au maintien de la souveraineté et de l’indépendance de la France, constituant une capacité critique pour permettre le déploiement des forces et sa place centrale dans la fonction connaissance et anticipation. La France doit avoir une grande stratégie, en ce sens le Livre Blanc ne représente qu’une variable d’ajustement. Le fruit d’une réflexion considérant que rien n’est jamais figé dans un monde où la notion de puissance, les rapports de forces, les événements aux impacts mondiaux comme la crise économique ou les soulèvements populaires des printemps arabes, évoluent rapidement. L’instabilité s’est accrue et les menaces se sont multipliées à cause de l’interconnexion à travers des frontières devenues poreuses qui ne représentent plus de grands enjeux nationaux ou internationaux. Paradoxalement, d’autres clivages sont apparus de l’effacement des frontières, véritable défi posé par les nouvelles interdépendances de la mondialisation des échanges et des services.

 

La coopération internationale et notamment européenne ne se fera pas sans un respect de la diversité du monde du renseignement qui loin d’être uniforme présente au contraire l’aspect d’une mosaïque. Comment les services français nouent les relations internationales ? Quelles conditions sont nécessaires à l’approfondissement de la coopération entre les services de renseignement de l’Union européenne servant en particulier pour les opérations de marché ?

 

Entre histoire et évolution, le renseignement aura notamment permis à la France du Général de Gaulle et son célèbre BCRA créé par lui en juillet 1940 (Bureau central de renseignements et d’action) de combattre l’adversaire par la connaissance, l’anticipation et conduire le pays à la victoire. Dès lors, le renseignement est la preuve qu’il ne peut y avoir d’efficacité sans une grande stratégie globale, seul gage de puissance et de rayonnement à travers le monde pour une nation indépendante et souveraine.

 




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05.03.2014
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