Compte rendu du dîner-débat du 13 novembre 2012

présidé par Marc Fraysse

LE RÉGIONALISME CONTRE LA NATION ?

 


par Christine ALFARGE

 

« L’État-nation au milieu du gué »

Dès à présent, l’avenir économique de l’Europe se joue dans sa capacité au rapprochement politique des Européens. Face à la crise de la zone euro provoquant un effet de contagion qui gagne progressivement le coeur de l’union monétaire, l’Allemagne qui réalise 40 % de ses exportations dans la zone euro, se sent menacée dans ses intérêts existentiels. Comme par le passé, elle continue de prôner un discours sur la construction d’une Union politique en Europe afin de compléter l’Union économique et monétaire et procéder à une répartition plus claire des compétences respectives des États et de l’Union.

À ce titre, l’introduction du principe de subsidiarité dans le droit communautaire a été le résultat d’une réflexion approfondie sur l’élargissement des compétences de l’Union et jusqu’où l’Europe s’avançait sans que l’on connaisse les limites de son pouvoir. Le principe de subsidiarité est donc apparu en garde-fou servant à réguler cette puissance. Il faut rappeler également qu’un protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité fut inclus lors de la négociation du traité d’Amsterdam pendant lequel l’Allemagne proposa en vain aux États membres de se mettre d’accord au préalable sur les objectifs de l’Union et notamment le rôle qu’elle pourrait exercer à l’avenir.

Aujourd’hui, les États membres sont devant une tâche politique immense et incontournable, celle de s’entendre sur la répartition des compétences entre les États et l’Union car il est plus que jamais nécessaire de l’accomplir pour l’avenir des futures générations. Quant à l’État-nation qui n’en demeure pas moins la forme politique de l’Europe, il doit s’imposer entre un fédéralisme à marche forcée et un régionalisme en embuscade.

L’ambivalence du régionalisme

L’un des aspects du régionalisme est politique avec un nouveau rapport État et région car c’est également en terme de compétences que la question reste posée entre ces deux entités. Selon Marc Fraysse : « Une nouvelle réforme territoriale est nécessaire, le vrai problème est qu’il faut avoir la volonté de mener des réformes de fond, le rôle des régions demande un ajustement permanent. Nous devons associer plus fortement les pouvoirs locaux et les collectivités locales et territoriales à la construction européenne. Pas seulement en termes de chasse aux subventions qui en font trop souvent un acteur passif, mais en terme de représentation plus forte au sein des instances européennes. Le lobbying des collectivités territoriales, exercé notamment par le biais de deux associations, le Conseil des communes et régions d’Europe (fondé en 1951) d’une part et l’Assemblée des régions d’Europe (mise en place en 1984) d’autre part, mériterait de voir son existence davantage reconnue et ces deux associations d’être mieux associées aux institutions européennes. Au-delà de la « coopération décentralisée » reconnue par la loi du 6 février 1992 et qui autorise des coopérations entre collectivités, dans les limites de leurs compétences, je crois que ces collectivités locales et territoriales sont les plus aptes, par leur proximité et leur légitimité, à représenter et à défendre territoires et citoyens ». Il faut donc clarifier à la fois les compétences, les moyens financiers, les rôles de l’État, des régions, des départements, des communes et des différentes formes d’intercommunalité.

L’État doit assurer une répartition équitable des charges et des moyens. Selon Marc Fraysse : « C’est un mille-feuille qui ne peut plus continuer au regard des dépense excessives, vingt-deux régions c’est beaucoup ». Une tâche difficile quand de nombreux élus ont plusieurs casquettes sur la tête du fait du cumul des mandats. Souvenons-nous que le Général de Gaulle pour qui le rôle de l’État devait être exemplaire, signera le 14 février 1963 le décret n°63-112 instituant la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) parce qu’il avait une vision de la réalité locale s’appuyant sur les régions afin d’assurer une meilleure participation des citoyens à la gestion du pays, préservant ainsi l’espace de la démocratie et des solidarités. C’est tout le sens du référendum du 27 avril 1969 qu’il avait souhaité sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » pour lequel il avait indiqué qu’en cas de rejet, il quitterait ses fonctions. Les antagonismes politiques de l’époque à droite comme à gauche ont malheureusement changé la nature du débat sur le maintien ou non du président au pouvoir au lieu des intérêts ou inconvénients de la réforme, au détriment d’une auto-organisation décentralisatrice plus en prise sur les réalités locales.

Aujourd’hui, face au ravage de la crise, nous sommes dans la conquête de la réindustrialisation, l’essentiel de notre vie économique, sociale et politique se joue encore aux niveaux local, national ou régional. L’État doit être plus que jamais à l’écoute des projets et des besoins des régions pouvant s’appuyer sur la mobilisation et l’engagement des politiques. La mondialisation n’a pas fait disparaître les territoires. La construction d’un monde plus juste ne passe d’ailleurs pas par la disparition des anciens liens sociaux et des vieux sentiments d’appartenance. Détruire ces solidarités n’aidera pas à en faire émerger de nouvelles, au niveau des continents comme de la planète. Cela ne ferait que renforcer la tentation toujours présente du repli identitaire représentant l’autre aspect du régionalisme.

La revendication de mouvements identitaires en Europe

Dans plusieurs régions européennes, une fièvre indépendantiste est en train de surgir. À la volonté de consolider l’avenir économique de la zone euro, s’ajoute un nouveau risque pour l’Europe, celui de la revendication de mouvements identitaires voire sécessionnistes. De la Catalogne, à la Flandre en passant par l’Ecosse, toutes ces régions ont un point commun face à l’actuelle crise de la dette souveraine et les plans d’austérité, elles ont le sentiment de « payer » pour les autres parce qu’elles sont plus riches avec des taux de chômage inférieurs aux moyennes nationales. Mais il ne s’agit pas que de l’autonomie budgétaire et fiscale, la question du régionalisme est également culturelle et linguistique.

Même si les dirigeants indépendantistes ne souhaitent pas forcément une sortie des institutions européennes, il n’en demeure pas moins que le risque de fragmentation de l’Europe existe bien et que le morcellement de ces États entraînerait une rupture des grands équilibres. Les dirigeants européens prendront-ils rapidement conscience de cette nouvelle menace qui pèse sur l’Union ?

Bâtir sur cette nécessaire pluralité de sentiments d’appartenance n’est cependant pas facile pour les citoyens comme pour les États. C’est pourtant la voie à suivre pour maîtriser les défis d’aujourd’hui, renforcer le rôle des régions comme un vecteur d’équilibre et d’intégration au nom de l’intérêt national. Certes, le temps des nations n’est pas fini, les États conservent toujours un rôle crucial dans beaucoup de domaines, mais leur place a profondément changé. Les transformations du monde actuel ont conduit à l’internationalisation de l’activité économique dans un espace de plus en plus dépourvu de frontières et à l’émergence de nouveaux pôles concurrentiels, des régions devenues les moteurs de la prospérité mondiale.
 
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07.12.2012

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