LE HARAS DE LA
ROCHE-SUR-YON
par Vincent
LOUIS,
magazine-enligne.com
La dernière visite de notre Président
à La Roche-sur-Yon, alors qu'il a été interpellé par une femme qui l’implorait
de lui donner du travail, nous a conduit à quelques
réflexions sur l’état et le devenir de la société française au travers d’un
établissement emblématique : le Haras de Vendée situé à... La
Roche-sur-Yon.
Il nous a semblé intéressant
d’analyser comment l’État conserve toutes les « strates géologiques » de ses
chantiers stratégiques. Cette conser-vation peut être
source d’enlisement ou de rebond...
Le 17 octobre 1665 Colbert créa une
des plus anciennes institutions françaises qui existe encore actuellement : les
Haras nationaux. L’enjeu était particulièrement stratégique : alors que Louis
XIV guerroyait contre ses voisins, dont l’Espagne, cette dernière lui
fournissait une production de chevaux de guerre de très mauvaise qualité. Afin
de ne plus être dépendant, de rendre cette activité moins vulnérable... et pour
satisfaire quelques groupes de pression locaux, il a été progressivement décidé
de la répartir sur le territoire tout en rapprochant le flux de production des
garnisons et des différentes frontières. C’est ainsi que subsistent aujourd’hui
vingt et un haras nationaux, regroupés, avec le Cadre Noir, dans un Institut du
Cheval et de l’Équitation.
Le Haras de Vendée de La
Roche-sur-Yon se trouve maintenant enchâssé en plein centre-ville sur un terrain
de 4,5 hectares. Prévu pour l’élevage de 220 chevaux, il abrite aujourd’hui 9
chevaux de sang, 4 chevaux de trait, 2 poneys, 1 âne et 1 mulet. Ces animaux
sont abrités dans une écurie dont une partie du toit prend l’eau, déjetée sur
les bords du terrain. Quand il fut construit en 1842, manifestation de deux
cents ans de dérive bureaucratique depuis le lancement du chantier par
l'exigeant Colbert, la maison du directeur trône en plein centre de l’emprise
avec son somptueux parc et occupe près des deux tiers du terrain, avec un
deuxième bâtiment, réservé à l’administration. Pour prendre de l’exercice, il ne
reste aux chevaux, qu’une carrière à peu près grande comme un terrain de
tennis.
Alors que depuis la guerre de 14-18,
les chevaux ont perdu progressivement de leur importance dans les guerres, les
haras sont arrivés avec difficultés à modifier leur positionnement. Leurs
missions se sont déplacées vers la conservation de races, un rôle d’inventaire
et de promotion de la filière du cheval, la formation et le spectacle équestre.
L’insémination artificielle a été assez récemment privatisée ce qui fait que la
fonction de haras (« établissement où l'on élève des étalons et des juments de
race en vue de la reproduction et de l'amélioration de l'espèce chevaline »,
Larousse) est, de fait, en voie de partiel abandon.
Les 21 haras représentent aujourd’hui
1.153 hectares de terrains, 191.000 m² de surfaces bâties, un effectif assez
stable, autour de 1.100 employés pour environs 800 chevaux. Pour compliquer
l’analyse financière globale, et la « pilotabilité », quelques-uns d’entre eux
sont maintenant financés par des conseils généraux.
On peut se poser quelques questions
alors qu’un des enjeux est de rationaliser la dépense
publique
- Est-il raisonnable de conserver 21
haras pour mener les fonctions définies plus haut. (Si certains chevaux se
partagent la surface d’un court de tennis, d’autres disposent, sur le papier de
plus d’un hectare chacun.) ?
- Est-ce un bon placement de
conserver 4 hectares ½ en pleine ville pour élever une vingtaine de chevaux
?
- Est-il justifiable d’entretenir
plus de 258 m² de surfaces bâties par cheval élevé alors qu’il existe une
pénurie aiguë de logements ?
- Est-il bien raisonnable de financer
plus d’un salarié par cheval protégé, même si certains de ces métiers sont en
voie de disparition, doivent être protégés et leur savoir-faire diffusés
?
- Est-il judicieux que l’état
rivalise avec les industries du spectacle ?
Alors qu’un des enjeux majeurs est le
rééquilibrage du déficit commercial du pays
- Serait-il déraisonnable de chercher
à mieux exporter, non seulement par voie institutionnelle mais aussi par voie
commerciale internationale, le savoir-faire et la renommée de l’École française
de dressage des chevaux ?
- La « marque à forte valeur ajoutée
Cadre Noir est-elle exploitée au mieux à l’international ?
- Est-il habile de ne pas mettre plus
d’efforts dans l’aide à l’exportation de la production privée française
?
La maison du directeur du haras de La
Roche-sur-Yon a sûrement longtemps attisé les convoitises de ses serviteurs et
récompensé les plus dociles.
C’est ainsi que les chantiers
stratégiques de la République produisent des « fromages » que leurs serviteurs
zélés hésitent à faire évoluer de manière cohérente car ils risqueraient de
perdre les avantages qui y sont attachés.
La charge de ce passé qui a mal redéfini les besoins de son présent et de son avenir,
est financée par les impôts des contribuables. Les entreprises françaises
doivent donc payer à leurs salariés, contribuables par ailleurs, la possibilité
de continuer de financer les objectifs stratégiques de Louis XIV, tout en
restant compétitives alors qu'elles manquent de façon permanente de fonds
propres, et ont du mal à financer leur propre
développement.
Combien d’institutions présentent des
caractéristiques analogues au Haras de Vendée ?
La France croule sous le poids d’un
passé riche dont elle se sert mal et qui aurait dû trouver depuis longtemps son
équilibre financier.
Les capacités d’investissement des
chantiers stratégiques d’aujourd’hui sont grevées par les chantiers stratégiques
d'hier.
La capacité d’un pays à évoluer
dépend de sa capacité à faire évoluer intelligemment ses
institutions.
Nous espérons que la ville de La
Roche-sur-Yon, le Conseil général de Vendée, et l’État sauront reconvertir le
patrimoine et valoriser les actifs qu’ont laissé Louis XIV et Napoléon, de
manière intelligente et rentable.
En produisant des richesses, ils
pourront proposer à la femme qui a interpellé le Président un travail à temps
plein à plus de cinq cents euros par mois.
Ne serait-il pas plus aisé pour le
souverain
de mettre en œuvre ses propres
révolutions que de subir celles du peuple
?