« RÉFORME » DES RETRAITES 2013

TRÈS INSUFFISANTE POUR SAUVER LE SYSTÈME

 

 

par Paul KLOOBOUKOFF

Regarder au loin lorsqu'il s'agit de préparer des décisions concernant les systèmes de retraite, leurs équilibres, leurs pérennités et leurs impacts n'est pas déconseillé. À condition de le faire sans oeillères, d'être suffisamment complet, précis et réaliste. Et à un horizon d'une vingtaine d'années c'est une gageure. L'avenir proche, à un an, à deux ou trois est déjà peuplé d'incertitudes. Aussi, se projeter entre 2020 et 2035 ne doit pas dispenser de montrer assez clairement les mesures déterminantes du chemin qui sera emprunté et des résultats attendus d'ici 2017, terme de l'actuel mandat présidentiel. C'est ce que les Français attendent en premier lieu. D'autant plus qu'avant ce terme, ou juste après, de nouvelles réformes, des vraies, s'imposeront inévitablement.

Selon le Premier ministre (Communication en Conseil du 28 août), Jean-Marc Ayrault (JMA) : « La réforme proposée vise à équilibrer le régime général, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et les régimes non équilibrés par subvention, dont le déficit prévisionnel est de 7,6 Mds € en 2020 ». Sans mesures appropriées, s'entend.

JMA indique aussi que : « Si rien n'est fait, le déficit [global] des retraites atteindra 20,7 Mds € en 2020 et se stabilisera à 27 Mds € jusqu'en 2040 ». Que de certitudes ! Terrifiant !

Toujours est-il que la réforme proposée ne vise ni les régimes complémentaires, ni les régimes de la fonction publique, ni les régimes spéciaux... dont les « déficits 2020 » cumulés sont apparemment chiffrés à 13,1 Mds €. Pourquoi une si grosse impasse ?

Notamment pour éviter d'attirer l'attention sur l'agonie de notre sacro-saint « système de retraite par répartition ». Un système digne d'une telle appellation doit être caractérisé par le financement des prestations de retraite à l'aide des cotisations des travailleurs, futurs retraités, qui, le moment venu, bénéficieront à leur tour de cette « solidarité intergénérationnelle ».

Or, chez nous, les cotisations financent de moins en moins les pensions versées. Les « équilibres » sont de plus en plus tributaires des impôts et des subventions publiques, elles-mêmes financées par l'impôt.

Les régimes les plus voraces sont les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux... absents de la réforme 2013.

Notre système « par répartition » va à vau-l'eau. Et les mesures prévues ne vont pas changer le cours des choses. Bien au contraire. Les instigateurs de la « réforme » 2013 ne désirent pas plus évoquer l'inévitable alternative (et/ou complément) que constitue la capitalisation... alors qu'ayant perdu confiance, les ménages y recourent de façon croissante en tentant d'épargner pour les vieux jours et de se doter « d'assurances vie ».

 

Réforme 2013 : les principales mesures de la réforme 2010 Sarkozy-Fillon sont retenues jusqu'en 2020

 

Pourquoi ne pas dire que, suite à la vraie réforme de 2010, le déficit de la CNAV (régime général) a diminué de - 8,9 Mds € en 2010, à - 6 Mds en

2011, à - 4,8 Mds en 2012 (source: CNAV) et à 4 Mds attendus en 2013. Le déficit du FSV, lui, a baissé de - 4,1 Mds en 2010 à - 2,6 Mds en 2013. Pas assez, toutefois, pour atteindre les objectifs fixés de retour à l'équilibre en 2018. Surtout en raison de la crise, de l'arrêt de la croissance et de la montée du chômage qui affectent les recettes; et qui n'ont pas encore cessé de sévir.

 

La « réforme » de 2013 va apporter un supplément de ressources aux régimes des retraites visés, par :

- « ... une hausse progressive et modérée des cotisations vieillesse, atteignant en 2017 + 0,3 points pour les actifs et + 0,3 points pour les employeurs » (JMA dixit). Elle est censée coûter aux salariés comme aux entreprises 1 Md en 2014, 2,2 Mds en 2020 (et 3,2 Mds en 2040 !). À ce propos, lexpress.lexpansion.fr remarque que JMA s'est engagé à rembourser aux entreprises cette hausse de cotisations retraite sous forme de baisse du taux de cotisations familiales lors de la réforme du financement de la protection sociale annoncée pour les semaines à venir. Une manipulation de plus, pour plus de clarté, de transparence, évidemment ;

- le décalage de six mois de la revalorisation des pensions des retraités qui aura lieu désormais au 1er octobre et non plus au 1er avril. « Économies » attendues : 600 millions € en 2014, 1,4 Md en 2020 (et 2 Mds en 2040 !) ;

- la soumission à l'impôt sur le revenu des majorations de 10 % des pensions des parents (un peu plus de 3 millions) de trois enfants jusqu'ici défiscalisées. Rapport attendu: 1,2Md en 2014 (et 1,7 Md en 2040 !).

Les suppléments de recettes provenant de ces baisses de pensions et de ces hausses des cotisations, suffiront à assurer l'équilibre du régime général et du FSV d'ici 2020, aux dires de JMA. Pourquoi, alors, faire tant de bruit sur cette « réforme » qui, au fond, est avant tout une adaptation (adéquate ou non) à la conjoncture... et non un ajustement structurel, comme l'encouragent l'UE, le FMI, l'OCDE...

Le Gouvernement n'a, en effet, pas modifié les mesures qui avaient été décidées lors de la réforme de 2010 concernant l'âge légal de départ à la retraite, d'un côté, qui va continuer de progresser de 60 ans en 2010 jusqu'à 62 ans en 2018, ainsi que de la durée minimum de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein, de l'autre côté. Cette durée sera de 41,75 ans (167 trimestres) en 2020. Comme le prévoyait aussi la réforme de 2010, l'âge de départ à la retraite permettant automatiquement de ne pas subir de décote sur sa pension augmentera de 65 ans à 67 ans d'ici 2020.

 

Quelques « intentions » non chiffrables en plus

 

Une mesure phare : « Un compte personnel de prévention (?) de la pénibilité sera créé dés 2015. Il sera ouvert pour tout salarié du secteur privé exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Il permettra de cumuler des points donnant droit à des formations, à un temps partiel en fin de carrière ou au bénéfice de trimestres de retraite » (JMA au Conseil du 28 août). Combien coûtera cette mesure, qui pourrait concerner un salarié sur quatre ou cinq, d'après des analystes ? Difficile à prévoir. Sa mise en oeuvre sera complexe, avec des difficultés techniques et pratiques. Un vrai choc de simplification pour les entreprises et l'administration, somme toute !

« La réforme rendra notre système plus juste pour les femmes » (même source) : meilleure prise en compte des trimestres de congés maternité, validation de plus de trimestres pour les temps partiels.

« S'agissant des jeunes, le Gouvernement (!?) va permettre aux apprentis et aux jeunes en alternance de valider tous leurs trimestres d'apprentissage » (même source). Jusqu'à quatre trimestres des périodes d'études post bac pourront être rachetées, à un tarif préférentiel.

Six autres mesures touchant des populations et des questions diverses sont aussi énumérées dans la communication en Conseil précitée, avant qu'il soit ajouté que « la réforme des retraites rendra notre système de retraite plus simple et plus lisible pour les assurés (compte retraite unique, demande unique d'ouverture du droit à la retraite) ». Plus facile à dire qu'à faire ! Au fait, les régimes des fonctionnaires et les autres régimes spéciaux sont-ils concernés également ?

 

Une « giga réforme » FH-JMA de 2013 qui ne commencera qu'en 2020

 

Les réformistes de 2013 ne prévoient qu'un changement aux dispositions précédentes à partir de 2020 : l'augmentation (très) progressive (+ 1 trimestre tous les 3 ans) de la durée de cotisation afin de porter celle-ci à 43 ans en 2035 pour les retraités qui auront alors 62 ans ou plus.

Ainsi, en 15 ans, cette durée de cotisation aura progressé de + 1,25 ans. Dans le même temps, l'espérance de vie à 60 ans aura crû de + 3,75 ans, soit trois fois plus... si elle suit le même rythme que celui observé par l'INSEE entre 1994 et 2009 (montée de 73,6 à 77,7 ans chez les hommes et de 81,8 à 84,4 ans chez les femmes). En 2035, suivant une telle tendance, l'espérance de vie moyenne pourra dépasser 86 ans.

En France métropolitaine, la population des 60 ans et plus va continuer à augmenter rapidement, passant de 14,3 millions (Mi) en 2010 et 15,3 Mi en 2013 à 17,4 Mi en 2020, 20,1 Mi en 2030 et 22 Mi en 2040.

Pendant ce temps, la population des personnes de 20 à 59 ans reculera de 33,0 Mi en 2010 à 32,8 Mi en 2020, à 32,6 Mi en 2030 et reviendra à 33 Mi en 2040.

Aussi, le ratio démographique: nombre de personnes de 60 ans ou plus/nombre de personnes de 20 à 59 ans, déjà inquiétant en 2010 (43 %), montera à 50 % en 2020 et à 66 % en 2035... malgré les performances natalistes que nos gouvernants attendent des résidents en France.

On peut ajouter que le nombre d'actifs, 28,3 millions en 2010, progressera peu d'ici 2020, à 28,9 Mi, et montera ensuite, avec l'allongement prévu de la durée de l'activité, à 30,1 Mi en 2030 et 30,4 Mi en 2040. Bien trop peu pour équilibrer l'augmentation du nombre des retraités. Toutes ces données sont de source INSEE (statistiques et projections de population 2010-2060, scénario central).

Que ceux qui croient à la pertinence à long terme de la réforme 2013 en gestation lèvent les bras! Nos gouvernants se disent progressistes et se montrent on ne peut plus conservateurs. Au détriment de la crédibilité du système par répartition, en particulier. Et les hypothèses qu'ils ont retenues concernant la croissance, l'emploi et le chômage, clés des équilibres futurs, manquent de réalisme.

 

Pourquoi les retraites complémentaires sont exclues de la réforme 2013

 

Tout simplement parce que, selon les paroles du Président, les « partenaires sociaux » (les organisations patronales et les trois organisations syndicales, CFDT, CFTC, et CGT-FO) ont négocié entre eux un accord, conclu le 13 mars 2013, pour diminuer les déficits de l'ARRCO (salariés du privé) et de l'AGIRC (cadres du privé). Un accord conservatoire, à court terme, scellé d'urgence, qui vise à réduire de - 3,1 Md € le déficit cumulé des deux régimes en 2017, pour le limiter alors à - 5,5 Mds € (- 4,2 pour l'ARRCO et - 1,3 pour l'AGIRC) et à maintenir les réserves au niveau « acceptable » (60 % du montant des prestations) de 46 Mds (40 pour l'ARRCO et 6 pour l'AGIRC).

Selon Les Cahiers de la retraite complémentaire, n° 11, 1er trimestre 2013, principale source ici, les comptes de 2011 montrent un déficit de - 1,69 Md € à l'ARRCO et de - 1,77 Md € à l'AGIRC. Sans l'accord de mars, le déficit cumulé de ces régimes était chiffré à - 8,7 Mds € en 2017. Leurs réserves financières, 42,4 Mds € à l'ARRCO et 8,4 Mds à l'AGIRC à fin 2011, auraient été épuisées en 2016 à l'AGIRC et en 2020 à l'ARRCO.

Pour redresser la situation, pendant trois ans les allocations (pensions) seront revalorisées moins que les prix, tandis que le rendement* restera constant. En plus, une hausse des taux de cotisation contractuels* augmentera les ressources.

L'effort imposé aux retraités (11,65 millions de personnes à l'ARRCO et 2,65 Mi à l'AGIRC au 31/12/2011) est important, puisque les valeurs de service du point d'indice, qui n' ont été revalorisées que de + 0,8% à l'ARRCO et de + 0,5 % à l'AGIRC au 1er avril 2013, le seront de

1 % de moins que l'inflation en 2014 et en 2015.

Pour les salariés cotisants (18 Mi à l'ARRCO et 4 Mi à l'AGIRC) et leurs employeurs les taux des prélèvements sont majorés dans chaque tranche de revenus. Ensemble, ils atteindront à l'ARRCO 7,75 % des salaires en 2015 (contre 7,5 en 2013) jusqu'au plafond de la SS (3 086 €/mois en 2013), et, à l'ARRCO comme à l'AGIRC, 20,55 % (contre 20 % en 2013) au-dessus de ce plafond.

À ces taux s'ajoutent ceux de l'AGFF, pour la gestion du fond de financement, 2 % jusqu'au plafond et 2,20 % au-dessus, et de la CET, contribution exceptionnelle temporaire, 0,35 % sur les revenus des cadres.

Est également prévue la mensualisation des cotisations, à compter du 1er janvier 2016, pour les entreprises de plus de 9 salariés qui versent mensuellement leurs cotisations aux URSSAF. Gains de trésorerie en vue, donc.

En 2017, la sous-indexation des allocations permettra « d'économiser » 2 Mds €. L'augmentation des taux des cotisations procurera 1,1 Md de rentrées supplémentaires. Le déficit annuel sera ainsi réduit de 3,1 Mds.

Ensemble, les mesures contribueront à augmenter les réserves de + 22,5 Mds €.

Cet accord précis, qualifié de courageux, n'a pas revendiqué le titre de « réforme ». Il a visé à « repousser des échéances ». Des réflexions pour une réforme profonde et durable sont déjà engagées... sans tintouin médiatique. Cette démarche, qui donne la priorité au court terme, est très différente de celle de la « réforme » en cours de discussion, qui s'intéresse surtout à l'après 2020... et passe sous silence la situation et les perspectives des complémentaires. Au fait, pour évaluer le déficit global des régimes de retraites en 2020 et en 2035, quel déficit des complémentaires les Autorités ont-elles retenu ?

Les indispensables réformes des régimes des fonctionnaires (RDF), « c'est pas maintenant »

 

JMA l'a dit, la réforme 2013 ne vise pas les régimes subventionnés. Suffisant pour écarter les RDF et les régimes spéciaux (RS), qui ne survivent que grâce à de copieuses subventions dont la croissance échappe à tout contrôle. Sans elles, les déficits réels de ces régimes sont considérables. Comme pour le régime général, les questions de l'âge effectif de la retraite, la durée de cotisation et le mode de calcul des pensions sont cruciales, vitales. Le régime de la fonction publique (et les RS) est aussi plus coûteux parce qu'il est nettement plus favorable que celui du privé. Aussi, la question de l'alignement du public sur le privé, question aussi de « justice sociale », est-elle au centre des débats depuis des décennies. Si de timides avancées ont été réalisées avec les réformes de 2003 et de 2010, il reste beaucoup à faire. À la mi-juin 2013, plusieurs sites internet rapportaient cette citation d'Économie Matin « selon l'Insee, si les règles du privé s'appliquaient au public, la retraite moyenne des fonctionnaires diminuerait de 10 à 20 %. Sachant que les régimes des fonctionnaires représentent 66 milliards (3,1 % du PIB), l'économie réalisée par cet alignement du public sur le privé serait de l'ordre de 10 milliards d'euros ». C'est plausible. Mais je n'en ai pas trouvé trace sur le site de l'INSEE. Peut-être est-ce dérangeant, et déplacé?

Dans les comparaisons entre les régimes du secteur privé et celui des fonctionnaires, les différences des taux et des niveaux des cotisations retraite des salariés, futurs retraités, ne doivent pas être négligées.

Selon les données du Rapport annuel sur l'état de la fonction publique 2012, principale source ici, contrairement à des idées reçues, le salaire net mensuel moyen dans le privé en 2010 (2.082 €) était inférieur de 15,4 % à celui dans la FP d'État (2.459 €). À noter, que cet écart a crû, puisqu'il était de 11 % en 2007-2008.

 

Le régime de la Fonction publique d'État (FPE) : un cas désespérant; désespéré ?

 

À l'inverse, les taux des cotisations retraite des fonctionnaires sont plus faibles que ceux du privé. Pour comparer, prenons un salaire brut annuel de 35.232 €, de part et d'autre. C'était le montant en 2010 du salaire annuel brut moyen dans la Fonction publique d'État, correspondant à un traitement brut de base de 26.889 € majoré de 8.335 € de primes et indemnités, toujours en moyenne.

Sur un tel salaire brut, en 2013, les cotisations salariales pour la retraite dans la FPE (mêmes taux dans la FP Territoriale et la FP Hospitalière) sont de 8,76 % du traitement brut de base, soit 2 355 € (cotisation vieillesse) + 5 % du montant des primes (pour la RAFP: retraite additionnelle de la FP), soit 417 €, + 1 % du salaire net (cotisation exceptionnelle de solidarité), soit 297 €. Au total, 3.069 €, soit 8,71 % du salaire brut...

Du côté privé, les cotisations portant sur les 35 232 € sont de: 6,75 % pour la CNAV + 3 % pour l'ARRCO ou l'AGIRC + 2 % pour l'AGFF (gestion des fonds de financement AGIRC et ARRCO). Total : 11,75% du SAB, soit 4.140 €.

Dans le privé, le salarié paie aussi deux cotisations que le fonctionnaire ne paie pas: la cotisation maladie, maternité, invalidité, décès, solidarité de 0,75 % et la cotisation chômage de 2,40 %. Coût : 1.110 €.

Finalement, les cotisations du salarié privé sont de 5.250 €, C'est 71 % de plus que celles de notre fonctionnaire.

Pour réduire partiellement les inégalités, la réforme de 2010 (encore elle) avait prévu d'augmenter progressivement le taux de la cotisation vieillesse des fonctionnaires. Il est passé de 7,85 % du TBB en 2010 à 8,76 % en 2013 et devrait atteindre 10,55 % en 2020.

Pour procurer des recettes supplémentaires au régime général, la réforme 2013 prévoit, elle, de majorer de 0,1% en 2014, puis en 2015 et en 2016 la cotisation à la CNAV. Cela réduira donc de moitié la réduction des écarts !

De telles différences ont deux causes principales. Le mode de calcul des pensions est nettement plus avantageux dans la FP. C'est le traitement brut moyen des 6 derniers d'activité qui est retenu (et non le salaire moyen de 25 années de la CNAV), le taux de remplacement est de 75 % (et non 50 %) et les trimestres de bonifications familiales sont plus généreuses pour les familles nombreuses.

De plus, les cotisations aux complémentaires obligatoires, ARRCO et AGIRC, sont sans commune mesure avec les 5 % du montant des indemnités prélevés pour la RAFP.

 

Plus de retraités que de salariés cotisants dans la FPE et des « déficits masqués » des retraites qui s'envolent

 

Dans la FPE, les effectifs des salariés ont légèrement diminué, de - 4,7 % entre 2000 et 2010 (plus précisément entre 2006 et 2010), notamment en raison de transferts de personnels vers la FP Territoriale, avec la deuxième vague de la décentralisation, pour s'établir à 2,30 Mi à fin 2010. Pendant ce temps, les effectifs de pensionnés ont crû de + 21,7 % pour s'élever à 2,48 Mi en 2011. La vive progression a été ralentie par celles des pensions militaires et des pensions de droit dérivé (réversions). Le nombre des pensions civiles de droit direct, lui, a bondi de + 48,6 %, soit à un rythme de + 3,7 % par an; il est de 1,4454 Mi en 2011.

Entre 2006 et 2007, le nombre de cotisants est devenu inférieur à celui des retraités.

Quelle discrétion sur cette calamité de la part de nos gouvernants alternatifs, des technocrates patentés et des médias !

Rien d'étonnant, alors, à l'évolution alarmante du coût budgétaire des pensions civiles, militaires et des ouvriers d'État. De 41,4 Mds € en 2007, il est monté à 50,3 Mds € en 2011, soit de + 21,3 % en quatre ans. Il est ainsi passé de 56,1% à 72,2 % du montant de la rémunération totale du personnel en activité. Sans vouloir abuser de chiffres dont on ne nous parle pas, ces pensions versées constituent 18,2 % des dépenses du budget de l'État en 2011 et, sans doute, près de 20 % en 2013. Où allons-nous en 2017, 2020 et après ? Et qui va payer ?

Inutile de s'inquiéter, puisque le régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l'État ne connait pas le déficit. Et pour cause, en plus de sa cotisation normale d'employeur (qui est de 27,30 % pour les collectivités locales), l'État verse des subventions à ce régime pour en assurer l'équilibre. Les taux de ces « contributions employeur » de l'État réunies ont grimpé de 49,5 % en 2006 à 65,39 % en 2011 pour les ministères, de 33 % à 65,39 % pour les organismes et établissements de l'État (La Poste, France Télécom...), de 100 % à 114 % pour les pensions militaires. Le « déficit masqué » réel géant de la FPE peut ainsi être estimé à 38 % des salaires en 2011. Il va en s'amplifiant. Des mesures « homéopathiques » ne limiteront pas significativement les dégâts. Est-ce une bonne raison pour ne pas traiter cette lancinante question avec la réforme de 2013 ?

 

Quelque mots sur les régimes de la FP Territoriale et de la FP Hospitalière

 

Depuis 2000, les effectifs des personnels des collectivités locales (CL) ont considérablement augmenté, + 36,3 % jusqu'en 2010, atteignant alors le chiffre de 1,81 Mi. Les dépenses de personnel ont explosé, + 75,2 %, pour s'élever à 52,99 Mds en 2011. À leur échelle, les différentes catégories de collectivités (régions, départements, communes, ainsi que communautés) ont toutes participé à la fête. Nos impôts locaux également.

Il faut dire aussi que le taux de la cotisation employeur à la CNARCL a été relevée par étapes de 25,6 % en 2000 à 27,3 % en 2011.

Ainsi, depuis 2000, la CNARCL (qui est également la Caisse de retraite des agents de la FPH) a « bénéficié » d'une rapide montée des cotisations provenant des CL.

Hélas, la CNARCL a aussi connu une croissance très forte des effectifs de pensionnés de la FPT, +72 % de 2000 à 2011. Elle compte alors 504 000 pensionnés de la FPT.

Dans la Fonction publique hospitalière, les effectifs de personnels ont crû de + 19,3 % de 2000 à 2010 (+ 1,8 % par an en moyenne, bien plus que la croissance démographique), s'établissant à 1,11 Mi en fin 2010. Les charges de personnel des établissements publics de santé, elles, ont augmenté de + 43,4 % de 2010 à 2011.

Dans le même temps, le nombre de pensionnés de la FPH est monté de 293.000 à 504.000 en 2011 (+ 72 %), évolution très défavorable à l'équilibre financier de la CNARCL.

Sur la période 2006-2011, le compte de résultat de la CNARCL montre que les prestations versées ont crû de 10,71 Mds en 2006 à 14,98 Mds en 2011 (soit + 39,8 %). Elles sont restées inférieures aux cotisations et aux produits affectés, qui ont progressé de 13,51 Mds à 16,39 Mds (soit +21,3 %). Mais elles s'en rapprochent dangereusement. Excédentaire, la CNARCL verse des « compensations » et effectue des transfert en faveur d'autres régimes. Nets, ils étaient de 2,45 Mds en 2006 et sont descendus à 1,92 Md en 2011. Compte tenu des autres charges et produits, le « résultat » de la CNARCL, positif en 2006 (0,37 Md) est devenu négatif, de - 0,38 Md en 2011. Bref, les régimes

de la FPT et de la FPH soutiennent d'autres régimes, mais de moins en moins. Le déficit affiché, « conventionnel », ne reflète en rien l'équilibre entre cotisations et prestations de la Caisse.

Des régimes spéciaux de retraite (RSR), dont la survivance est injustifiable

 

Les RSR, c'est 1,1 millions de retraités pour 0,5 MI d'actifs. Un rapport catastrophique. À juste titre, ils sont très décriés depuis des années, notamment pour les « privilèges » dont bénéficient leurs cotisants et leurs pensionnés, ainsi que pour leurs déficits pharamineux, payés par les contribuables. Leur champ couvre une multitude d'établissements, d'entreprises publiques et de professions, parmi lesquelles figurent les marins, la Comédie française, les retraités des mines, les clercs de notaires, etc. Il y a surtout des poids « lourds », que la réforme de 2008, accouchée dans la douleur et les larmes, a tou-chés, trop légèrement: la SNCF, la RATP, EDF, GDF, la Banque de France, l'Opéra de Paris et les élus du Parlement. La réforme a porté la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein (RATP) de 37,5 ans à 40 ans en 2012 et à 41 ans en 2017 (contre 2012 pour le privé et la FP). L'âge légal de la retraite a été fixé jusqu'en 2017 : à la SNCF, à 55 ans et 50 ans pour les agents de conduite; à la RATP, à 60, 55 ou 50 ans, suivant la nature du poste; à EDF et GDF, à 60 ou 55 ans suivant la nature du poste. À partir de 2017, elle passera progressivement à 62 ans pour les sédentaires et 57 ans pour les actifs.

Pour la SNCF, le taux de cotisation vieillesse s'aligne, avec un décalage dans le temps, sur celui de la FP. Maintenu à 7,85 % du salaire hors primes jusqu'en 2017, il montera jusqu'à 10,55 % au 01/01/2026. Pour la RATP, EDF et GDF, qui ont des conventions avec le régime général ainsi qu'avec l'ARRCO et l'AGIRC, le taux est de 12 % du salaire hors primes et devrait peu augmenter après 2017.

Les cotisations recueillies par les régimes spéciaux sont très inférieures aux pensions versées. Leurs déficits sont couverts par des « contributions de l'employeur » (le contribuable) qui atteignent 6,5 Mds € en 2013, dont 4,2 Mds pour la SNCF et la RATP, selon la Cour des comptes. lecercle.lesechos.fr précise, le 19/06/2013, que « l'addition se monte à 7,7 Mds en ajoutant le 1,2 Md € de ‘’Contribution tarifaire d'acheminement’ à la charge des consommateurs, pour financer les régimes des agents d'EDF et GDF ».

Pourtant, Il faut croire que « tout baigne », ou presque, puisqu'à une émission Capital de mi-juin le Président de la République a déclaré : « Pour les régimes spéciaux, la réforme a déjà eu lieu en 2008 ». Quel hommage, tardif et discret à son prédécesseur, Nicolas Sarkozy! Quel manque de courage ou quelle faiblesse, aussi ?!

 

Vers la fin de notre système de retraite par répartition et plus de capitalisation

 

Difficile de qualifier cette « réforme 2013 » de réforme des retraites. Délaissant les retraites complémentaires du privé, les retraites de la Fonction publique et celles des régimes spéciaux, elle est incomplète, pour le moins, et sa cohérence n'est pas vérifiée. Le futur des retraites va encore dépendre essentiellement des réformes réalisées par le gouvernement précédent ainsi que de l'accord conservatoire AGIRC-ARRCO conclu par les partenaires sociaux en mars 2013 en attendant une réforme profonde.

En mai 2013, le COR a produit des fiches sur les retraites pour l'information et le débat (la religion des gouvernants était alors déjà faite). La fiche 4

«Pour aller à l'essentiel » présente succinctement les dépenses et les ressources du système de retraite. Le coût total des pensions attribuées à 16,4millions de retraités (dont 15,1Mi de droit direct) est de 271 Mds € en 2011 (273,6 Mds, d'après la CNAV), soit 13,6 % du PIB. Sur cette somme, un quart est distribué par les régimes complémentaires et 28,5 % (77,1 Mds) par la FPE et les autres régimes spéciaux. Ces chiffres donnent un ordre de grandeur de « l'impasse » faite par la « réforme » 2013.

Sur l'ensemble des ressources, les cotisations sociales payées par 25,8 Mi de personnes en emploi ne représentent plus que 66 % (179 Mds €), avec de fortes disparités entre les régimes; et ce pourcentage diminue d'année en année. Les Contributions d'équilibre à des régimes déficitaires augmentent. Elles sont de 42 Mds, soit 16 % des ressources. Les impôts et taxes apportent 31 Mds (11 % de R), les transferts en provenance de l'assurance chômage et de la branche famille se montent à 12 Mds (4 %) et les produits de gestion sont de 7 Mds (3 %).

Le « besoin de financement » (BF) est le déficit non couvert par des subventions d'équilibre. Il est donc partagé entre les régimes des salariés du privé et des non titulaires du public (régimes de base : - 6 Mds, complémentaires - 2,5), des non- salariés du privé (- 1,2 Md) et le FSV (- 3,4Mds). Pas de BF pour le régime de la Fonction publique et seulement - 0,6 Mds pour les régimes spéciaux. Alors, pourquoi se prendre la tête pour ces derniers.

Mais, si on compte les Contributions d'équilibre, le déficit est de -56 Mds en 2011. Très différent !

Le COR note à ce propos que « le taux de cotisation d'équilibre à la charge de l''État pour les pensions civiles (donc hors pensions militaires) est passé de, entre 2009 et 2011, de 58,5 % à 65,4 %, traduisant le creusement sous-jacent du besoin de financement du régime ».

Dans son rapport de mars 2013, le COR indique qu'en l'absence de mesures nouvelles, le déficit réel du régime de retraite de la FPE s'aggraverait, dans un scénario « moyen », de - 6,9 Mds en 2020 et de - 6,7 Mds en 2030. Vraiment pas de quoi nous rassurer sur l'avenir de notre système de retraite par répartition.

D'ailleurs, jusqu'ici on considère que dans un tel système la masse annuelle des pensions est égale à la masse annuelle des cotisations. Plus pour longtemps, semble-t-il, car le COR écrit à la page 63 de son rapport: « L'équilibre d'un régime de retraite en répartition, c'est à dire l'égalité entre la masse des ressources et la masse des pensions versées chaque année, impose... »

Subrepticement, le COR dénature et redéfinit ainsi le système par répartition... pour justifier et « normaliser » furtivement le financement actuel à l'aide de prélèvements fiscaux, de ponctions sur d'autres lignes budgétaires et même, pourquoi pas, d'augmentations des tarifs publics. Il est conscient que le déficit global va s'aggraver, que les cotisations des travailleurs vont très probablement croître, tandis que les pensions continueront de reculer... et que ces « efforts » risquent d'être insuffisants pour assurer un équilibre réel au système.

Pourquoi, alors, ne pas examiner, sereinement, de préférence, les possibilités de développement « organisé » de la capitalisation en complément du système par répartition que l'on veut préserver à n'importe quel prix ! À cet égard, les gouvernants sont très en retard sur les ménages, qui se fient de moins à eux.

Notre système de retraite devient de plus en plus un système de redistribution des revenus, entre les régimes, leurs cotisants et leurs retraités, donc. Par le pompage dans les ressources de l'assurance chômage et de la branche famille, par le jeu des transferts de compensation, ainsi que par la prise en charge par les contribuables et même les consommateurs de dépenses de certains régimes (par les contributions d'équilibre) qui permettent à ces derniers de mieux traiter leurs cotisants et/ou leurs retraités. Sur ce sujet, c'est l'obscurité la plus complète, pour ne pas dire l'embrouille. Il est grand temps de faire de la lumière sur cette forme cachée de « justice sociale », sur les niches que la Cour des comptes ne va pas perquisitionner, sous peine des plus vifs mécontentements. ¾

 




      Réagir à l'article :
 


08.10.2013
Free counter and web stats
HTML Web Counter