UNE MÉDECINE À DEUX VITESSES ?



par Pierre CHASTANIER

Les couloirs bruissent au ministère de la Santé des tensions supposées entre la ministre, Marisol Touraine et certains de ses proches qui auraient l’habitude de pratiquer des dépassements d’honoraires systématiques importants!

Le problème de la « médecine à deux vitesses » est à nouveau posé dans des termes qui pour beaucoup de nos concitoyens méritent quelques éclaircissements.

Si chacun approuve cet acquis de la Résistance permettant à tous les Français, grâce à la Sécu, de se soigner « presque » gratuitement, la présentation qui est faite des « odieux profiteurs » que sont les « hospitalo-universitaires » a quelque chose de risible.

Pas question bien sûr de cautionner certaines pratiques excessives bien peu conformes au serment d’Hippocrate, qu’on retrouve cependant plus souvent chez les chirurgiens esthétiques que chez les médecins hospitaliers.

Quelques remarques préliminaires toutefois :

Pour atteindre le sommet de la hiérarchie hospitalo-universitaire il faut, si tout va bien, 20 années de dur labeur : 7 ans d’études, 4 ans d’internat, 2 ans de clinicat, 5 à 10 ans de MCU-PH et enfin pour les plus aptes (ou les plus chanceux) un poste de PUPH et de chef de service. Une vie de travail !

Pendant les 13 premières années, il faut « bouffer de la vache enragée » avec un salaire mensuel de 0 € pour un étudiant, 200 € pour un externe, 1.300 € pour un interne débutant à Paris à Bac +7 (pour 60 heures de travail par semaine sans recours possible aux prud’hommes), 2.300 € pour un chef de clinique (à la trentaine, souvent marié et père ou mère de famille) qui doit arrondir ses fins de mois par des gardes incessantes. En pendant toutes ces années, des examens, des concours, des publications, …le bagne choisi parce qu’on aime ça mais le bagne tout de même !

Comment s’étonner que certains au bout du compte refusent les consultations « spécialistes » du secteur 1 à 25 ou 28 € selon le cas, ou la CMU aux remboursements souvent tardifs, s’ils veulent dispenser une médecine de qualité au lieu de se résoudre à faire de l’abattage !

Mais où la chose devient comique c’est que jamais n’est pris en compte le coût total d’une pathologie incluant diagnostic et traitement. Je m’explique :

Un clinicien expérimenté examinant minutieusement un malade aboutira souvent rapi-dement au bon diagnostic avec un minimum d’examens complémentaires. Le traitement proposé sera très fréquemment le bon et le nomadisme médical si souvent observé, de patients désorientés, sera réduit à sa plus simple expression.

Le jeune interne au contraire ou le praticien peu entraîné se protègera contre ses angoisses (et lajudiciarisation croissante de la profession) en multipliant les examens complémentaires radiologiques ou biologiques particulièrement coûteux (scanners, IRM, batteries de tests de laboratoire au moindre doute).

Par rapport à ces dépenses assez souvent inutiles pour « celui qui sait », que coûte la consultation ?

J’ai longtemps proposé que les internes, autorisés à prescrire, la bride sous le cou, smicards pouvant sans contrôle dépenser des fortunes, soient encadrés au début par un nombre beaucoup plus élevé de chefs de cliniques et d’agrégés pour apprendre « au lit du malade » une médecine pratique, ne dépensant qu’à bon escient, celle-là même qu’on s’ingénie à ne plus leur enseigner à la fac !

Ah ! ce PACES 1, avec son examen par QCM tellement déconnecté de la pratique médicale qu’AUCUN professeur de première année ne serait capable de le réussir (et des autres années non plus d’ailleurs), ces épreuves prétendument scientifiques (en réalité exclusivement théoriques) qui ne serviront JAMAIS à l’immense majorité des praticiens et qui sont de toutes façons bien insuffisantes pour ceux qui, dix ans plus tard, s’orienteront vers la recherche.

La méthode de sélection, car ce n’est que ça, puisqu’on n’ose pas faire le tri à l’entrée de l’université par une Mention B ou TB au Bac S, dans un pays dont les hôpitaux publics vivent en partie au dépend de médecins étrangers taillables et corvéables à merci, est pour le moins choquante (encore que la dernière secrétaire d’État à la Santé, sous Nicolas Sarkozy, ait eu son diplôme de docteur en Médecine à Alger !).

Après l’étape diagnostique, le praticien expérimenté sait aussi quelle est la meilleure conduite à tenir et le traitement le plus adapté.

Et là encore par rapport au traitement proposé par le néophyte que représente le prix d’une vraie consultation, dépassements d’honoraires compris, par un praticien chevronné !

Il faut être aveugle pour croire que nous avons la meilleure médecine du monde. Par rapport à l’Afrique, sans doute, raison pour laquelle le tourisme médical fleurit dans notre pays (la carte Vitale non sécurisée [sic] se prête facilement aux cousins d’outre- méditerranée). CMU et AME prévues pour 1 million d’assujettis sont maintenant généralisées à 5 millions de patients (dont les ayants-droit initialement envisagés mais aussi les clandestins, les « touristes » de passage et les riches étrangers sans revenus en France même s’ils disposent d’un important patrimoine ! Tous ces braves gens qui ne payent strictement rien n’hésitent pas à consulter tous azimuts quand ils veulent bien venir au rendez-vous!

La médecine c’est difficile ! Quand je vois parfois quelles prescriptions sont faites aux cancéreux je ne peux que penser que la doctrine française, non écrite mais pourtant bien réelle, est « Vous avez un cancer on vous soigne, vous récidivez, on vous aide à mourir ! ». Et surtout ne réfléchissez pas, appliquez les décisions standardisées des RCP (réunions de concertation pluri-disciplinaires)!

Est-ce à dire pour autant que parmi les « dépasseurs » il n’y a que les bons et parmi les conventionnés que les mauvais : sûrement pas !

Mais si la médecine ne doit pas être à deux vitesses que dire alors de l’éducation, du logement, des salaires, des voitures, des restaurants… On sait au pays des Soviets comment l’Égalité a (mal) fini !

Soyons sérieux ! Si l’on persiste dans cette voie déraisonnable n’ajustant pas pour la profession médicale (comme pour la profession d’enseignant d’ailleurs) la rémunération à la longueur et à la difficulté des études, tôt ou tard le système explosera.

Et pourtant la République se doit de soigner avec autant de zèle tous ses enfants !

Une solution ?

Dans chaque profession il existe une grande diversité de profils, chacun adapté à une clientèle particulière. Le patient comme il choisit son logement ou sa voiture, choisira le type de médecine qui lui convient selon ses priorités, et ses moyens.

Dans Paris où il n’y a pratiquement plus de médecins généralistes (à 23 € la consultation il faudrait être malade pour s’installer!) il reste SOS Médecins à 53 € minimum (selon horaires) ou les urgences hospitalières (comptez 4 à 6 heures d’attentes s’il n’y a pas de risque vital et un prix de revient de 176 € par passage pour des soins légers, que le malade ne paye pas, sauf un forfait minime, mais que la Sécu doit bien rembourser à l’hôpital).

À côté de la médecine libérale, une médecine sociale doit enfin trouver sa place, de qualité comparable mais fonctionnant différemment.

L’exemple de la médecine militaire nous montre la solution. Les étudiants qui intègrent l’École de Santé des Armées, passeront les mêmes examens que leurs camarades civils. Ils auront au bout du compte le même diplôme et ne pourront être qualifiés de médecins au rabais.

Cinq différences de taille pourtant :

- ils sont recrutés hors numérus clausus des civils ;

- pendant leurs études ils sont payés ;

- à la fin de celles-ci ils doivent dix ans de service à l’armée ;

- leur salaire de médecin militaire débute à 2.200 € par mois ;

- après les dix ans ils peuvent soit poursuivre dans l’armée soit partir dans le civil.

Plutôt que de faire venir des médecins roumains ou autres, ne parlant même pas notre langue ou de forcer nos enfants malchanceux, après cette première année débile, à tenter leur chance en Belgique ou ailleurs, que ne crée-t-on un corps civil de médecins salariés de la Sécu, capables d’occuper pendant dix ans des postes de médecine sociale (urgences, malades de la CMU, maisons de retraites, déserts médicaux…) là où la Nation a besoin d’eux, selon des critères de recrutement indépendants du numérus clausus des autres .

Comme pour nos grandes écoles, ils seraient payés pendant leur formation ce qui leur ferait accepter un salaire moins élevé pendant les dix années suivantes et l’obligation d’ins-tallation au lieu d’affectation, après lesquelles ils pourraient s’ils le souhaitent regagner le secteur libéral.

Ce serait l’occasion unique d’ouvrir l’accès des professions médicales à des personnels de santé ayant une certaine ancienneté (infirmières, kinés, manipulateurs radio, laborantines ou même aides-soignantes …) qui intègreraient directement après cinq années de pratique la deuxième année de médecine (type de passerelle qui existe dans de nombreux autres formations).

Les années suivantes ils se présenteraient aux mêmes examens que les autres étudiants et seraient donc aussi qualifiés.

Études à deux vitesses me direz-vous : la médecine libérale pour les meilleurs, la médecine sociale pour les autres !

1° N’est-ce pas la même chose dans d’autres études (tout le monde ne peut pas réussir l’ENS ou l’X).

2° Les études sauf la stupide 1re année seraient identiques.

3° Le fait d’être payé ouvrirait la profession à des catégories sociales nouvelles.

4° Au bout de dix ans tous seraient sur un pied d’égalité.

Soyons sûrs qu’on n’évitera pas, tôt ou tard, l’apparition d’une médecine sociale salariée.

Quand 98 % de la population relève de la Sécu et des mutuelles où est la médecine vraiment libérale ?

Qu’on permette au moins à ceux qui le veulent et le peuvent d’être soignés par ceux qu’ils ont librement choisis, par ceux qui ont fait l’effort de se hisser au sommet de la profession, par ceux qui savent alors que tant d’autres hésitent, par ceux qui, voyant leurs proches, avocats, notaires, industriels, nettement mieux traités, ne veulent plus brader leurs connaissances !

Terminons par une histoire drôle :

Une ménagère appelle un plombier pour changer un joint qui fuit. Le professionnel arrive et en 5 minutes le joint est changé.

-Combien vous dois-je, lui dit-elle ?

- 50 € Madame.

- 50 € ! Vous êtes plus cher que le médecin !

- Je sais, Madame, j’étais médecin !

 




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07.03.2013
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