Par Christine
ALFARGE
« Médias,
la grande illusion »
Le
statut du journaliste.
Qu’est-ce qu’un journaliste ?
Il faudra attendre la loi Brachard du 29 mars 1935
pour définir légalement la profession de journaliste. Selon cette même loi, est
journaliste professionnel « celui qui a pour occupation principale, régulière
et rétribuée,l’exercice de sa profession dans une ou
plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs
agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ». Ce
texte, complété par d’autres dispositifs comme la convention collective des
journalistes, est toujours en vigueur et constitue la base du statut de la
profession. Jean-Jacques Cros pense « qu’il n’y a pas vraiment de
définition de ce métier et que le principal des
ressources ne provient pas
des médias. Il faut faire autre chose à côté ».
Comment peut-on devenir journaliste ?
Maintenant pour devenir journaliste, il faut se faire
embaucher. C’est une profession accessible à tous qui compte plusieurs écoles de
journalisme sans aucun critère d’entrée. Au sujet de la carte de presse,
Jean-Jacques Cros précise : « C’est parce que vous êtes journaliste que
l’on vous donne une carte de presse pour laquelle vous donnez le montant de
vos revenus, pas seulement les salaires perçus en tant que journaliste, mais vos
revenus véritables ». Elle est délivrée par la commission de la carte
d’identité des journalistes professionnels. L’obtention de la carte de presse
est d’une année au lieu de deux pour ceux qui ont suivi un cursus avec diplôme à
la clé parmi une des écoles de journalisme reconnues par la profession (exemple
le CELSA).
Quelle est la frontière de ce
métier ?
Il existe des différences dans les métiers du journalisme
selon des critères bien définis, à savoir la nature de la mission (journaliste
rédacteur, secrétaire de rédaction), le type de presse (écrite, radio, télé,
multimédia), le niveau hiérarchique (chef de service, rédacteur en chef) et le
pigiste en tant qu’indépendant.
Pourquoi peine-t-on à recruter ? Parce qu’on presse
au maximum. Les rédactions se trouvent la plupart du temps en sous effectif et
ont fréquemment recours aux pigistes. Selon Jean-Jacques Cros : «
Ils sont corvéables à merci mais avec une certaine liberté à cause d’un certain
nombre de choses. Les journalistes ne partagent pas les thèmes, chacun choisit
mais avec une obligation de résultat. Il n’existe pas de scrupule professionnel
sinon quelqu’un d’autre va produire ».
Quel est l’objectif d’un
pigiste ?
Les pigistes sont de plus en plus nombreux et ils
représentent une part croissante des journalistes professionnels. Ils assurent
une prestation au renouvellement incertain. On peut distinguer trois
catégories :
-Le pigiste occasionnel pour une durée de dix jours
maximum.
-Le pigiste régulier vers une étape supplémentaire de
fidélisation.
-Le pigiste permanent (pige forfaitaire mensuelle avec
l’objectif de CDD).
Cependant, la place du pigiste a acquis toute légitimité
dans la famille des journalistes, ce qui ne fut pas toujours le cas au regard de
la loi Brachard du 29 mars 1935 précédemment citée.
L’idéal était le journaliste salarié permanent d’une rédaction. La dite loi
indiquait notamment : « Les principes d’action du journaliste sont
le goût qu’il a de son métier, son attachement au journal considéré comme
personne morale, l’émulation. L’amener à se disperser, faire du journal une
boîte aux lettres où il vient déposer ses articles, ce n’est pas seulement
l’obliger à un travail hâtif, l’habituer à se contenter du superficiel et à se
disperser de la réflexion, c’est aussi lui enlever une des sources de son
enthousiasme ».
Les pigistes, des journalistes comme les autres (loi
Cressard de juillet 1974).
Si la relation entre le pigiste et son employeur est
davantage considérée comme une forme de «dépendance économique » où la
notion de lien de subordination semble peu adaptée, il n’en demeure pas moins
que cette relation entre salariat et indépendance est plus complexe. Un quart
des pigistes n’ont qu’un seul employeur et plus de la moitié (55%) n’ont que de
un à trois employeurs. Selon l’analyse du sociologue Olivier Pilmis : « Au-delà de la première année de
collaboration, la relation d’échanges a toujours plus de chance d’être
poursuivie qu’interrompue, à l’issue de la troisième année de collaboration, la
probabilité de poursuite est toujours deux fois plus élevée que la probabilité
d’arrêt ». La quête d’un emploi stable en CDI va donc dépendre des
relations établies entre les pigistes et les responsables de rédaction après une
période d’intégration dans leurs équipes journalistiques. Selon Jean-Jacques
Cros : « Il y a une dualité entre deux catégories, un journalisme
d’en haut avec des gens connus qui ont les honneurs, révérencieux vis-à-vis du
pouvoir et un journalisme de terrain exercé par des journalistes pour la plupart
payés au SMIC, ce dont ils ont honte et s’estiment malheureux. En revanche, ils
ont le pouvoir d’une revanche sociale, s’affirmer, demander des comptes. C’est
la lutte des classes avec une vision manichéenne simpliste de la société entre
en permanence les bons et les méchants en l’absence de toute déontologie,
neutralité, objectivité ». Il ajoute : « Les
journalistes ne sont pas représentatifs de la population française ».
Charte des devoirs professionnels des journalistes
français.
Elle fut initialement rédigée en juillet 1918, remaniée
en janvier 1938 puis réactualisée en mars 2011. Au regard de cette charte,
Jean-Jacques Cros indique : « qu’on peut faire toute sa carrière
sans la respecter, son existence est virtuelle ».Cependant, 20 %
d’aides directes ou indirectes proviennent de l’état. Si on interdit ces
subventions, tout est interdit. C’est une sorte de cocon protecteur sur des
aides non discriminatoires (avantage de la TVA) dont tout le monde bénéficie
notamment ceux qui n’ont pas beaucoup de lecteurs. En conséquence, tous les
médias appartiennent aux grandes familles ou aux grands
groupes.
Pourquoi les gens n’achètent pas de journaux ?
Selon Jean-Jacques Cros : « Parce
qu’ils pensent qu’on les gruge. La télévision a également tué l’envie d’acheter
les journaux mais il faut faire la distinction entre presse nationale et presse
régionale. Par exemple, le premier quotidien du Japon est vendu à quatorze
millions d’exemplaires par jour. Quoiqu’il en soit, les médias doivent subvenir
à leurs propres besoins. Si on ne surclasse pas, le travail ne sera pas de bonne
qualité car la plupart des reportages sont financés de cette manière, par les
avantages. Les conflits d’intérêts viennent également ternir l’image de la
presse car ils nourrissent le soupçon ainsi que le manque de transparence
contrairement aux Etats-Unis ».
Les médias audiovisuels, la forme plus forte que le
fond.
Pourquoi cela existe ? Selon Jean-Jacques
Cros : « Parce que l’ennemi c’est le zapping. C’est quelqu’un qui
se dit peut-être est-ce mieux
ailleurs, conséquence d’une frustration de ce que vous faites et que vous
pourriez faire. Pour empêcher le zapping, il faut donner à l’image des plans et
des plans pour revoir l’image fugace. Conséquence de tout çà, on a inventé un
logiciel, un plan toutes les secondes. Pour ne pas se lasser, il faut faire de
l’image. L’audiovisuel est un média de masse. Comment montrer à l’image
tout ce qui est abstrait dans la société ? Et bien on ne le fait pas. La
vraie vie ne passe pas sans support il faut trouver des astuces, par exemple sur
la baisse de croissance, que montrer ? L’information est dans le
commentaire. La télévision raconte, on fait croire qu’évoquer le problème, c’est
connaître le problème. Entre le vécu et l’émotion, la belle histoire est
prégnante ».
En conclusion, cette maxime d’Albert Londres résume assez
bien le sens de l’engagement journalistique : « Je demeure convaincu
qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à
précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de
roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire tort, il est
de porter la plume dans la plaie ».