par
Paul KLOBOUKOFF
L'avènement du pape François est l'occasion
de faire un petit « tour du propriétaire », de vérifier si le catholicisme est
bien aussi faible et en recul qu'on le dit, de regarder où et quels sont les
catholiques aujourd'hui, ainsi que de reprendre la mesure du monde chrétien en
mouvement dont ils font partie. Combien d'idées fausses sont propagées sur ces
sujets, non sans « louables » intentions! Un coup d'oeil sur la pauvreté dans le monde, que le pape veut
réduire, permet de voir où sont les priorités. Un regard dans le kaléidoscope
mondial des groupes religieux, ainsi que sur les « sans affiliation religieuse
», sur leurs dimensions, leurs importances respectives, les dynamiques de leurs
évolutions, les localisations de leurs populations et leurs cohabitations, plus
ou moins pacifiques, peut servir aussi à mieux saisir le contexte complexe et
délicat dans lequel le pape aborde sa mission, de paix et de dialogue, en
particulier. Le déploiement de l'islam et de ses fidèles, qui monte avec force
en Asie, en Afrique, au Moyen Orient et en Europe mérite l'attention. Il
inquiète. Le pape aura la tâche difficile, mais sans doute très attendue, de
consolider les relations avec les « autorités » religieuses et politiques, de
protéger le mieux possible les chrétiens dans les pays du monde où ils sont très
minoritaires et de promouvoir la paix.
L'ouverture du pape sur le monde et ses grands
problèmes est incompatible avec le repli au sein de son Église, que des médias
proposent ou suggèrent. Et il lui appartient de préciser en quoi et comment
cette Église, qui compte plus d'un milliard de baptisés répartis sur tous les
continents dans le monde, doit être « modernisée, réformée ». Quant aux
questions relatives au nettoyage et à la mise au pas de la Curie romaine : ces
tâches relèvent d'un chef d'État, d'autres d'un Premier ministre.
Première
partie
Du catholicisme en France et dans
le monde, de priorités du nouveau pape
En France, recul du catholicisme,
mais 64 à 66 % de judéo-chrétiens, tout de même.
Le recul du catholicisme en France depuis un
demi-siècle n'est pas mesuré avec précision car une loi du 6 janvier 1978
(informatique et liberté) interdit aux recensements légaux de poser des
questions sur l'appartenance religieuse des personnes. Aussi, les « données »
sur le sujet proviennent-elles essentiellement de statistiques relatives aux
baptisés, de sondages et d'évaluations. Elles ne sont pas toujours concordantes.
Le site de Wikipédia présente,
notamment, celles assez proches, de l'lFOP
(2011) et du PEW Research Center (2010) qui
donnent les proportions de catholiques de 61 % et 60,4 %.
À ces catholiques s'ajoutent 3 à 4 % de chrétiens
d'autres religions. Les juifs seraient un peu moins de 1 %. La proportion des
musulmans, en forte hausse, se situe entre 7 et 8 % de la population. Celle des
personnes sans religion et autres a augmenté aussi pour atteindre 27 à 29 %.
Ainsi, la fille aînée de l'Église perd du poids au sein de la communauté
catholique d'Europe et du monde.
Mais, on
compte tout de même de 64 à 66 % de judéo-chrétiens dans notre population. Ils
vivent en paix avec la laïcité et, soit dit en passant, ne désirent pas
ardemment perdre leurs racines et toutes leurs traditions au profit du
cosmopolitisme qui se propage en France et dans l'ouest de
l'Europe.
Selon un sondage BVA du 14 au 15 mars 2013:
82 % des Français considèrent que le conclave a fait un bon choix en la personne
de Jorge Mario Bergoglio [ouf!]; une « majorité
écrasante » de 79 % des Français souhaitent que le nouveau pape soit
l'initiateur de « grandes réformes » dans l'Église catholique, plutôt que le
garant des grands principes de l'Église catholique (15 %).
Il est vrai que les médias ont vite fait de
tailler au pape un costume sur mesure. Ainsi, sur actu.orange.fr, le 15
mars : « Le nouveau pape peut-il faire évoluer les mentalités au sein de
l'Église? »... « Mais Jorge Mario Bergoglio n'est pas
un révolutionnaire. Progressiste sur les plans économique et social, il
s'affiche résolument conservateur quant à la doctrine religieuse. François
s'oppose à l'euthanasie, à l'avortement et au port du préservatif. Il défend le
célibat des prêtres. Il s'est montré un féroce adversaire du mariage
homosexuel lors du débat lancé en Argentine en 2010. » Seuls points jugés
positifs: il est « contre la mondialisation et pour la défense des droits de
l'homme ». Avec un tel CV, ne faudrait-il pas qu'il se réforme avant de
réformer l'Église... et « nettoyer les écuries d'Augias », la Curie du
Vatican... pour répondre aux (bons) voeux de ceux qui
critiquent?
Un pape réformateur, pour quels
pauvres?
Les chiffres du sondage indiquent que l'intérêt
porté au pape et à l'Église catholique et les attentes de « réformes » ne
s'arrêtent pas à la sphère des catholiques. Ils traduisent un espoir partagé que
son rôle ne soit pas confiné « au sein de l'Église », mais qu'il aide aussi à
répondre aux grands problèmes que connaît l'humanité... soit écouté des
décideurs politiques, économiques et sociaux, agisse pour la paix dans le monde.
En ce qui concerne les « grandes réformes », les
situations et les opinions des Français diffèrent sensiblement de celles de la
majorité des catholiques dans le monde. Il faut en être conscients, plus que par
le passé... et ne pas grandir des problèmes chez nous, petits par rapport à des
maux sévissant dans les populations les plus pauvres.
Les médias ont souligné l'attachement répété du
pape François à « une Église pauvre pour les pauvres ». Il sait, mieux que la
plupart d'entre nous, qu'une profonde misère sévit dans de vas-tes régions du monde et que plusieurs milliards d'êtres
humains s'efforcent de survivre avec moins de 2 dollars par jour.
L'Observatoire des inégalités a présenté sur son
site internet le 14 mai 2012 des données globales récentes de la Banque
mondiale, s'arrêtant en 2008, sur la pauvreté dans le monde.
Elles montrent que la grande pauvreté a
considérablement reculé depuis 1981. Mais en 2008, encore 2,471 milliards de
pauvres, soit 43 % de la population mondiale (PM) vivaient avec moins de 2
dollars ($) par jour. Sous le seuil « d'extrême pauvreté », avec moins de
1,25 $ par jour, survivaient 1,289 Md de personnes, soit 22,4 % de la PM. Dans
la grande misère, avec moins de 1 $ par jour, s'accrochaient à la vie 806
millions de déshérités, soit 14 % de la PM.
Les taux d'extrême pauvreté (moins de 1,25 $ par
jour par personne) sont les plus forts en Afrique subsaharienne, 47,5 %, et en
Asie du Sud, 36 %. Dans l'Asie de l'Est et Pacifique, il est de 14,3 %, en
Amérique latine et Caraïbes, il est de 6,5 %, au Moyen Orient et Afrique du
Nord, de 2,7 %, en Europe de l'Est et Asie Centrale, de
0,5 %.
Dieu merci, en Europe de l'Ouest et en Amérique du
Nord l'extrême pauvreté est absente depuis des décennies.
Ces chiffres sinistres devraient inviter à la
réflexion ceux qui ont raillé le pape Jean Paul II en disant qu'il « avait mis
la capote à l'index ». Ils pensent sans doute que le préservatif est la panacée
pour éviter le sida... et en même temps un outil efficace de maîtrise des
naissances.
C'est dans les
régions les plus pauvres, en Afrique et en Asie, en particulier, que le sida
sévit le plus et que les naissances sont les plus difficiles à "contrôler. Les
milliards de très pauvres ont-ils réellement le choix entre manger et tenter de
survivre ou « capoter » ?
Il faut cesser d'être nombrilistes. Tous les
messages ne s'adressent pas pareillement à tous. Ils ne peuvent être compris par
la grande majorité des chrétiens dans le monde de la même façon que par une
minorité d'aisés de « l'Occident moderne », « avant-gardiste », dont les
milieux, les valeurs, les besoins, les moyens sont très différents.
Aussi, si le pape ne peut manquer d'être sensible
et attentif aux difficultés des malheureux en France (en Europe), il n'est pas
certain qu'il regarde avec les mêmes yeux que nous notre « pauvreté » et
l'ensemble de nos « pauvres » : 8,62 millions en 2010, avec un seuil de pauvreté
à 964 euros par mois (60 % du niveau de vie médian), ou 4,76 millions avec un
seuil à 803 € / mois (50 % du NDV médian). Logiquement, les priorités de son
grand combat contre la pauvreté devraient se trouver ailleurs. D'ailleurs, que
pourrait-il recommander à nos gouvernants, sinon plus de dynamisme, de
croissance et d'emploi, puisque les limites de notre système de redistribution
sont déjà repoussées chaque semaine, à la va vite. Peut-être plaider en faveur
de la famille. Mais laquelle, s'il ne veut pas mécontenter nos « progressistes
»? Un conseil, tel « aide-toi et le ciel t'aidera » ? Surtout pas, mon dieu!
Pourtant, n'en trouve-t-on pas trace dans son encouragement : « Ne cédons pas
au pessimisme, jamais, ni à l'amertume que nous tend le diable chaque jour ».
La référence au diable a pu déplaire... surtout à des non croyants,
paraît-il.
Quoi qu'il en soit, il faudra au pape François de
la persévérance, de la pédagogie et une grande qualité de communication pour
être bien compris et suivi dans et hors de l'Église qu'il définit comme « une
diversité qui s'unit dans la communion, non pas dans l'égalité mais dans
l'harmoniez (cf. site de La Croix, le 16 mars2013).
Le nombre de catholiques n'a cessé
de croître dans le monde
Selon l'annuaire statistique pontifical 2012, le
nombre de catholiques dans le monde s'est élevé à 1,196 milliards en
2010. Il était de 0,757 milliard en 1978. Il a donc crû de + 58 % en
trente-deux ans (près de sept fois la population actuelle totale de la France).
Le nombre de baptisés a encore progressé de + 5,7 % entre 2006 et 2010. Et, la
population des catholiques dans le monde approche probablement 1,3 milliard en
2013. Les catholiques français (un peu moins de 40 millions) n'en sont plus
qu'entre 3 et 3,5 %. Aussi, nos compatriotes ne doivent pas surestimer leur
poids dans l'orientation des choix fondamentaux de l'Église.
Le VIS (Vatican information service) du 12
mars 2012 indique que la proportion des catholiques dans le monde avoisine 17,5
% de la population en 2011, qu'ils sont présents sur tous les continents où ils
sont très inégalement répartis. En Amérique latine, ils représentent 28,3 % des
catholiques. C'est 23,8 % en Europe. C'est 15,6 % en Afrique et 10,9 % en Asie
du sud-est, deux régions où le catholicisme est en progression (cf.
Église.catholique.fr).
À côté des indiscutables qualités personnelles du
nouveau pape, l'importance grandissante des catholiques vivant dans des pays du
sud a inévitablement influé sur le choix du cardinal Jorge Bergoglio par ses pairs pour diriger l'Église. Une première
alternance avec des papes européens, logique, en quelque sorte.
Tardive ?
L'étude Global Christianity publiée par le PEW Research Center (déjà cité plus haut), monument bâti à
l'aide de plus de 2.400 recensements, enquêtes générales de population et
études, fournit des données chiffrées détaillées sur les groupes religieux dans
232 pays et territoires auto administrés en 2010.
Selon ses
évaluations, le monde compte alors 1,095 milliard de catholiques. L'Italie en
rassemble 50,25 millions, soit 4,6% du total (et 83 % de la population du pays).
La France en est à 3,5 % (comme la Colombie), la Pologne et l'Espagne, à 3,2 %.
Les plus gros bataillons se trouvent au Brésil, 133,7 millions, soit 12,2 % du
total, au Mexique, 96,3 Mi, aux Philippines, 75,9 millions et aux États Unis,
74,5 Mi.
Des catholiques très dispersés
dans le monde, avec des minorités dans des situations précaires
Il y a aussi 31,2 millions de catholiques en «
République démocratique » du Congo, 20 Mi au Nigéria, 7,57 Mi au Cameroun, 4,28
Mi au Sud Soudan et 0,97 Mi au Nord Soudan, 1,22 au Liban, 1,05 Mi en Arabie
Saoudite, 0,81 Mi au Pakistan, 0,75 Mi dans les Émirats arabes, 0,6 Mi en
Birmanie et en Éthiopie, 0,43 en Syrie et 0,33 Mi au Mali.
Nous savons que la profession de la foi
catholique, et d'autres religions chrétiennes, est mal acceptée dans certains de
ces pays, surtout là ou l'islam domine sans partage. La sécurité des chrétiens
n'est pas toujours assurée et des milliers de personnes sont forcées de s'exiler
pour survivre.
Mais il y a aussi une multitude de pays où les
catholiques constituent des minorités encore plus faibles, de quelques milliers
ou dizaines de milliers de personnes, qui vivent souvent dans la précarité et la
crainte dans des milieux peu accueillants, sinon ouvertement hostiles. Ils ont
intérêt à faire profil bas, très bas. Je ne citerai ici que l'Afghanistan,
l'Algérie, le Cambodge, l'Iran, la Corée du Nord, la Palestine, la Tunisie, la
Turquie et le Yémen.
Aussi, est-il bien évident qu'une forte priorité
de l'Église est de protéger toutes ces minorités et d'établir les meilleures
relations possibles avec les gouvernants de ces pays ainsi qu'avec les autorités
religieuses dominantes, musulmanes, en particulier. Ceci en coopération étroite
avec les responsables protestants et orthodoxes.
Décentraliser l'Église, un voeu pieux ?
La diversification, la dissémination de la
population catholique et le déplacement de ses principaux foyers hors d'Europe
peuvent expliquer le retour de la question mainte fois évoquée d'une éventuelle
« décentralisation » au sein de l'Église catholique. Il ne s'agirait pas de
porter atteinte à la haute autorité du pape, affirment les uns, mais de
rapprocher du terrain la gestion quotidienne du fonctionnement des 1.800
diocèses et leurs 37.000 paroisses ou centres, de laisser plus d'initiative et
de capacité d'appréciation et de décision aux échelons locaux de la hiérarchie
de l'Église. Pour des décisions « mineures », qui ne touchent pas au dogme et
aux fondamentaux.
D'autres propositions vont plus loin et voudraient
que la décentralisation vise à faciliter des réformes qu'ils jugent nécessaires,
à les faire avancer plus rapidement « là » où elles seraient les mieux
acceptées. À titre d'exemples, ont été évoquées les questions controversées
comme le « mariage » des prêtres ou l'autorisation de la communion aux personnes
divorcées... Ce serait, alors, la naissance d'une Église (d'une religion) à
plusieurs vitesses. Cela exigerait un « transfert » d'autorité et de
responsabilité à des échelons intermédiaires de la hiérarchie, des « sous papes
», en quelque sorte, qui influeraient, à leur niveau, l'évolution de l'Église.
Une telle démarche paraît inenvisageable. Elle
jetterait le doute et affaiblirait fortement la parole de l'Église, ses
positions. Celle-ci montrerait qu'elle ne croît pas en ses propres idées, sur
lesquelles il y aurait des vérités contradictoires. Comme celles auxquelles nos
politiciens nous ont habitués. Elle serait porteuse de germes de divisions,
alors que l'une des forces majeures, hors du champ de la spiritualité, de
l'Église catholique est son unité.
Si le pape, décide d'engager des réformes, il le
fera directement, ouvertement, et non par la bande. Il le fera après avoir
consulté les cardinaux, membres du Sacré Collège, qui lui ont fait confiance et
qui l'ont choisi, puisqu'il semble avoir opté pour une direction plus collégiale
de l'Église.
En outre, la structure hiérarchique de l'Église
n'est pas vraiment pyramidale. Au sommet, le pape est l'autorité suprême. Le
second niveau est celui des 5.104 évêques (dont 3.871 diocésains et 1.233
religieux) tous nommés par le pape. Le troisième est celui des 412 236 prêtres
(dont 277 009 diocésains et 135.227 religieux). Puis viennent les diacres et les
laïcs (chiffres relatifs à2010; sources: Église.catholique.fr et Onelittleangel). C'est une structure qui se prête peu
à une véritable décentralisation. Elle n'a pas été conçue pour. Peut-on
envisager sérieusement de la voir «restructurée» ?
Des catholiques français qui
doivent retrouver confiance et allant
Contrairement à ce qui se passe en France et en
Europe de l'ouest, le catholicisme n'est pas en déclin. Son coeur s'est déplacé et il attire des millions de nouveaux
croyants dans le monde. Alors, pourquoi est-il montré du doigt, dénoncé comme un
coupable ici, un perdant qui s'effondre, épuisé ? Pour que ses ouailles se
raréfient, se recroquevillent, culpabilisent et cachent leurs opinions par
crainte de railleries, de critiques, voire du mépris de ceux qui, s'abritant ou
non derrière la laïcité, exhalent leur anticléricalisme et de ceux qui ont la
certitude que toute religion est anachronique, rétrograde? Des « minoritaires »
qui refusent de voir que dans le monde « libre » (sans la Chine et la Corée du
Nord) moins d'une personne sur douze n'a pas d'affiliation religieuse. Le pape
François peut-il redonner aux catholiques la confiance, la fierté et l'allant
nécessaires pour vivre en paix leur foi, défendre les valeurs judéo chrétiennes
auxquelles ils tiennent et affronter, avec entrain et détermination, les défis
du XXIe siècle? Un siècle qui, selon des « philosophes » médiatisés, « sera
spirituel, ou ne sera pas ».
En ce dimanche des rameaux, sur le site
actu.orange.fr, un article de l'AFP affichait en grosses lettres
que la veille, les neuf nouvelles cloches de Notre-Dame de Paris avaient sonné à
toute volée pour la première fois, « devant une foule de plusieurs centaines
de personnes ». Seulement ? Les actualités télévisées nous en ont montré
beaucoup plus. Et le compte rendu de la cérémonie sur le site
notredamedeparis.fr a rapporté : « cet événement majeur de la vie de
la cathédrale et de Paris s'est tenu à l'extérieur de la cathédrale en présence
de bien plus de 10.000 personnes ». Alors, pourquoi et à qui profite,
une fois encore, cette désinformation malveillante, anticléricale ? ¾
(À suivre dans notre numéro de mai,
deuxième partie :
Toujours plus de chrétiens
et
montée de l'islam qui inquiète.)