par Christine
ALFARGE
En France, il y a deux visions différentes
sur la justice pénale, celle de la victime qui voudrait toujours plus de
répression contre celle du mis en cause, du prévenu, de la présomption
d’innocence. Selon Jean-Claude Kross :
« La justice pénale n’a rien à voir avec la
politique pénale. Le système pénal est en souffrance, le malheur est que les
magistrats sont réduits au silence et en quittant leurs responsabilités font des
révélations, c’est l’exemple du juge Nadal
».
La vision d’avocat de Christophe Ayela se tourne vers ceux qui doivent être défendus. Il pose
ainsi la question : « Pourquoi, le système judiciaire n’est-il plus
triangulaire ? ».
Aujourd’hui, il considère que le système
judiciaire ne remplit plus ses fonctions. Il pense également que le système est
aujourd’hui dangereux et archaïque faisant référence à l’affaire d’Outreau dans
laquelle il n’y a pas eu de sanction pour le juge Burgot. C’est affolant, affligeant. La présomption
d’innocence est une règle qui s’impose aux magistrats. C’est au Parquet et au
juge d’instruction de rassembler les preuves d’une infraction à la loi pénale
sans présumer de la culpabilité. Le constat de pratique est déprimant et
fonction de l’aléa du juge. Lorsque ce dernier est objectif en instruisant à
charge ou à décharge (article 81 du Code de procédure pénale) en faisant
bénéficier le suspect du doute, on est certain que ça ira bien. Le juge
d’instruction est le garant du respect du contradictoire par les parties. Il
exerce ses fonctions sous le contrôle de la chambre de l’instruction de
la cour d’appel.
Ce qui est frappant dans la pratique judiciaire,
c’est d’une part le budget de la justice qui augmente, destiné principalement à
l’administration pénitentiaire. On constate finalement que ce n’est pas qu’une
question de moyens. D’autre part, il y a plus de délinquance mais on condamne
moins malgré plus d’entrant en prison.
Les droits fondamentaux du gardé à
vue
Pour mémoire, 336.000 gardes à vue en 2001sont
passées à 700.000 en 2010 représentant une véritable dérive et une banalisation
sur la privation des libertés fondamentales. La garde à vue a fait l’objet d’une
réforme fondamentale réussie sous la contrainte du Conseil constitutionnel qui
considérait inconstitutionnelles les conditions de la garde à vue de droit
commun par la décision n° 2010-14/22 rendue le 30 juillet 2010 dans le cadre
d’une question prioritaire de constitutionnalité émanant de la Cour de cassation
le 1er juin 2010. Le Conseil constitutionnel a jugé que le régime de la garde à
vue ne permet plus de garantir le respect des droits et libertés des citoyens
tels qu’ils sont affirmés dans la Constitution de la Ve République.
Le Conseil constitutionnel a déclaré : « sont
contraires à la Constitution les articles 62 (auditions des personnes convoquées
sans avocat) ; 63 (principe et modalités de la garde à vue) 63-1 (notification
des droits) 63-4 (entretien limité avec un avocat : 30 minutes maximum ; pas
d’accès à la procédure) et 77 (application de la garde à vue aux enquêtes
préliminaires) du code de procédure pénale. La place de l’avocat durant la garde
à vue devra ainsi être renforcée par rapport à la situation actuelle, où
l’avocat ne joue qu’un rôle très secondaire, n’étant autorisé ni à prendre
connaissance du dossier ni à assister aux interrogatoires en garde à vue ».
Il est à noter toutefois que le Conseil constitutionnel ne précise pas que
l’assistance de l’avocat sera obligatoire dès le début de la garde à vue comme
l’exige la Cour européenne des Droits de l’Homme qui évoque également la
question de l’indépendance de l’autorité chargée de contrôler le placement en
garde à vue, ce contrôle devant être effectué par un magistrat du siège et non
un magistrat du parquet. En effet, le parquetier suit la totalité des gardes à
vue mais il constitue l’autorité de poursuite. Il soutiendra l’accusation à
l’audience. Dans ces conditions, comment le contrôle de la procédure peut-il
s’exercer en toute indépendance d’esprit ? Selon Jean-Claude Kross et Christophe Ayela
spécialistes du droit pénal, « la garde à vue reste une mesure anxiogène qui
dans bien des cas peut être lourde de conséquences pénalement et
psychologiquement ».
Les limites de la subjectivité
Le juge doit être objectif, le taux de mise en
détention est relativement important. Pour Christophe Ayela : « Le juge reste dangereux, comment mieux
l’utiliser ? ».Pour cette raison, il rêve d’un parquet indépendant, de la
suppression du juge d’instruction avec pour tout citoyen un droit d’accès direct
constituant une mesure de protection lors d’une mise en cause. Il évoque le
système anglo-saxon pour garantir cette mesure de protection par le contre
interrogatoire signifiant en anglais cross-examination. Pour lui, la justice doit être
irréprochable et exemplaire, citant au passage les problèmes rencontrés aux
États-Unis où la procédure pénale juge très peu car elle est basée sur un
principe de transaction, une sorte de système pour les riches.
Cependant, la justice reste un domaine où existe
une confrontation des pouvoirs entre magistrats du siège ou parquetier. Selon
Jean-Claude Kross : « En supprimant le juge
d’instruction, le seul magistrat indépendant, vous mettez les dossiers entre les
mains du Parquet qui ne sera jamais indépendant ». Quoi qu’il en soit,
Jean-Claude Kross et Christophe Ayela s’entendent sur la nécessité d’une réforme de la
procédure pénale en France mais vers quelle procédure pénale ? Il faut trouver
un système où il existe plus de contradictoire tout en faisant attention de
solutionner normalement les dossiers moins importants s’inscrivant dans une
volonté de gestion des flux sur la durée des procédures notamment lors des
comparutions immédiates devant le tribunal ou des poursuites alternatives comme
le rappel à la loi. En tant que symbole, la Justice alors disparaît.
Le secret de l’instruction face à
la durée des procédures
«
Toute personne a un droit fondamental à être jugée dans un délai raisonnable »
(article 6 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme).
Le secret de l’instruction est nécessaire pour que
les investigations puissent aboutir avant toute disparition de preuves ou
d’éventuelles pressions sur les témoins. Il évite ensuite que soit prématurément
et publiquement soupçonnée une personne dont la culpabilité n’est pas encore
reconnue par un jugement. Il protège la présomption d’innocence et permet aux
magistrats d’instruire plus sereinement face aux pressions ou aux tentations
médiatiques.
La justice moderne est au
fondement même de la démocratie. Aujourd’hui, elle reflète l’idée de
mondialisation de l’espace judiciaire soumis aux contraintes européennes à
travers une société en mutation permanente ayant perdu ses repères et ses
médiations traditionnels tendant à demander à l’institution judiciaire plus
qu’elle ne peut produire sur la régulation quotidienne des comportements
sociaux, professionnels ou moraux.
«
L’état social est ordinairement le produit d’un fait, quelque fois des lois, le
plus souvent de ces deux causes réunies, mais une fois qu’il existe on peut le
considérer lui-même comme la cause première de la plupart des lois, des coutumes
et des idées qui règlent la conduite des nations. Ce qu’il ne produit pas il le
modifie. Pour connaître la législation d’un peuple, il faut donc commencer par
étudier son état social. » (Tocqueville). ¾