Nous
ne saurions laisser passer la date «
ajaccienne
» du 9 septembre que la mémoire officielle a retenu comme référence de la
libération de la Corse plutôt que celle du 4 octobre où les hommes du bataillon
de choc, goumiers et tabors en tête, sont entrés en vainqueurs dans Bastia,
alors que les dernières forces de la Wehrmacht quittaient le port d’une ville
meurtrie par suite des combats et des bombardements qu’elle subit alors.
Pensons
aux hommes du commandant Fernand Gambiez et du général
Henry Martin, libérateurs venus d’AFN à bord d’une flotte française dont faisait
partie le célèbre sous-marin Casabianca,
véritable cordon ombilical entre la Corse résistante et le CFLN d’Alger au
sein duquel le général Giraud prit les devants en attendant que le Général de
Gaulle se projette sur le devant de la scène. Pensons aussi aux patriotes qui
s’insurgèrent au lendemain de l’armistice signé par Badoglio pour diriger leurs
armes contre les Allemands déjà présents en Corse et ceux de la 90e panzerdivision débarqués à Bonifacio en provenance de
Sardaigne et retardés dans leur progression le long de la plaine orientale par
le harcèlement armé des insulaires non encore secondés par les troupes venues
d’Alger. Ce fut là le temps fort de la résistance des Corses contre l’ennemi.
Accrochages
et rencontres frontales de Sartène, de l’Ospedale, de
Levie, de Quenza, de Porto-
Vecchio, de Casamozza ou de
Champlan sont devenus « les lieux de mémoire » de
cette participation active des Corses au recouvrement de la liberté. Hommage
leur est rendu en ce jour de soixante-dixième anniversaire ainsi qu’à tous ceux
qui, sous différentes formes et parfois au péril de leur vie (Nicoli, Giusti, Vincetti…, la
liste est longue) avaient pris l’initiative localement de combattre « l’occupant
» avant même l’heure de la libération, sans oublier nos compatriotes, militaires
de carrière, volontaires FFL, engagés en Corse même (Fred Scamaroni) ou hors de Corse, et civils (Gabriel Peri, Danielle Casanova…) résistants héroïsés depuis pour
leurs sacrifices dans la lutte contre la barbarie. Ajoutons-y les martyrs des
camps de la mort nazis (Maria Peretti della Rocca).
Difficile de les avoir tous présents à l’esprit et mieux vaut leur rendre globalement hommage avec toute cette
empathie « gaullienne » qui, au-delà de l’acte résistant à proprement parler,
englobait tous ceux qui participèrent à l’action collective de « défense
nationale ».
Comme
chaque année mais avec un relief particulier à chaque décennie, ce grand moment
commémoratif marque un temps de pause salutaire dans la guerre des mémoires à
laquelle d’aucuns se livrent encore par esprit partisan ou avec des
arrière-pensées politiciennes. Mémoire gaulliste, mémoire giraudiste, mémoire
PC-Front National, mémoire « identitaire », plus floue et plus ambigüe, font
taire momentanément leurs divergences dans un élan « consensuel » qui touche la
Corse profonde, celle qui sait, par instinct, par bon sens, par expérience, par
les leçons de l’histoire ou par simple idéologie patriotique que le sort de la
Corse est indissolublement lié à celui de la France « une et indivisible ».. Que
les nostalgiques du pétainisme et les héritiers spirituels ou directs de la
Muvra, se réclamant plus ou moins ouvertement de
l’autonomisme ou de l’irrédentisme de l’entre-deux-guerres aient la décence de
se taire en ces temps de communion patriotique et d’en méditer la leçon. Fasse
que les autorités, associations, anciens combattants, enseignants, militaires ou
civils de milieux sociaux ou d’ethnies d’origine différentes qui s’associent à
ce « devoir de mémoire » gardent les yeux ouverts également sur le présent car «
la bête immonde » n'est jamais qu'« en sommeil ».
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