DOSSIER RETRAITE : NE PAS SE TROMPER DE PROBLÈME !

L’OMERTA SUR LES COTISATIONS EMPLOYEUR DU SECTEUR PUBLIC

 

par Cécile CHAMPLAIN

 

La retraite en France repose sur le principe de la répartition : les cotisations des actifs financent les retraites des retraités d’aujourd’hui. Il s’oppose au principe de la capitalisation. Ce principe implique qu’il y ait suffisamment d’actifs ou bien que d’autres sources de financement compensent les écarts démographiques entre les différentes générations (notamment celle du baby boom arrivant à l’âge de partir à la retraite). De plus, il est par nature solidaire, cette solidarité se faisant au sein d’une même génération mais aussi entre générations.

Plusieurs paramètres peuvent être modifiés lors d’une réforme. L’objet de cette tribune est de montrer la face cachée du dossier des retraites, là où se situe le principal fossé entre le secteur public et le secteur privé, un paramètre qui n’est pas connu mais qui explique les écarts entre les régimes : la différence de taux de cotisations employeurs entre la fonction publique, d’une part, et le secteur privé, d’autre part.

 

Remarque préliminaire

Les paramètres sur lesquels peuvent se faire une réforme des retraites sont en nombre restreints : allongement de la durée d’assurance, relèvement de l’âge de départ à la retraite revalorisation des retraites, augmentation des cotisations (salariés - fonctionnaires et/ou employeurs), affectation d’autres ressources que les cotisations (impôts ou taxes), modalités de calcul des droits et des conditions de départ en retraite (calcul sur les six derniers mois pour les fonctionnaires contre les vingt-cinq meilleures années dans le privé anciennement les dix meilleures).

Ajuster les paramètres de notre système de retraite n’aurait rien d’anormal si l’essentiel du poids des réformes n’était pas mis à la charge des salariés du secteur privé et ce, depuis la réforme Balladur de 1993.

 

La face cachée du dossier des retraites

 

Depuis 2008, des mesures prises tendent à faire converger les taux et les durées de cotisation des salariés du secteur privé ceux des fonctionnaires. L’atteinte de ces objectifs mettra encore plusieurs années alors même que les modes de calcul des retraites du public n’ont pas été touchés.

Pendant que l’attention était focalisée sur les mesures prises faisant tendre les taux de cotisation des fonctionnaires de 7,85 % vers les 10,55 % des salariés du privé, on masquait au grand public une injustice beaucoup plus importante.

 

L’écart des taux de cotisation entre les fonctionnaires et les salariés du secteur privé est important, mais l’écart entre les taux de cotisation des employeurs est plus impressionnant encore et ce fait est passé sous silence.

 

Les faits Pour le secteur privé :

 

Le taux de cotisation employeur du privé est de 15,70 % (10 % pour le régime de base de sécurité sociale plus 5,70 % pour la tranche A ARRCO) auquel vient s’ajouter une éventuelle tranche B. Pour les non cadres, cette dernière est de 13,30 %. Pour les cadres, elle est de 13,90 %, éventuellement complétée par une tranche C de 20,30 %.

 

Pour mémoire, le Plafond mensuel de Sécurité sociale au 1er juillet 2013 est de 3.086 euros. Tranche A : dans la limite du plafond de la Sécurité sociale, de 0 à 3.086 euros par mois. Tranche B : de 1 à 4 fois le plafond de la Sécurité sociale, 3.086 euros à 12.344 euros/ mois. Tranche C : de 12.344 à 24.688 euros /mois. Le salaire mensuel médian en 2010 est de 1.726 euros pour un salarié du secteur privé à temps plein (1.458 euros en comptant les temps partiels), soit un taux de cotisation employeur de 15,70 % pour ces salariés.

 

Pour la fonction publique :

 

Le taux de la contribution employeur à la charge de l’État prévue au 1° de l’article L.61 du code des Pensions civiles et militaires de retraite pour les fonctionnaires de l’État, les magistrats et les militaires est fixé à 62,14 % pour les personnels civils et à 108,63 % pour les militaires (décret n° 2010-53 du 14 janvier 2010). Ces taux ne font que progresser comme en témoignent les décrets concernant les années suivantes (décret n° 2011-2037 du 29 décembre 2011 et décret n° 2012-1507 du 27 décembre 2012) : 68,59 % en 2012 passant à 74,28 % en 2013 concernant les personnels civils, ces taux étant de 121,55 % en 2012 puis 126,07 % en 2013 pour les personnels militaires. Par contre, le taux employeur pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers affiliés à la CNRACL est fixé à 27,3 % depuis 2005.

 

Ces taux dépassent les 50 % en 2012 pour les régimes spéciaux (SNCF 63%, RATP 57%…). Pour davantage de détails, un rapport de l’assemblée nationale, non médiatisé, parait chaque année, faisant le point sur les pensions. Il est disponible sur internet à l’adresse suivante

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/budget/plf2013/b0251-tiii-a39.pdf

 

Pour quelle raison, ces taux augmentent-ils ?

 

Nous reproduisons ici un extrait de la réponse ministérielle publiée au JO le 08/03/2011 page 2243 :

« Ainsi pour le même taux de retenue pour pension à la charge des fonctionnaires et pour les mêmes garanties, le taux de cotisation de l'État employeur a atteint 62,14 % en 2010 (65,39 % pour 2011 selon le décret n° 2011-11 du 4 janvier 2011 qui a abrogé le décret n° 2010-53) pour ses fonctionnaires civils, à comparer avec le taux de cotisation employeur à la CNRACL (Caisse Nationale de Retraite des Agents des Collectivités Locales) de 27,3 %, inchangé depuis le 1er janvier 2005. Le régime des fonctionnaires de l'État, parvenu à maturité, est confronté à des flux de départs en retraite très importants, qui représentent une charge supplémentaire considérable, de l'ordre de plus de 2 Md€/an. Il s'ensuit que le taux de cotisation employeur qui équilibre le compte d'affectation spéciale « Pensions » chargé de financer les pensions des fonctionnaires de l'État doit progresser sensiblement, d'année en année, pour faire face à cette hausse importante et permettre l'équilibre du régime. Cette obligation d'équilibre découle de l'article 21 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances qui impose que le compte d'affectation spéciale des pensions ne soit jamais en situation de découvert. »

 

Les conséquences

 

La véritable iniquité réside dans cet écart entre 15,70 % (minimum) de cotisation employeur dans le privé et aujourd’hui 74 % pour les fonctionnaires d’État. La vraie réforme des retraites devrait commencer par cela. Etonnamment, aucune voix ne s’élève pour dénoncer cet état de fait ni de la part de l’opposition actuelle (qui avait passé ce point sous silence lors des dernières réformes), ni de la part du présent gouvernement (qui sacrifie les salariés du privé au profit des fonctionnaires, base de son électorat) et de celle du patronat qui ne parle que des cotisations des employeurs privés (or les prélèvements sur les entreprises financent une partie des cotisations de l’État employeur).

 

Cet état de fait provient probablement de l’origine de nos politiques et parlementaires (essentiellement des fonctionnaires), des experts appelés à réfléchir sur une éventuelle réforme (issus des mêmes corps), jusqu’aux appareils syndicaux largement pourvus par des fonctionnaires. L’omerta sur les cotisations employeur public permet de ne pas mettre ce paramètre dans le débat public, ni au moment d’une réforme sur les retraites, ni lors des débats sur les lois de finances annuels puisque l’équilibre se fait automatiquement (de par la loi). La presse étant muette sur ce point, les citoyens restent dans l’ignorance.

 

Les salariés du secteur privé subissent ainsi une double peine : leur régime de retraite est de moins en moins favorable, mais, dans le même temps, ils cotisent chaque année davantage au travers d’impôts et taxes afin que les fonctionnaires conservent leurs propres régimes, sans que les systèmes ne convergent sur les paramètres essentiels (taux employeur, calcul de la retraite). Ceci est d’autant plus choquant que les salariés du privé subissent des difficultés pour entrer dans le monde du travail, au cours de la carrière (les accidents de parcours sont devenus courant) et le chômage des séniors, vrai fléau français.

 

Ces cotisations employeur public (plus de trois fois supérieures à ceux du secteur privé, répétons-le) servent à financer les avantages dont bénéficient les régimes des fonctionnaires et les régimes spéciaux : calcul sur les six derniers mois pour les fonctionnaires contre les vingt-cinq meilleures années dans le privé (anciennement les dix meilleures).

 

Pour des raisons d’équité entre les Français, les taux employeur devraient, eux aussi, converger, de préférence en diminuant les taux de cotisation de l’État employeur ou, dans un premier temps, en les stabilisant. Ceci permettrait de dégager des marges de manoeuvre financière pour relancer l’économie de la France dans l’esprit d’un pacte républicain retrouvé. ¾
 




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08.10.2013

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