Compte rendu du dîner-débat du 12 décembre 2012

présidé par Jean-Vincent Brisset

L’IMPÉRIALISME CHINOIS

 


Par Christine ALFARGE

« La Chine, entre méditation philosophique et pragmatisme économique »

La particularité essentielle de la Chine est sans aucun doute sa spiritualité enracinée au cœur de ses territoires. Partir à leur découverte, nous plonge dans une immersion à travers des lieux sacrés propices à la méditation, à la maîtrise et la connaissance de soi. La recherche d’une harmonie avec la nature et « la quête de la voie juste » constituent une philosophie qui imprègne encore aujourd’hui plusieurs aspects de la société chinoise, en médecine comme en littérature.

La chine, puissance encerclée

Pourquoi parle-t-on d’empire chinois ? Selon Jean-Vincent Brisset : « En réalité, nous avons une vision biaisée de la Chine puisque sa puissance tient dans ses murailles, elle est régie par le concept de « mandat du ciel », légitimant le pouvoir du souverain à travers les dynasties qui se sont succédées. Sinon, c’est la corruption et la peur que tout s’écroule. » Il ajoute : « Parmi les particularités, la Chine n’a pas d’alliés, la frontière est décidée arbitrairement sans engagement pour l’avenir, elle pratique la diplomatie du verbe ainsi que le refus des alliances et d’une organisation multilatérale. »

Aujourd’hui, la croissance a changé de camp

Alors que les États-Unis et l’Europe ont beaucoup de difficultés, les BRICS, notamment la Chine et l’Inde, continuent leur course en tête. La part des pays occidentaux dans la production mondiale de richesses va décroître au profit de l’Asie qui poursuit son inexorable montée en puissance. Cependant, à l’heure où les États-Unis connaissent une poussée de « China bashing » (NDLR : intelligence économique au service de l’hégémonie chinoise) et où la relation avec le Japon est au plus bas, l’Europe conserve son capital de sympathie en Chine, particulièrement la France qui depuis les années 2003 et 2004 à travers la « sino-béatitude » a magnifié l’insertion de la Chine dans l’économie mondiale. Malgré son affaiblissement institutionnel et économique, l’Europe, première cliente de Pékin, est déterminante pour les exportations chinoises. Or, au moment où la Chine doit faire face à la montée des inégalités sur son vaste territoire, le fameux « moteur exportateur chinois » est avant tout le garant de la paix sociale, puisqu’il fournit des millions d’emplois aux travailleurs les moins qualifiés. En dépit des turbulences que connaît la zone euro, celle-ci apparaît paradoxalement comme un point de stabilité pour la Chine et donc pour le reste du monde.

La stratégie de l’araignée au service de la tentation impérialiste

La Chine tisse doucement sa toile. Selon un expert français en intelligence économique chinoise, « la Chine a largement bénéficié de la coopération internationale, occidentale et russe pour progresser. Elle n'est plus en phase de développement maintenant qu'elle a le supercalculateur Tianhe-1, des astronautes, une armée puissante, le record mondial de la ligne à grande vitesse commerciale ». Il ajoute, l'explication à cette « politique agressive de recherche d'information de la Chine » vient de ce que « la Chine est tombée dans la tentation impérialiste : c'est la manifestation de la tentation de l'empire du Milieu de dominer sur le plan culturel, technologique et économique ». La recherche d'informations sert ainsi la Chine, comme les autres pays occidentaux, à progresser afin d'occuper et de tenir sa place. Or, « la place que la Chine cherche à prendre est la première place à la fois sur le plan de l'influence, le plan économique et militaire ». La percée africaine était guidée par l’accès aux ressources énergétiques et aux matières premières. Mais la logique qui guide les entreprises chinoises en Europe est une logique de conquête de marchés. À ce titre, la crise financière européenne ouvre à la Chine des perspectives d’investissements inattendues.

Les ambitions économiques chinoises en Asie centrale

Dès juin 2001, Pékin soutenait la création d'une Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), réunissant outre la Chine et la Russie, le riche Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan. La Chine trouvait dans cette OCS le moyen d'afficher ses ambitions économiques en Asie centrale. L'organisation avait une seconde utilité pour Pékin : contrôler les radicaux musulmans dans sa région occidentale du Xinjiang, de plus en plus associés aux nationalistes ouïgours (peuple musulman du nord-ouest de la Chine), ces derniers trouvant refuge au Kazakhstan et au Kirghizstan.

En 2008, la Chine s’abstient de soutenir la Russie

La Chine ne se prononce pas vis-à-vis de la Russie, dans sa crise géorgienne avec l'Occident, née de la volonté russe d'annexer l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Pékin, confronté à des revendications nationalistes aussi bien à Taïwan que dans ses régions périphériques, campe sur le principe de l'intangibilité des frontières.

De toute évidence, c’est un revers pour Moscou. Depuis plusieurs années, la Chine et la Russie s'assistent étroitement en Asie centrale afin d'y contrer l'influence des États-Unis. Moscou et Pékin ne coopèrent pas seulement sur le plan militaire (la Russie est de loin le plus grand fournisseur de systèmes d'armements de la Chine), leur intérêt géopolitique commun a toujours été de fixer les ex-républiques soviétiques, où se croisent les oléoducs, dans leur orbite, en consolidant le pouvoir des autocrates locaux, c'est-à-dire en empêchant les États-Unis d'y fomenter des « révolutions » démocratiques.

Jusqu'à présent, la Russie et la Chine n'avaient qu'une ambition commune : faire reculer les États-Unis sur la propagation de la démocratie au cœur de l'Asie. Selon Jean-Vincent Brisset : « On pense que la Chine et la Russie ont une vocation à s’entendre, mais la Russie a peur de la Chine à l’heure actuelle ». L'affaire géorgienne est venue remettre en cause la pierre angulaire sur laquelle reposait le «partenariat stratégique» russo-chinois: la non-ingérence.

Pour la Chine, traumatisée par son démembrement par les puissances coloniales au XIXe siècle, n'importe quel précédent en la matière serait dangereux. Il pourrait remettre en question la cause sacrée de l'unité entre la Chine et Taïwan, celle entre la Chine et le Tibet, ou faire renaître les espoirs indépendantistes des Ouïgours au Xinjiang.

Priorité absolue à la stabilité intérieure

Dans le contexte actuel, Pékin va passer à une stratégie diplomatique offensive tournée entre autres vers l’Afghanistan avec lequel elle partage soixante-seize kilomètres de frontières. En juin 2012, lors d’une rencontre entre les dirigeants des deux pays, la Chine propose une coopération en matière de sécurité et notamment la formation de militaires aux techniques du combat antiterroriste. Face aux incertitudes après le retrait des militaires occidentaux en 2014, Pékin veut s’assurer qu’aucun contact ne s’établira entre les talibans afghans et les indépendantistes ouïgours du Xinjiang. Premiers investisseurs étrangers d’un pays dont les richesses du sous-sol sont estimées à plus de mille milliards de dollars, les Chinois s’intéressent aussi à la stabilité politique de l’Afghanistan avec l’objectif d’éviter la contagion du terrorisme islamiste sur leur territoire.

Les États-Unis regardent « vers l’Est »

En attendant de se dépêtrer du bourbier afghan, les États-Unis défient la Chine dans le Pacifique. Selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) « l’équilibre de la puissance économique va fortement basculer au cours des cinquante prochaines années ». L’organisation précise que « la Chine prendrait la place de première économie du monde devant les États-Unis, dès 2016 ». Lors du Forum de Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) en septembre 2012, les États-Unis affirmaient avec force leur ancrage dans cette région dont ils sont persuadés qu’elle est en train de devenir le nouveau centre de gravité du monde.

Des perspectives attractives

L'annonce de la création du Partenariat transpacifique (TPP), une vaste zone de libre-échange entre les États-Unis et neuf autres pays de l'APEC représentant un tiers du PIB mondial (contre un quart pour l'UE), a ouvert par contraste des perspectives attractives, même si les fortes tensions américano-chinoises indiquent que le jeu diplomatique et commercial dans la région restera dominé par un face-à-face Pékin-Washington, qui sera extrêmement difficile, notamment face au refus de la Chine de laisser fluctuer sa monnaie nationale. Quant au Japon, troisième économie mondiale derrière les États-Unis et la Chine, il n’a pas profité du sommet de l’APEC pour annoncer son ralliement comme il avait initialement prévu de le faire sans doute en raison de la proposition chinoise d’instaurer également une zone de libre-échange en Asie, incluant le Japon et la Corée du Sud.

Désormais, deux blocs économiques concurrents existent dans le Pacifique, un Partenariat transpacifique annoncé par Barack Obama regroupant dans un premier temps le Canada, le Mexique, l'Australie, Bruneï, le Chili, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour, le Vietnam et bien sûr les États-Unis, de l’autre une proposition chinoise exclusivement asiatique avec en toile de fonds des querelles territoriales sur des îles du Pacifique venant affaiblir les relations sino-japonaises pouvant remettre en cause l’accord de libre-échange tripartite des Chinois.

Par ailleurs, les aspects militaires des États-Unis qui sont en train de renforcer leurs accords de défense avec plusieurs pays inquiets de l'agressivité de Pékin en mer de Chine méridionale, ne devraient pas apaiser le climat. Tout en dialoguant avec la Chine, les Américains veulent favoriser l'émergence d'alliances économiques et militaires permettant de contenir leur partenaire-adversaire en attendant de l'amener à respecter les règles du jeu.

En 2015, la Chine disposera d’un surplus d’individus de sexe masculin de 15 à 20 millions. De tels déséquilibres démographiques ont souvent coïncidé, dans l’histoire du pays, avec des périodes d’instabilité et d’aventurisme.

En outre, la Chine fait face aux problèmes structurels bien connus que sont la croissance du chômage, la migration des campagnes vers les villes, et la contestation politique menée par la secte Falun gong. Ces quatre problèmes ne sont pas sans lien entre eux. Les futurs équilibres géostratégiques désignent la Chine avec un rôle central. Aujourd’hui, le risque pour Pékin de s’engager dans un conflit majeur n’est pas d’actualité, sa priorité est de poursuivre son développement et la modernisation de son économie. Mais la force du nationalisme chinois, la soif de reconnaissance de Pékin en tant que puissance majeure et puissance dominante en Asie, les besoins énergétiques croissants du pays, et enfin ses instabilités sociales et démographiques pourraient aisément conduire les dirigeants chinois à des prises de risques.

À son époque, le Général de Gaulle réfléchissait sur la question de la reconnaissance de la Chine populaire par la France, conscient que ce bouleversement géostratégique établirait un nouvel équilibre mondial suivi obligatoirement par d’autres puissances, y compris les États-Unis eux-mêmes. Le Général s’exprimait ainsi : « L’intérêt du monde sera de parler avec les Chinois, de s’entendre avec eux, de faire des échanges commerciaux avec eux pour leur permettre de sortir de leurs murailles… Ils ne pourront s’en sortir que s’ils s’ouvrent sur le monde entier et que le monde entier vienne les aider ».

Le Général de Gaulle franchira le pas le 27 janvier 1964 dans une action de longue patience, s’émancipant ainsi des deux blocs avec la même volonté partagée par la Chine de Mao.

 
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05.01.2013
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