par
Christine ALFARGE
«
La
justice moderne est-elle le dernier rempart de notre démocratie
? »
Pour
la plupart des citoyens, la justice paraît bien opaque. En réalité elle se
révèle une véritable expérience de pensée, de réflexion à mener sur le droit,
l’équité, le juste et l’injuste. Avec le déclin des institutions, le monde
construit de plus en plus d’épreuves subjectives pour les uns et les autres,
alors se pose la question de savoir ce qu’est une société plus juste. Serait-ce
une société qui permet à chacun d’avoir suffisamment d’esprit critique pour
sortir grandi des épreuves auxquelles il se confronte ? Mais ceci suppose
d’avoir suffi-samment de ressources et de maîtrise de
sa propre vie pour résister au monde tel qu’il est.
Patricia
Astruc-Gavalda nous donne
son sentiment d’avocate liée par le serment « d’exercer ses fonctions avec
dignité, conscience, indépendance, humanité et probité ». Elle dit : « Ce qui
m’ins-pire entre police et justice, ce sont les
notions de libertés individuelles, de complémentarité et d’antagonisme
».
Concernant
les libertés individuelles, la justice doit être impartiale et tenir en respect
les intérêts personnels basés sur deux principes selon la théorie de John Rawls, un « principe de liberté » d’une part et un «
principe de différence » d’autre part. Le premier donne un égal accès au plus
grand nombre de libertés individuelles : droit de vote et d’éligibilité, liberté
d’expression, protec-tion de la personne, droit à la
propriété privée… Le second définit les règles de la justice sociale : les
inégalités socio-économiques ne sont accep-tables que
si elles induisent en compensation des avantages pour les membres les plus
défavorisés et si l’on respecte le principe de l’égalité des chances pour qu’une
société puisse être dite équitable. Aujourd’hui, c’est sans doute la question de
l’égalité des chances qui est au coeur de toutes les
interrogations parce qu’elle est l’élément clé pour articuler liberté, égalité
et mérite. Les notions de liberté et de justice sociale sont indissociables pour
que chacun assume la fonction sociale qui lui est propre.
La
peur de la violence et le besoin de sécurité
Si
les sentiments dominants dans la religion, sont la crainte et l’espoir, on peut
dire que le sentiment dominant en politique est la peur. Il suffit d’imaginer un
instant ce que seraient les rapports sociaux, s’il n’y avait pas des lois pour
les gérer et une force publique pour les faire respecter. Cet état qu’on appelle
état de nature serait un état de violence de tous contre tous. Sans la paix
civile, ni l’activité économique, ni le développement des arts et des sciences,
ni l’éducation d’un peuple ne sont concevables. Le premier ordre juste, c’est
pour les hommes, celui qui leur permet de vivre en sécurité et d’exercer
diverses activités de nature professionnelle ou personnelle. La justice comme
exigence spirituelle et morale prend la hauteur nécessaire, demandant pour être
politiquement efficace, un état social et politique qui progresse. Aujourd’hui,
force est de constater que l’état social, tel qu’il résultait du programme de
1945 du Conseil National de la Résistance, est progressivement
démantelé.
«
La justice sans la force est impuissante » (Pascal)
Inversement
le droit a besoin de la force pour être autre chose qu’un souhait irréalisable
ou une illusion. Sans le soutien d’une force publique ou morale capable de faire
respecter les lois, celles-ci ne produisent aucun effet.
Cette
idée nous permet de méditer la grandeur et la décadence de notre démocratie.
Etant donné son niveau de culture, elle souhaiterait que les hommes obéissent
d’eux-mêmes à la loi. Son mot d’ordre est donc « convaincre plutôt que
contraindre ». Mais la réalité reprend ses droits lorsque le magistrat est en
présence de récidivistes endurcis n’ayant pas la même conscience du mal qu’ils
ont commis ou bien lorsque les policiers se heurtent à des contestataires
politiques dont la seule motivation est la destruction de
l’État.
Lorsque
l’impunité règne sous forme de réseaux mafieux, de criminalité organisée ou que
la rue fait retirer les projets de loi, initiés par les majorités en qui elle
n’accorde aucune confiance, on n’est plus dans un État de droit, on est revenu à
l’état de nature où le droit de chacun s’étend jusqu’où s’étend sa force et où
la force fait le droit.
Pour
les mêmes raisons, le Général de Gaulle revenu au pouvoir, accélèrera la
préparation du Code de procédure pénale et fera promulguer les livres II
à V au cours de la période de mise en place des nouvelles institutions de la Ve
République, par l’ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958. Le Code
entrera en vigueur le 2 mars 1959 en même temps que la réforme de l’autorité
judiciaire que le Général souhaitait ardemment pour la paix civile et la justice
sociale.
Ainsi
le Code de procédure pénale se manifestera par deux impératifs : sécurité
et liberté, répondant aux aspirations des grands idéaux de la Résistance et de
la nécessité de garantir une procédure conforme (sincérité des preuves, pas
d’aveu forcé) ayant trois objectifs principaux : renforcer la liberté
individuelle, renforcer l’autorité des magistrats, renforcer l’efficacité de la
procédure pénale.
Des
principes de justice élaborés peuvent être remis en cause
Aujourd’hui,
la police judiciaire est un partenaire indispensable de la politique d’action
publique. Certes le procureur de la République peut procéder lui-même à tous les
actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions, mais il peut
surtout y faire procéder (art. 41du Code de procédure pénale). Il
contrôle également les mesures de gardes à vue et sur les enquêtes de flagrance,
il exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par l’article 68 du Code de
procédure pénale. Pour cela, le procureur de la République dispose de
policiers et de gendarmes chargés d’autres tâches en plus de leur activité de
police judiciaire, auxquels il peut prescrire de poursuivre les opérations. Ces
derniers ne dépendent pas de la Justice pour leurs nominations ou les moyens mis
à leur disposition.
À
ce titre, Patricia Astruc-Gavalda souligne : « qu’un fonctionnaire de police a une
part d’autonomie en début d’enquête et peut aller loin avant d’informer un
magistrat et notamment grâce à la vidéo protection qui peut constituer une
preuve». Ce qui amène à se poser la question d’éthique suivante, « la police
craint-elle la sanction de la justice parce qu’elle est instrumentalisée
politiquement ? ». Selon un des membres du syndicat de la magistrature :
« Organiser une coopération étroite entre
police et justice, c’est l’idée de chaîne pénale préconisée dans la circulaire
du 4 février 2004 du ministère de l’Intérieur qui supprime la séparation des
pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire. Selon cette conception, le rôle de
la justice, fondamental pour la démocratie, qui est de contrôler la police et de
sauvegarder les libertés individuelles disparaît au profit d’une coproduction de
sécurité par deux institutions à finalité répressives. ».
Quoi
qu’il en soit la restriction des libertés publiques, telle qu’elle est exercée
depuis de nombreuses années, ne contribue pas suffisamment à la paix civile pour
l’aspect sécurité et engendre davantage d’inégalités pour les plus défavorisés.
Cependant, les notions de paix civile et de justice sociale s’inscrivent de
plein droit au coeur du débat qui s’ouvre sur l’avenir
de la justice pénale basée avant tout sur l’assurance d’une défense
équitable.