Compte-rendu du dîner-débat du 11 juin 2013

En présence de Monsieur Jean-Jacques CROS,

Démocratie et médias, état des lieux

 

  Par Christine ALFARGE

 

« Médias, la grande illusion »

 

Le statut du journaliste.

 

Qu’est-ce qu’un journaliste ? Il faudra attendre la loi Brachard du 29 mars 1935 pour définir légalement la profession de journaliste. Selon cette même loi, est journaliste professionnel « celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée,l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques, ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ». Ce texte, complété par d’autres dispositifs comme la convention collective des journalistes, est toujours en vigueur et constitue la base du statut de la profession. Jean-Jacques Cros pense « qu’il n’y a pas vraiment de définition de ce métier et que le principal des ressources ne provient pas des médias. Il faut faire autre chose à côté ».

 

Comment peut-on devenir journaliste ?

 

Maintenant pour devenir journaliste, il faut se faire embaucher. C’est une profession accessible à tous qui compte plusieurs écoles de journalisme sans aucun critère d’entrée. Au sujet de la carte de presse, Jean-Jacques Cros précise : « C’est parce que vous êtes journaliste que l’on vous donne une carte de presse pour laquelle vous donnez le montant de vos revenus, pas seulement les salaires perçus en tant que journaliste, mais vos revenus véritables ». Elle est délivrée par la commission de la carte d’identité des journalistes professionnels. L’obtention de la carte de presse est d’une année au lieu de deux pour ceux qui ont suivi un cursus avec diplôme à la clé parmi une des écoles de journalisme reconnues par la profession (exemple le CELSA).

 

Quelle est la frontière de ce métier ?

 

Il existe des différences dans les métiers du journalisme selon des critères bien définis, à savoir la nature de la mission (journaliste rédacteur, secrétaire de rédaction), le type de presse (écrite, radio, télé, multimédia), le niveau hiérarchique (chef de service, rédacteur en chef) et le pigiste en tant qu’indépendant.

 

Pourquoi peine-t-on à recruter ? Parce qu’on presse au maximum. Les rédactions se trouvent la plupart du temps en sous effectif et ont fréquemment recours aux pigistes. Selon Jean-Jacques Cros : « Ils sont corvéables à merci mais avec une certaine liberté à cause d’un certain nombre de choses. Les journalistes ne partagent pas les thèmes, chacun choisit mais avec une obligation de résultat. Il n’existe pas de scrupule professionnel sinon quelqu’un d’autre va produire ».

 

Quel est l’objectif d’un pigiste ?

 

Les pigistes sont de plus en plus nombreux et ils représentent une part croissante des journalistes professionnels. Ils assurent une prestation au renouvellement incertain. On peut distinguer trois catégories :

-Le pigiste occasionnel pour une durée de dix jours maximum.

-Le pigiste régulier vers une étape supplémentaire de fidélisation.

-Le pigiste permanent (pige forfaitaire mensuelle avec l’objectif de CDD).

 

Cependant, la place du pigiste a acquis toute légitimité dans la famille des journalistes, ce qui ne fut pas toujours le cas au regard de la loi Brachard du 29 mars 1935 précédemment citée. L’idéal était le journaliste salarié permanent d’une rédaction. La dite loi indiquait notamment : « Les principes d’action du journaliste sont le goût qu’il a de son métier, son attachement au journal considéré comme personne morale, l’émulation. L’amener à se disperser, faire du journal une boîte aux lettres où il vient déposer ses articles, ce n’est pas seulement l’obliger à un travail hâtif, l’habituer à se contenter du superficiel et à se disperser de la réflexion, c’est aussi lui enlever une des sources de son enthousiasme ».

 

Les pigistes, des journalistes comme les autres (loi Cressard de juillet 1974).

 

Si la relation entre le pigiste et son employeur est davantage considérée comme une forme de «dépendance économique » où la notion de lien de subordination semble peu adaptée, il n’en demeure pas moins que cette relation entre salariat et indépendance est plus complexe. Un quart des pigistes n’ont qu’un seul employeur et plus de la moitié (55%) n’ont que de un à trois employeurs. Selon l’analyse du sociologue Olivier Pilmis : « Au-delà de la première année de collaboration, la relation d’échanges a toujours plus de chance d’être poursuivie qu’interrompue, à l’issue de la troisième année de collaboration, la probabilité de poursuite est toujours deux fois plus élevée que la probabilité d’arrêt ». La quête d’un emploi stable en CDI va donc dépendre des relations établies entre les pigistes et les responsables de rédaction après une période d’intégration dans leurs équipes journalistiques. Selon Jean-Jacques Cros : « Il y a une dualité entre deux catégories, un journalisme d’en haut avec des gens connus qui ont les honneurs, révérencieux vis-à-vis du pouvoir et un journalisme de terrain exercé par des journalistes pour la plupart payés au SMIC, ce dont ils ont honte et s’estiment malheureux. En revanche, ils ont le pouvoir d’une revanche sociale, s’affirmer, demander des comptes. C’est la lutte des classes avec une vision manichéenne simpliste de la société entre en permanence les bons et les méchants en l’absence de toute déontologie, neutralité, objectivité ». Il ajoute : « Les journalistes ne sont pas représentatifs de la population française ».

 

Charte des devoirs professionnels des journalistes français.

 

Elle fut initialement rédigée en juillet 1918, remaniée en janvier 1938 puis réactualisée en mars 2011. Au regard de cette charte, Jean-Jacques Cros indique : « qu’on peut faire toute sa carrière sans la respecter, son existence est virtuelle ».Cependant, 20 % d’aides directes ou indirectes proviennent de l’état. Si on interdit ces subventions, tout est interdit. C’est une sorte de cocon protecteur sur des aides non discriminatoires (avantage de la TVA) dont tout le monde bénéficie notamment ceux qui n’ont pas beaucoup de lecteurs. En conséquence, tous les médias appartiennent aux grandes familles ou aux grands groupes.

 

Pourquoi les gens n’achètent pas de journaux ?

 

Selon Jean-Jacques Cros : « Parce qu’ils pensent qu’on les gruge. La télévision a également tué l’envie d’acheter les journaux mais il faut faire la distinction entre presse nationale et presse régionale. Par exemple, le premier quotidien du Japon est vendu à quatorze millions d’exemplaires par jour. Quoiqu’il en soit, les médias doivent subvenir à leurs propres besoins. Si on ne surclasse pas, le travail ne sera pas de bonne qualité car la plupart des reportages sont financés de cette manière, par les avantages. Les conflits d’intérêts viennent également ternir l’image de la presse car ils nourrissent le soupçon ainsi que le manque de transparence contrairement aux Etats-Unis ».

 

Les médias audiovisuels, la forme plus forte que le fond.

 

Pourquoi cela existe ? Selon Jean-Jacques Cros : « Parce que l’ennemi c’est le zapping. C’est quelqu’un qui se dit peut-être est-ce  mieux ailleurs, conséquence d’une frustration de ce que vous faites et que vous pourriez faire. Pour empêcher le zapping, il faut donner à l’image des plans et des plans pour revoir l’image fugace. Conséquence de tout çà, on a inventé un logiciel, un plan toutes les secondes. Pour ne pas se lasser, il faut faire de l’image. L’audiovisuel est un média de masse. Comment montrer à l’image tout ce qui est abstrait dans la société ? Et bien on ne le fait pas. La vraie vie ne passe pas sans support il faut trouver des astuces, par exemple sur la baisse de croissance, que montrer ? L’information est dans le commentaire. La télévision raconte, on fait croire qu’évoquer le problème, c’est connaître le problème. Entre le vécu et l’émotion, la belle histoire est prégnante ».

 

En conclusion, cette maxime d’Albert Londres résume assez bien le sens de l’engagement journalistique : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

 

 

 

 

 

 
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08.09.2013
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