Dès à présent, l’avenir économique de
l’Europe se joue dans sa capacité au rapprochement politique des Européens. Face
à la crise de la zone euro provoquant un effet de contagion qui gagne
progressivement le coeur de l’union monétaire,
l’Allemagne qui réalise 40 % de ses exportations dans la zone euro, se sent
menacée dans ses intérêts existentiels. Comme par le passé, elle continue de
prôner un discours sur la construction d’une Union
politique en Europe afin de compléter l’Union économique et monétaire et
procéder à une répartition plus claire des compétences respectives des États et de
l’Union.
À ce titre, l’introduction du
principe de subsidiarité dans le droit communautaire a été le résultat d’une
réflexion approfondie sur l’élargissement des compétences de l’Union et jusqu’où
l’Europe s’avançait sans que l’on connaisse les limites de son pouvoir. Le
principe de subsidiarité est donc apparu en garde-fou servant à réguler cette
puissance. Il faut rappeler également qu’un protocole sur l’application des
principes de subsidiarité et de proportionnalité fut inclus lors de la
négociation du traité d’Amsterdam pendant lequel l’Allemagne proposa en vain aux
États membres de se mettre d’accord au préalable sur les objectifs de l’Union et
notamment le rôle qu’elle pourrait exercer à l’avenir.
Aujourd’hui, les États membres sont
devant une tâche politique immense et incontournable, celle de s’entendre sur la
répartition des compétences entre les États et l’Union car il est plus que
jamais nécessaire de l’accomplir pour l’avenir des futures générations. Quant à
l’État-nation qui n’en demeure pas moins la forme politique de l’Europe, il doit
s’imposer entre un fédéralisme à marche forcée et un régionalisme en
embuscade.
L’ambivalence du
régionalisme
L’un des aspects du régionalisme est
politique avec un nouveau rapport État et région car c’est également en terme de
compétences que la question reste posée entre ces deux entités. Selon Marc Fraysse : « Une nouvelle réforme territoriale est
nécessaire, le vrai problème est qu’il faut avoir la volonté de mener des
réformes de fond, le rôle des régions demande un ajustement permanent. Nous
devons associer plus fortement les pouvoirs locaux et les collectivités locales
et territoriales à la construction européenne. Pas seulement en termes de chasse
aux subventions qui en font trop souvent un acteur passif, mais en terme de
représentation plus forte au sein des instances européennes. Le lobbying des
collectivités territoriales, exercé notamment par le biais de deux associations,
le Conseil des communes et régions d’Europe (fondé en 1951) d’une part et
l’Assemblée des régions d’Europe (mise en place en 1984) d’autre part,
mériterait de voir son existence davantage reconnue et ces deux associations
d’être mieux associées aux institutions européennes. Au-delà de la « coopération
décentralisée » reconnue par la loi du 6 février 1992 et qui autorise des
coopérations entre collectivités, dans les limites de leurs compétences, je
crois que ces collectivités locales et territoriales sont les plus aptes, par
leur proximité et leur légitimité, à représenter et à défendre territoires et
citoyens ». Il faut donc clarifier à la fois les compétences, les moyens
financiers, les rôles de l’État, des régions, des départements, des communes et
des différentes formes d’intercommunalité.
L’État doit assurer une répartition
équitable des charges et des moyens. Selon Marc Fraysse : « C’est un mille-feuille qui ne peut plus continuer au regard des
dépense excessives, vingt-deux régions c’est beaucoup ». Une tâche difficile
quand de nombreux élus ont plusieurs casquettes sur la tête du fait du cumul des
mandats. Souvenons-nous que le Général de Gaulle pour qui le rôle de l’État
devait être exemplaire, signera le 14 février 1963 le décret n°63-112 instituant
la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR)
parce qu’il avait une vision de la réalité locale s’appuyant sur les régions
afin d’assurer une meilleure participation des citoyens à la gestion du pays,
préservant ainsi l’espace de la démocratie et des solidarités. C’est tout le
sens du référendum du 27 avril 1969 qu’il avait souhaité sur « le projet de loi
relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » pour lequel il
avait indiqué qu’en cas de rejet, il quitterait ses fonctions. Les antagonismes
politiques de l’époque à droite comme à gauche ont malheureusement changé la
nature du débat sur le maintien ou non du président au pouvoir au lieu des
intérêts ou inconvénients de la réforme, au détriment d’une auto-organisation
décentralisatrice plus en prise sur les réalités locales.
Aujourd’hui, face au ravage de la
crise, nous sommes dans la conquête de la réindustrialisation, l’essentiel
de notre vie économique, sociale et politique se joue encore aux niveaux local,
national ou régional. L’État doit être plus que jamais à l’écoute des projets et
des besoins des régions pouvant s’appuyer sur la mobilisation et l’engagement
des politiques. La mondialisation n’a pas fait disparaître les territoires. La
construction d’un monde plus juste ne passe
d’ailleurs pas par la disparition des anciens liens sociaux et des vieux
sentiments d’appartenance. Détruire ces solidarités n’aidera pas à en faire
émerger de nouvelles, au niveau des continents comme de la planète. Cela ne
ferait que renforcer la tentation toujours présente du repli identitaire
représentant l’autre aspect du régionalisme.
La revendication de
mouvements identitaires en Europe
Dans plusieurs régions européennes,
une fièvre indépendantiste est en train de surgir. À la volonté de consolider
l’avenir économique de la zone euro, s’ajoute un nouveau risque pour l’Europe,
celui de la revendication de mouvements identitaires
voire sécessionnistes. De la Catalogne, à la Flandre en passant par l’Ecosse,
toutes ces régions ont un point commun face à l’actuelle crise de la dette
souveraine et les plans d’austérité, elles ont le sentiment de « payer » pour
les autres parce qu’elles sont plus riches avec des taux de chômage inférieurs
aux moyennes nationales. Mais il ne s’agit pas que de l’autonomie budgétaire et
fiscale, la question du régionalisme est également culturelle et
linguistique.
Même si les dirigeants
indépendantistes ne souhaitent pas forcément une sortie des institutions
européennes, il n’en demeure pas moins que le risque de fragmentation de
l’Europe existe bien et que le morcellement de ces États entraînerait une
rupture des grands équilibres. Les dirigeants européens prendront-ils rapidement
conscience de cette nouvelle menace qui pèse sur l’Union ?
Bâtir sur cette nécessaire pluralité
de sentiments d’appartenance n’est cependant pas facile pour les citoyens comme
pour les États. C’est pourtant la voie à suivre pour
maîtriser les défis d’aujourd’hui, renforcer le rôle des régions comme un
vecteur d’équilibre et d’intégration au nom de l’intérêt national. Certes, le
temps des nations n’est pas fini, les États conservent toujours un rôle crucial
dans beaucoup de domaines, mais leur place a profondément changé. Les
transformations du monde actuel ont conduit à l’internationalisation de
l’activité économique dans un espace de plus en plus dépourvu de frontières et à
l’émergence de nouveaux pôles concurrentiels, des régions devenues les moteurs
de la prospérité mondiale.