Compte rendu du dîner-débat du 12 février 2013

présidé par Christophe AYELA et Jean-Claude KROSS

QUEL AVENIR POUR LA JUSTICE PÉNALE EN FRANCE ?

 

« L’homme n’est pas fait pour être coupable »

Charles de Gaulle, citation du livre d’André Malraux Les chênes qu’on abat.

par Christine ALFARGE

En France, il y a deux visions différentes sur la justice pénale, celle de la victime qui voudrait toujours plus de répression contre celle du mis en cause, du prévenu, de la présomption d’innocence. Selon Jean-Claude Kross :

 

« La justice pénale n’a rien à voir avec la politique pénale. Le système pénal est en souffrance, le malheur est que les magistrats sont réduits au silence et en quittant leurs responsabilités font des révélations, c’est l’exemple du juge Nadal ».

 

La vision d’avocat de Christophe Ayela se tourne vers ceux qui doivent être défendus. Il pose ainsi la question : « Pourquoi, le système judiciaire n’est-il plus triangulaire ? ».

 

Aujourd’hui, il considère que le système judiciaire ne remplit plus ses fonctions. Il pense également que le système est aujourd’hui dangereux et archaïque faisant référence à l’affaire d’Outreau dans laquelle il n’y a pas eu de sanction pour le juge Burgot. C’est affolant, affligeant. La présomption d’innocence est une règle qui s’impose aux magistrats. C’est au Parquet et au juge d’instruction de rassembler les preuves d’une infraction à la loi pénale sans présumer de la culpabilité. Le constat de pratique est déprimant et fonction de l’aléa du juge. Lorsque ce dernier est objectif en instruisant à charge ou à décharge (article 81 du Code de procédure pénale) en faisant bénéficier le suspect du doute, on est certain que ça ira bien. Le juge d’instruction est le garant du respect du contradictoire par les parties. Il exerce ses fonctions sous le contrôle de la chambre de l’instruction de la cour d’appel.

 

Ce qui est frappant dans la pratique judiciaire, c’est d’une part le budget de la justice qui augmente, destiné principalement à l’administration pénitentiaire. On constate finalement que ce n’est pas qu’une question de moyens. D’autre part, il y a plus de délinquance mais on condamne moins malgré plus d’entrant en prison.

 

Les droits fondamentaux du gardé à vue

 

Pour mémoire, 336.000 gardes à vue en 2001sont passées à 700.000 en 2010 représentant une véritable dérive et une banalisation sur la privation des libertés fondamentales. La garde à vue a fait l’objet d’une réforme fondamentale réussie sous la contrainte du Conseil constitutionnel qui considérait inconstitutionnelles les conditions de la garde à vue de droit commun par la décision n° 2010-14/22 rendue le 30 juillet 2010 dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité émanant de la Cour de cassation le 1er juin 2010. Le Conseil constitutionnel a jugé que le régime de la garde à vue ne permet plus de garantir le respect des droits et libertés des citoyens tels qu’ils sont affirmés dans la Constitution de la Ve République.

 

Le Conseil constitutionnel a déclaré : « sont contraires à la Constitution les articles 62 (auditions des personnes convoquées sans avocat) ; 63 (principe et modalités de la garde à vue) 63-1 (notification des droits) 63-4 (entretien limité avec un avocat : 30 minutes maximum ; pas d’accès à la procédure) et 77 (application de la garde à vue aux enquêtes préliminaires) du code de procédure pénale. La place de l’avocat durant la garde à vue devra ainsi être renforcée par rapport à la situation actuelle, où l’avocat ne joue qu’un rôle très secondaire, n’étant autorisé ni à prendre connaissance du dossier ni à assister aux interrogatoires en garde à vue ». Il est à noter toutefois que le Conseil constitutionnel ne précise pas que l’assistance de l’avocat sera obligatoire dès le début de la garde à vue comme l’exige la Cour européenne des Droits de l’Homme qui évoque également la question de l’indépendance de l’autorité chargée de contrôler le placement en garde à vue, ce contrôle devant être effectué par un magistrat du siège et non un magistrat du parquet. En effet, le parquetier suit la totalité des gardes à vue mais il constitue l’autorité de poursuite. Il soutiendra l’accusation à l’audience. Dans ces conditions, comment le contrôle de la procédure peut-il s’exercer en toute indépendance d’esprit ? Selon Jean-Claude Kross et Christophe Ayela spécialistes du droit pénal, « la garde à vue reste une mesure anxiogène qui dans bien des cas peut être lourde de conséquences pénalement et psychologiquement ».

 

Les limites de la subjectivité

 

Le juge doit être objectif, le taux de mise en détention est relativement important. Pour Christophe Ayela : « Le juge reste dangereux, comment mieux l’utiliser ? ».Pour cette raison, il rêve d’un parquet indépendant, de la suppression du juge d’instruction avec pour tout citoyen un droit d’accès direct constituant une mesure de protection lors d’une mise en cause. Il évoque le système anglo-saxon pour garantir cette mesure de protection par le contre interrogatoire signifiant en anglais cross-examination. Pour lui, la justice doit être irréprochable et exemplaire, citant au passage les problèmes rencontrés aux États-Unis où la procédure pénale juge très peu car elle est basée sur un principe de transaction, une sorte de système pour les riches.

 

Cependant, la justice reste un domaine où existe une confrontation des pouvoirs entre magistrats du siège ou parquetier. Selon Jean-Claude Kross : « En supprimant le juge d’instruction, le seul magistrat indépendant, vous mettez les dossiers entre les mains du Parquet qui ne sera jamais indépendant ». Quoi qu’il en soit, Jean-Claude Kross et Christophe Ayela s’entendent sur la nécessité d’une réforme de la procédure pénale en France mais vers quelle procédure pénale ? Il faut trouver un système où il existe plus de contradictoire tout en faisant attention de solutionner normalement les dossiers moins importants s’inscrivant dans une volonté de gestion des flux sur la durée des procédures notamment lors des comparutions immédiates devant le tribunal ou des poursuites alternatives comme le rappel à la loi. En tant que symbole, la Justice alors disparaît.

 

Le secret de l’instruction face à la durée des procédures

 

 « Toute personne a un droit fondamental à être jugée dans un délai raisonnable » (article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme).

Le secret de l’instruction est nécessaire pour que les investigations puissent aboutir avant toute disparition de preuves ou d’éventuelles pressions sur les témoins. Il évite ensuite que soit prématurément et publiquement soupçonnée une personne dont la culpabilité n’est pas encore reconnue par un jugement. Il protège la présomption d’innocence et permet aux magistrats d’instruire plus sereinement face aux pressions ou aux tentations médiatiques.

 

La justice moderne est au fondement même de la démocratie. Aujourd’hui, elle reflète l’idée de mondialisation de l’espace judiciaire soumis aux contraintes européennes à travers une société en mutation permanente ayant perdu ses repères et ses médiations traditionnels tendant à demander à l’institution judiciaire plus qu’elle ne peut produire sur la régulation quotidienne des comportements sociaux, professionnels ou moraux.

« L’état social est ordinairement le produit d’un fait, quelque fois des lois, le plus souvent de ces deux causes réunies, mais une fois qu’il existe on peut le considérer lui-même comme la cause première de la plupart des lois, des coutumes et des idées qui règlent la conduite des nations. Ce qu’il ne produit pas il le modifie. Pour connaître la législation d’un peuple, il faut donc commencer par étudier son état social. » (Tocqueville). ¾

 




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07.03.2013
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